Affligée d'un guide comme elle l'était, Daisy ne pouvait pas immédiatement courir au Lucky Cat Café, l'endroit où elle était supposée trouver Hiro Hamada, le fils de Viola. Non, elle devait prétendre n'être réellement qu'une touriste en vacances, flânant au détour des boulevards pour admirer le panorama et commenter sur les marchandises offertes dans les vitrines.

Juste avant de prendre le Portoloin, la détective avait pris soin de convertir un peu d'or en dollars et en dragots, la monnaie sorcière américaine. Qu'elle veuille acheter quelque chose côté moldu ou côté sorcier, elle aurait de quoi – largement de quoi, le métier de détective privé payait un peu au lance-pierre mais Daisy ne dépensait pas des masses et la famille Potter vivait confortablement grâce à des investissements judicieux effectués par un arrière-grand-père spécialisé dans la fabrication commerciale des potions, alors elle pouvait s'autoriser une folie comme un séjour à l'étranger pendant lequel elle ne surveillerait pas sa bourse.

De son côté, Fred semblait parfaitement heureux de lui tenir la main – façon de parler, bien entendu, il faisait beaucoup trop chaud pour endurer un contact physique et l'idée d'un jeune homme qu'elle ne connaissait absolument pas lui offrant son bras était extrêmement étrange aux yeux de Daisy – bavardant de divers sujets avec la constance d'un robinet d'eau tiède, sautant des sacs à main en imitation cuir bleu frangé à perles d'argent dans la vitrine du maroquinier local à l'évolution ou stagnation de l'Univers Cinématographique Marvel, en passant par la possibilité d'envoyer des huîtres sur orbite puisque les mollusques n'étaient pas si différents des tardigrades.

Vraiment un garçon des plus charmants, et Daisy remerciait intérieurement M. Lee d'avoir choisi de punir son fils pour elle ne savait trop quoi, le jeune homme s'était montré nettement distrait sur la question, en lui ordonnant de jouer les guides touristiques pour le restant des vacances d'été. Elle avait eu l'occasion de lire les mémoires de Lucretia Prewett, anciennement mariée à Ignatius Prewett qui avait rempli la fonction de diplomate dans tellement de pays que le nombre en devenait flou, alors elle savait à quel point ça pouvait être difficile de trouver quelqu'un de véritablement aimable pour endurer des étrangers fourrant leur nez un peu partout dans votre ville et votre pays.

Elle avait tant apprécié l'écouter pérorer, en fait, qu'elle n'avait pas du tout prêté attention au passage du temps, et seul un grognement gastrique des moins discrets les avait persuadés de jeter un coup d'œil à leurs montres – une heure et demie, déjà.

« Mince, je suis désolé » s'excusa profusément Fred, « vous auriez dû me le dire, que je parlais trop, avant que je vous fasse évanouir de faim... »

« C'est votre estomac qui vient de se manifester, je vous signale » lui rappela Daisy amusée – vraiment, elle n'avait pas tellement d'appétit, une conséquence du décalage horaire signifiant que pour elle, il était atrocement tôt le matin plutôt que l'après-midi bien entamé.

« Et puisque c'est ma faute, permettez-moi de vous dédommager en vous emmenant visiter mon café favori ! J'espère que vous aimez les chats, et si vous ne les aimez pas, le Lucky Cat se fera une joie de vous obliger à changer d'avis. »

Le cœur de Daisy tressauta dans sa cage thoracique, et elle n'eut guère besoin de se forcer pour qu'un sourire s'épanouisse sur ses lèvres.

« Je m'en remets à vous. Montrez-moi donc ce lieu d'exception. »

Lorsqu'ils arrivèrent, il était deux heures moins trois et le fameux café – la destination si convoitée de Daisy – ne semblait guère fréquenté, probablement car le coup de feu était passé. Ce qui convenait à merveille à la détective, qui savait se fondre dans la foule pour effectuer des filatures mais qui aimait pouvoir effectuer un repérage sans avoir à esquiver des coudes ni renifler des relents d'aisselle.

Décoration japonaise à l'intérieur – statuettes de chats tricolores agitant leur patte avant, lanternes en papier pas encore allumées – à peine deux ou trois chaises occupées, un jeune homme occupé à essuyer une table…

« Tadashi ! Tu survis à ton exploitation ? »

Et Fred marchait vers le garçon en question pour le saluer. Probablement un bon ami – et le garçon relevait la tête, des cheveux noirs coupés courts, des traits asiatiques mais le nez détonnait, plus européen que le reste du visage, un métis ?

« Pareil que toi, je suppose » riposta le jeune homme. « Par pitié, ne me dis pas que tu as décidé de ramener ta dernière conquête ici. »

Daisy prit cela comme son invitation à se présenter.

