Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur
: Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf les personnels des restaurants.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Saga x Aioros.
Rating : T

Note : Bonjour à tous. Merci pour votre présence, votre fidélité, vos reviews et vos ajouts, ainsi que les échanges que nous avons en MP pour certains.

Merci Athéna d'avoir pris le temps de me laisser ton avis. Je suis contente de savoir que tu poursuis ta lecture et que tu apprécies l'histoire. Tout se passe bien entre eux comme souvent au début d'une relation, surtout si on a attendu ça pendant longtemps. Mais tu verras ici notamment qu'il peut y avoir des petits couacs, heureusement sans gravité. Il y a juste parfois besoin de clarifier les choses.

Merci Mini-Chan pour ta compréhension et ta patience. Je travaille vraiment sur Shura et Angelo pour offrir un chapitre ou deux qui leur rendent vraiment hommage, là où je n'avais préalablement prévu qu'un rapide flashback. C'est ton enthousiasme et celui d'une autre correspondante qui m'ont inspiré, alors merci.

Voici donc la suite directe du chapitre précédent, je vous remets les dernières lignes pour vous resituer le contexte. Saga était sur le point de raconter à Aioros sa dernière conversation quelque peu houleuse avec Aiolia.

Bonne lecture et merci de votre soutien !

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Le fil rouge du Destin

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Chapitre Huit

De battre mon cœur s'est arrêté
(Jacques Dutronc)

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*Bien envoyé… mais je réitère ma demande quand même : raconte-moi.

Saga se laissa aller dans son siège, sans pour autant lâcher la main d'Aioros.
Et il replongea dans ses souvenirs.*
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Flash back
Quelques jours plus tôt.
Sanctuaire, Maison du Lion.
Appartements privés.
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Lorsqu'il entendit frapper à sa porte, Aiolia sentit la colère monter en lui et il jura, les dents serrées. Saga avait du toupet, vraiment. Il lui avait donné l'autorisation de traverser son Temple, pas de s'inviter chez lui !

Il ne pouvait même pas l'ignorer, il savait que le Gémeau pouvait rester des heures devant sa porte, à taquiner son cosmos en l'effleurant du sien.

Cette fois, Aiolia était coincé.

- Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-il après avoir ouvert sèchement la porte.

Saga était bien là, droit dans ses bottes, le regard fier et déterminé posé avec une insupportable douceur mêlée de bienveillance sur son cadet.

- Est-ce qu'on peut se parler un moment ?

- J'ai rien à te dire que tu ne saches déjà.

- Alors accepte de m'écouter, cette fois, s'il te plaît.

Aiolia soupira bruyamment.
Saga était agaçant et extrêmement tenace.

Il avait refusé de parler avec lui plusieurs fois, déjà, mais il revenait toujours à la charge.
Ces Gémeaux, les êtres les plus bornés de la Création, aucun doute possible à ce sujet !

Il ne le laisserait jamais tranquille, c'était certain.

Jusqu'à présent, le jeune Lion s'était retenu d'envoyer promener Saga plus franchement, par égards pour son frère, se contentant de l'éviter ou de le fuir.

Mais là, cela commençait à bien faire, il voyait beaucoup trop Saga à son goût.
Et ce n'était que le début de sa relation avec Aioros, en plus.

- T'écouter, et pour quoi faire ? Tu vas t'excuser ? Tu l'as déjà fait ! Me promettre que tu ne feras plus souffrir mon frère ? C'est évident, puisque je ne te laisse pas le choix ! Je te le ferai payer, Saga, même si j'y perds tous mes os au passage !

- Tu vois que tu as des choses à dire, finalement.

Tout le corps du Chevalier du Lion se tendit.

- T'es la dernière personne au monde avec qui j'ai envie de plaisanter ! répliqua-t-il, les mâchoires crispées.

- Je voulais juste détendre un peu l'atmosphère.

- Il n'y a aucune chance qu'elle puisse l'être ! Mon frère t'a choisi et je ne peux que le respecter. Si on était 15 ans en arrière, je m'en serais sûrement réjouis avec mon cœur d'enfant. Mais l'adulte que je suis aujourd'hui…

- Est capable de réflexion et de sagesse, l'interrompit Saga sans brusquerie. Et de pardon. Je ne te demande pas d'oublier, Aiolia. Juste d'avancer avec nous.

Un grondement sourd monta de la poitrine du plus jeune Chevalier.

- Pour le moment, la seule chose que j'ai envie d'avancer, c'est mon poing dans ta figure. Alors crois-moi, moins on se verra, mieux ce sera !

- Je suis conscient que treize longues années de…

- Y a pas que les treize ans de cauchemars qui ne passent pas, Saga, le coupa-t-il rageusement. Y a toute cette année où t'as rejeté mon frère comme une merde, parce que t'étais pas capable d'assumer et de faire face. Après cela, tu lui as accordé une nuit et tu l'as foutu à la porte, après avoir bien pris ton pied…

- Ne sois pas vulgaire, ne put-il s'empêcher d'intervenir.

- Ne me donne pas d'ordre ! cracha-t-il en réponse. Tu as provoqué sa fuite, enchaîna-t-il. Aioros est parti des mois, tellement il allait mal !

Saga serra les poings.

- Je reconnais n'avoir pas très bien géré la situation…

- T'as rien géré du tout, c'est clair et à aucun moment ! Et c'est pas parce qu'Aioros est heureux aujourd'hui et qu'il a tourné la page, que moi, je vais accepter ça si facilement ! Il est incapable de t'en vouloir, soit, mais tu peux pas t'en tirer comme ça, à si bon compte… Alors moi, je t'en veux, tu vas le sentir passer chaque jour béni par Athéna et ça durera le temps que ça durera, point barre ! Fais avec et fous-moi la paix !

- Autre chose ? demanda l'aîné des Gémeaux sans se démonter.

- Err'es korakas ! répondit le Cinquième gardien, avant de rentrer dans ses appartements en claquant furieusement la porte.

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Fin du flash back.

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- « Va te faire manger par les corbeaux », et dans la langue illustre de nos ancêtres, se désola Aioros. C'est un peu fort.

- Tu le dis joliment, mon aimé, mais venant d'Aiolia, c'était clairement un « va crever ! » et sans espoir de résurrection, cette fois. C'est sympa comme au revoir, tu ne trouves pas ? ironisa-t-il, amer. Et très originale comme bénédiction...

- Je suis désolé, amour, vraiment.

Le Gémeau haussa les épaules.

- Si je t'emprunte un peu de ton optimisme légendaire, je peux dire que cela ne s'est pas trop mal passé, au final… Je n'ai pas vraiment pu en placer une, mais bon, il n'a pas fui et a accepté de dire ce qu'il pensait. Malgré tout, il y a une avancée. Surtout si cela lui a fait du bien de m'envoyer tout ça à la figure.

