Clia Klein venait voir Drago une ou deux fois par mois, selon ses disponibilités. C'était coûteux pour elle de prendre le train jusqu'à l'ile d'Azkaban mais elle aimait bien ses rencontres avec Drago. Il était un cas intéressant. Et il payait bien, ce qui le rendait plus intéressant encore. Azkaban lui filait la chair de poule et quand elle s'y rendait, elle était presque heureuse d'être née Cracmol et d'avoir été élevée loin de ces choses-là. Pas suffisamment loin pour ne pas crever de jalousie envers ses frères et sœurs, bien sûr mais ça, c'était une autre histoire. Une petite partie d'elle était quand même heureuse de venir à Azkaban et de côtoyer Drago Malefoy, comme si cela lui permettait de rattraper le fait qu'elle n'était pas une sorcière. Bref, elle continuait donc ses visites, même si c'était une thérapie bancale et étrange qu'elle n'aurait jamais accepté de faire en temps normal.
Drago, lui, ne savait pas si ça l'aidait ou non. Ils parlaient de la vie en prison et de l'étouffement, de la perte de liberté qui faisait naitre chez lui une très légère folie, de la tension permanente, des angoisses et de l'absence totale d'espoir. Ils parlaient un peu de Kyle mais pas beaucoup, Drago n'y arrivait pas. Ils parlaient de son père, qu'il voyait tous les jours mais à qui il ne parlait plus. Drago se disait à chaque fois qu'il n'avait rien à dire à Clia puis, finalement, il réalisait qu'il avait beaucoup de choses à dire. Beaucoup trop. Et Clia était stupéfiante. Clia disait le mot « anorexie » comme elle aurait dit « rhume », elle disait les mots « viol » et « victime » comme si cela n'avait rien de sale ou de honteux, elle disait le mot « homosexuel » comme si c'était normal. Ça rendait Drago cinglé, un peu. Ça lui faisait mal, c'était comme des lames enfoncées dans son cœur, parce que personne ne lui avait jamais parlé comme ça, parce que personne ne l'avait jamais compris comme ça et que personne ne l'avait jamais autant accepté comme ça. Franck peut-être, Harry peut-être mais il n'en était pas sûr. Harry l'avait vu comme il désirait le voir et Franck se servait de lui pour donner du sens à sa vie de merde. Clia, elle, le faisait naturellement, parce qu'elle y croyait. Parce qu'elle savait de quoi elle parlait. Et c'était insupportable, vraiment, de penser que la seule personne qui le comprenait était cette femme qu'il ne connaissait pas, qui était si différente de lui et pourtant si similaire. Il entendait encore les remarques cyniques de ses parents sur les sorciers qui avaient des enfants Cracmols, sur leur mépris quand ils disaient que c'était la pire chose qui pourrait leur arriver. Il se revoyait rire, avec Theodore, du beau-frère de Blaise qui se prenait pour une fille, il se souvenait des mots qu'ils employaient pour se moquer.
Et il était face à Clia et il ne savait plus qui il était. Il fallait effacer tout ce qu'il avait appris et tout recommencer. Et ce dans quasiment tous les domaines de sa vie. C'était épuisant, difficile, accablant. Il détestait Clia, parfois, à cause des tourments qu'elle lui infligeait par sa seule existence mais il savait qu'elle n'y était pour rien. Il avait dit à sa mère qu'il rencontrait quelqu'un qui l'aidait, il n'avait pas osé lui dire qui. Il avait vu son scepticisme et son mépris à l'idée de parler pour se sentir mieux. Il avait détesté sa mère, aussi. Par moment, il détestait absolument tout le monde et surtout lui.
Drago avait écrit à Agatha pour qu'elle puisse transmettre un message à la personne qui lui envoyait des colis : il lui fallait d'autres carnets. Il en avait donc reçu d'autres et il continuait à les remplir d'écrits, sur ses journées, sur ses pensées. Il avait essayé de dessiner et il n'était pas mauvais, même s'il n'était pas bon non plus. Il avait voulu dessiner Harry mais il avait oublié les détails de son visage et ça lui avait fait de la peine. Il avait dessiné Kyle et il n'avait oublié aucun détail. Franck lui avait amicalement proposé de jeter le dessin dans les toilettes pour qu'ils puissent chier dessus, ce que Drago avait accepté. Ça les avait fait rire, puis ça l'avait fait pleurer. Il n'arrivait toujours pas à s'en remettre et il se sentait comme une merde.
Il montrait à Franck ce qu'il écrivait, parfois. Pas les phrases déstructurées qui sortaient de ses pensées mais les poèmes qu'il rédigeait. Franck disait qu'il avait un talent certain pour ça. Un jour, alors qu'il lisait la dernière production de Drago, il dit :
- Tu sais à quoi ça me fait penser ? Pas vraiment à des poèmes, plus à des paroles de chansons.
Drago médita ce que Franck avait dit, il était assez d'accord.
- Je crois que ça m'amuserait d'écrire des chansons.
Il s'y essaya, par jeu. Parfois, il inventait de courtes mélodies, juste pour le refrain et mettait des paroles dessus. Il avait toujours aimé inventer des mélodies et il le faisait quand il jouait du piano avec sa mère. Il avait oublié cette époque de sa vie et il y repensa avec nostalgie. Il était plutôt bon pour jouer avec les notes. Enfin, bon comme un amateur pouvait être bon.
- Et alors, si tu devais envoyer tes chansons à un artiste, ce serait qui ? demanda Franck pour plaisanter. A Petronilla le Fay ?
- Sans doute, admit Drago.
Il écoutait toujours avec plaisir les chansons de Petronilla qui passaient sur sa petite radio. Il imagina Petronilla chanter ses chansons, ce serait incroyable. L'idée le fit sourire.
- Ce serait la consécration de toute ma vie si elle interprétait mes chansons, dit Drago avec un peu d'ironie.
- Et pourquoi ne pas lui envoyer quelques textes ?
Drago rit puis se rendit compte que Franck était sérieux. Il rougit.
- Je ne vais pas envoyer des textes à Petronilla le Fay, ce serait ridicule ! Elle est surement entourée de gens bien plus doués que moi pour ces choses-là.
- Ce n'est pas rare que des artistes changent de collaborateurs pour l'écriture d'un album, il faut bien varier de temps en temps. Et puis, elle pourrait simplement apprécier une chanson.
Drago se mordit la lèvre.
- Et quoi ? J'envoie un texte, avec mon nom ? Qui aurait envie d'entendre parler de moi ? Je suis un criminel enfermé à Azkaban. J'aurais l'air ridicule, ils se foutraient bien de ma gueule dans son équipe.
- Peut-être, admit Franck en haussant les épaules. Mais de toute façon, ce n'est pas comme si tu allais rencontrer Petronilla le Fay donc ce ne serait pas si grave.