« Je vous ferais savoir, mon petit, que je n'ai pas consacré ma vie à désespérer mes parents par mon célibat têtu pour baisser les bras à la dernière minute et tomber dans les bras d'un jeune blanc-bec. Croyez bien que je le regrette, Fred, vous êtes absolument adorable. »

Dans un bel unisson, les deux garçons clignèrent des yeux et rougirent délicatement.

« Je sais pas trop comment répondre à ça » souffla Fred à son ami brun qui le bigla d'un air consterné.

« Tu réponds pas, voilà. »

Ah, les enfants de la nouvelle génération, eux qui proclamaient cyniquement avoir vu tant d'atrocités et de débauches par le biais de leurs jeux et réseaux sociaux que plus rien ne pouvait les choquer. Mais dès que l'on mettait cette déclaration à l'épreuve, ils trahissaient leur candeur véritable et poussaient des cris de vierge Victorienne effarouchée.

L'institution du pensionnat avait été critiquée depuis des temps immémoriaux, mais Daisy la trouvait très efficace pour ce qui était d'enseigner à la jeunesse ce qu'était la débauche. Rien de tel qu'une foule d'adolescents aux hormones déchaînées pour expérimenter à cœur joie – la détective nourrissait de très tendres souvenirs regardant Lily Moon, laquelle avait guidé ses premiers pas hésitants sur le sentier de l'exploration de soi…

Non, non, ne pas perdre pied et se laisser emporter par la nostalgie, elle avait une enquête à mener. Et maintenant, son guide s'était remis à papoter avec son ami métis.

« Il est sorti, le diablotin à roulettes ? »

« Hiro ne tient plus en place quand il est à la maison, maintenant. Je crois que tante Cass le préfère à l'école, c'est tout dire... »

Hiro. Le garçon venait de nommer Hiro. Peut-être pas le bon Hiro, mais il travaillait au Lucky Cat Café, ce serait une drôle de coïncidence…

« Hiro, c'est votre petit frère ? »

« Malheureusement » soupira le jeune métis, le jeune homme dont le nez était celui de James Potter et comment ce détail avait-il échappé à Daisy ?

Deux neveux. Pas juste un, mais deux neveux – pourquoi seulement un nom sur la tapisserie familiale alors – un Cracmol, puisque la tapisserie avait besoin de magie pour s'activer ? Elle s'en fichait, elle avait la gorge sèche, les mains menaçant de trembler en dépit de la chaleur. Des mots voulaient s'échapper de sa bouche et fuser dans l'air.

Je crois que je suis ta tante. Je ne sais rien de toi mais je veux t'aimer, et je veux aimer ton frère, et je veux aimer ta mère.

Est-ce que tu sais que ton frère est magique ? Que votre mère est une sorcière ? Qu'une porte derrière laquelle se cachent horreurs et merveilles s'apprête à se déverrouiller pour vous ?

Où est ton frère ? Où est ta mère ? Comment sont-ils ? Comment es-tu ? Mène-moi à eux, dis-moi tout de toi, j'ai raté tellement de choses, je ne veux plus rien ignorer, plus aucun détail.

« Miss Potter ? Miss ? Vous allez bien ? »

Deux regards soucieux braqués sur elle. La sueur lui détrempait la nuque, et elle devait se concentrer pour garder le contrôle de sa respiration. Elle s'efforça de sourire.

« Ah… la chaleur. Ce n'est pas si étouffant, en Angleterre... »

« Okay, venez là, madame. C'est le plus près de l'air conditionné, vous risquerez moins le malaise. »

Le siège était très confortable, après une matinée passée debout à déambuler en ville. Il offrait également une bonne vue sur l'intérieur du café dans toute sa gloire de maison de poupée japonaise.

« C'est vraiment bien joli, comme endroit » commenta Daisy sur une impulsion.

« Ma tante vous remercie du compliment » dit le jeune métis, son neveu à moitié oriental, le garçon dont elle ne savait rien, et son cœur battait la chamade.

« Une entreprise familiale ? Dois-je m'attendre à voir vos parents dans l'arrière-boutique ? »

S'il te plaît, réponds oui, dis-moi qu'ils sont là… je veux les rencontrer, je veux tout expliquer.

Mais les yeux bruns s'assombrirent, la bouche se tordit légèrement, comme si le garçon venait de mordre dans du gingembre cru dans tout son piquant savonneux.

« Mes parents sont morts, madame. »

Quoi ?

Daisy battit des paupières.

Non, non, ça ne pouvait pas finir comme ça, n'est-ce pas ? Viola…

Elle n'avait même pas eu l'occasion de rencontrer Viola…

Elle n'avait même pas eu l'opportunité de savoir à quoi ressemblait sa sœur…

« Miss ? Miss Potter ? Vous êtes sûre que ça va ? »

La voix de Fred ne contenait plus aucune trace d'entrain, à présent, et Daisy avala sa salive tandis que l'humidité débordait lentement sur son champ de vision.

Viola est…

« … Je ne crois pas, non. »