Une discussion plus courtoise sera pour une prochaine fois, alors, je l'espère fortement.

- Je m'en réjouis d'avance ! grimaça Saga. Mais passons, je ne veux pas gâcher les moments qu'on partage ici avec tout ce qu'il reste à gérer là-bas. On en reparlera une fois rentrés.

- Tu as raison, accepta Aioros avec un tendre sourire. Il est plus que temps de commander, d'ailleurs. On a pas mangé grand chose, ce midi, tu as faim ?

- Oui, reconnut Saga. Le petit-déjeuner nous a bien rempli, mais il est loin, maintenant.

- Et puis, on avait bien besoin de recharger nos batteries.

- En effet. Merci encore pour cette nuit merveilleuse, ajouta-t-il plus bas encore que le niveau auquel ils parlaient. Dormir et me réveiller à tes côtés est un bonheur dont je ne me lasserai jamais. Un parmi tant d'autres, avec toi.

Aioros serra plus fort la main de Saga, toujours étroitement liée à la sienne.

Il avait l'impression de vivre un rêve éveillé, depuis plusieurs jours, tant il avait attendu et espéré ces moments qu'ils partageaient, tous les deux, et les mots de son compagnon.

- Se agapo.

- Kai ego.

Ils échangèrent un long regard en silence, laissant leurs cœurs et leurs âmes se déclarer une nouvelle fois leur amour à leur tour.

Avant de se décider à s'intéresser aux cartes abandonnées sur la table.

Enfin, Aioros n'en avait pas vraiment besoin, il connaissait l'établissement et la cuisine de son amie par cœur. Il nota juste les quelques changements saisonniers et les nouvelles propositions.

- Une recommandation, peut-être ? demanda Saga, le nez dans la sienne. Quelque chose que tu voudrais me faire découvrir, une spécialité ?

- Et bien… la région est réputée pour son huile d'olive produite sur place, comme tu le sais déjà. Tout comme les herbes aromatiques et les agrumes, principalement le citron. J'avais déjà pensé à te faire goûter la crostata du coin :une tarte sablée à la confiture et ici, particulièrement, à la confiture de citron. Toi qui adores ça, elle ne pourra que te plaire.

- Je valide.

- Pour le reste… Il y a plusieurs incontournables, selon moi. Mais je peux réduire la liste à deux spécialités du pays, mais qui sont vraiment bien réputées ici. Et surtout grâce à Letizia, qui les cuisine comme personne ! La focaccia olives et romarin, et les trofies au pesto.

- Ce n'est pas Gênes, la spécialiste du pesto ? s'étonna Saga.

- Sa terre natale, oui, mais il est préparé et cuisiné partout, maintenant.

- D'où la précision « alla genovese ».

- Exactement. Et puis, Gênes n'est qu'à quelques kilomètres, sa cuisine a aussi influencé la région. Ici aussi, le pesto a un goût unique. C'est le basilic que Letizia cultive elle-même. Faut voir le jardin familial et son beau potager ! Cette terre donne un goût incroyable aux produits qui y sont cultivés. J'ai fait beaucoup de déplacements en Italie, quand je vivais ici, et sincèrement, j'ai rarement aussi bien mangé qu'ici, au Ciao famiglia.

- J'aurais du t'enregistrer, avant de te laisser filer, intervint Letizia en arrivant à leur table. Tu me diras, il n'est pas trop tard…

- Je t'adore, mais non merci.

- Je savais que tu répondrais ça, zotico !

- Hey ! Elle vient de me traiter de rustre ! expliqua Aioros à Saga.

- Tu as été un peu sec… fit remarquer ce dernier.

- Exactement !

- Merci pour ton soutien ! se plaignit le Sagittaire.

- Ne fais pas attention à lui, Saga et dis-moi plutôt si tu as envie de plusieurs choses. Je peux te mettre un peu de chaque pour te faire découvrir notre cuisine. Puisque vous n'allez pas pouvoir vous attarder…

- Non, confirma Aioros, mais on pourra revenir plus tard.

- Vous allez revenir, oui ! le reprit-elle en lui jetant un regard noir. Et pas dans un an, et pas que pour deux jours !

- Je te promets d'essayer, mais cela ne dépend pas que de nous.

- J'ai compris ! Pour ce qui est de cette fois-ci, c'est Ernesto qui va vous héberger. Son atelier est libre toute la semaine. Tu n'as rien contre les chats, Saga ?

- Non, au contraire.

- Ça tombe très bien, alors, il en a sept, tous plus adorables les uns que les autres.

- Mais trois sont particulièrement collants, précisa le Sagittaire.

- C'est vrai ! Il faudra faire attention à ta magnifique chevelure, Saga. Luna adore se percher sur une épaule ou sur une tête pour mâchouiller les cheveux.

- Elle le fait toujours ? s'étonna Aioros.

- Oui ! D'habitude, elle change de manie assez vite et fréquemment, mais là, ça dure depuis des mois ! En tous cas, c'était encore le cas hier, quand je suis passée chez lui. Mais ce n'est pas méchant, faut juste le savoir.

- Je te remercie pour l'avertissement, lui dit Saga avec un doux sourire.

- Je t'en prie. Tu verras, sinon, Ernesto est très gentil. C'est un homme très cultivé et très ouvert, un doux rêveur au cœur tendre. Il a beaucoup de talent. Sauf pour la cuisine.

- C'est vrai, et heureusement que tu es là pour le nourrir correctement de temps en temps.

- A qui le dis-tu ! soupira la belle italienne, au désespoir. Ces artistes, vraiment… Créer semble un besoin plus vital pour eux que de manger et dormir. Cela me dépasse. Mais ce qu'il fait est tellement incroyable…

- Il est très doué et sensible, il peint et sculpte le bois, précisa Aioros à Saga. Et il fait de la photo, aussi. Et je rejoins Letizia, ses créations sont souvent à couper le souffle. Elles provoquent toujours des émotions particulières et puissantes. Tu verras.

- Vous donnez envie, en tous cas. J'ai hâte.

Les deux amis échangèrent un regard et un sourire complices.

- J'en conclus que ça te convient aussi, alors, A… Aioros ?

- C'est parfait, merci beaucoup.

- Merci, Letizia.

- Basta ! Arrêtez avec vos mercis ! Je vais l'appeler pour confirmer votre venue, il sera content ! En attendant, Saga, pense à ce que je t'ai dit pour manger, et pas d'hésitation, surtout ! ajouta-t-elle en souriant au Gémeau.

- C'est très gentil, je suis un client privilégié.

Le sourire de la jeune femme se crispa, et Saga… se prit un coup de torchon.

Ce qui le laissa sans voix.

Aioros éclata de rire devant sa mine déconfite, autant que par rapport à la scène tout à fait absurde à laquelle il assistait.