Drago eut un rire désabusé et balaya l'idée. Elle s'infiltra cependant en lui et il y repensa pendant des jours. Il se dit qu'il pourrait envoyer ses textes sans signer mais ce serait stupide car on ne pourrait pas lui répondre. Mettre un faux nom revenait au même, les gardiens d'Azkaban jetteraient la lettre si elle présentait un nom qui ne correspondait à aucun prisonnier. Non pas qu'il s'attendît vraiment à ce qu'on lui réponde mais on ne savait jamais. Il délaissa donc cette rêverie idiote pendant quelques semaines puis y repensa à nouveau. Malgré lui, il s'était mis à écrire des textes qui pourraient convenir au style de Petronilla. Il rédigea quelques lettres qu'il pourrait envoyer à la chanteuse pour lui expliquer pourquoi il avait l'audace de lui montrer ses chansons et il les déchira toutes, agacé par lui-même. Il finit toutefois par en écrire une qui était moins pathétique que les autres. Il expliquait qu'il était fan de ses chansons depuis longtemps et qu'il avait une petite radio dans sa cellule. Qu'écouter sa musique qui passait était l'un des rares plaisirs de sa vie. Il s'était amusé à écrire des chansons, pour passer le temps. Il les lui envoyait, pour la remercier. Voilà, ça ne sonnait pas trop désespéré. Il y joignit les deux textes qu'il avait écrits pour elle.
Il donna la lettre aux gardiens, sans en parler à Franck. Il avait honte de lui, il préférait garder le secret. S'il n'avait aucune réponse, personne n'en saurait rien. Il avait écrit comme destinataire le nom de la maison de disque qui produisait Petronilla. Ce n'était pas dur de la connaitre puisqu'il n'y en avait qu'une à Londres. Sa lettre atteindrait Petronilla, ou peut-être pas. A chaque heure qui passait, il regrettait un peu plus de l'avoir fait. D'autant qu'il ne reçut aucune réponse dans les semaines qui suivirent. Il décida donc de ne plus y penser, il se sentit terriblement ridicule, mieux valait oublier cette histoire.
Un jour, un gardien s'approcha de leur cellule et annonça que Drago avait une visite. Ce n'était pas un jour de visite et il savait que ça ne pouvait être Clia. C'était surement Agatha, donc. Il ne l'avait pas vue depuis longtemps et il fut curieux de savoir ce qu'elle lui voulait. Rien, peut-être, juste prendre de ses nouvelles. Drago entra machinalement dans la salle privée qu'ils utilisaient toujours pour se voir et s'immobilisa à la porte, abasourdi. Le gardien le poussa légèrement et Drago rougit, en se sentant vraiment stupide. Ce n'était pas Agatha assise à la table, c'était une femme bien plus jeune qui avait de longs cheveux roux foncés et de grands yeux verts qui se posèrent sur lui. Elle avait l'air tendue sur la chaise, presque aussi immobile que lui.
- Bonjour Mr Malefoy, dit Petronilla Le Fay.
- Bonjour.
Il s'assit maladroitement face à elle, avec ses menottes. C'était surréaliste, comme un rêve. Elle était aussi belle que sur les photos mais elle souriait beaucoup moins et elle avait l'air beaucoup moins heureuse en vrai. Il la contempla, sidéré, attendant qu'elle parle.
- J'ai reçu votre lettre, annonça Petronilla. Je tenais tout d'abord à vous remercier pour toutes les gentilles choses que vous m'avez écrites. Ça me touche beaucoup.
- De… de rien, bafouilla Drago.
- Je… je suis désolée, je vous demanderais bien comment vous allez mais ça semble idiot de vous demander ça alors que nous sommes ici.
- Je vais bien, merci.
- Je suis contente que mes chansons puissent égayer vos journées, même un petit peu.
Il lui sourit, mal à l'aise. Il ne savait pas vraiment ce qu'elle lui voulait et de toute évidence, elle ne savait pas trop comment l'aborder elle non plus. Elle n'avait pas l'air plus à l'aise que lui.
- Vous m'avez envoyé deux textes de chansons. Vous écrivez plutôt bien, j'ai été surprise.
- Merci.
- Vous me dites dans votre lettre que ce sont des chansons d'amour. Celle-ci…
Elle sortit la feuille que Drago lui avait envoyée.
- Celle-ci, vous dîtes que ça parle d'une histoire d'amour malsaine et douloureuse qui se termine.
- Oui.
Il y eut un silence.
- Ce n'est pas de cela que la chanson parle, n'est-ce pas ?
Drago leva les yeux vers elle et ils se fixèrent un instant. Les yeux verts de Petronilla étaient plus grands que d'habitude et le regardaient avec quelque chose qui ressemblait à de l'angoisse. Ils étaient un peu comme ceux de Harry.
- Non, avoua-t-il. Ça ne parle pas vraiment d'une histoire d'amour.
- Et la deuxième ? Celle où le personnage attend son amoureux ou son amoureuse en haut des escaliers.
- Non plus.
Petronilla eut l'air satisfaite et effrayée en même temps. Elle s'avança sur sa chaise et croisa les mains sur la table, d'un geste nerveux.
- Mr Malefoy, je ne m'attendais pas du tout à recevoir cette lettre de vous. Ça m'a… bouleversée de lire vos chansons, à vrai dire. Je suis venue parce que… j'ai une question à vous poser. Je sais que ça risque de vous paraitre déplacé et bizarre mais je voudrais vous la poser quand même.
- Allez-y, dit Drago, curieux.
- Regrettez-vous d'avoir dénoncé Kyle Long ?
Drago pâlit un peu, déstabilisé par la question. Il écarquilla les yeux, les détourna, retira ses mains menottées de la table, comme s'il ne savait plus quoi faire de lui-même.
- Eh bien…
- Vous n'êtes pas obligé de répondre, dit précipitamment Petronilla. Vous ne me connaissez pas, je comprends que… C'est simplement que j'ai vraiment envie d'entendre votre réponse.
- Ce n'est pas moi qui ai dénoncé Kyle, c'est Pansy Parkinson. Si elle ne l'avait pas fait, je n'aurais sans doute jamais parlé.
- Regrettez-vous qu'elle l'ait fait, dans ce cas ?
- Non. Au début, oui mais finalement, non.
- Pourquoi ?
- Parce que ça s'est arrêté. Et parce que ça été libérateur de pouvoir dire à voix haute quel homme était Kyle Long. Même si les gens ne nous croyaient pas, je suis sûr qu'au fond d'eux ils savaient que c'était vrai. Je suis content que tout le monde sache quel monstre c'était.
- Je vois…
Il y eut un silence. Elle ne savait plus quoi dire, elle était mal à l'aise, plus encore qu'au début.
- La deuxième chanson parle de cela, dit Drago. Du sentiment que j'ai éprouvé quand j'ai compris que c'était fini, que Kyle ne recommencerait plus jamais. Ça n'a pas été facile par la suite, vous le savez bien j'imagine mais ce sentiment-là, il était incroyable.
Petronilla hocha la tête, comme si elle le comprenait. Il savait qu'elle le comprenait. Elle décroisa ses doigts et frotta ses mains sur son pantalon, comme pour en essuyer la moiteur.
- J'aime beaucoup vos chansons, Mr Malefoy, dit-elle d'une voix plus assurée. Je serais ravie de les chanter.
- Vraiment ? s'étonna Drago.
- Oui.
