Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur
: Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Aphrodite, Angelo x Shura.
Rating : T
Note : Bonjour à tous. Merci pour votre présence, votre fidélité, vos reviews et vos ajouts, ainsi que les échanges que nous avons en MP pour certains.

Merci Athéna pour ton commentaire et le temps accordé. Je suis contente que ce 9e chapitre t'aie plu. Pour la suite, après ce long chapitre sur Shura et Angelo, il y en aura un autre sûrement coupé en deux plus général, où la situation de Aiolia et de Saga sera abordée. J'ai deux ou trois autres chapitres écrits également, et tout n'est pas figé, le reste dépend aussi de mon inspiration et de mes échanges avec vous, les lecteurs.

Merci Mini-Chan pour ta review et ta grande patience et ta compréhension. Voici donc la chapitre tant attendu et j'espère qu'il sera à la hauteur de tes espérances !

Petite précision sur la chronologie de ma fic et des événements à partir des infos officielles et canons :

D'après l'oeuvre :
3 Mars 1987 : Bataille des Douze maisons
3 avril : Guerre contre Poséidon
5-6 Avril 1987 : Guerre sainte contre Hadès
Dans ma fic :
Octobre 1987 : résurrection des Chevaliers.
Octobre 1988 : un an après leur retour à la vie, chapitre 1 jusqu'au début du chapitre 2.
Mars-avril 1989 : partie 2 du chapitre 2 jusqu'au chapitre 9
Ce chapitre 10 prend place dans les cinq mois éclipsés du chapitre 2, soit en janvier 1989.

On repart quelques mois en arrière pour revenir sur la mise en couple de Shura et Angelo.
Saga et Aioros ne se sont donc pas encore retrouvés et Aioros est loin du Sanctuaire.

Bonne lecture !


Le Fil rouge du Destin.

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Chapitre Dix.
L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme. Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux. Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux
(Jean Racine)

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Grèce, Sanctuaire,
Maison du Capricorne

10 janvier 1989

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Le générique de fin du film se mit à défiler, et Shura écouta la musique une dizaine de secondes, avant d'éteindre la télé.

Aphrodite avait été le premier à s'endormir, puis Angelo, un petit quart d'heure plus tôt. Ils étaient tous les trois fatigués, mais Shura avait tenu jusqu'à la fin.
Heureusement qu'elle n'avait pas tardé, il avait atteint sa limite.

Il avait mis son canapé trois places en mode lit, pour leur soirée télé.
Ils n'avaient pas à bouger pour aller se coucher, de cette façon.

Enfin, c'était ce qu'il avait prévu, mais entre-temps, il s'était retrouvé à côté d'Angelo et il ne voulait surtout pas dormir aussi près de lui.

Trop dangereux.

Mais Shura ne se sentait pas le courage de se lever et d'aller jusqu'à sa chambre, puis son lit, alors il se raisonna et se rassura : tout se passerait bien.

Après avoir but une dernière gorgée d'eau, le Capricorne s'installa plus confortablement sous le drap qu'il partageait avec ses amis.
Le sommeil commençait doucement à l'emporter, lorsqu'il sentit Angelo se coller à lui et poser sa tête sur son épaule, le nez contre son cou.

Il ne put retenir un frisson.

Ce n'était évidemment pas la première fois qu'ils dormaient tous les trois ensemble.
Mais Shura veillait toujours à ce qu'Aphrodite soit placé entre Angelo et lui, justement pour éviter tout contact avec l'homme qu'il aimait en secret depuis tant d'années.

Il lui était impossible de passer une bonne nuit si cela arrivait, car il avait bien trop peur de perdre le contrôle et d'avoir un geste inapproprié dans son sommeil, qui le trahirait.

Aussi, ne pouvait-il s'autoriser à dormir.

C'était déjà arrivé une fois.
Shura s'était réveillé pratiquement enroulé autour du bras d'Angelo.

Fort heureusement, ses deux amis étaient encore plongés dans leur sommeil, il avait eu le temps de se dégager et de se recomposer une expression neutre.
Et de reprendre ses esprits.

Shura s'était donc promis que cela n'arrivait plus jamais.

C'était sans compter Aphrodite.

Profitant d'une pause ravitaillement d'Angelo, le Poissons perfide s'était décalé à la dernière seconde à son retour, amenant ainsi le Cancer à se réinstaller entre eux.
N'ayant aucune raison valable de demander à Angelo de réinvestir sa place initiale, Shura savait qu'il n'accepterait pas et pourrait même se vexer, vu sa susceptibilité.

Il ne voulait pas gâcher leur soirée, alors il avait pris sur lui.

Sa décision de ne pas rejoindre sa chambre, finalement, lui avait paru sans grand risque, sur le moment.
Une pensée pour le moins étrange, alors qu'il avait été si précautionneux, jusque-là.

Shura avait un mode de fonctionnement simple : à chaque situation correspondait une action. Une fois qu'il avait décidé laquelle, il s'y tenait sans dévier, sauf intervention extérieure plus valable que sa propre réflexion.

Douter au moment d'agir signifiait que quelque chose n'avait pas été réfléchi correctement.
Là, c'était clairement son manque d'entrain pour le moindre effort qui avait prévalu sur sa prudence habituelle, qui avait conduit à cette désastreuse situation.

Cependant, Shura n'avait pas imaginé un seul instant que le contact redouté serait initié par Angelo.

Il prit quelques secondes coupables pour le savourer, ressentir sa peau nue contre la sienne, son corps contre son flanc, son bras posé nonchalamment au travers de son ventre, sa respiration chaude contre son cou.

Le visage baissé, Shura inspira longuement entre les mèches d'argent qui le chatouillaient délicieusement, s'enivrant de l'odeur de son shampoing mêlée au tabac.
Le cœur du Capricorne battait si fort qu'il l'entendait résonner à ses tempes.

Il sentit rapidement que son corps commençait lui aussi à réagir, alors il se résolut à cesser cette douce torture.
Il leva sa main pour la poser sur l'épaule d'Angelo et le repousser délicatement.