- Qu'est-ce que j'ai dit, tout à l'heure ? le rabroua Letizia, les poings sur les hanches. La famiglia è la famiglia. La famille, c'est la famille ! Et c'est sacré, per l'amore di Dio ! Aioros t'a choisi, t'en fais partie, Saga. Tu es sa moitié, il est ta moitié. Pas de chichis entre nous, c'est compris ? Bien. Je vous laisse choisir, prenez votre temps. Je préviens Dino.

Et elle fila sans attendre de réponse en marmonnant toujours.
De toute façon, aucun des deux hommes n'était en état de le faire.

Aioros était incapable de parler, car il riait dès qu'il posait les yeux sur son compagnon.

Celui-ci était visiblement encore sous le choc.

Personne n'avait jamais osé lui mettre un coup de quoi que ce fut, où que ce fut, en dehors des combats et des entraînements.

Oui, cela pouvait arriver, même si les Chevaliers étaient censés se limiter à leurs attaques à distance avec restriction de cosmos…

- Tu n'as pas intérêt à raconter cela à qui que ce soit, le prévint le fier aîné des Gémeaux. Et surtout pas à Kanon ! Ou pire, à Aiolia !

- Pourquoi je ferai ça ? réussit à articuler le Sagittaire entre deux gloussements.

- Aioros…

- Promis, mon amour, promis, je dirai rien. Désolé… Écoute, prends ça comme une marque d'affection de sa part, ni plus, ni moins.

- Et le fait de te marrer à ce point, c'est une preuve d'amour, aussi ?

- Je suis vraiment, vraiment, vraiment désolé, je t'assure… s'excusa-t-il en essayant de se calmer.

- Arrête de ricaner, tu seras déjà un peu plus crédible, grommela son compagnon.

Aioros prit une grande inspiration… avant que son rire ne reparte de plus bel.

Saga était vraiment adorable avec cet air renfrogné.

Le grand et puissant Chevalier d'or, qui pouvait imposer le silence d'un simple regard et détruire des galaxies entières en écartant les bras, réduit à l'état d'enfant boudeur par un coup de torchon d'une fière italienne vexée…

Vraiment trop adorable…

Dans le regard du Sagittaire, le Gémeau perçut l'admiration et surtout, l'amour inconditionnel derrière l'amusement.
Alors, il finit par se laisser attendrir.

Car de même, il trouvait son amant irrésistible, lorsqu'il exprimait sa joie ainsi.

Son visage radieux, son rire mélodieux, ses yeux pétillants…
Il aimait vraiment tout de lui.

Son amour ne cessait de grandir et de s'intensifier, de jour en jour, alors qu'il ne croyait pas cela possible, tant il était déjà irrémédiablement fou de lui.

Mais Aioros rendait tout possible.

En quelques jours à peine depuis leurs retrouvailles, il avait rempli sa vie de lumière et de chaleur.
Et il l'en nourrissait à chaque seconde, du simple regard ou sourire qu'il lui adressait, à la plus intime caresse qu'il lui offrait.

Saga essaya de retenir un sourire, en vain.

- Je veux bien me faire humilier de temps en temps, si c'est pour te voir y prendre autant de plaisir.

- Cette phrase est résolument très tendancieuse, tu sais, fit remarquer Aioros en s'essuyant les yeux.

- Certes. Évite donc de la sortir de son contexte.

- Je n'ai pas le choix. Mais pour en revenir à ce qui vient de se passer… j'insiste, je ne veux pas qu'il y ait de malentendu : c'est une marque d'affection de la part de Letizia. Je t'ai dit que certains allaient sûrement se montrer familier, avec toi, la première impression passée, mais ce ne sera jamais à ce point, pas tout de suite, en tous cas. Letizia ne traite pas tout le monde aussi familièrement, crois-moi. Je te signale qu'il y a deux heures à peine, vous ne vous connaissiez pas.

- Je sais bien que ce n'était pas méchant. J'ai juste été surpris.

- Je dirai choqué, plutôt. Mais tu l'as vraiment vexé, pour le coup, elle t'a frappé spontanément, alors que tu lui fais toujours beaucoup d'effet. Crois-moi, je la connais. Mais tu as touché un point sensible : la famille. C'est très important, surtout pour les italiens.

- Elle ne m'avait pas dit auparavant qu'elle m'incluait dedans, se défendit le Gémeau.

- C'était évident pour elle.

- Parce que je suis avec toi ?

- Parce que c'est toi.

- C'est-à-dire ?

- Je t'aime profondément et Letizia le sait depuis lo,gtemps. Mais elle en a eu la confirmation en nous voyant arriver, c'est sûr.

- D'où ses propos.

- Oui. Je t'ai déjà expliqué ce que je ressentais, cette certitude qu'il y avait quelqu'un, quelque part, qui m'était destiné et auquel j'étais destiné. Letizia l'a toujours su, je ne lui ai jamais rien caché à ce sujet. Je n'ai pas souvent été amoureux, durant mes dix ans ici, on en a déjà parlé. Et je n'ai jamais regardé personne comme je te regarde, toi.

- J'en mourrais, si cela arrivait.

- Aucun risque.

Saga hocha la tête.

- Quand j'ai quitté le Sanctuaire, il y a quelques mois, j'étais au plus mal. C'est ici que je suis venu me réfugier, c'est elle qui m'a hébergé. Je t'ai dit aussi que j'avais caché ma douleur aux habitants. Mais avec elle, j'ai tout lâché. Letizia sait tout de ce que je suis en droit de dire sur nous.

- Je n'avais pas compris qu'elle était si importante, pour toi.

- Je n'ai volontairement pas insisté là-dessus. Je voulais attendre que tu la rencontres et que tu nous vois ensemble pour saisir la nature de notre lien. Qu'ilm n'y ait aucune ambiguïté.

Touché par cette nouvelle démonstration du soin qu'il prenait à ne jamais le faire douter ou souffrir, Saga porta la main de son précieux compagnon jusqu'à son visage pour y presser sa joue un court instant, sans le quitter des yeux.

- Merci, amour.

- C'est normal, tu n'as pas à me remercier pour cela.

Après un rapide baiser sur ses doigts, Saga relâcha sa main.

- Et elle ne m'en veut pas de t'avoir autant fait souffrir... Étonnant, avec un tel caractère.

- Tu l'as déjà bien cerné, Elle t'en as voulu et t'en veux sûrement encore un peu. Mais elle sait aussi pourquoi tu as agi comme ça, l'énorme culpabilité qui te rongeait, alors que tu me croyais mort et que tu te sentais responsable. Elle sait tout ce que tu représentes, pour moi. Te retrouver, c'était l'aboutissement d'une longue attente. Te reconquérir, celui d'un long combat.