Elle sourit légèrement, pour la première fois depuis qu'il était arrivé.
- Je vais chanter vos chansons mais pas tout de suite. J'ai quelque chose à faire, d'abord.
- D'accord.
- Quand ce sera fait, je reviendrai vous voir et nous reparlerons de vos chansons.
- D'accord.
Elle s'en alla comme ça, laissant Drago choqué par cette rencontre des plus inattendues. Il se doutait bien de ce qu'elle devait faire mais il ne pensait pas que tout le monde le saurait aussi.
OoOoOoO
La communauté sorcière fit face à son deuxième gros scandale sexuel en quelques années seulement. Petronilla Le Fay accusait ouvertement son producteur, Sebastian Luke, directeur de la seule maison de disques sorcière existante. Elle disait qu'il avait abusé d'elle pendant plusieurs années, depuis le début de sa carrière. Parfois, il la laissait tranquille pendant des mois puis recommençait. Il lui faisait du chantage, la menaçant de saboter sa carrière si elle disait non. Il contrôlait ce qu'elle chantait, comment elle s'habillait, ce qu'elle mangeait. Il avait fait de sa vie un enfer et elle avait décidé de ne plus le supporter et de ne plus se laisser faire. Elle portait plainte contre lui pour tout le mal qu'il lui avait fait.
Cela choqua tout le monde, bien sûr. Harry suivit l'affaire de près, malgré lui. C'était la chanteuse préférée de Drago et voilà qu'on découvrait qu'elle avait vécu des abus similaires aux siens. Comment Harry ne pouvait-il pas penser à Drago dans ces moments-là ? Il ressentait un élan de sympathie incommensurable pour Petronilla et de la haine pour Luke. Harry craignait que les choses se passent aussi mal que pour Drago mais ce ne fut pas le cas. Il put constater tout d'abord que l'article qui annonçait la plainte avait été publiée dans le Sorcier Libre. Le ton ne laissait aucune place à l'imagination sur ce que le journal pensait de l'attitude de Luke. La Gazette – qui décidément se trompait toujours de combat – essaya de temporiser les choses en rappelant que certains faits évoqués par Petronilla remontaient à des années et que Luke avait quand même fait décoller sa carrière. Le Sorcier Libre répondit en citant d'autres célébrités qui venaient confirmer les dires de Petronilla. Celestina Moldubec, aujourd'hui âgée, expliqua qu'elle connaissait Luke depuis longtemps et qu'à ses débuts à la tête de la maison de disques, déjà, il était réputé pour son comportement déplacé avec les femmes. Le chanteur de Bizarr' Sisters, Myron Wagtail, donna son avis lui aussi : ils dépendaient tous de Sebastian Luke qui contrôlait toute la musique sorcière mais ils ne l'aimaient pas. Myron disait que les accusations de Petronilla le Fay ne le surprenaient pas.
L'opinion du public fut très vite en faveur de Petronilla, sans doute parce qu'elle était appréciée des gens, au contraire de Drago Malefoy. Le collaborateur de Luke le força à démissionner et prit sa place à la tête de la maison de disques, « le temps du procès ». Cela ne se ferait pas tout de suite, bien sûr, il faudrait d'abord enquêter. On en parla beaucoup à la radio et dans les journaux. Petronilla accepta de participer à une émission de radio pour parler du scandale. Il y eut quelques moments de malaise mais globalement, les journalistes ne furent pas trop durs avec elle. Ils furent moins tendres quand ils reçurent Leo Black. Ils accusèrent le journal de dépeindre Luke comme coupable avant même d'avoir attendu le verdict du Magenmagot.
- Bien sûr qu'il est coupable, rétorqua sèchement Black. Croyez-vous vraiment que Petronilla le Fay risquerait de foutre en l'air toute sa carrière si ce n'était pas vrai ?
- Les gens peuvent mentir ou exagérer les choses, ça s'est déjà vu…
- Ah oui, et quand ? Vous aviez l'impression que Drago Malefoy mentait à son procès, quand il tremblait en écoutant le témoignage de l'elfe de maison ? Vous pensez que Petronilla ment aujourd'hui ?
- Non, ce n'est pas ce que je suggérais…
Harry trouvait cela très satisfaisant d'entendre Leo Black défendre Petronilla. Il aurait aimé qu'il défende Drago, autrefois. Harry en voulait toujours à Drago et une partie de lui le détestait encore mais quand il s'agissait des viols de Kyle Long, il était intransigeant. Il était du côté de Drago, quoiqu'il arrive. Il n'était quand même pas assez stupide et cruel pour mélanger son histoire d'amour avec les agressions que Drago avait subies. Il avait bon espoir que justice serait faite, cette fois-ci. Il était évident que Sebastian Luke avait peu de soutien. Il était éminemment riche, certes, mais il n'avait pas que des amis. Le voir chuter de son piédestal plaisait à beaucoup de gens.
Il y eut une soirée, organisée par les Greengrass. Ils aimaient bien recevoir leurs amis et discuter de politique avec des gens qui pensaient comme eux. C'était lors de ces soirées-là que naissaient leurs meilleures idées pour l'avenir. Maintenant qu'il faisait partie du Magenmagot et qu'il était ami avec Agatha, Harry était souvent invité chez eux. Ce soir-là, il retrouva des collègues qu'il connaissait, il y avait Hermione aussi, des journalistes. Harry réussit à se retrouver seul avec Leo Black, ce qui lui avait demandé pas mal de persévérance. Le journaliste l'accueillit en souriant. Ils s'aimaient bien, mêmes s'ils ne se l'étaient jamais dit.
- C'est bien ce que vous faites pour soutenir Petronilla le Fay, dit Harry sans tourner autour du pot. C'est rassurant de voir que certaines choses changent et s'améliorent.
- Ce n'est pas terminé, temporisa Leo. Je doute que Sebastian Luke soit puni à la hauteur de ses crimes.
- Peut-être mais au moins, Petronilla n'a pas à affronter tout cela seule en se faisant cracher dessus par toute la communauté.
Leo Black observa Harry un instant.
- Vous pensez à Drago Malefoy, n'est-ce pas ?
- Dur de ne pas y penser, renchérit Harry d'une voix morne.
Leo but une gorgée du verre de vin blanc qu'il tenait et Harry l'imita. Il ne pouvait s'empêcher de se revoir au procès de Drago, prostré et en pleurs dans le cagibi avec Nestor et Serena. Leo lui avait offert la photo de son baiser d'adieu avec Drago. Il avait encore la photo sans doute, quelque part, il ne savait plus où.
- J'ai un aveu à vous faire, Mr Potter, dit soudain Leo Black.
- Oui ? fit Harry, étonné.
