4 septembre 2028
Galileo Academy of Science and Technology n'avait pas changé depuis l'année dernière, le bâtiment toujours aussi grand et impressionnant sous le soleil de la Californie, l'école ouvrant ses portes à une foule d'élèves de toutes les couleurs et aux ambitions non moins variées.
Donnie se sentait moins écrasé, cette année, alors qu'il pénétrait sur le campus comme étudiant de première plutôt que seconde. Il se demandait si c'était parce qu'il avait pris l'habitude des locaux – là-dessus, il avait ses doutes, il faisait régulièrement des crises de nerfs dans des situations et des endroits on ne peut plus récurrents pour lui – si c'était parce qu'il n'avait pas rencontré une autre tentative d'exorcisme dans une salle de classe ou si c'était d'explorer sa foi – avec la bénédiction de sa grand-mère, son père avait été nettement plus sceptique mais du moment que Donnie ne se droguait pas ou commettait des actes de délinquance plus ou moins aggravée, M. Payton le laissait tranquille – au cours de l'été qui l'avait tranquillisé.
De ses trois nouveaux amis – des amis qui ne lui avaient pas été présentés par sa mère ou sa grand-mère ! Et trois d'un coup ! Il n'en revenait toujours pas – Tadashi avait été le plus compréhensif quand il avait timidement expliqué ses projets de renouer contact avec le catholicisme dans lequel avait baigné sa petite enfance, l'encourageant à se poser des questions sur la spiritualité et la place qu'il voulait accorder à celle-ci dans sa vie.
Remarque, Tadashi était le petit-fils d'un prêtre Shinto – qui lui réservait la place au chaud et le préparait activement à reprendre la surveillance d'un sanctuaire au Japon, alors ce n'était pas si étonnant qu'il se montre si bien disposé envers un pauvre bougre manifestant un accès de religiosité.
D'un autre côté, il ne fallait pas fourrer le shintoïsme dans le même sac que la chrétienté. Le catholicisme, c'était reconnaître l'autorité du pape qui vivait au Vatican et croire en l'importance des sept sacrements parmi lesquels le baptême et la confirmation, tandis que le shintoïsme insistait lourdement sur le caractère sacré de la nature et la présence d'innombrables esprits partageant le monde avec la race humaine.
Donnie s'en tiendrait au catholicisme. Il avait besoin de penser que quelqu'un tout là-haut était exclusivement concentré sur le bien-être des gens, la perspective d'un univers où la divinité s'avérait aussi désordonnée et chaotique que le pékin moyen était trop pour ses malheureux nerfs, il en attraperait un ulcère et ça lui percerait un trou dans l'estomac et ses fluides gastriques se répandraient dans son abdomen et il souffrirait atrocement avant de mourir.
Il était parti en Europe à la fois pour se distancier du continent où il avait reçu la brutale et indélicate révélation que le monde était bien plus large et dangereux qu'il ne le croyait, et pour s'immerger pleinement dans la mentalité du pèlerin. Partir loin de sa famille et de l'environnement si familier, dans le but de rencontrer le sacré, n'était-ce pas la définition même du pèlerinage ?
Bon, le jeune Noir n'avait pas été obligé de traverser l'océan sur un bateau menaçant de chavirer tous les jours, ni d'errer des semaines durant sur les routes avant de parvenir à sa destination. Les merveilles de l'époque moderne : il n'y avait qu'à réserver un billet d'avion et trouver le bon groupe à l'aéroport afin de ne pas louper le bus qui vous amènerait sur le site recherché.
Le cœur de Donnie n'en avait pas moins cogné furieusement dans sa cage thoracique tout le long du trajet, à croire que l'organe avait dérobé la partition destinée à un orchestre de tambours et avait voulu l'interpréter à lui seul, et ça ne s'était pas calmé à l'arrivée.
Là-bas, tout le monde avait été gentil. Il avait eu peur de se sentir déplacé, en tant qu'étudiant scientifique cherchant à devenir ingénieur, seulement pour que Carl Sagan soit cité en exemple, l'astronome persuadé que comprendre les mécanismes sur lesquels reposait l'Univers ne faisait qu'accentuer la nature miraculeuse de celui-ci plutôt que de l'affadir.
Ça avait été une semaine mémorable, pas juste à cause des activités du genre tir à l'arc et baignade organisées entre deux séances de prières et de réflexion sur les évangiles – même si ça avait été apprécié, des fois un gars avait juste besoin de ne plus penser et rien de tel que le sport pour cela – et Donnie savait qu'il s'en souviendrait jusque sur son lit de mort, tant pis s'il attrapait une démence ou une autre.
Sa mère avait commenté sur le fait qu'il semblait changé, lorsqu'elle était venue le chercher à l'aéroport après la fin de sa retraite spirituelle. Elle paraissait assez fière en disant cela, comme si Donnie venait de décrocher la médaille Fields et d'effectuer les premiers pas de l'homme sur Mars, et il en avait attrapé chaud à la nuque mais il lui avait rendu son sourire.
Il n'avait pas obtenu de grande révélation façon Pentecôte, avec langue de flamme qui vient se percher sur la tête et vous pousse à jacter en charabia, mais il avait définitivement gagné une étrange sérénité pour ce qui était de son rapport avec le monde. D'accord, la perspective de se faire renverser par une voiture ou publiquement humilier lui donnait mal au bide, ça n'avait pas changé, mais il avait vu, de ses propres yeux, que la magie était réelle – en bien comme en mal, au travers du mauvais esprit ayant essayé de dévorer l'âme de Simone et de l'exorcisme pratiqué par Tadashi.
Tadashi aurait pu y rester, mais ça n'avait pas été le cas. Peut-être que le métis japonais n'aurait pas autant de chance la prochaine fois, et il y aurait une prochaine fois car un type n'apprend pas les ficelles du métier d'exorciste pour rester assis dessus, mais il avait introduit Donnie à la face cachée du monde en affrontant le danger et en triomphant.
Le jeune homme Noir avait longuement ruminé sur la question avant de décider que l'incident lui indiquait clairement la conduite à adopter. Se méfier de la magie, donc, parce que tout avait le potentiel de vous tuer dès que vous preniez votre première respiration sur cette insignifiante petite boule bleue qu'était la planète Terre, mais garder à l'esprit que ça pouvait aussi aider. Voir ça comme un nouveau domaine scientifique, un qui avait ses propres experts et ses propres règles, qui était juste un tout petit peu en dehors des sentiers battus.
Donnie aimait quand les choses rentraient dans des boîtes et se laissaient expliquer, ça le rassurait. Il ne pouvait pas classifier le surnaturel comme bon ou mauvais, bien dommage pour lui, mais il pouvait quantifier son amitié avec Tadashi en termes positifs, et l'autre garçon trempait indiscutablement dans le surnaturel jusqu'au cou – pas jusqu'aux sourcils, ça ce serait davantage le petit frère qui fréquentait carrément une école pour devenir magicien, au moins Tadashi voulait étudier la robotique et les possibles avancées dans le domaine médical.
Il avait un allié magique, et s'il existait au minimum une bonne personne de ce côté de la barrière, ça sous-entendait qu'il en existait d'autres. Et s'il en existait assez, pourquoi ne pas leur donner une influence notable sur l'Univers ?
Dieu en tant que vieux barbu perché sur son nuage, ça n'existait vraisemblablement pas. Dieu en tant que force active et positive au quotidien ? Nettement plus plausible, et tellement réconfortant pour qui se sentait démuni face au reste du monde.
Il ne savait pas si sa grand-mère approuverait cette conception de la divinité, mais lui pouvait s'en contenter.