- Je sais… Et tu dis qu'elle a toujours été au courant que tu te sentais lié à un autre. Même quand vous étiez ensemble ?

Le Sagittaire observa un court instant son amie, alors qu'elle discutait avec des clients, les conseillant gentiment et efficacement sur les meilleures randonnées à faire dans le coin, d'après ce qu'il percevait de leur échange.

Puis, il reporta son attention sur son compagnon, qui attendait patiemment sa réponse.

- Elle me reposait souvent la question, et je lui donnais toujours la même réponse : oui, je l'aimais beaucoup, mais je savais aussi que quelqu'un m'était destiné et que je retrouverai cette personne, un jour.

- Mais elle a quand même accepté de s'engager dans une relation avec toi. Elle devait t'aimer profondément.

- Détrompe-toi. Elle tenait à m'accompagner sur cette route, c'est un fait. De son propre aveu, elle espérait me détourner de ce qu'elle appelait mon « obsession ». Mais elle avait aussi, de son côté, à faire le deuil d'un amour qu'elle croyait perdu à jamais, et elle comptait sur moi, sur notre relation, pour se relever et avancer, tourner la page définitivement.

- Cela n'a pas fonctionné, j'imagine ? Ou alors si, malgré votre séparation.

- Cela nous a fait du bien. Car d'une certaine façon, j'ai été amoureux d'elle, sincèrement et elle aussi. Mais après plus de deux ans, on a dû être honnête l'un envers l'autre : ça ne menait nulle part et nos sentiments s'effaçaient. Ou plutôt, ils évoluaient vers autre chose. On s'est séparé, mais on est resté proche. Cette forte amitié, c'était la relation qui nous convenait le mieux, finalement. C'en est devenu un lien fraternel, très vite, qui s'est encore renforcé, lorsqu'elle a retrouvé Sergio, son premier amour et compagnon actuel, il y a trois ans. Je recherchais peut-être inconsciemment à retrouver celui que j'avais avec 'Lia.

- Te connaissant, tu as dû culpabiliser de devoir l'abandonner si jeune, Tu as gardé et reporté ce besoin de protection sur Letizia.

- Sûrement. C'est une part de ce que je suis : un grand frère, un Chevalier d'or et serviteur d'Athéna, et ton âme-sœur. Sans ordre de priorité.

- Tu blasphèmerais presque, là, même si cela me touche, fit remarquer Saga, inquiet et étonné à la fois.

- Je ne manque pas de respect à notre Déesse, rassure-toi. Je suis l'actuel Sagittaire, mais un autre héritera de cette fonction et de cet honneur, après moi. Seiya en est d'ores et déjà digne, l'armure l'a reconnu et choisi. Il doit juste continuer de se remettre de la profonde blessure infligée par Hadès et surtout, apprendre à mieux maîtriser son cosmos pour garder un niveau constant.

- Tu as raison. « Chaque fois qu'il se relève, il devient plus fort », ce n'est pas envisageable pour un Chevalier d'Or, qui doit frapper fort et vite tout de suite.

- Il a le temps d'apprendre, nous sommes en Paix. Il faut y croire.

- Bien sûr. J'ai foi en lui.

- Tout cela pour dire que je peux ne pas être Chevalier d'Or, mais ne pas être ton compagnon, ne pas t'avoir à mes côtés, je ne peux le concevoir. Je passerai ma vie à tenter de te reconquérir. J'étais prêt à le faire, tu sais.

- Je n'aurais pas tenu longtemps.

- C'était quand même très long et douloureux. Mais chasse cette culpabilité de ton regard, ajouta rapidement Aioros. Tout ça, c'est du passé.

Saga hocha gravement la tête, puis s'autorisa un sourire.

- Pour en revenir à ce que tu disais avant… Merci de m'avoir parlé aussi ouvertement de ton passé et de ton lien avec Letizia.

- C'est important que tu saches tout ça, et être ici nous offre l'occasion parfaite. Et puis, ça peut t'aider à comprendre un peu mieux pourquoi Letizia est si familière avec toi, si vite.

- Et pourquoi elle ne m'a fait aucun reproche.

- Exact. Lorsque je l'ai appelé pour lui parler de notre réconciliation et la rassurer, elle m'a dit que le jour où je te présenterai à elle, et j'avais intérêt à le faire rapidement, au passage, elle te mettrait un bon coup de poing avant de te saluer.

- Merci de m'avoir prévenu ! s'offusqua Saga.

- Je savais qu'elle ne le ferait pas.

- Comment pouvais-tu en être si sûr ?

- Je ne t'aurais pas laissé autant approcher, quand on est arrivé, si j'avais eu le moindre doute. Mais à chacun des pas qui nous menaient à elle, je pouvais lire ses intentions, dans son regard et son attitude. Et j'ai vu deux choses : elle était troublée par ta vue et ta présence, d'une part, même si elle s'est ressaisie assez vite. Et d'autre part, elle avait compris que c'était inutile.

- C'était suffisant ?

- Oui. Si elle t'avait frappé, j'aurais perdu mon sourire. Or, quand je suis parti d'ici, la dernière fois, elle m'a dit de revenir avec toi et mon plus beau sourire. Elle tenait à voir ce sourire que toi seul est capable de faire naître sur mes lèvres, qu'elle avait deviné au téléphone, quand je lui parlais de nous. Elle n'aurait pas pris le risque de me blesser en s'en prenant à toi, même si elle ne t'aurait pas fait grand mal.

- Son coup de torchon était quand même bien marqué, répliqua Saga.

- Il devait y avoir un peu de son envie de te corriger, dedans, c'est pas impossible.

- C'est même certain. Je n'ose imaginer l'impact de son coup de poing...

- Tu en as vu d'autres, Saga des Gémeaux !

- Certes. Je n'en ferai pas moins attention à ne pas déclencher ce genre de réaction, à nouveau. Ce n'était pas très agréable. Même si toi, tu as passé un bon moment.

- Tu m'en veux encore ? demanda-t-il en prenant ses deux mains entre les siennes.

- T'en ai-je même jamais voulu, déjà ?

- Non, en effet, pas plus de quelques secondes, en tous cas.

- Ceci étant dit, à l'aune de tes explications, je reconnais que c'était mérité. Pour une raison ou pour l'autre, c'était justifié.

- Elle sera ravie de l'apprendre.

- ´Ros…

- J'ai rien dit ! joua-t-il l'innocent en levant les mains. Et si on se décidait enfin à commander ?

- Oui, faisons plutôt ça…

Les mains de nouveau entrelacées, les deux hommes replongèrent dans la carte, avant de rappeler Alfredo pour la commande.

Et comme le leur avait demandé Letizia, ils ne jouèrent pas les clients, ni les touristes.
Au contraire, ils la rejoignirent dans sa cuisine et l'aidèrent, en veillant à ne jamais la gêner pour ne pas être mis à la porte manu militari.