- A l'époque, je… j'avais prévu de soutenir Drago. Pas publiquement, parce que j'étais encore à la Gazette mais dans les coulisses. J'étais dégoûté par Kyle Long, je voulais qu'il paie pour ce qu'il avait fait. J'ai enquêté discrètement à son sujet, j'ai découvert qu'il organisait des soirées de ce genre depuis longtemps et qu'il avait fait du chantage à beaucoup de monde. J'ai découvert les pots-de-vin pour le procès aussi, j'avais des membres du Magenmagot prêts à témoigner contre lui, j'avais Robert Howe, son ancien camarade. J'ai tout donné à Agatha pour qu'elle s'en charge. Nous aurions détruit Long à son procès. Agatha a suggéré que j'aille parler de nos découvertes et de notre plan à Malefoy, Parkinson et les autres, pour les prévenir. J'ai refusé, j'avais peur qu'ils parlent et qu'ils foutent en l'air tout mon travail. Et puis aussi, je n'avais pas vraiment envie de les voir et de les réconforter. Ils représentaient tout de même une idéologie et un monde qui me faisaient horreur. J'étais encore très en colère à l'époque, j'étais encore… plein de haine aussi, parfois. J'ai pensé que Malefoy n'avait pas à savoir et qu'ils verraient bien lors du procès.
Black haussa les épaules, impuissant.
- Nous avons été choqués, Agatha et moi, quand nous avons appris qu'ils avaient tué tout le monde. Je m'en suis voulu et je sais qu'Agatha aussi. Nous aurions dû le leur dire, nous aurions dû leur faire savoir qu'ils n'étaient pas tout seuls et que Kyle n'allait pas forcément gagner. Ça aurait pu empêcher les meurtres, sans doute. Je me suis senti vraiment coupable au procès de Drago quand j'ai entendu l'elfe parler. Je me suis demandé comment j'avais pu être égoïste au point de laisser un jeune garçon supporter cela tout seul. Je souffrais, c'est vrai, mais Drago n'y était pour rien. J'aurais dû le soutenir comme je soutiens Petronilla aujourd'hui. C'est plus facile maintenant que j'ai mon journal et que je suis connu, bien sûr mais tout de même. J'essaie de faire ce qui est juste, maintenant.
Harry regarda le sol, un peu surpris par ce que le journaliste venait de lui dire. Il releva les yeux vers lui et haussa les épaules à son tour.
- Je ne vais pas vous mentir Mr Black, je suis certain que votre soutien, à l'époque, les aurait aidés. Ils n'attendaient que cela, je pense, savoir que quelqu'un allait se battre pour faire condamner Kyle. Vous n'êtes pas responsable de ce qui est arrivé, cependant. Vous avez essayé de les aider, à votre manière et je comprends bien pourquoi vous n'avez pas voulu les aider plus que ça.
- J'aurais pu les aider davantage et je ne l'ai pas fait. C'était nul de ma part. Peut-être n'auraient-ils tué personne si j'étais allé les voir pour les prévenir que j'allais faire tomber Kyle Long. Peut-être Drago ne serait-il pas en prison aujourd'hui mais toujours là, avec vous…
Harry frissonna. Il n'avait pas vraiment envie de penser à ça.
- Je n'en suis pas sûr, dit-il en secouant la tête. Vous savez, en réalité, procès ou pas procès, je crois que Drago aurait tué Long dans tous les cas. C'est comme le Croque Mitaine ou le Grand Méchant Loup, il faut qu'ils meurent à la fin de l'histoire. Même si Long avait été condamné, il n'aurait surement pas été enfermé à Azkaban toute sa vie, il aurait fini par ressortir. Et cette idée était insupportable pour Drago. Il avait besoin que Kyle meure et besoin d'être sûr que le Croque Mitaine ne le retrouverait jamais. Vous voyez ce que je dire ?
- Oui, je vois. Vous avez sans doute raison, vous le connaissiez bien mieux que moi.
Cela faisait bien longtemps que Harry n'avait parlé de Drago à personne et cela lui fit du bien. Il ne pouvait pas en parler à Ron ou à Ginny, bien sûr et il préférait ne pas en parler avec Hermione. Tout le monde, ou presque, avait fait comme si cette histoire n'avait jamais eu lieu et Harry n'osait pas briser l'illusion. Lui-même avait un peu honte d'avoir aimé Drago et d'avoir fait ce qu'il avait fait. Avec Leo Black, toutefois, il n'avait pas honte.
- Ça a dû être dur pour vous, toute cette histoire, dit Leo. Avec Malefoy, je veux dire.
- Oui.
- J'avais été un peu surpris que vous soyez allé l'arrêter vous-même. Je veux dire, c'était très… professionnel et intègre de faire ça. Moi je n'aurais jamais pu, vous savez, arrêter l'homme que j'aimais pour l'envoyer en prison. Je comprends que vous ayez démissionné, après.
Harry fixa Black puis éclata de rire, un rire cynique et amer qui surprit le journaliste.
- Je n'ai jamais arrêté Drago, avoua Harry en reprenant son sérieux. Je suis allé à Munich pour savoir s'il m'aimait vraiment ou pas et, dans le cas où il dirait oui, m'enfuir avec lui. Malheureusement, j'ai été suivi par des Aurors et ce sont eux qui ont arrêté Drago. Nestor Achab m'a fait une faveur en gardant le silence mais j'ai dû démissionner. Vous parlez de culpabilité, imaginez ce que j'ai ressenti, moi.
Leo écarquilla les yeux et regarda Harry avec stupeur. Visiblement, il était surpris mais content aussi, il préférait cette histoire-là.
- Je pensais que vous le saviez, dit Harry. J'avais raconté toute la vérité à votre mère.
- Oh mais vous savez Harry, ma mère et moi avons nos secrets et nous savons respecter les secrets des autres. Vous êtes finalement beaucoup plus romantique et surprenant que je le pensais.
Ils se sourirent. Harry était passé de « Mr Potter » à « Harry » et ça lui plaisait bien. Il ne savait pas comment prendre la dernière remarque de Black mais il décida que c'était un compliment.
- Je maintiens donc que ça a dû être très dur pour vous, plus encore que je le pensais.
- C'est du passé maintenant. J'ai Ginny et Albus, je suis passé à autre chose.
- Oui, tant mieux pour vous.
- Et puis, il y a pire après tout. Drago et moi c'était juste une histoire d'amour loupée. Il y a des choses tellement plus dures… Vous en savez quelque chose, n'est-ce pas ? Perdre des gens qu'on aime, c'est encore plus…
Harry se sentit coupable d'avoir dit ça parce que Leo Black se crispa à côté de lui. Il répondit d'une voix douce cependant, il n'en voulait pas à Harry.
- Oui… Le problème quand les gens meurent, c'est qu'on ne peut plus jamais les revoir. Plus jamais. Et c'est insupportable, hein ?
- En effet, souffla Harry. Mais nous sommes bien obligés de le supporter, pas vrai ?
- Vraiment ? demanda Leo d'une voix lointaine. Vous avez de la chance si vous arrivez à le supporter alors parce que moi, non.
Il sourit à Harry, d'un sourire qui n'avait pas une once de joie en lui. Harry lui répondit. A partir de cette soirée-là, ils devinrent amis.
OoOoOoO
Deux mois plus tard, le procès de Sebastian Luke n'avait toujours pas eu lieu. Le Magenmagot était débordé et il fallait du temps pour rassembler preuves et témoignages. Drago fut toutefois sorti de sa cellule par un gardien qui lui annonça qu'il avait de la visite. Il ne savait pas trop à quoi s'attendre mais il ne fut pas vraiment surpris de se retrouver face à Petronilla Le Fay. Ce n'était pas dans la même salle que la dernière fois. Celle-ci était plus confortable et moins lugubre. Il faisait même chaud.