- Ang…

- Amore mio… murmura soudain le Cancer en se pressant encore contre lui.

Une lame glacée traversa Shura de part en part et le figea dans son élan, la main au-dessus de son épaule.

Les lèvres d'Angelo qu'il avait senti remuer contre son cou, son souffle brûlant qu'elles avaient laissé passer, le frottement de leurs peaux nues, et ces mots rêvés, mais qui ne lui étaient pas adressés…

C'était douloureux au possible.

Shura serra les poings et les mâchoires, repoussa la douleur loin en lui, dans un endroit inaccessible aux autres, où il avait déjà enfermé tant de choses, pensées, rêves, souvenirs et sentiments mêlés.

Il se dégagea et secoua Angelo pour le réveiller.

- Quoi ? grommela le Cancer sans ouvrir les yeux.

- Aphrodite est de l'autre côté, indiqua Shura à voix basse. Sur ta droite.

Angelo revint se presser contre lui en marmonnant de manière inintelligible.

- Angelo… l'appela doucement ce dernier, au supplice.

Un nouveau grognement fut tout ce qu'il obtint pour réponse.

- Je suis pas Aphrodite.

- Comme si j'pouvais confondre…

C'était un aveu du Cancer, en vérité, mais bien évidemment, Shura le comprit a l'envers et le prit de la pire façon possible.

Il trouva cela cruel.
Vraiment.

Il ne savait pas si Angelo était conscient de ses actes et de ses mots ou non, ni même s'il réalisait le mal qu'il lui faisait.
Pas plus qu'il n'arrivait à savoir comment réagir face à son comportement.

Le Capricorne était pragmatique, c'était un homme d'action.
Alors, à défaut de réagir, il agit.

Avec plus de fermeté, cette fois-ci, il écarta Angelo et se leva.
Celui-ci râla, les yeux à moitié fermés levés vers Shura.

- Reste-là…

- Bonne nuit, Angelo, répondit-il avant de se détourner, raide et fermé.

Et de rejoindre sa chambre.

Lorsqu'il entendit la porte de celle-ci se refermer, Angelo jura et se laissa aller sur le dos, les yeux grand ouverts rivés au plafond.

*Bravo pour ta subtilité, fit remarquer Aphrodite en pensées, désapprobateur, en se tournant vers lui.

Tu dormais pas, toi ?

Tu sais très bien que j'ai le sommeil léger.

Sauf quand je t'épuise.

Là, tu me fatigues clairement. Sérieusement, Angelo…

Me fais pas de leçon, j'suis crevé.

Et énervé contre toi-même, ce qui est le minimum. Qu'est-ce qui t'a pris, pourquoi tu t'es ravisé ?

Qu'est-ce que tu racontes ?

J'ai parfaitement entendu ta déclaration.

Tch... C'en était pas une.

Première nouvelle !

J'te le jure, Beauté, c'était tout sauf voulu.

C'est-à-dire ?*

Angelo grinça des dents et lui tourna le dos.
Alors Aphrodite posa son menton sur son épaule.

*Je suis là pour toi, Angie. Parle-moi. Pourquoi tu lui as dit ça, si tu ne comptais pas aller au bout et assumer ?*

Le Cancer ne répondit rien pendant un moment, mais comme il n'avait pas fermé son esprit ni coupé leur lien télépathique, Aphrodite patienta.

*Ça m'a échappé, avoua-t-il enfin. Michia !*

Sous le coup de l'étonnement, le Douzième gardien ne releva pas sa grossièreté.
Il aurait lui-même bien pu laisser échapper un même « putain de merde ! » bien senti.

Car en effet, s'il connaissait la crainte de Shura de ne pas se contrôler en dormant près d'Angelo, il n'avait jamais imaginé que ce put être réciproque.
Bien évidemment qu'il était sensible à sa présence, mais au point de perdre le contrôle ?

Vraiment ?

Ces deux Chevaliers qui faisaient ordinairement preuve d'un grand sang froid et d'un self-control extraordinaires, se retrouvaient complètement démunis, face à la profondeur de leurs sentiments respectifs et de leur attirance mutuelle.

Il ne s'agissait même pas de désir sexuel, pas uniquement.
Ils se retenaient et se contrôlaient tellement pour ne pas se trahir, qu'ils redoutaient le moment de lâcher-prise qu'offrait le sommeil.

A raison, comme venait de le lui prouver la confession d'Angelo.

*Quand tu lui as dit que tu ne pouvais pas nous confondre, il a sûrement compris l'inverse de ce que tu voulais dire. C'est lui que tu reconnaîtras toujours, lui qui ne peut être confondu avec personne, car il est unique pour toi. Il a cru que tu parlais de moi et tu l'as laissé dans son erreur, alors que tu as bien vu, à sa réaction, que ça le blessait. Tu aurais pu en profiter pour te confesser, tu m'avais dit être prêt à le faire, quand Shura était en déplacement. Et que tu ne changerais pas d'avis.

Tu m'emmerdes, là.

Tu sais que je ne te lâcherai pas, alors réponds-moi. Pourquoi tu n'as pas saisi l'occasion, Angelo ? Et qu'est-ce que tu attends pour le rejoindre, d'ailleurs ? Si ma présence gène, ne t'en fais pas, je retourne chez moi de suite.

C'est pas ça…

Alors quoi ?

Tu le sais bien.*

Aphrodite s'accorda un instant de réflexion, puis soupira.
Évidemment, il n'y avait qu'une chose qui pouvait bloquer à ce point Angelo.

*Tu vas encore me dire que tu ne le mérites pas ? Sérieusement, Angie, tu crois pas que ça a assez duré, cet apitoiement ? Tu fais un concours avec Saga ? Tu devrais d'ailleurs réfléchir un peu au regard de ce qui s'est passé entre Aioros et lui.

De quoi tu causes, là ?

Je te parle du départ d'Aioros. Même lui, pourtant toujours fort et digne malgré tout ce qu'il s'est pris dans la figure et au cœur, a fini par craquer. Combien de temps crois-tu que Shura pourra encore supporter la situation ?

