L'accident

St Paul, 27 Novembre 2005

Bobby s'était installé dans la cuisine.

Il surveillait distraitement le gratin de macaroni qui cuisait dans le four. Il profitait enfin d'un moment de calme.

Le début de leur garde avait été un véritable enfer. Ils avaient reçu appel après appel, sans avoir une minute pour se reposer. A croire que quelqu'un avait prononcé le mot interdit.

C'était une croyance chez les premiers intervenant aussi répandue qu'infondée.

Bobby ne savait pas trop s'il devait y croire mais il devait avouer qu'il y avait un lien évident entre le mot prononcé et la cascade d'interventions stupides qui leur tombait sur le dos à chaque fois. Il ne se plaignait pas de l'action au contraire mais ce genre de garde rendait tout le monde nerveux dans la caserne et il détestait cette ambiance.

– J'ai tellement faim, se plaignit Ray en venant le rejoindre. Je pourrais presque avaler un buffle.

– Laisse ces pauvres bêtes tranquilles, le taquina-t-il un jetant un œil au gratin.

– Tu crois qu'on va réussir à manger avant que la cloche ne sonne ?

– Seul l'avenir nous le dira.

– Un avenir relativement proche ?

– Dix minutes, Ray, rit-il soudain. Tu es pire que Robbins.

– Ne me compare pas à ce ventre sur pattes, fit-il mine de s'offusquer.

– Alors ne te comporte pas comme lui.

– D'accord, souffla-t-il en s'asseyant à ses côtés. Comment va mon fantastique filleul ?

– Buck va très bien, bien qu'un peu caractériel ces jours-ci.

– L'adolescence, gamin, compatit-il. Pas le meilleur moment de la vie d'un gosse, ni de ses parents d'ailleurs.

– Oui, je sais, admit-il en se mordant l'intérieur de la joue.

– T'es sûr que ça va ?

– Je vais bien.

– Tu ne ferais pas cette tête si tout allait bien, le gronda-t-il. Qu'est-ce qui se passe ?

– L'adolescence, se contenta-t-il de répondre. Buck pique de sacrées crises et hier soir… ça a été rude. Je n'avais jamais vu Buck dans un tel état.

– Est-ce que tout va bien pour lui à l'école ?

– Crois-moi, on surveille ça de près et ce n'est pas l'école. Buck n'est plus vraiment du genre à se laisser faire en plus. Non, le problème c'est à la maison. Il… Marcy est enceinte, avoua-t-il en le faisant sursauter. On l'a annoncé à Buck hier soir.

– Et il l'a mal pris, compris Ray.

– Il a explosé de rage et s'est enfermé dans sa chambre. Marcy a pleuré toute la nuit. Je ne sais plus quoi faire. Je ne comprends pas pourquoi il réagit aussi mal.

– Buck est fils unique depuis plus de dix ans, Bobby. Toute ta vie, notre vie tourne autour de lui. Cet ajout à la famille va tout remettre en perspective.

– Il reste mon fils.

– Mais il ne sera plus le seul.

– Tu crois qu'on fait une erreur ?

– Je crois que Buck réagit de la même façon que tous les ainés lorsque le cadet arrive dans la famille. C'est une réaction saine Bobby. Il va avoir besoin de temps pour s'habituer à la nouvelle dynamique de la famille mais ça ira.

– Tu crois ?

– J'en suis sûr. Tu vas devoir lui parler, le rassurer que le bébé ne prendra pas sa place dans vos cœurs et quand il l'aura compris, il s'apaisera.

– Merci, souffla Bobby reconnaissant. Tu aurais été un super père, tu sais ? Tu l'es un peu pour moi.

– Hey, je ne suis pas si vieux et je n'aurais jamais été meilleur que toi mais merci du compliment, lâcha-t-il en se redressant. Oh et félicitations. J'ai hâte de rencontrer le nouveau Nash.

Bobby souffla du nez au moment où le minuteur annonçait la fin de la cuisson.

Ray récupéra les assiettes pendant qu'il sortait le plat du four. Leurs collègues ne tardèrent pas à les rejoindre comme attirés par l'odeur de la nourriture.