- Les menottes sont-elles vraiment nécessaires ? demanda Petronilla.
- C'est pour votre sécurité, rétorqua le gardien. Malefoy est un meurtrier, on ne sait jamais ce qui peut lui passer par la tête.
La chanteuse lança un regard dubitatif au gardien, l'air de remettre clairement en cause ce qu'il disait. Il s'en alla sans libérer Drago de ses menottes et les laissa seuls.
- Je ne m'attendais pas à vous revoir si tôt, avoua Drago.
Il avait suivi l'affaire dans les journaux et à la radio. Il avait été content de voir que Petronilla Le Fay était soutenue par la population et par le Sorcier Libre. Ça lui avait brisé le cœur aussi, parce que personne n'avait fait cela pour lui.
- J'ai besoin de m'occuper et de faire quelque chose pour crier tout cela. Ecrire des chansons me semble parfait.
- Quand je vous ai écrit, je ne savais pas que vous aviez vécu tout cela.
- Le hasard fait bien les choses parfois, dit Petronilla en souriant.
Elle avait une petite valise qu'elle posa sur la table devant elle et qu'elle ouvrit délicatement. Elle en sortit un clavier de piano, sous le regard excité de Drago. Elle dut le voir car elle sourit à nouveau.
- J'ai réussi à négocier trois visites de trois heures avec vous lors desquelles nous pourrons travailler.
- Trois visites de trois heures ? répéta Drago, abasourdi. Comment avez-vous fait ?
- J'ai promis au directeur d'Azkaban de venir chanter à l'anniversaire de sa fille.
Petronilla eut un regard espiègle et Drago rit.
- Est-ce que j'ai vraiment le droit de travailler avec vous alors que je suis en prison ?
- Le directeur s'est posé les mêmes questions, admit Petronilla en haussant les épaules. Mais aucune loi ne l'interdit clairement donc… Ils n'ont jamais dû penser que cela pourrait arriver. Les sorciers ne pensent pas à grand-chose.
Elle dit qu'elle voulait travailler sur les deux chansons qu'il avait envoyées. Elle avait eu des idées de mélodies, depuis. Elle avait des choses à lui proposer. Pour la première chanson, elle désirait modifier quelques paroles pour mélanger à la fois son expérience à lui et son expérience à elle. Drago accepta sans hésiter. Pour la deuxième, elle ne racontait que l'histoire de Drago mais Petronilla voulait bien la chanter.
- Toutes mes chansons ne parlent pas de mes expériences, loin de là. Ça ne me dérange absolument pas de chanter votre histoire.
Ils réécrirent la chanson ensemble pour que Petronilla puisse exprimer ce qu'elle ressentait. Elle était douée pour composer de la musique, moins pour écrire des paroles. Drago l'était, comme il put en avoir la confirmation. Petronilla jouait sur son piano en chantonnant plus ou moins les paroles, ça marchait bien. Drago se rendit compte qu'il adorait faire ça.
Franck fut heureux pour lui et Drago comprit qu'il n'avait jamais réellement cru qu'il pourrait écrire pour Petronilla Le Fay. Il avait proposé cela pour la blague, pour pimenter les choses. Il était donc fier de Drago et un peu sidéré que la blague soit allée aussi loin. Drago, lui, passait son temps à penser à de nouvelles paroles ou à fredonner ce qu'ils avaient écrit.
A la deuxième session, le gardien enleva les menottes de Drago. Petronilla l'avait demandé au directeur. Elle le laissa jouer du piano et il en eut des frissons. Il avait perdu de son adresse mais il savait que cela reviendrait vite s'il s'y remettait. Quand il sortirait d'Azkaban, il achèterait un piano. C'était la première fois qu'il avait une pensée de ce genre et qu'il envisageait un « après ». Petronilla lui expliqua que l'amour n'était pas vraiment sa tasse de thé. Elle avait des amis, beaucoup, elle adorait ses frère et sœurs, mais elle n'était jamais amoureuse.
- Le problème c'est que les gens aiment les chansons d'amour. Si tu as des idées sur ce thème-là, n'hésite pas.
Ils se tutoyaient maintenant.
- J'en ai quelques-unes, avoua Drago.
Il en avait plein. Petronilla aimait ses idées. En fait, ils s'entendaient très bien. Il aimait les hommes et elle préférait les femmes et n'aimait personne, ils savaient donc qu'il n'y aurait jamais de malaise entre eux. Ils avaient un traumatisme similaire qui trainait dans la pièce et qu'ils évoquaient régulièrement. Ils n'avaient pas besoin de faire de longues phrases compliquées pour se comprendre, ils savaient bien. Ils parlèrent du procès à venir, lorsqu'ils firent une pause. Petronilla avait peur de ce procès, il ne pouvait que la comprendre. Il lui raconta que ses amis et lui étaient tellement terrifiés à l'idée du procès de Long qu'ils avaient préféré les tuer avant, pour qu'il n'y en ait pas.
- Si le Magenmagot avait déclaré Kyle innocent, ça aurait été comme un autre viol, je ne l'aurais pas supporté.
- C'est aussi ce que je ressens.
A la fin de leur troisième session, ils avaient écrit cinq chansons ensemble. Petronilla assura qu'il pouvait lui envoyer d'autres textes s'il le désirait, elle essaierait de trouver des mélodies. Elle regrettait de ne pas pouvoir faire cela comme il fallait, dans un studio, avec du temps devant eux. Elle était frustrée. Elle s'était débarrassée des gens qui travaillaient avec elle depuis le début, parce qu'ils étaient amis avec Luke et qu'elle ne voulait plus les voir. Elle aurait apprécié que Drago puisse réellement travailler avec elle sur la composition de ses chansons, dans des conditions plus adéquates. Il était touché, il en crevait d'envie aussi. Pour la première fois depuis longtemps, il souffrit véritablement d'être en prison et son besoin de sortir d'ici le rendit un peu fou, pendant quelques temps.
- Il y a un point que je suis obligée d'aborder, dit Petronilla avant de partir. J'espère que tu ne seras pas vexé mais je n'ai pas très envie de mettre ton vrai nom dans les crédits des chansons. Tu es en prison et j'ai peur de la réaction des gens, je ne voudrais pas qu'on m'accuse de collaborer avec… un criminel ou ce genre de choses. Désolée.
- Je comprends. De toute façon, je ne suis pas sûr de vouloir que les gens sachent que c'est moi.
- Trouve-toi un pseudo alors.
Il prit la feuille pleine de ratures et de notes sur laquelle ils avaient réfléchi à leur dernière chanson et écrivit D. Black.
- Ils ne penseront jamais que c'est moi mais en même temps, si un jour ça se savait, je préfère montrer que j'assumais ce que je faisais.
- Oui, ça me va.