Il peut pas se barrer, il est trop fidèle à Athéna et même à Saga.

Athéna est aussi Saori Kido et elle partage son temps entre Tokyo, le Sanctuaire et le reste du monde où elle œuvre pour la paix. Il pourrait bien choisir de la suivre et intégrer sa garde rapprochée. T'as pété les plombs quand il s'est absenté cinq pauvres jours, ce sera quoi s'il part plusieurs semaines ? Quant à Saga, il peut tout aussi bien décider de quitter le Sanctuaire. Kanon peut très bien garder la Maison des Gémeaux. Il pourra trouver un autre moyen de servir Athéna loin d'ici.*

A la tension qui se logea dans la nuque d'Angelo, Aphrodite sut qu'il avait visé juste.

*Va le rejoindre, Angie.

Non.

Angelo...

C'est pas le bon moment ! Faut qu'on parle, d'abord.

Je t'ai pas dit d'aller lui sauter dessus, non plus !

Et comment tu veux que je pense à autre chose que ça en le voyant à moitié à poil dans son pieu ? On est pas en état de causer, là. Et j'ai besoin de temps.

Si t'es conscient de plus en avoir beaucoup, alors soit, j'te laisse tranquille, accepta Aphrodite en roulant sur le dos. Je te crois, cette fois. Mais ne tarde pas. Je déteste vous voir souffrir, tous les deux, alors que le bonheur est à portée de main. Vous êtes ridicules, c'est aussi déprimant que rageant.*

Angelo se tourna vers lui et l'attira dans ses bras.

*T'es quelqu'un de bien, en fait.

Idiot à pinces ! râla-t-il en le frappant légèrement du poing.

Cette fois, j'te contredirai pas. D'ailleurs, c'est pas moi qui devrait avoir droit à ton réconfort. Va dormir avec Shura.

Je t'ai pas attendu pour y penser. Mais je perçois qu'il s'est déjà endormi.

Alors demain. J'vous laisserai seul pour le petit-déjeuner.

Il nous a promis des pancakes et à toi, surtout.

Je les mérite pas.

Tu me casses les bonbons, avec cette rengaine !

C'est la vérité. Mais c'est aussi parce que je préfère pas le voir tout de suite. Je veux réfléchir sans être perturbé, tu vois ?

Oui, tu veux éviter que ton deuxième cerveau empêche le premier de fonctionner.

C'est ça.*

Cette fois-ci, Aphrodite frappa Angelo sans ménagement.

- Hey !

*Chhhhhhut !

Qu'est-ce qui t'arrives, d'un coup ?

Tu veux me faire marcher, mais ça prend pas ! C'est pas ton deuxième cerveau que t'essaies de faire taire, mais ton cœur d'abruti fini !

Ça va deux minutes, les insultes !

Elles sont méritées ! Tu peux te duper tant que tu veux, ça ne passera pas avec moi. Je te lâcherai pas, je t'ai prévenu.

J'ai compris !

Et bien moi, je ne comprends pas. Si ton cœur te dit d'être avec lui…

Dans un mouvement d'humeur soudain, Angelo rejeta le drap et se leva.

- Où-tu vas ? demanda Aphrodite à voix basse.

Sa surprise lui avait fait couper le lien mental.
A moins que ce ne soit Angelo lui-même qui l'ait fait.

- J'me casse, répondit-il à voix basse mais très sèchement. J'en ai marre de causer.

- Mais Angie, on parlait tranquillement, là...

- Dans ta version, peut-être, mais dans la mienne, tu commençais à sérieusement me les briser. J'préfère me barrer maintenant que de le regretter plus tard.

- Mais n'importe quoi, vraiment ! soupira Aphrodite en levant les yeux au plafond. Tu mérites clairement pas que je me prenne la tête pour toi.

- Je t'ai rien demandé, rétorqua Angelo, avant de sortir.

Heureusement, sans claquer la porte.
Mais sans grande discrétion non plus.

Aphrodite soupira encore, espérant que leur dernier échange n'avait pas réveillé le maître des lieux.

Il se leva et gagna la chambre de ce dernier, avant de se glisser aussi discrètement que possible sous le drap, aux côtés de son ami qui lui faisait face.
Et qui ouvrit les yeux.

- Désolé, mon Shu, je voulais pas te réveiller ! s'excusa-t-il en posant sa main sur son bras découvert.

- J'ai entendu la porte. Angelo est parti.

Ce n'était pas une question, mais un constat.

- Oui, confirma tout de même le Poissons. Quel abruti fini !

- Vous vous êtes disputés ?

- Même pas ! C'était juste un de ses mouvements d'humeur habituels et incompréhensibles…

Shura observa son ami dans l'obscurité quasi totale.

- Ce ne serait pas parce que tu l'aurais repoussé ?

- Bien sûr que non ! répondit Aphrodite, outré. Pour la simple et bonne raison qu'il n'a rien tenté. Il ne se le serait jamais permis chez toi, enfin !

- Je ne parlais pas forcément de sexe, mais une simple étreinte, rétorqua Shura sur un ton égal. Ou il peut aussi t'avoir proposé de monter chez toi pour plus, ce n'est pas si loin et ce ne serait pas la première fois.

Le Douzième gardien secoua la tête.

- Cela fait un bon moment qu'on ne partage plus notre lit, Angelo et moi, je te l'ai déjà dit et répété. Même juste dormir ensemble, on ne le fait que quand t'es pas là, sinon, c'est avec toi.

- Alors pourquoi il est parti comme ça, en pleine nuit ? s'interrogea le Capricorne. Je l'ai vexé en venant me coucher dans ma chambre ?

- Tu n'as rien fait, Shu, vraiment. Te casses pas la tête, c'est lui qui a un problème. Il va se calmer tout seul et il reviendra te faire des excuses.

- Il ne m'en doit aucune.

- Il a été blessant, rappela Aphrodite en se hissant sur un coude.

- Angelo n'a fait qu'énoncer une vérité, il n'est pas responsable de la réception que j'en ai faite.