Plusieurs habitants du village passèrent saluer Aioros, car la nouvelle de son arrivée avait déjà fait le tour. Et celle de la présence de Saga aussi. Tout le monde voulait voir ce « bel homme à la chevelure d'or et aux yeux d'azur, auréolé de lumière », « le grand amour » de celui qu'ils appelaient encore Apollo.

Beaucoup ne faisaient pas qu'un passage, ils s'installaient ou finissaient par revenir.

Alors, anticipant le remplissage de sa terrasse et de son restaurant entier, Letizia ferma son établissement au public et ne laissa plus entrer que les proches et les amis.

Rares étaient ceux qui arrivaient les mains vides, il y eut rapidement à boire et à manger pour tout le monde sans que Letizia n'eut besoin de s'affairer en cuisine.

Saga découvrit ainsi l'apéro à l'italienne, un véritable buffet dînatoire.

Et il songea une fois de plus à Angelo Ie Cancer avait beau avoir peu vécu en Sicile et n'y avoir sûrement pas passé les meilleures années de sa vie, il avait des habitudes pourtant typiques. A ce sujet-là, précisément, à l'heure de l'apéro, il réclamait toujours à manger avec son verre. Et il ne se contentait pas de quelques olives ou de pistaches, une pizza entière, un plat de pâtes ou de moussaka pouvaient y passer…

Le Gémeau apprécia cette ambiance familiale et chaleureuse, qui n'était justement pas sans rappeler celle que Shion avait réussi à mettre en place au Sanctuaire, et qui s'était installé » progressivement entre certains Chevaliers. L'apéro chez les uns, les autres, un dîner par mois dans chaque Maison à tour de rôle, et plusieurs si l'envie les prenait et selon les affinités, tous les anniversaires célébrés au Treizième temple avec un grand banquet…

Il écouta aussi le doux parler de cette langue tellement chantante et rythmée.

Les italiens parlaient haut et fort, avec beaucoup de gestes, mais il n'y avait rien d'agressif, au final et on s'y habituait vite, car ce n'était pas sans rappeler les grecs eux-mêmes.

Cela donnait juste un peu le tournis, parfois.

Les répliques fusaient et s'enchaînaient, ponctuées de rires ou de claquements de langue, de grands tours de bras… et de coups de torchons ou de serviettes.
Et Aioros, son compagnon si calme et doux, se démarquait, tout en évoluant parfaitement dans cet univers qui était totalement étranger au Gémeau.

Il ne se sentait pas à l'écart pour autant, car Aioros le présentait, le gardait à ses côtés, effleurait sa main de ses doigts ou posait la sienne, légère et discrète, en bas de son dos ou sur son épaule. Il le regardait et lui souriait souvent, ils se parlaient dans l'intimité de leurs esprits, aussi.

L'italien d'adoption traduisait aussi parfois pour lui certains propos.

Ceux qui parlaient anglais l'utilisaient immédiatement pour mettre Saga à l'aise.
Même si leur langue natale revenait souvent en plein milieu d'une phrase ou dès qu'ils se mettaient à jurer.

Et Saga, qui avait un peu appréhendé ce séjour avant leur arrivée, se prit à regretter déjà de ne pas pouvoir rester plus longtemps.
Une seule journée avait suffi à le conquérir.

Au moment où le soleil offrit un magnifique spectacle sur la mer en se couchant, on laissa les deux amoureux un peu tranquilles.

Ils ne pouvaient pas vraiment s'isoler sur la terrasse bondée, mais personne ne vint leur parler durant ces quelques minutes. Certains profitèrent même aussi du moment féerique, même s'il n'avait rien de nouveau, pour eux.

Il y avait des choses dont on ne se lassait jamais.

Bien évidemment, il n'y eut pas de silence religieux, les conversations continuèrent sur le même ton.

Alors d'eux-mêmes, les deux Chevaliers se coupèrent de tout ce qui n'était pas eux, pour profiter pleinement de ce moment magique où le soleil incandescent incendiait le ciel pour sa rencontre quotidienne avec la mer.

Encore un autre, dans une journée qui l'avait déjà été à bien des égards.

Ce fut court, mais les deux amants le prolongèrent un peu en gardant la même position, Saga le dos appuyé contre le torse d'Aioros, qui le ceinturait tendrement de ses deux bras autour de la taille.

- Je suis complètement fou de toi, murmura Aioros tout contre son oreille.

La main de Saga remonta jusqu'à pouvoir se glisser sous sa nuque, qu'il caressa tendrement du bout des doigts.

- Dis-le en italien.

- Sono pazzo di te.

Son souffle contre sa peau, sa voix basse plus grave que d'habitude, plus mélodieuse aussi, son cœur qu'il sentait battre plus vite contre son dos…
Le Gémeau en frissonna de passion et de désir mêlés.

- Continue, exigea-t-il d'une voix toujours extrêmement basse.

- Sei la mia anima gemella, souffla-t-il en réponse. *Tu es mon âme-sœur*, transmit-il mentalement.

Saga s'appuya un peu plus contre Aioros, qui resserra son étreinte en soupirant de bonheur.

*Tu me rends dingue…* envoya le Gémeau de la même façon.

Il ne pouvait pas parler, car il se mordait les lèvres pour se contenir.

S'ils avaient été ailleurs, il aurait embrassé longuement et intensément son compagnon.
Mais il avait trop de respect pour lui, ainsi que pour ces gens qui l'avaient accueilli aussi chaleureusement et avec tellement de tolérance.

Saga avait vite compris qu'Aioros et Letizia avaient un peu exagéré les choses, lorsqu'ils lui avaient dit que tout le village l'avait bien accueilli et intégré. Une bonne partie des habitants n'était pas venue, se contentant de faire transmettre leurs salutations à Aioros, car ils n'acceptaient pas les relations homosexuelles, tout simplement.

C'était un village aux mœurs et aux traditions profondément ancrées dans leur quotidien, où vivaient des gens très croyant, pour qui le modèle familial était intouchable et sacré.

Sans compter le machisme de certains, fortement influencés ou encouragés par l'Etat. En effet, celui-ci avait longtemps justifié la non-pénalisation de l'homosexualité par le simple fait que ce n'était pas utile dans un pays comme l'Italie, où il n'y avait que de vrais hommes... Un bel exemple de négationnisme qui n'était plus possible, à présent que le militantisme homosexuel portait haut et fort les revendications sur leur existence et leurs droits.

Mais certains préjugés avaient la peau dure.

D'autant plus que l'Organisation mondiale de la santé répertoriait toujours l'homosexualité comme un trouble mental…

Heureusement, du côté des habitants de Corniglia condamnant ce mode de vie, une partie d'entre eux n'avait jamais jugé Aioros, se contentant d'ignorer cet aspect de sa personne et veillant à ne surtout pas en être témoin. Aioros n'avait pas voulu de conflits ni de divisions dans le village, donc il avait joué le jeu, aussi absurde que cela avait pu lui sembler.