Bobby les servit rapidement et attrapa son téléphone dans sa poche. Il vit que l'appel émanait de son épouse et il fronça les sourcils avant de s'éloigner pour répondre. Les appels en pleine journée n'était pas du genre de Marcy.

– Marcy ? s'enquit-il inquiet.

« Oh mon Dieu, Bobby, sanglota-t-elle. »

– Marcy, qu'est-ce qui se passe ? se tendit-il.

« C'est Buck, oh mon Dieu… »

Bobby dû se maintenir au mur.

C'était des mots inquiétant qu'un père ne devrait jamais avoir à entendre de son épouse en pleurs. Il se força à rester maitre de lui-même, malgré l'angoisse qui lui tordait les tripes.

– Calme-toi Marcy et dis-moi ce qui est arrivé à Buck !

Marcy hoqueta au téléphone dans un effort évident pour se calmer, mais cela ne fit que le tendre davantage.

– Marcy, gronda-t-il impatient et au bord de la crise de nerfs.

« L'école a appelé. Il est tombé. Il est à l'hôpital. »

Bobby sentit ses jambes fléchir mais Ray le maintint debout.

Il lui prit le téléphone et parla avec Marcy mais Bobby ne comprit pas leur échange. Il sentait ses oreilles bourdonner d'un bruit blanc assourdissant, prémisse d'une crise d'angoisse.

– Bobby ! claqua Ray en lui collant une gifle pour le faire réagir. Reste avec moi !

– Buck…, balbutia-t-il.

– Il a besoin de son papa, de sa force et de son courage, alors reprends-toi !

Bobby prit de profondes inspirations, laissant les battements de son cœur se calmer. Ray l'aida à se redresser.

– Allez viens, je t'emmène à l'hôpital.

– Nous t'y emmenons tous, le corrigea le capitaine. Ce petit gars a besoin de toute la famille. On est off pour une heure, alors en route.

Bobby s'installa dans le camion et il ne voulait pas penser à quoi devait ressembler une brigade complète de pompier en tenues, débarquant à l'hôpital.

– Buck Nash, lâcha-t-il à la pauvre infirmière de garde. Il est tombé à l'école, il…

– Il va bien, le rassura-t-elle. Sa maman vient d'arriver. Elle est avec lui. Par ici !

– Tiens nous au courant, gamin, lâcha Ray dans son dos.

Quand il entra dans la chambre, il vit que sa femme s'était allongée contre leur fils, entièrement enroulée autour de lui. Il s'approcha lentement cataloguant sa jambe surélevée et son bras en écharpe. Buck semblait dormir et il s'installa sur la chaise croisant le regard mouillé de larmes de Marcy.

– Est-ce qu'il… ?

– Il dort, affirma-t-elle. Il avait mal et le médecin lui a donné des anti-douleurs.

– D'accord, soupira-t-il. Qu'est-ce qui s'est passé ?

– Il est monté dans un arbre pour aller chercher un ballon et il est… tombé.

– Tu as vu le médecin ?

Elle acquiesça. Elle passa sa main sur la joue de Buck, le regardant avec amour et tendresse.

– Marcy ? l'implora-t-il.

– Il a une entorse de la cheville et une clavicule cassée.

– Bon sang, souffla Bobby sentant la tension s'apaiser.

Buck allait avoir du mal quelques temps mais Bobby était heureux que ça ne soit pas plus grave.

– Bobby, je crois qu'on fait une erreur avec ce bébé. Il n'est pas prêt.

– Il ne le sera jamais vraiment, la rassura-t-il. Mais ça ira.

– Il croit qu'on l'aimera moins que le bébé, pleura-t-elle. Il a dit qu'il ne pensait pas que je m'inquièterais pour lui maintenant que mon vrai enfant est là. Bobby je l'aime, et je l'aimerais toujours aussi fort. Je ne veux pas qu'il en doute.

Bobby ferma les yeux avant de prendre la main valide de son fils dans la sienne et d'y déposer un baiser. Il allait devoir parler avec son fils et lui faire comprendre à quel point il était aimé, que le bébé à venir n'était pas une menace pour lui, et qu'il aurait toujours sa place dans leur famille.