Inutile de citer explicitement le passage en question, ils savaient tous deux quel moment précis ils étaient en train d'évoquer.

- Shura, tu as mal compris, je t'assure. Il parlait de toi, non de moi.

- Je n'ai pas envie d'avoir cette conversation, Di. Est-ce qu'on peut simplement dormir ?

- Ça te ferait du bien d'en parler, pourtant. J'imagine que ça doit travailler et gamberger, là-haut, ajouta-t-il en tapotant le front de Shura de son index.

Celui-ci prit la main d'Aphrodite pour l'éloigner de lui, mais la garda un moment dans la sienne.

- Merci, Di, mais pas maintenant. S'il-te-plaît.

Le Douzième gardien fit la moue : Shura sortait l'artillerie lourde, là, il ne pouvait pas lutter.

- Bon, d'accord… Mais je peux quand même rester te soutenir et te réconforter en silence ?

- Tu t'es déjà installé, fit remarquer le Capricorne en le relâchant avec un léger sourire rapide.

- Je ne m'imposerai pas pour autant, si tu préfères être seul.

- Si tu tiens parole et ne parle plus, tu es le bienvenu, évidemment.

- Okay ! Mais je peux dire un dernier truc, avant ? C'est très important. Après, promis, je ne dis plus rien jusqu'à demain !

- Vas-y, se résigna Shura après un long regard.

Aphrodite redevint totalement sérieux.

- Angelo ne m'a jamais appelé « amore mio ». Pas une seule fois, durant toutes ces années ensemble. C'est tout ! Bonne nuit, termina-t-il en déposant un baiser sur le bout du nez de son ami, avant de se rallonger en fermant les yeux.

Shura aurait pu grogner face à ce geste, mais les paroles d'Aphrodite avaient plus d'impact.

C'était le but recherché par le Poissons, qui sourit dans la nuit.
Ses mots allaient doucement faire leur chemin et Shura allait progressivement les assimiler et y réfléchir.

Cela permettra peut-être de le placer dans un bon état d'esprit suffisamment ouvert, lorsque Angelo se confessera et se déclarera.
Pourvu surtout qu'il le fasse et rapidement !

De son côté, Shura était en pleine lutte intérieure.

L'attitude d'Angelo dernièrement et les mots d'Aphrodite ravivaient un semblant d'espoir, celui contre lequel il luttait de toutes ses forces.
Chaque fois qu'il avait senti une braise prête à s'enflammer, il l'avait étouffé avec l'énergie du désespoir, pour ne pas souffrir davantage.

Les désillusions étaient terribles : plus fort était l'espoir, plus violents étaient la chute et l'atterrissage.

Or, depuis quelques semaines, et encore plus ces derniers jours, Shura avait perçu un changement d'attitude chez Angelo.
C'était très léger, mais évident pour lui qui le connaissait si bien.

Cependant, il ne pouvait s'empêcher de se demander si ce n'était pas plutôt lui qui avait changé et qui se faisait des idées.
Parce qu'Angelo ne semblait pas toujours se rendre compte de ce qu'il faisait ou disait de différent ou d'inhabituel, ce n'était clairement pas volontaire ni prémédité.
Mais justement, c'était-ce pas aussi plus parlant, lorsque c'était instinctif ou impulsif ?

Ce n'était souvent pas grand-chose : une main qui glissait sur sa nuque au lieu de simplement conserver sa place coutumière sur son épaule, un regard plus appuyé, un mot échappé créant une gêne ou un rougissement furtifs, plutôt étonnants sur le visage du Cancer…

Des faits auxquels Shura avait prêté une attention particulière, tout en trouvant mille autres excuses que la raison évidente qui en était à l'origine.

Le doute et l'espoir le tiraillaient plus que jamais et ne le laissaient pas en paix.
À cet instant encore, il sentait comme une vague d'inconfort le traverser, qui abandonnait derrière elle une lame de douleur en se retirant.

- Ça fait mal.

Le sourire du Douzième gardien disparut, alors qu'il ouvrait les yeux d'un coup aux mots de son ami.
Son regard plongea dans le sien, aussi sombre que la nuit qui les enveloppait.

- Quoi ? demanda-t-il dans un murmure.

- L'espoir.

- En effet, reconnut Aphrodite avec une pointe de tristesse dans la voix. C'est une chose terrible, que l'espoir. Parfois, ça peut maintenir en vie, justifier des efforts, mais ça ronge aussi, c'est corrosif, ça entame le cœur, le corps, et même l'âme, parfois. Un peu comme une vague qui va et qui vient inlassablement, qui cogne contre la roche qui s'érode toujours un peu plus quand la mer se retire. Et puis, c'est sournois, aussi, parce que bien que tu saches que c'est impossible, l'espoir renaît au plus petit geste, au plus petit mot qui pourraient le justifier.

- Je suis désolé de te replonger dans tout cela, s'excusa Shura en posant sa main sur son épaule, sensible à la tristesse profonde de son ami.

Aphrodite le remercia d'un sourire.

- Ça ira, ne t'en fait pas. C'est plutôt à moi de m'excuser. Ce n'était pas un parallèle que je faisais. Ma situation n'a rien à voir avec la vôtre. Même s'il ne retrouvait pas Aioros, Saga ne se tourna jamais vers moi. Toi, tu as mille raisons d'espérer et d'y croire, puisque ton lien avec Angelo, ce que vous avez tous les deux, est réel. Laisse-lui juste un peu de temps, Shura, je t'en prie, n'abandonne pas. N'abandonne pas Angelo.

Le Capricorne roula sur le dos et ferma les yeux.

Aphrodite crut qu'il ne dirait plus rien, car après tout, il l'avait prié de se taire un peu plus tôt et avait refusé de parler de tout cela.
Sa dernière phrase l'avait-elle fait changer d'avis ?

Vu son implication, cela ne l'étonnerait guère.

- J'ai grandi, j'ai vécu et je suis mort sans croire et sans espoir d'un quelconque changement, Di, reprit alors Shura. Je ne sais pas comment faire autrement. Le moindre de ses gestes inhabituels envers moi ou la plus anodine parole facilement interprétable me perdent totalement.

