12 juillet 2029

En toute sincérité, Daisy ne comprenait pas pourquoi ses parents insistaient pour que la réunion de famille ait lieu chaque année. Ou peut-être bien que si, elle savait : James et Lily s'inquiétaient de ne pas recevoir de nouvelles de leur descendance, et c'était leur moyen de se rassurer que les Potter étaient comme le reste des familles de Grande-Bretagne plutôt que de se fracturer horriblement.

Danny lui aurait reproché d'exagérer s'il avait entendu son opinion, elle voyait ça d'ici, mais elle n'en changerait pas : les fractures étaient présentes depuis trop longtemps, depuis que Lily et James s'étaient séparés de leur première-née sans se douter qu'ils ne la reverraient jamais plus. Cette première fracture avait poussé Daisy à devenir le mouton noir de sa génération, Serpentard puis détective privé dans le monde moldu, et elle-même avait inspiré sa nièce et son plus jeune neveu à suivre dans ses traces.

David était maintenant ingénieur informatique dans le Pays de Galles, visitant banques et maisons de retraite pour réparer les pannes causées par des usagers qui se trompaient de bouton ou n'utilisaient pas le bon type de prise électrique mais il semblait bien s'amuser – et bien manger aussi, apparemment c'était plus simple d'aller au restaurant que de cuisiner soi-même et le jeune homme de vingt-trois ans développait un petit bidon que ses chemises ne réussissaient pas exactement à dissimuler. Il n'était pas en couple, mais Daisy avait la certitude que le cadet de ses neveux était gay, quand il remarquait quelqu'un d'autre c'était toujours un homme.

Elle n'allait pas lui jeter la pierre, elle qui était une vieille fille endurcie de bientôt cinquante ans, et Maman ne verrait sans doute aucun problème non plus du moment que son petit-fils ne se retrouve pas à mourir seul sans personne à ses côtés pour remarquer la tragédie, mais Daisy ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter un peu de la réaction de Papa. Oui, James Potter prêchait davantage de tolérance et d'ouverture d'esprit, mais ça restait selon certains critères qu'elle jugeait un brin hypocrite, vu que ses relations avec oncle Remus et oncle Patmol avaient été un brin plus intenses que ce que le monde moderne – magique et ordinaire – jugeait normal pour un groupe de gars entièrement hétérosexuels.

Bon sang, rien que penser à ses oncles de cœur faisait monter les larmes aux yeux de Daisy – elle n'était pourtant pas du genre à se lamenter façon fontaine de Sainte Madeleine, mais que voulez-vous ? Ce n'était pas juste que Remus ait finalement succombé au stress que les transformations forcées de la pleine lune imposaient à son organisme – un loup-garou mourrait fréquemment de problèmes cardiaques ou osseux au bout de trois ou quatre décennies, et Remus avait été mordu quand il avait à peine quatre ans.

Ce n'était pas juste non plus que Sirius se soit effondré un jour sans crier gare, victime de ce qui était probablement une forme magique d'anévrisme que les guérisseurs de Sainte Mangouste n'étaient jamais parvenus à traiter, laissant l'Animagus chien incapable de s'occuper de lui-même ou encore de reconnaître le monde qui l'entourait, y compris son meilleur ami et les enfants qu'il adorait comme s'ils avaient été les siens.

C'était dur de lui rendre visite et de se rappeler ce que Patmol avait été – l'oncle rebelle avec ses cheveux éternellement trop longs et ses vestes en velours bordeaux qui lui apprenait à jurer en français et à conduire une moto. Daisy comprenait trop bien pourquoi Li-Lu se bornait à envoyer des cartes postales pétant de couleurs.