Quant à l'autre partie regroupant ceux qui l'avaient très tôt jugé et condamné, ils s'étaient toujours évités entre eux.
Mais il avait quand même pris soin, lors de ses rares relations avec des hommes, de ne jamais s'afficher ou provoquer.

Malgré tout, à cet instant, il était lui aussi pas loin d'atteindre ses limites.
Surtout qu'il sentait Saga dans le même état que lui.

Encore une fois, leur désir et leurs pensées entraient en résonance.

Le Sagittaire se détacha donc à regret pour le libérer, sans pouvoir retenir un soupir de frustration, qui fit écho à celui du Gémeau.

La nuit était complètement tombée sur le village, à présent éclairé par petites touches de lumière.

Les deux hommes furent très vite de nouveau entourés et la soirée se poursuivit, avec de moins en moins de monde, au fil du temps.
Jusqu'à ce que Letizia ne sonna la fin des réjouissances pour pouvoir fermer son restaurant, qu'elle devait rouvrir dès le lendemain.

Tout le monde ou presque l'aida à ranger avant de partir, malgré la fatigue et l'heure tardive.

Ce fut complètement harassés que les deux Chevaliers se couchèrent enfin, encore une bonne heure et demie plus tard.

L'atelier d'Ernesto avait été aménagé en chambre douillette et ils apprécièrent de pouvoir enfin s'allonger dans un lit bien confortable, après une douche commune qu'ils n'avaient pu s'empêcher de rendre sensuelle et câline.

- Avant que je n'oublie, murmura Saga, j'ai une question à te poser.

Aioros en aurait presque soupiré de soulagement.

Il avait senti Saga préoccupé par quelque chose, même s'il avait bien tenté de le lui cacher.
Il y était presque arrivé, d'ailleurs.

Presque.

Aussi, Aioros attendait que Saga lui parle, ce qu'il n'avait pas fait sur le chemin du retour, ni à leur arrivée.
Et la douche n'était ni le moment, ni l'endroit idéal pour cela, sans compter le fait qu'ils l'avaient occupé… autrement.

Il était donc heureux que Saga se décide enfin, malgré l'heure tardive et le sommeil qui doucement les conduisait au Royaume de Morphée.

- Je t'écoute, l'encouragea-t-il en se tournant complètement vers lui.

- Ernesto m'a dit que j'étais « un clou fort agréable ». Je n'ai pas compris à quoi il faisait référence. C'est culturel ?

Aioros était surpris et il gloussa, le nez dans les cheveux de Saga, encore très légèrement humides, malgré le long séchage après la douche.

- En quelque sorte. Pour dire de quelqu'un qu'il a une idée fixe dans la tête, les italiens ont leur propre expression « Avere un chiodo fisso in testa » « Avoir un clou fixé dans la tête ». Tu as été mon obsession, tout simplement.

- Je comprends. Merci pour l'éclaircissement.

- A ton service, répondit-Il en frottant amoureusement son nez à sa joue. Est-ce tout ce que tu voulais me dire ?

- Oui, on va pouvoir dormir.

La déception serra le cœur d'Aioros, mais il la camoufla.
Pourtant, Saga la perçut.

- ´Ros ?

- C'est vraiment ce que tu veux ?

Le Gémeau se détendit et caressa tendrement la joue de son compagnon.

- Tu as prévu autre chose ? C'est un peu délicat avec notre hôte à l'étage au-dessus, non ?

Aioros se recula légèrement et prit la main de Saga qu'il éloigna de son visage, tout en la gardant dans la sienne pour ne pas lui donner un sentiment de rejet.

Celui-ci put voir qu'il était très sérieux et inquiet.
Et pas du tout dans l'état d'esprit propice aux câlins sous la couette.

- Que se passe-t-il, amour ?

- C'est à toi de me le dire. Je sens bien que quelque chose te préoccupe, depuis quelques heures. Cela n'a rien à voir avec la réflexion d'Ernesto. Il y a autre chose. Et tu comptais te coucher sans m'en parler ?

Dans la voix de son amant, Saga perçut une légère note de reproche.
Mais ce n'était qu'une goutte d'eau dans un océan d'inquiétude et de doute.

Et il fut envahi de culpabilité.

- Je suis désolé, je ne voulais pas t'inquiéter… s'excusa-t-il en se redressant. J'ai simplement pensé que ce n'était pas le bon moment pour en parler. Nous sommes fatigués et il est tard. Cela pouvait attendre demain.

Aioros se redressa à son tour.

- C'est quelque chose qui te préoccupe vraiment, je peux le dire à la force que tu as mis pour me le dissimuler. Comment pourrais-je ne pas m'inquiéter ? Et où trouverais-je le repos cette nuit, en sachant que de ton côté, tu auras peut-être du mal à dormir à cause de ce que tu as en tête ?

- Je suis désolé, répéta Saga en lui prenant les mains qu'il serra tendrement. Je pensais bien faire en remettant cette conversation à demain.

Aioros se détendit quelque peu.
Comment avait-il pu penser que Saga pouvait lui dissimuler quelque chose d'important ?

Il était plus anxieux qu'il ne le croyait, alors que la journée s'était pourtant très bien passée.

- Excuse-moi, mon aimé. Je veux tellement que tu te sentes bien, ici, que tout se passe au mieux, que je prends tout à cœur. La moindre de tes inquiétudes décuple les miennes. Je ne veux pas que tu me caches quoi que ce soit, si ça ne va pas, tu dois me le dire. Je ne t'imposerais pas de rester ici, si tu n'es pas bien. Nous en avons convenu ainsi, avant notre arrivée.

- Je sais. Je n'avais aucunement l'intention de te le cacher. D'autant plus que j'ai besoin de réponse. Mais je te rassure, cela ne remet pas en cause notre séjour.

- D'accord. Mais parle-moi, s'il-te-plaît. Maintenant, plutôt que demain.

- Il est évident que nous ne pourrons pas dormir, avant cela, reconnut le Gémeau en s'adossant aux oreillers contre le mur.

Aioros l'imita, mais se tourna à moitié vers lui pour pouvoir continuer à le regarder.
Sa cuisse posée sur celle de Saga, il commença inconsciemment et tout naturellement à tracer des arabesques sur son torse de ses doigts légèrement calleux.

- Non, en effet, confirma-t-il.

L'aîné des Gémeaux prit une première inspiration, avant de se lancer, le regard rivé à celui du Sagittaire.

- Letizia a commencé à me raconter quelque chose, mais nous avons été interrompus.