- Commence par arrêter de trop réfléchir. Suis ton instinct et surtout, ton cœur, Shu. C'est au rythme de ses battements pour Angelo que tu dois vivre ta nouvelle vie. Votre nouvelle vie. Il serait temps, non ?

- Je ne suis pas sûr d'être prêt.

Avec difficulté, Aphrodite retint un soupir.
Ces deux-là, c'étaient vraiment les mêmes.

- Tu as le temps de voir venir, je pense, puisque Angelo ne semble pas l'être non plus… le rassura-t-il.

- Bien.

Aphrodite gloussa contre l'épaule nue de son ami.
Tranchant, droit au but, comme toujours.

- N'en prenez pas trop non plus, de ce temps si précieux qui nous a été rendu, l'exhorta-t-il d'un ton moralisateur. Enfin, la nuit porte conseil, commence par bien dormir, lui ajouta-il en se rallongeant à son tour sur le dos. Bonne nuit, mon Shu, fais plein de beaux rêves avec Angelo... Quoi que, pas trop, plutôt, je ne voudrais pas qu'on se retrouve dans une situation gênante en plein milieu de la nuit !

- Aucun risque.

- Mais oui, évidemment, suis-je bête ! Tout comme Angelo ne pourra jamais te confondre avec quiconque, il n'y a aucun risque que tu me prennes pour lui !

Face au rappel de ce moment la vécu Angelo, Shura tiqua d'abord, puis sourit en secouant la tête doucement.

Sacré Aphrodite !

Cela lui tenait vraiment à cœur de les réunir, son insistance le prouvait encore, si besoin était.

- Bonne nuit aussi. Di. Et merci, surtout.

- A ton service !

Les deux amis ne tardèrent pas à s'endormir, avec une dernière pensée pour Angelo.

Mais elles étaient de nature différente.

Shura pensait à l'homme qu'il aimait, à ces derniers jours et tout ces moments où son cœur s'était accéléré malgré lui.
Aphrodite, de son côté, marmonnait intérieurement au sujet de « ce grognon de bête à pinces maladroit et indécis » qui devait ruminer tout seul dans son lit, l'esprit saturé d'images de son Capricorne adoré avec lequel il aurait déjà dû être.

Angelo avait raté une belle occasion, ce soir-là, mais Aphrodite ne le laissera pas gâcher la prochaine.

Il ne se doutait pas que le Cancer allait de lui-même en provoquer une nouvelle.

.

.

Le lendemain soir
Sanctuaire,
Maison du Capricorne

.

Shura parcourut sa bibliothèque, pensif.

Il avait fini son roman deux jours plus tôt et cherchait une nouvelle lecture.

Lire quelques pages avant de se coucher permettait à son esprit de se mettre au repos plus facilement. Et cela offrait aussi de la matière à la construction de jolis rêves, pour chasser les cauchemars nés de ses actions passées et de ses combats, qui lui pesaient encore parfois.

Il avait aussi besoin de penser à autre chose qu'à Angelo.

Les deux hommes s'étaient croisés dans la journée, mais ils n'avaient pas parlé de la veille.
C'était comme si rien ne s'était passé.

Ce qui avait fait naître un sentiment mitigé chez Shura : il était à la fois déçu et surtout soulagé.
Car il n'avait pas menti à Aphrodite, il ne se sentait pas prêt à parler avec Angelo.

Apparemment, vu leurs échanges du jour, lui non plus.

Alors qu'il jetait son dévolu sur Ébauches du vertige d'Emil Cioran, l'un des nombreux livres qu'il avait déjà lu, mais qu'il adorait tant qu'il pouvait les relire plusieurs fois sans problème, le Dixième gardien sentit un cosmos familier approcher de son Temple.

Avec une pointe d'appréhension bien dissimulée, il autorisa l'accès et poussa l'invitation jusque dans ses appartements, et Angelo franchit peu après la porte de son salon.
D'autorité, il s'avachit sur le canapé avec un soupir de contentement.

Son parfum, mêlé de l'odeur du tabac, autant que sa présence, emplirent tout l'espace disponible.

- Qu'est-ce que tu fous planté devant ton meuble, Shurizo ?

Cela faisait des années que Shura avait renoncé à convaincre Angelo d'abandonner ce surnom idiot qu'il lui avait donné, un jour.

C'était venu aussi bêtement que le surnom lui-même.

Angelo, qui ne mangeait jamais de chorizo, avait accepté de goûter celui servi par Shura,tout juste rentré d'Espagne, un soir où Aphrodite et lui traînaient dans son Temple. Shura avait eu le malheur de le taquiner à ce sujet, car son ami avait semblé grandement apprécier la charcuterie espagnole auparavant boudée avec résolution.

Et Angelo lui avait répondu qu'il n'aimait que le chorizo servit par Shura, autrement dit, le shurizo.

Par extension, le Cancer avait finit par donner ce même nom à son ami du Capricorne.
Et c'était resté.

Et plus fréquemment usité que les « mon cabri » ou « ma bicquette » habituels et tout aussi agaçants.

Entendre Angelo l'utiliser à cet instant rassura Shura.
Tout allait bien, ils pouvaient tous deux continuer de faire comme si de rien n'était, au moins encore quelques temps.

- J'ai fini mon livre, j'en cherche un autre.

- J'suis là, t'as pas besoin de trouver de quoi t'occuper, fit remarquer le Cancer en croisant les bras et en souriant largement.

Shura rejoignit son ami et s'installa sur le canapé à ses côtés.
Il avait prévu une bonne distance entre eux, son corps avait comme agi de lui-même en la réduisant sensiblement.

Angelo jeta un rapide regard au livre que Shura avait posé sur le guéridon.

Il ne comprenait pas le titre, malgré ses quelques notions de français, mais il connaissait l'auteur, Shura le citait souvent et il avait plusieurs livres de lui.
Avec des titres absurdes ou déprimants.