Les cartes postales, sa nièce les envoyait de France – où elle avait décidé de s'installer après être revenue de son voyage autour de son monde, parce qu'elle jugeait que c'était le plus beau pays de la planète après la Suède. Bon, Li-Lu abominait la Côte d'Azur qu'elle qualifiait de sauna, difficile de lui en vouloir vu la hausse des températures qui grimpaient jusque quarante degrés avec une régularité alarmante. En guise de métier, la jeune fille – une jeune femme à présent, vingt-et-un ans et Morgane, que ça passait vite – insistait qu'elle voulait travailler dans la conservation des monuments et des artefacts historiques, la France en avait bien besoin après la Révolution et la guerre de Grindelwald qui avaient causé beaucoup de destruction sur le niveau du patrimoine, une destruction dont les cicatrices persistaient encore aujourd'hui.

Ginny et Danny trouvaient que ça faisait distingué, d'avoir une fille si passionnée de restauration de châteaux et de sculptures et de peintures, bien sûr que la France était le pays parfait pour Li-Lu, ils sont tellement raffinés là-bas avec le vin, l'architecture et le parfum. Si seulement elle pouvait passer plus souvent à la maison, ce serait parfait, tu ne trouves pas, chérie ?

En matière de visite, au moins James Junior se montrait une fois par semaine pour faire la bise malgré ses horaires irréguliers – après de longues réflexions, l'Héritier de la lignée Potter avait déterminé que là où il ferait le plus grand bien, c'était dans la recherche et le sauvetage et lorsque quelqu'un se retrouvait coincé dans la montagne avec un orage sur le point de leur débouler dessus, il fallait bien y aller. Ou quand quelqu'un tombait sur un troll mal embouché et risquait de finir en bouillie, ça nécessitait une intervention rapide.

Ce genre de métier, c'était éprouvant pour les proches, et ça mettait à l'épreuve les relations romantiques. Le pauvre Jimmy ne se consolait toujours pas d'avoir rompu avec sa dernière petite amie, laquelle lui avait reproché de ne penser qu'à lui et son boulot avant de claquer la porte derrière elle – bon débarras si vous demandiez leur avis à n'importe quel membre de la famille Potter, absolument n'importe quel, mais bien entendu Jimmy ne l'entendait pas de cette oreille puisqu'il était encore jeune et naïf.

Ah, l'égo fragile d'un sorcier de moins de trente ans, si prompt à se dégonfler ou au contraire bouffir au point que vous imaginiez que le pays serait à vos pieds dans le mois, du moment que vous ne perdiez pas de vue votre objectif impossible.

Daisy en savait beaucoup trop long sur les objectifs impossibles, elle qui s'en était fixé un à peine rentrée à Poudlard, un objectif auquel elle ne parvenait quasiment plus à croire. Mais c'était ce qui arrivait aux rêves de jeunesse, pas vrai ? Ils s'étiolaient tôt ou tard, avant de se dissiper entièrement, du sucre dans l'eau chaude, et vous en détectiez à peine la saveur quand vous avaliez la mixture.

C'était cette pensée amère qui tournicotait dans la tête de Daisy alors qu'elle s'égarait du côté de la tapisserie familiale, un de ces artefacts inestimables pour les vieilles familles puisqu'elles enregistraient les noms de chaque représentant d'une lignée donnée une fois celui-ci assez vieux pour recevoir sa lettre d'inscription à Poudlard, bien pratique pour confirmer que votre précieux bambin n'allait pas être publiquement dénoncé comme Cracmol une fois le Choixpeau sur sa tête.

Daisy se rappelait Maman organiser une petite fête chaque fois que le nom d'un de ses petit-enfants était apparu sur ce morceau de tissu. Ah, les beaux souvenirs…

Elle cligna des yeux. Pourquoi y avait-il un nom en trop ? Maman avait trois petit-enfants, les enfants de Danny, alors pourquoi quatre noms maintenant ?

Le quatrième nom figurait sous celui de Viola.

Hiro Hamada, né le 8 avril 2018.

Hiro Hamada.

Le fils de Viola.

Le plus jeune neveu de Daisy.

Elle avait un quatrième neveu.

Elle avait une nouvelle piste pour trouver Viola.

Il faudrait qu'elle embrasse Maman encore plus fort que d'habitude, quand ce serait l'heure de repartir – de reprendre l'enquête.