- Je savais bien que ce n'était pas une bonne idée de te laisser seul, il y avait forcément quelqu'un qui allait te parler sans aucune précaution… soupira Aioros. Qu'est-ce qu'elle a bien pu te dire qui t'ait autant marqué ?

- Tu as des choses à me cacher ?

- Absolument pas. Et ce serait d'ailleurs plus que malvenu, avec le discours je viens de te tenir sur la nécessité de ne pas dissimuler de choses importantes !

- Certes.

- Disons plutôt que je préférerai aborder certains sujets moi-même, ou être présent si quelqu'un d'autre le fait, pour clarifier certaines choses, au besoin.

- Et le fait que tu aies failli mourir, il y a deux ans, c'en est un ?

Aioros ouvrit de grands yeux surpris, puis se mordit la lèvre, et enfin soupira.

- On peut le mettre dedans, en effet.

- Qu'as-tu à me dire sur ce sujet, dans ce cas ? C'est vraiment arrivé ?

- Oui, c'est vrai, mon cœur s'est arrêté de battre une longue minute, d'après Cesare, avec qui je travaillais encore dans l'oliveraie, à ce moment-là et malgré l'heure tardive. C'est lui qui a fait le massage cardiaque.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Saga, la gorge nouée.

- Tu ne devines pas, amour ? répondit doucement Aioros.

Ma tristesse que Saga perçut le bouleversa.

- Je devrais pouvoir ?

La main du Sagittaire remonta caresser tendrement son visage, puis redescendit sur son cou, son torse et s'arrêta au niveau de son cœur, qu'il sentait battre sous sa paume.

Là où une tache blanche marquait l'une des empreintes laissées par le sceptre d'Athéna qui l'avait transpercé.

- Il y a un peu plus de deux ans, le 3 mars 1987, à la fin de la Bataille des Douze Maisons, tu as été délivré de ta possession par le Lémure. Et tu t'es donné la mort.

Sa voix était un gémissement douloureux où vibrait une note de reproche.

- Par Athéna ! Tu veux dire que… arriva-t-il à peine à murmurer, incapable de finir sa phrase.

La réalisation et tout ce que cela impliquait était brutale.

- Oui, confirma Aioros. Quand ton cœur a cessé de battre, le mien s'est arrêté aussitôt. Je ne le savais pas, alors, mais ma vie venait de perdre tout son sens. A partir de là, une fois remis, j'ai peu à peu changé. J'ai commencé à ressentir un vide, une tristesse qui me prenait aux tripes, parfois, et un sentiment d'abandon. Cependant, j'ai quand même continué de croire en nous, même si j'avais senti que cela pouvait avoir un lien avec cette personne que je devais retrouver.

Saga était profondément bouleversé par cette révélation.

- Je te l'ai dit, poursuivit Aioros dans un bruissement de voix, ému, je ne peux pas vivre sans toi. J'ai survécu, parce qu'il était écrit que tu reviendrais et qu'on se retrouverait.

- Mais quand tu es mort, il y a quinze ans, maintenant, mon cœur a continué de battre, lui... J'aurais dû vivre la même chose, non ? Cela n'a pas de sens !

- Je vois deux explications : la présence du Lémure, qui implique que ce n'était donc plus ton corps. Tu n'avais aucune prise sur lui, il était déconnecté de ta conscience. Et puis, ce n'est pas tout à fait exact de dire que tu n'as pas vécu la même chose, Ne m'as-tu pas dit, une fois, que tu étais mort en même temps que moi, ce soir-là ?

Hanté par ce souvenir, Saga se tourna complètement vers Aioros et posa sa main sur son cœur, pour le sentir battre, sentir sa chaleur, sentir qu'il était vivant et que ce cauchemar était bien fini.

- C'est ce que j'ai ressenti, oui. Vraiment, intrinsèquement, viscéralement. Mon âme s'est déchirée.

Le Sagittaire acquiesça en silence, la gorge nouée, lui aussi, par le rappel de ces sensations terribles qui l'avaient presque emportées, ce soir-là.
A son tour, il se rapprocha de Saga pour pouvoir mieux l'enlacer et le sentir contre lui.

Jambes emmêlées et front contre front, un soupir de soulagement leur échappa en même temps.
Tout allait bien, ils étaient enfin réunis et bien vivants, l'un comme l'autre.

- Et la seconde explication possible ? reprit le Gémeau. Tu as dit qu'il y en avait deux.

- Le paradoxe temporel, répondit Aioros, le nez dans ses mèches d'or. Je suis mort, jusqu'à ce qu'on me ramène à la vie. A ce que j'ai cru comprendre, mon corps a été récupéré peu avant que je ne rende mon dernier souffle.

Saga écarta légèrement le visage pour mieux ancrer son regard au sien.

- Voilà pourquoi on ne l'a jamais retrouvé, et que Sagittarius n'est jamais revenue au Neuvième Temple, comprit-il soudain.

- Elle a gardé le fragment d'âme qui me liait à elle en tant que Gardien. Ne reconnaissant pas ma mort, ni l'autorité du Pope, elle n'a pas rejoint le Sanctuaire. Elle est restée auprès d'Athéna pour la protéger.

- Et respecter la volonté de son porteur. C'est prodigieux.

- Nos armures sont formidables, acquiesça Aioros. Ce sont des entités à fortes personnalités, tout comme les écailles et les surplis, d'ailleurs.

- A qui le dis-tu… soupira Saga. Gemini est tellement capricieuse et possessive avec Kanon ! Lorsqu'il s'absente longtemps, c'est-à-dire plus de trois jours, elle devient insupportable. Comme si elle craignait qu'il ne revienne pas.

- C'est sûrement le cas, fit remarquer Aioros. Elle a été seule pendant plus de treize ans, après tout. Tu n'étais plus là et Kanon s'était approprié SeaDragon.

- Je sais, j'en suis conscient. J'imagine que c'était pareil pour Sagittarius, c'est pourquoi tu comprends si bien Gemini.

- Oui. Elles ont été là pour nous, malgré tout ce qui s'est passé, elles ont veillé sur nos âmes et respecté nos volontés. Elles ont cru en nous, malgré notre absence. A notre tour de veiller sur elles.

- Tu as bien raison, mon amour. Nous pouvons bien leur permettre quelques caprices.

- Exactement, sourit Aioros.

- Nous nous sommes un peu écartés du sujet, mais pour y revenir, je tiens à m'excuser, 'Ros. Je suis vraiment désolé d'avoir opté pour la mort, ce jour-là. Avoir levé la main sur Athéna, sur toi, être responsable de tant de souffrance… cela m'était insupportable.

- Je sais, mon aimé.

- Et je te remercie de m'avoir libéré de cette culpabilité.

- Je ne suis pas le seul à avoir travaillé là-dessus. Mais c'est toi qui a fait le plus grand chemin. Même s'il reste encore un peu de route. Mais ne t'en fais pas, je reste à tes côtés pour la parcourir.