Le Cancer se souvenait notamment de l'un d'eux évoquant la décomposition, et un autre qu'il avait particulièrement retenu pour la résonance qu'il provoquait en lui : « De l'inconvénient d'être né ».

La formule était aussi brillante que démoralisante.

Ce n'était clairement pas le genre d'auteur qu'on lisait pour se sentir bien, de bonne humeur et le rester…

- Cioran ? grimaça-t-il. Sérieusement ? T'as pas assez de deux tarés à demeure ? Je croyais que tu t'en servais pour faire de beaux rêves, de tes bouquins… Tu parles d'un plan foireux ! se moqua-t-il encore sans vergogne.

- D'une, Cioran n'est pas fou, c'est seulement un pessimiste convaincu, répondit calmement Shura. Et de deux, c'est pour lire pendant la journée, quand j'ai le temps de faire une pause. J'en choisirai un autre pour le soir plus tard. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, tu m'as interrompu dans mes recherches.

- Dis tout de suite que je te dérange !

- Ça changerait quoi ? Tu me laisserais tranquille ? Je ne crois pas, non.

Le Cancer émit un claquement de langue sec, mais ne bougea pas pour autant.
Au contraire, il décroisa les bras et s'installa plus confortablement.

Son air soudain sérieux mit tous les sens de Shura en alerte.

- Faut qu'on parle, tous les deux. A propos d'hier soir, surtout.

- Si c'était un malentendu, il n'y a pas besoin d'en faire toute une histoire. Ça arrive.

- C'était pas ça... Enfin si, mais pas dans ce sens... Ce que j'veux dire, c'est que c'est plus complexe.

- D'accord, concéda le Capricorne, mais on est pas obligé d'en discuter maintenant, 'Gelo, on a le temps.

Il n'était pas censé en avoir besoin, lui aussi, d'ailleurs ?
En tous cas, Aphrodite avait bien insisté dessus.

Ils s'étaient visiblement trompés tous les deux.

Sinon, Angelo ne serait pas tranquillement assis sur le canapé de Shura avec une telle bombe dans les mains.

- Non, je préfère qu'on en parle maintenant.

- Et plus rien d'autre ne compte, soupira le Dixième gardien.

- Merde, Shura, c'est important !

Le Capricorne observa son ami, avisa son air grave, les ombres d'inquiétude et de doute flottant dans ses yeux lapis qui ne cillaient pas, puis soupira à nouveau.

Angelo n'était pas serein, et peut-être pas aussi prêt que cela a avoir cette conversation.
Pourtant, son regard déterminé montrait bien comme il y tenait.

Et cela suffit à convaincre Shura, même s'il aurait clairement préféré avoir plus de temps.

Mais comme l'avait dit un certain Jules César devant le Rubicon, plus de 2000 ans plus tôt et presque jour pour jour… Anerríphthô kýbos ! (1)

Soit, que le dé soit jeté !

- Je t'écoute, céda-t-il donc.

Angelo se leva, fit quelques pas nerveux dans le salon en frottant vigoureusement sa tignasse, puis revint à sa place.

- Aphrodite et moi, on est les vilains petits canards de la Garde dorée, et de toute la Chevalerie, même, je t'apprends rien.

Shura était surpris, il ne s'attendait pas à entendre ce genre de choses comme entrée en matière.
N'étaient-ils pas censés parler de ce qui s'était passé la veille ?

Peu importait les chemins qu'Angelo souhaitait prendre pour en arriver au cœur du sujet, au final, le Dixième gardien avait pris la décision de l'écouter, il pris aussi celle de s'en remettre à lui et de le suivre.

- Depuis quand tu t'intéresses à ce que les autres pensent ?

- Depuis jamais, reconnut le Cancer avec un léger rictus au coin des lèvres. Même si j'avoue que j'aime plutôt bien les liens qui se créent avec certains, depuis qu'on est remonté à la surface. On se marre pas mal, en vrai ! La séance de méditation collective de notre apprenti Bouddha, c'était quelque chose ! se souvint-il avec un petit rire.

- Justement, c'est parce que plus personne vous considère comme les mauvaises graines du Sanctuaire. C'est fini, ce temps-là. Même si tu peux être franchement désagréable et agaçant, parfois et que tout le monde n'adhère pas à ton humour douteux, ni au cynisme d'Aphrodite, vous n'êtes plus des persona non grata.

- Ouais, peut-être bien, concéda Angelo. Mais ils avaient raison, de toute façon. Écraser les plus faibles, imposer la justice du plus fort, justifiée ou non, Aphrodite et moi, on adorait ça. A l'inverse des autres qui obéissaient les dents serrées et plein de regrets ou de compassion et parfois même, de doutes. Comme toi.

- Je n'ai jamais douté de Saga, possédé ou non, objecta fermement Shura.

S'il y avait bien une chose qu'il détestait, c'était qu'on remit en cause sa loyauté, surtout lorsqu'il s'agissait d'Athéna ou de Saga.

Cette espèce d'adoration que Shura avait pour leur aîné avait toujours agacé Angelo au plus haut point.

Cela le rendait tellement envieux et jaloux !
Il aurait tant aimé que son regard ne soit posé que sur lui de cette façon, tout en ayant parfaitement conscience de n'absolument pas le mériter.

- T'étais plutôt aveugle, dirons-nous, corrigea-t-il. Tu te persuadais toujours qu'il y avait une bonne raison, même aux pires massacres qu'il nous envoyait commettre. T'espérais avoir un jour la réponse. Et tu l'as eu.

- Où veux-tu en venir, Angelo ? demanda Shura, les mâchoires contractées. Pourquoi tu me parles de ça, quel rapport avec hier soir ?

- J'essaie de te dire que j'étais pas un bon gars. J'étais cruel et sadique, un vrai monstre. J'en avais rien à foutre qu'Athéna soit réellement réapparue ou non, Saga, enfin, le Lémure, plutôt, aurait bien pu continuer son règne sanguinaire ad vitam aeternam, je l'aurais suivi jusqu'aux Enfers. J'y étais déjà comme chez moi, après tout.

- Certes. Mais je savais déjà tout ça. ˋGelo.