Elle s'en alla, en promettant de lui écrire et de revenir lui rendre visite pour lui raconter le procès et l'avancée de l'album. Il avait hâte de la revoir et d'entendre les versions finales des chansons avec les arrangements et les autres instruments. C'était excitant, ça le rendait heureux. Il avait moins hâte du procès mais il ne pouvait rien faire de plus pour elle.
Il écrivit d'autres chansons et les envoya à Petronilla. Elle lui avait demandé un thème en particulier et il y avait travaillé. Elle lui répondit en envoyant une enveloppe magique qui faisait de la musique quand il l'ouvrait, avec la démo de sa chanson. C'était grisant. A l'approche du procès, il arrêta de penser aux chansons, il était sûr qu'elle aussi. Elle vint le voir, la veille, sur un coup de tête. Elle avait besoin de parler avec quelqu'un qui était déjà passé par là et qui savait ce qu'elle ressentait. Elle était terrifiée, il le voyait. Il ne savait pas vraiment quoi lui dire pour la réconforter. Qu'aurait-il aimé qu'on lui dise, lui, à l'époque ? Il ne savait plus.
- Quoi qu'il arrive, déclara Drago, n'oublie pas qu'il ne te touchera plus jamais et que tu es libérée de ça.
Sebastian Luke fut reconnu coupable d'une partie des accusations de Petronilla. De nombreux faits remontaient cependant à longtemps, d'autres étaient plus durs à prouver. Quant au fait qu'il l'ait rabaissée, insultée, menacée, humiliée et dénigrée pendant des années, le Magenmagot n'avait pas vraiment de pouvoir là-dessus. On n'envoyait pas des gens en prison simplement parce qu'ils se comportaient comme des connards. Il fut condamné à quinze mois de prison et ce fut terminé.
- C'est très peu, dit amèrement Drago quand Petronilla vint le voir dès le lendemain.
- C'est presque insultant mais je préfère me dire qu'au moins, il a été reconnu coupable et que personne ne peut remettre ça en doute. J'ai quand même gagné le procès, même si j'aurais aimé gagner de façon bien plus spectaculaire.
- Je sais.
- Tu l'as vu ?
- Oui.
- Harry Potter a été assez virulent pendant le procès, dit Petronilla pour changer de sujet. Il rembarrait chaque tentative de défense pathétique de Luke. C'était clair qu'il n'avait aucune pitié pour lui. Potter a semblé dégouté par le verdict. De toute évidence, il l'aurait condamné à plus s'il l'avait pu.
- Harry est membre du Magenmagot ? s'étonna Drago.
- Oui, tu ne savais pas ?
Il fut heureux de savoir que Harry avait défendu Petronilla et s'était montré dur envers Sebastian Luke. Quant à ce fumier, Drago l'avait regardé pénétrer dans le réfectoire pour la première fois, plein de haine et de dégoût. Luke fit profil bas les premiers jours. Il ne connaissait pas grand monde, il n'était pas vraiment dans son élément à Azkaban. Il finit par se faire des camarades, toutefois, avec qui il bavardait lors des repas. Drago s'assit non loin d'eux, une fois, pour écouter de quoi ils parlaient et ce qui les faisaient rire. Luke se défendait, disant qu'il n'y était pour rien.
- Elle était d'accord au début, c'est moi qui ai construit sa carrière ! Mais elles sont toutes pareilles, dès qu'on se met à préférer quelqu'un d'autre elles pètent les plombs. C'était juste une vengeance, je n'ai rien fait.
Les hommes semblaient le prendre en pitié et hochaient la tête en marmonnant que oui, toutes pareilles, toutes des salopes, on ne pouvait pas leur faire confiance. Drago se sentit froid. Il pouvait se rappeler les remarques méprisantes que Long lui faisait, les mensonges qu'il avait déclarés aux journaux. Ça le rendait fou. Il suivit Luke dans les douches, dépassant la queue sans que personne ne lui dise rien. On avait compris, depuis que Drago avait tailladé Rabastan Lestrange, qu'il valait mieux ne pas le faire chier. Drago entra dans la cabine de douche derrière Luke qui se retourna, surpris. Il reconnut Drago et il y eut un éclat de peur dans ses yeux.
- Qu'est-ce que tu…
Drago attrapa Luke par les cheveux et lui cogna violemment le visage contre le mur humide de la douche. L'autre poussa un gémissement de douleur et de sidération, portant la main à son nez ensanglanté.
- Ne parle plus d'elle de cette façon, dit Drago. Ne parle plus d'elle du tout, en fait. Tu as quinze mois à passer ici alors ferme ta gueule et essaie de te faire oublier. Si je t'entends encore dire des choses qui me déplaisent, ce sont tes couilles que j'éclate contre le mur. C'est clair ?
- Oui, souffla Luke.
Sebastian Luke faisait partie de ces lâches qui maltraitaient les plus faibles qu'eux mais qui s'écrasaient devant des plus forts. Il n'essaya pas de provoquer Drago ou de se défendre. Drago ne l'entendit plus parler de Petronilla et il cessa de rire bêtement avec ces amis débiles. C'était tant mieux.
OoOoOoO
Albus avait un an maintenant. Il aurait été exagéré de dire qu'il faisait la joie de son père. La joie était un sentiment que Harry ne ressentait presque jamais. Il aimait voir les progrès de son fils, il aimait le regarder sourire et lui tendre des jouets. Il aimait lui raconter des histoires et le serrer dans ses bras. Pour autant, il ne pouvait pas dire que ça le rendait heureux. Il y avait eu du bonheur au début, ou du moins, il avait essayé de le croire. Finalement, sa vie était redevenue morne et grise, comme avant. Il se forçait à sourire pour Ginny et à avoir l'air plus en vie qu'il ne l'était. Il n'y avait que pour Albus qu'il souriait vraiment.
Ginny était passionnée par son travail, occupée, dynamique et joyeuse. L'inverse de lui. Il s'appuyait sur elle, essayait d'aspirer un peu de sa vie et de sa joie, comme un parasite. Il n'y arrivait pas. Il espérait qu'il faisait illusion, qu'elle ne voyait pas trop le vide dans ses yeux et l'absence totale d'enthousiasme qu'il ressentait pour tout ce qui l'entourait. Il espérait qu'elle n'en souffrait pas. Il faisait des efforts, il faisait ce qu'il pouvait mais il n'arrivait pas à changer. Il détestait travailler au Magenmagot, tout compte fait. Il détestait être obligé de décider du sort de gens inconnus, il détestait voir de l'intérieur toutes les injustices qui existaient dans leur monde.
Harry s'échappait régulièrement de sa vie quand il le pouvait, quand il savait qu'Albus était chez Molly Weasley et qu'il n'avait pas besoin de rentrer trop vite. Il transplanait à Pré-au-Lard et allait boire une bière avec Abelforth. Quand il le pouvait, Hagrid les rejoignait. Ni Abelforth ni Hagrid n'avaient de femme ou d'enfant et Harry trouvait cela réconfortant. Il pouvait oublier pendant quelques temps qu'il avait l'un et l'autre, lui, et que ça ne le rendait finalement pas heureux. Hagrid parlait de Poudlard et Harry écoutait ces histoires d'un autre monde. Abelforth bougonnait, contre les clients, le froid, les nouvelles lois du Ministère qui l'obligeaient à nettoyer davantage son auberge. Il vieillissait et il n'allait plus très bien. Il refusait d'embaucher quelqu'un, il voulait qu'on lui foute la paix.