- Tu ne peux imaginer combien je t'aime, Aioros.

- Pas plus que tu ne peux imaginer combien c'est réciproque, sourit-il, espiègle.

Avant de déposer un baiser appuyé sur les lèvres de Saga, trop proches pour qu'il put y résister encore bien longtemps, surtout après une telle déclaration.

- Il faudrait qu'on dorme, maintenant, murmura-t-il ensuite en se reculant à peine.

- Il le faut, pas le choix, même si je n'en ai plus vraiment envie…

Et Saga ponctua sa réponse d'un nouveau baiser, beaucoup moins chaste, celui-ci.
Mais il ne tarda pas à y mettre fin, avec un soupir de frustration partagé avec Aioros.

Le visage niché dans le cou de son amant, Saga inspira profondément, emplissant ses poumons de son odeur qu'il aimait tant.

- Qu'est-ce que tu as prévu pour demain ? Si tu y as déjà pensé…

Il valait mieux détourner leur attention pour qu'ils puissent faire redescendre l'excitation.
C'était impossible pour eux de s'endormir dans cet état.

- C'est vrai que nous n'avons pas eu le temps d'en discuter. Et bien, je te propose de rejoindre le quatrième village, Vernazza, mais en passant par le sentier haut, plutôt que le littoral. On le prendra au retour, c'est plus rapide pour rentrer.

- « Sentier haut », cela veut dire qu'on va grimper ?

- Oui ! On va monter jusqu'à la Cigoletta, le point le plus haut, à plus de 600 mètres. Ensuite, on redescendra sur Vernazza. On passera par le petit hameau de San Bernardino que je t'ai montré, cette après-midi. De là, on a un formidable point de vue sur Corniglia.

- Ça m'a l'air très divertissant, et sportif. Je suppose que tu as prévu l'équipement ?

- On aura pas besoin de grand-chose, tu sais. On va simplement passer rapidement chez les De Angelis récupérer mes chaussures de marche. J'en ai plusieurs et on fait la même pointure, ça tombe bien. Et puis, il faudra te trouver un pantalon. Ceux que tu portes habituellement sont très classes et te vont parfaitement, mais si tu en mets un demain, tu risques de l'abîmer. Il y a pas mal de montées et de descentes à travers les vignobles, les oliveraies, les vergers et les bois.

- Cela m'a tout l'air d'être une sacrée promenade.

- On en a pour trois - quatre heures, normalement, mais je pense qu'on va mettre plus de temps, parce qu'on va s'arrêter plusieurs fois et faire quelques détours. Déjà, pour voir les oliviers, comme promis. Et ensuite, je veux te montrer mes petits coins de paradis que je ne voulais partager qu'avec toi.

- C'est un très beau programme, cela me plaît déjà beaucoup.

- Vraiment ?

- Oui ! J'ai hâte.

- Je suis content, alors, et j'ai hâte aussi. De fait, nous devrions vraiment dormir, maintenant, si nous voulons ne pas partir trop tard, demain matin. Enfin, tout à l'heure… se reprit-il en jetant un œil rapide au réveil sur la table de chevet.

Déjà 3h30….

- Tu as raison, acquiesça Saga, avant de relever la tête pour le regarder dans les yeux. Mais avant de te souhaiter une bonne nuit, je voulais te dire merci pour cette première merveilleuse journée, mon amour.

Et il accompagna son remerciement d'un doux et chaste baiser appuyé sur les lèvres adorées.

Ce fut seulement à cet instant qu'il remarqua qu'elles portaient encore légèrement les marques des baisers brûlants et fiévreux qu'ils avaient échangés, sous la douche.

Tout comme différents endroits de leurs corps à tous les deux, mêlant les souvenirs de la nuit précédente en Autriche avec les nouveaux créés ici.

- Est-ce que ça a vraiment été, aujourd'hui ? demanda Aioros, en glissant sa main dans ses mèches d'or et de soie. Tout s'est réellement bien passé, pour toi, à part ce moment avec Letizia concernant mon… arrêt cardiaque ?

- Et à part le coup de torchon, surtout ? le taquina-t-il. Je plaisante, ´Ros. Tout s'est très bien passé, vraiment. Tu ne l'as pas senti ? Nous étions pourtant constamment connectés, au point que je n'ai pu totalement te cacher l'inquiétude suscitée par la révélation de Letizia.

- Si, bien sûr que je l'ai senti, mais je voudrais être sûr que tu ne m'as rien caché d'autre, de moins grave, pour ne pas m'inquiéter ou par peur de me décevoir.

Saga caressa tendrement son torse nu, repoussa la fatigue qui doucement s'invitait, et lui confia tout son ressenti, sans rien omettre et avec sincérité.

Au cours de son récit, il fut interrompu une fois, non par une question d'Aioros, mais par la porte de l'atelier qui s'ouvrît.
La poignée s'enclencha deux fois, puis céda à la troisième, et la porte s'ouvrît pour laisser passer un chat, puis un second, et encore un dernier.

Les deux hommes, que ce manège avait intrigué plus qu'inquiété, les regardèrent s'installer sur le lit avec effarement, puis en riant doucement.

Ils reprirent leur position l'un contre l'autre et Saga termina de raconter comment il avait vécu cette belle journée et soirée.

Aioros fut autant convaincu que soulagé par son récit vibrant d'émotion un résultat qui allait au-delà de ses attentes.
Heureux et apaisé, le Sagittaire serra fort son Gémeau contre lui, alors qu'ils se souhaitaient enfin une bonne nuit.

Du moins, autant que le lui permettaient les trois chats qui s'étaient résolument installés dans leur lit, à moitié sur leurs corps nus et enlacés, protégés des griffes et des pattounes par un simple drap léger.

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A suivre.

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Notes :

Le titre est extrait de la chanson de Jacques Dutronc La Fille du Père Noël, qui inspira le titre du célèbre film De battre mon coeur s'est arrêté avec l'excellent Rimain Duris.

En ce qui concerne le passage sur la pénalisation ou la non-pénalisation de l'homosexualité en Italie : les relations homosexuelles sont décriminalisées et légales en Italie dès 1890. Mais, sous les régimes totalitaires et fascistes, de nouvelles lois ont été promulguées, conduisant à la déportation des homosexuels. Mais pas dans l'Italie de Mussolini, qui l'expliqua par cette notion de peuple de "vrais hommes" ne nécessitant pas de loi puisque cela n'existait pas chez eux.
Pour rappel, l'Italie est le dernier pays d'Europe occidentale à avoir adopté l'union civile homosexuelle en mai 2016.

En ce qui concerne l'homosexualité comme trouble mental, l'OmS la déclassifiera en 1990.

Merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère que vous avez passé un bon moment de lecture.
Bonne continuation, et à bientôt (?).
Lysanea