- Justement toi, malgré tout ce que je faisais, t'as toujours vu le bon en moi, quand la vie m'a donné toutes les raisons et toutes les occasions de développer mon mauvais côté et mes pires travers. C'est toi qui a préservé le peu d'humanité qui me restait. T'as toujours été mon garde-fou, Shura. Ton amitié nous a sauvé, Aphrodite et moi, et c'est peu dire.

Angelo ne regardait pas Shura, lorsqu'il parlait, il lui jetait de simples coups d'œil furtifs.
Il avait aussi saisi un coussin dont il triturait la housse sans ménagement.

Ce n'était clairement pas un comportement habituel, chez le Cancer, il s'était aventuré sur un terrain qu'il maîtrisait peu, même s'il voulait donner l'illusion que c'était le cas.

- Je ne sais pas pourquoi tu me déballes tout ça maintenant, mais te sens pas obligé de continuer, ´Gelo. On est pas obligé de poursuivre cette discussion. Je vois bien que tu n'es pas à l'aise.

Lui non plus ne l'était toujours pas, d'ailleurs, sa nervosité renforcée par celle d'Angelo, dont il il redoutait presque chaque mot qui sortait de sa bouche.

Ce dernier frotta une nouvelle fois vigoureusement sa crinière d'argent, déjà bien hirsute.

- Ouais, mais faut qu'on en parle et faut que tu saches tout ça.

- Je le sais déjà.

- Mais je te l'ai jamais dit clairement, moi ! s'emporta soudain le Cancer en tapant du poing sur son genou. J'ai pas eu le temps, dans notre précédente vie, ajouta-t-il plus calmement. Ou l'envie, même. C'était pas le genre de la maison...

- Tu m'étonnes ! ricana le Capricorne.

- Oui, bon… Mais là, c'est important qu'on pose tout à plat sur la table. Je t'ai même jamais remercié, en fait.

- Tu vas t'en remettre, de cette discussion, tu crois ? le taquina le Capricorne sans pouvoir s'en empêcher.

Il était nerveux et mal à l'aise, certes, mais cela lui faisait du bien de provoquer un peu son ami, pour justement détendre légèrement l'atmosphère bien chargée.
Une réflexion qui lui valut d'ailleurs un regard noir du Cancer.

- Shura, je suis sérieux, là. Tu m'aides vraiment pas ! ajouta-t-il en se levant dans un nouveau mouvement d'humeur. Michia !

Angelo se dirigea vers la fenêtre contre laquelle il s'adossa.
Sans regarder Shura, il sortit une cigarette, l'alluma et tira une première longue bouffée.

Le Capricorne s'en voulut un peu.

Il se doutait bien que ce n'était pas facile pour Angelo, mais quel besoin avait-il de leur imposer cela à tous les deux, s'il n'était pas prêt ?

- Désolé, s'excusa-t-il tout de même. Mais puisque je te dis que ce n'est pas nécessaire d'en discuter maintenant, Angelo, pourquoi tu insistes autant ?

- Parce que j'ai envie de te dire tout ça, bordel ! répondit-il après avoir recraché sa fumée.

L'Espagnol soupira en levant les yeux au plafond.

- Et comme d'habitude, tu penses qu'à toi. Ça te dérange pas que moi, ça me gêne de t'entendre parler comme ça, d'un coup ? T'as même pas pris en compte le fait que j'en avais pas vraiment envie, t t'es même pas demandé si je pensais seulement que c'était le bon moment.

L'Italien écrasa sa cigarette à peine entamée dans le cendrier près de la fenêtre, puis sourit avec un air un peu sadique, alors qu'il revenait s'asseoir près de son frère d'armes.

- Peut-être, mais t'as accepté de m'écouter quand même, parce que t'es comme ça, avec moi, Shurizo. Tu me passes toujours tout.

- Et tu continues… Par Athéna ! je t'en prie, viens-en au fait et parle comme tu manges (2). Dis-moi merci pour t'avoir soutenu et désolé pour hier, si tu y tiens, et on passe à autre chose, d'accord ? On peut même considérer que c'est déjà fait. Je vais préparer du café.

Angelo attrapa le poignet de Shura, alors qu'il allait se lever pour gagner sa cuisine.

- Je veux pas juste te dire merci, là. Je te dis que je n'ai pas eu la possibilité d'être quelqu'un de bien, avant. J'ai fait des choses terribles et j'y ai pris un sacré pied, clairement.

- Mais la mort t'a ouvert les yeux. Tu as répondu à l'appel de Shion, et tu étais présent devant le Mur des Lamentations. Tout ça pour notre Déesse. Elle l'a reconnu et a accepté ton repentir, t'a purifié et absous de tous tes péchés. T'es aussi propre qu'un sou neuf, ´Gelo. Et puis, faut le reconnaître, tu te comportes plutôt bien, depuis un an. Tu protèges et guides les âmes, à présent, tu fais honneur à ta constellation tutélaire, à la Chevalerie et surtout, à la Princesse Athéna.

- Je ne l'ai pas fait que pour Elle, révéla le Cancer. Mais ce sera jamais assez pour être digne de toi. C'est ça que j'essaie de te dire, depuis tout à l'heure, Shurizo. J'te mérite clairement pas.

Cette fois-ci, Angelo n'avait pas quitté Shura des yeux, tandis qu'il parlait.

- Tu dis n'importe quoi. Je vais te chercher un truc à boire plus fort que le café, bouge pas.

Gêné par ses mots autant que par l'émotion que cela faisait naître en lui, Shura se dégagea et réussit à se lever, cette fois-ci.

Mais le Cancer ne l'entendait pas de cette oreille.

Il se leva lui aussi et saisit à nouveau le poignet du Capricorne pour l'empêcher de fuir.

C'était en effet le projet de Shura : opérer un repli stratégique.
Il sentait que la situation était en train de basculer, parce que quelque chose d'important se jouait entre eux à cet instant précis.

C'était réellement en train d'arriver.