- Je compte bien mourir ici, au comptoir, disait-il dans sa barbe. Et que personne ne vienne me faire chier.
Hagrid semblait affolé par ce genre de discours mais Harry comprenait parfaitement Abelforth. Il hochait la tête, il buvait sa bière, puis il rentrait chez lui. Là, il retrouvait son fils et sa femme et il se demandait ce qui clochait chez lui. Il aimait Ginny, ça n'avait pas changé. Pourtant, son cœur ne battait plus comme avant, il ne riait plus comme avant à ce qu'elle disait et sa présence n'illuminait plus sa vie comme avant. Il se remit à faire des crises mais il les cachait, se débrouillant pour s'enfermer dans la salle de bain et prendre sa potion tout seul. Il se disait parfois qu'il avait été bien stupide de croire que l'amour allait le guérir de ses souffrances. On le saurait depuis longtemps si les choses étaient aussi simples. Malheureusement, il ne suffisait pas de se marier pour sortir d'une dépression. Les illusions romantiques du début, quand l'autre est tout pour nous, quand il y a du désir, de la passion et des papillons dans le ventre, tout cela avait éclairé la vie de Harry pendant un temps avant de s'évanouir doucement sous l'usure de la routine. Et Albus, bon sang, il l'aimait aussi ! Mais ce n'était surement pas un bébé qui allait le sauver de sa dépression non plus. Harry n'aimait pas sa vie et plus encore, il se détestait lui-même de ne pas l'aimer.
Harry était à son bureau, comme d'habitude. Il partageait normalement la pièce avec Agatha mais elle n'était pas là pour l'instant. Harry relisait des dossiers, mettant de côtés ceux dont il n'avait plus besoin et pourrait ranger. Qu'il pourrait donner à leur assistant pour qu'il les range, pour être exact. Il avait allumé la radio, il pouvait parfaitement trier ses papiers en écoutant d'une oreille distraite les chansons qui passaient.
- Et maintenant, le nouveau titre de Petronilla Le Fay. Six mois après le procès de Sebastian Luke, la chanteuse revient avec un titre qui lui tient tout particulièrement à cœur. Comme elle a pu le dire dans l'Emission « Salut les sorciers » de jeudi, cette chanson parle de ce que Petronilla a subi avec Luke. La chanteuse a affirmé qu'elle n'avait nullement l'intention de cacher ce qu'elle ressentait et qu'il était important pour elle de parler de tout cela. Tout de suite, donc, Regarde, le dernier titre de Petronilla Le Fay.
Harry avait délaissé ses documents pour écouter. Il se sentait lié à cette chanteuse, malgré lui. Il avait participé au procès et il avait été furieux que Luke s'en sorte aussi bien. Il avait donc envie d'entendre ce que Petronilla allait chanter et à quoi ressemblerait sa chanson sur les souffrances qu'elle avait endurées. Il se demanda une seconde si Drago entendrait cette chanson un jour et ce qu'il en penserait. Harry augmenta le son de la radio et écouta la jolie voix de Petronilla retentir dans la pièce.
Allongée sur le sol
Sur le tapis que tu m'as obligée à tisser
Je sens ton poids sur moi qui m'étouffe et m'empêche de parler.
Un jour, je le sais, je réussirai à me lever.
Ta voix dans ma tête et tes mains sur ma peau, je les ferai disparaitre.
Harry jeta un coup d'œil étonné au poste de radio. Drôle cette allusion à un tapis tissé. Il pensa à Drago, il ne pouvait pas s'en empêcher. Où était son tapis d'ailleurs ? Au grenier ? Pour le refrain, la voix de Petronilla se faisait plus assurée.
Une dernière fois j'ai murmuré ton nom et je t'ai dit adieu.
Où que tu ailles, où que tu sois, pense à moi, regarde-moi.
Je suis en vie et je suis libre,
Regarde, je continue sans toi.
Tu m'as beaucoup menti
Tu disais que je t'appartenais et je t'ai cru
Que sans toi, je n'étais rien, que personne ne me croirait jamais.
Mais j'ai trouvé quelqu'un qui m'a crue.
Je lui ai dit « Touche-moi jusqu'à ce que mon corps ne se souvienne plus que de toi ».
Harry fixa le poste de radio et laissa le refrain recommencer sans l'écouter. C'était… vraiment ce que Drago lui avait dit, il s'en souvenait parfaitement. Les moments partagés avec Drago avaient été trop courts, trop intenses et trop peu nombreux pour qu'il les oublie. Il avait oublié certains détails, évidemment, mais pas ce soir-là, quand ils s'étaient dit qu'ils s'aimaient. Harry n'écouta pas la fin de la chanson, perturbé par les coïncidences des paroles. C'était quand même étrange que Petronilla parle de tapis tissé et sorte cette phrase. Harry devait être fou ou totalement paranoïaque, il ne savait plus quoi penser.
Deux semaines plus tard, il alla acheter l'album de Petronilla Le Fay, dès sa sortie. Il le ramena chez lui et s'enferma dans la bibliothèque. Ginny allait passer la soirée au journal, il y avait un événement important, Harry avait oublié quoi. Albus dormait sous la surveillance de Kreattur, personne ne le dérangerait. Harry retourna prudemment la pochette du disque vinyle pour y lire les titres et les crédits des chansons. Le titre « Regarde » avait été écrit par deux personnes, Petronilla Le Fay et D. Black. Harry fixa le nom, en essayant d'ignorer les picotements sous sa peau. Il mit le disque dans son tourne-disque magique, bien décidé à l'écouter. Il y avait douze chansons sur l'album dont sept qui avaient été écrites par D. Black. Harry voulait être certain de son intuition, certain de ne pas être complètement fou. Il s'assit dans le fauteuil et lança le disque, tendu. La première chanson, il l'avait déjà entendue, c'était Regarde. La deuxième n'avait pas été écrite par D. Black et ne lui évoqua rien. La troisième, La lettre, était de D. Black.
Bonjour, comment vas-tu ? Cela fait longtemps, je sais.
J'ai hésité avant d'écrire cette lettre mais j'avais des choses à te dire.
J'ai entendu ta voix à la radio, l'autre jour. J'avais oublié à quoi elle ressemblait.
Tu as dit mon nom, j'avais oublié ce que ça faisait d'entendre mon nom dans ta bouche.
Tu es devenu la personne que tu devais être j'imagine, puissante et respectée.
Moi je n'ai pas bougé, tu t'en doutes. Je suis toujours là où tu m'as laissée.
Je sais que c'est moi qui t'ai quitté et que c'est moi qui ai tout gâché.
Est-ce que tu m'en veux ? Est-ce que tu m'as pardonné ?
Bonjour, comment vas-tu ? Cela fait longtemps, je sais.
J'ai hésité avant d'écrire cette lettre mais j'avais des choses à te dire.
J'ai appris que tu t'étais marié, je l'ai lu dans les journaux.
