29 mars 2028
Comme il le redoutait, Hiro avait bien dû se résoudre à demander à Nura Wakana-sensei quel était son lien de parenté avec Nura Rikuo-sensei, en dépit de la terrible humiliation qu'il ressentait face à son échec en tant que jeune détective. Le pire, c'était que la maîtresse s'en était rendu compte – et elle avait été très gentille sur le sujet, lui déclarant que c'était inévitable de ne pas réussir dans chaque projet qu'on essayait de faire, surtout quand on était encore jeune et sans beaucoup d'expérience. C'était rassurant et ça ne consolait pas du tout en même temps – oh, Hiro détestait tellement grandir, ça venait avec tellement de sentiments compliqués.
Et avec tout ça, Nura Wakana-sensei l'avait achevé en révélant qu'elle était la maman de Nura Rikuo-sensei. D'accord, les gens avaient généralement besoin d'une mère pour naître – pour certaines créatures, ce n'était pas le cas, et le débat sur la possibilité que ces créatures puissent répondre aux critères les qualifiant en tant que personnes était assez agité, apparemment – mais quand vous aviez des professeurs d'école, vous n'alliez pas penser que c'était leur cas !
Quand il s'était plaint à tante Cass, celle-ci avait trouvé ça très drôle mais lui avait quand même dit que la plupart des gens feraient ce qu'ils voudraient, et que les opinions des autres ne seraient pas prises en compte dans le processus, alors si la maîtresse voulait avoir des enfants pourquoi irait-elle demander la permission à ses élèves ? Elle était une grande personne, après tout, et l'un des avantages indéniables quand on devenait un adulte était de ne plus être obligé de justifier ses actes ni de demander la permission. Enfin, pas aussi souvent que les enfants.
En attendant, c'était quand même très bizarre de regarder Nura Wakana-sensei et de se dire que cette gentille dame de quarante ou cinquante ans avait un fils de trente. Ou elle s'était mariée vraiment très jeune, ou faire partie de la famille d'un youkai signifiait que vous vous retrouviez à vieillir bizarrement.
C'était un des problèmes de santé qui surgissait très fréquemment lors de la cohabitation des êtres surnaturels avec les humains, il avait entendu l'infirmière s'en plaindre quand il était venu pour faire ses vaccins – il y avait des maladies que les gens normaux attrapaient, des maladies particulières aux sorciers, et des maladies rien que pour les youkai en tant que catégorie et en tant que races ou même clans bien définis, et bien sûr il fallait des vaccins pour toutes ces maladies – mais quand il avait demandé à en savoir plus, elle avait fait une moue un peu grognon, un peu triste, et elle lui avait dit que c'était un sujet un peu trop lourd pour lui et qu'on en reparlerait dès qu'il aurait du poil au menton.
Vu qu'il était à moitié kitsune, Hiro était quasi certain que l'infirmière avait employé une métaphore – elle savait très bien qu'il ne pourrait jamais se laisser pousser une moustache. Le jeune garçon avait vu Tadashi essayer sans aucun résultat, quand il avait été dans une période Pirates des Caraïbes et voulu ressembler à Jack Sparrow. Tante Cass n'avait pas été impressionné de le voir utiliser son eyeliner.
Enfin, vieillir bizarrement. Hiro pensait que c'était surtout un problème parce que la majorité des gens était jalouse – ce qui se comprenait, les grandes personnes se mettaient dans tous leurs états à la perspective de perdre leurs cheveux, d'oublier où ils rangeaient les lunettes et les clefs, et de ne plus pouvoir marcher sans canne. Hiro non plus ne trouvait pas ça très amusant, mais il était encore petit, alors ce n'était pas son problème et ça ne le serait pas avant rudement longtemps.
Il avait exposé sa théorie à Hime-sempai, et elle avait froncé le nez pour indiquer qu'elle réfléchissait très fort au sujet avant de dire que c'était un bon argument, mais qu'il avait oublié une partie de l'histoire.
« Laquelle ? » avait demandé Hiro, un peu vexé de n'avoir qu'à moitié raison – c'était peut-être encore plus frustrant de se tromper entièrement ou d'avoir touché dans le mille.
Hime-sempai s'était gratté la tête, faisant ondoyer les reflets bleutés de ses cheveux noirs à la manière de l'eau agitée d'un étang quand il faisait nuit sans lune.
« Et bien, en général, les gens préfèrent rester avec leur groupe d'âge. Toi, c'est un peu différent, parce que tu penses comme si t'étais rudement plus vieux, mais quand tu parles à un bébé qui ne comprend rien de rien à ce que tu dis, ça t'agace, non ? Les youkai, c'est pareil. »
Dit comme ça… ce n'était pas vraiment gentil de la part des youkai envers les humains, mais ce n'était pas réellement déraisonnable. Bien sûr que les gens voulaient parler à d'autres qui les comprenaient, autrement c'était un moyen sûr de s'embêter et de finir frustré, et quelqu'un finissait par se faire renverser un verre d'eau sur la tête et personne n'aimait ça.
Hiro se demandait si Nura Rikuo-sensei était gêné de se promener avec sa mère, alors que celle-ci avait l'air d'être sa grande sœur.
Hiro se demandait si un jour, il irait se promener avec Tadashi et ce soit l'inverse, qu'on prenne son grand frère pour son père.
Il savait qu'il était petit, et que le sang de kitsune dans ses veines le garderait petit un long moment, parce que les kitsune vivaient plus longtemps et ça voulait dire qu'ils faisaient les choses plus lentement, comme de grandir. Il savait que Tadashi tenait plus de leur père, qu'il était davantage humain que renard, et ça voulait dire grandir comme un humain.
Dans les souvenirs de Hiro, une fois ceux-ci ayant dépassés le stade de la brume et des impressions vagues pour se construire bien définis et le rester, Tadashi avait toujours été grand. Mais il avait distinctement été son grand frère, pas son père.
La perspective que cet état des choses se modifie… ne faisait pas vraiment plaisir au jeune garçon. Il aimait avoir Tadashi comme grand frère, et il avait la certitude bien enracinée que Tadashi aimait l'avoir comme petit frère malgré ses menaces de le mettre en vente sur eBay.
Oh ! Et quand Tadashi aurait l'âge de Grand-père ? Alors là, ce serait désastreux, parce que Hiro n'éprouvait pas d'affection particulière envers son grand-père – ce qui n'était pas très respectueux de sa part, mais ses grand-parents avaient décidé très tôt qu'ils ne l'aimaient pas beaucoup alors c'était eux qui avaient commencé – et s'imaginer Tadashi ressemblant à Grand-père, parce que Tadashi était apparemment le portrait craché de leur père au même âge à l'exception du nez et Daiki Hamada avait beaucoup ressemblé à son propre père, alors là, pas question !
Tout ça était bien triste, et maintenant il comprenait pourquoi l'infirmière avait refusé de discuter du sujet avec lui, parce que c'était le genre de conversation qui vous poussait à manger une tablette entière de chocolat. Enfin, c'était ce que faisait tante Cass quand elle était triste, et c'était pas toujours du chocolat, mais souvent.
C'était vraisemblablement mieux s'il arrêtait d'y penser et choisissait à la place quelles fleurs envoyer à Nura Wakana-sensei pour s'être bien occupée de sa classe. Enfin, il disait ça mais la classe toute entière allait décider du type de fleurs, parce qu'un gros bouquet prendrait moins de place et ferait moins éternuer qu'une trentaine de petits.
La seule certitude, c'était qu'il y aurait des tournesols dedans. La maîtresse avait mentionné que c'était sa fleur favorite, après tout.