J'espère que tu es heureux. Tu le seras sans doute plus qu'avec moi.
Je comprends pourquoi tu l'as choisie, flamboyante comme le soleil
Quand j'étais froide et sombre comme un serpent.
Je savais que tu ne m'attendrais pas et j'ai tout fait pour que tu partes
Mais tu vois, c'est quand même aussi douloureux que je le pensais.
Bonjour, comment vas-tu ? Cela fait longtemps, je sais.
J'ai hésité avant d'écrire cette lettre mais j'avais des choses à te dire.
Là où je suis, c'est toujours petit, humide et froid.
J'ai pris des coups, j'ai même pris plus que ça. Je suis morte un peu, je crois.
Finalement, je suis contente que tu n'aies jamais vu ça.
Je t'ai écrit des dizaines de lettres que j'ai jetées, où je dis toujours la même chose.
Je dis que tu me manques et que je n'ai rien oublié de ce que vous avons vécu.
Je dis que je t'aime et, crois-moi ou non, je dis que je suis désolée.
La chanson pouvait parler de n'importe qui et de n'importe quoi mais Harry eut le sentiment violent que cette « lettre » était pour lui. La pire de toutes fut la sixième chanson de l'album, qui s'appelait Dans les escaliers. Elle commençait par un rythme plutôt joyeux et entrainant sur lequel on pourrait danser. Plus la chanson avançait, cependant, plus Petronilla poussait sa voix, avec un désespoir qui devenait évident à la fin. C'était le genre de chanson dont l'intensité montait au fur et à mesure. Harry lui, savait qu'il n'y avait absolument rien de joyeux dans cette chanson.
Monte les escaliers mon amour,
Monte plus vite.
Cours dans les escaliers mon amour.
Viens avant que je me déchire en mille morceaux.
Je ne peux pas bouger,
Corde autour des poignets.
Je t'attends en haut, le cœur en lambeaux.
Ouvre la porte et arrête le cauchemar.
Chasse le monstre du lit et détache-moi.
Il n'y a plus de peur quand tu es là.
Monte les escaliers mon amour,
Monte plus vite.
Cours dans les escaliers mon amour.
Viens avant que je me déchire en mille morceaux.
Les rideaux claquent à la fenêtre,
C'est la fête en bas.
Je t'en prie, fais cesser les cris et rejoins-moi.
Tes yeux dans mes yeux, enfin.
J'ai perdu quelque chose sur les lattes du parquet
Aide-moi à le retrouver.
Monte les escaliers mon amour,
Monte plus vite.
Cours dans les escaliers mon amour.
Viens avant que je me déchire en mille morceaux.
Toi et moi au sommet de la tour
Ta main sur mon bras
Il n'y a plus de fête ni de cris en bas.
Tout tourbillonne autour de moi
Honte, nausée, fièvre, je ne sais pas.
Pitié, emmène-moi loin de là.
Monte les escaliers mon amour,
Monte plus vite.
Cours dans les escaliers mon amour.
Viens avant que je me déchire en mille morceaux.
Harry écouta la chanson plusieurs fois, pour être sûr de ne pas être fou. Il ne l'était pas cependant, il le savait. La chanson racontait exactement le jour fatidique où Harry, Auror, était entré dans la chambre de Kyle Long et avait libéré Drago. Il n'avait aucun doute là-dessus, tout comme il n'avait aucun doute sur le fait que D. Black soit Drago lui-même. Il ne savait pas comment c'était possible et comment Drago s'y était pris mais il était sûr de lui. Et il le détestait, de tout son être, sans trop savoir pourquoi. Il le détestait d'avoir écrit ces chansons, il le détestait de lui dire qu'il l'aimait. Il détestait imaginer Drago l'appeler avec désespoir « Monte les escaliers mon amour », ça le rendait dingue. Il détestait le fait que tout cela lui fasse quelque chose.
Et il n'avait vraiment pas de chance parce que le titre Dans les escaliers devint un tube. Il passait perpétuellement à la radio, il passait dans les cafés, dans les boutiques et dans les fêtes. On dansait sur la chanson, on la chantait à tue-tête. Et Harry, lui, c'était son cœur qu'on piétinait. Pourtant, il connaissait les chansons par cœur, toutes celles qui parlaient de lui. Il les avait écoutées en boucle. Il ne savait pas exactement ce qu'il en pensait, il ne savait même pas pourquoi il était tellement furieux. Pourquoi ça gonflait une boule dans son ventre et dans sa gorge. Au fond, il était furieux parce que Drago l'obligeait à repenser à lui alors qu'il n'en avait aucune envie. C'était cela qui bouleversait Harry, ce retour inattendu et indésirable de Drago dans sa vie. Il hésita à se rendre à Azkaban pour voir Drago et lui ordonner d'arrêter ça, lui ordonner de fermer sa gueule et de ne plus déranger sa vie. Finalement, il n'y alla pas, il avait un peu peur de ce qui pourrait se passer. Il laissa donc le temps se charger de tout, comme il savait si bien le faire. D'autres chanteurs sortirent des albums et on entendit moins les chansons de Petronilla. Il arrêta d'y penser et la vie reprit son cours. Une nouvelle rancune en plus.
OoOoOoO
Les chansons de Drago avaient eu du succès, il le savait. Il les entendait à la radio, il avait lu les critiques dans le journal. Il en ressentait une fierté presque insupportable. C'était peut-être la première chose vraiment bien qu'il avait faite dans sa vie, il n'était pas habitué à ce sentiment. Il ressemblait beaucoup à ce qu'il éprouvait autrefois, en terminant un tapis. Il savait que Petronilla était actuellement en tournée et se présentait sur scène, le soir, pour chanter avec des centaines de fans les chansons que Drago et elle avaient écrites. Il aurait donné n'importe quoi pour voir ça et il souffrait plus que jamais d'être enfermé ici. Petronilla lui écrivait pour lui raconter les concerts, n'hésitant pas à donner des détails pour qu'il puisse avoir l'impression, même infime, d'être avec elle. Il lui en était reconnaissant.
Et tandis qu'elle chantait sur scène, avec les lumières et les cris dans fans, il était là, lui. Dans sa cellule trop petite qui le rendait cinglé, avec Franck qu'il adorait mais qui était un peu trop présent parfois, avec son père qui ne voulait pas de lui et sa mère qui ne le comprenait pas. Ils avaient maintenant la possibilité de sortir de leur cellule comme ils le voulaient pendant une heure chaque jour, d'aller rendre visite à leurs voisins de cellule, de déambuler dans les couloirs, de s'asseoir sur les tables du réfectoire pour bavarder. Les gardiens surveillaient attentivement et étouffaient le moindre débordement. Drago profitait rarement de ce moment, il n'avait personne à aller voir. Il se promenait dans les couloirs, parfois, pour se dégourdir les jambes. Il était seul et prisonnier, comme un animal en cage. Il descendait et remontait les escaliers en courant, pour se dépenser et se fatiguer. Il disait à Clia qu'il avait peur de devenir fou et elle le rassurait.
- Tant que vous avez peur d'être fou, c'est que vous ne l'êtes pas encore.
Il n'était pas sûr que ça le consolait.