Angelo lui disait ne pas le mériter : était-ce pour lui signifier d'arrêter d'espérer plus que leur amitié, car il ne se l'autoriserait jamais, à l'instar de Saga avec Aioros ?
S'en servait-il comme excuse pour justifier son comportement de la veille ?

Dans tous les cas, cela constituait une forme d'aveu.

Une confession qui ne pouvait aboutir que sur deux scénarios : le premier, Angelo lui demandait de renoncer définitivement à lui.
Ce à quoi, dans les faits, Shura s'était déjà résolu.

Dans le deuxième scénario, Angelo reconnaissait ne pas le mériter, mais cela ne l'empêchait pas de vouloir être avec lui.

Cette seconde possibilité, Shura l'espérait autant que cela l'effrayait.
C'était trop soudain, il n'était pas prêt.

Mais Angelo l'obligeait pourtant à faire face à leurs sentiments et à cette situation à ce moment exact de leur vie.

- Qu'est-ce que…

- C'est bien à toi que je parlais, hier soir, je t'ai pas confondu avec Aphrodite, le coupa le Cancer. J'ai pas géré, parce que c'est sorti tout seul quand j'me suis appuyé contre toi et que je t'ai reconnu, dans mon sommeil. Mais est-ce que j'ai vraiment le droit à ça ? Dans notre autre vie, c'était clairement non. Mais depuis qu'on est revenu… j'me prends la tête avec cette question ! J'y étais encore cette nuit et pas plus tard que ce matin. Je sais, maintenant, j'ai ma réponse. Je méritais déjà pas ton amitié et pourtant, je veux plus, aujourd'hui. J'suis qu'un sale con égoïste qui va peut-être te faire souffrir, malgré lui, mais je peux pas renoncer à le vouloir, j'y arrive plus. Alors si toi, en sachant tout ça, t'es quand même partant, ça peut le faire.

Angelo avait tout lâché d'une traite, il en était presque essoufflé et son cœur battait à un rythme effréné.
Il avait l'impression d'avoir monté et redescendu le Grand escalier une centaine de fois sans s'arrêter, du Premier au Treizième temple.

Shura, quant à lui, n'osait encore en croire ses oreilles.

Plus question de s'échapper, à présent, face à la confirmation de ce qu'il espérait autant qu'il redoutait.
Il fit complètement face à Angelo, qui resserra sa prise sur son poignet pour bloquer toute fuite.

Les deux hommes se retrouvaient, de fait, vraiment très proches.

- "Ça" peut le faire ?

- Fais pas celui qui comprend pas ! s'impatienta le Cancer en grimaçant. J'suis pas doué avec les mots, tu l'sais depuis le temps, non ?

Dans un silence tendu, le Capricorne soutint longuement le regard de son ami, cet homme qu'il aimait depuis l'enfance, malgré sa folie meurtrière et ses crimes, malgré sa violence et son sadisme.

Jamais il ne l'avait vu aussi sérieux.
Même pas lorsqu'ils avaient répondu à l'appel de Shion pour leur ultime mission durant la dernière Guerre sainte, alors que l'enjeu était terriblement élevé.

Pourtant, c'était comme si Shura ne pouvait vraiment y croire encore.
Il avait besoin de l'entendre clairement.

- Qu'est-ce que tu veux, qu'est-ce que tu attends de moi, Angelo ? osa-t-il demander dans un murmure.

- Tout, répondit l'Italien sans hésiter. J'le mérite pas, ou pas encore et peut-être jamais, mais si t'es partant pour me l'accorder quand même, j'irais pas cracher dans la soupe. Je suis pas Saga, je vais pas rater cette seconde chance, si tu me la donnes.

Le regard du Quatrième gardien était incroyablement intense, plus beau et magnétique que la plus belle des nuits étoilées.

Mais Shura le connaissait tellement bien qu'il n'eut aucun mal à y lire l'incertitude et les doutes.
Angelo se montrait assuré, mais il avait visiblement encore peur du rejet.

De son rejet.

Il avait décidé de se lancer, il s'était complètement mis à nu, quitte à tout perdre.
Et encore une fois, sans se demander si l'autre était prêt pour un tel spectacle.

- Pourquoi maintenant ? murmura Shura. On est revenu depuis près de quinze mois, maintenant.

Angelo en aurait presque ri, si la discussion n'était pas si grave et déterminante pour lui, pour eux : c'était du Shura tout craché de compter les mois, obsédé de l'exactitude et de la précision qu'il était.

L'étau des doigts du Cancer se resserra autour du poignet du Capricorne.

- Je sais pas trop, en fait, y a plusieurs choses. Déjà, de voir le foutoir entre Saga et Aioros m'a fait réfléchir. Puis, Aphrodite m'a dit que tu pourrais bien en avoir marre et te barrer, un jour, toi aussi... Suivre Athéna dans ses déplacements, par exemple. Surtout si Saga s'en va le premier. Et ça, tu vois, j'le supporterai pas.

- Pourquoi je ferai ça ? Je suis resté toutes ces années, rien n'a changé, Angelo.

- Bordel, Shura, tout à changé ! répliqua-t-il. On a une seconde chance, on est vivant ! Je vais pas m'amuser à refaire les mêmes erreurs, crois-moi ! Et puis, je suis pas Saga, je te l'ai dit. Je veux en profiter avant que les Dieux ne reviennent sur leur décision et me renvoient aux Enfers !

- Ça n'arrivera pas.

- T'en sais rien ! grimaça Angelo.

- Je les laisserai pas faire, assura Shura avec une froide détermination.

Angelo fut ébranlé par son sérieux, et surtout, presque submergé par une vague d'émotion qu'il n'avait ni vu, ni senti venir.

Ni même cru possible, d'ailleurs.

Pourtant, et il le réalisait vraiment seulement à cet instant, Shura seul avait jamais eu cette capacité à le mettre ainsi en émoi.

Il laissa échapper un petit ricanement pour masquer son trouble.

- Toi, te dresser contre Athéna et alii ? A d'autres !

- Je pourrais trouver un moyen, insista le Capricorne. Mais je n'aurais pas à le faire, parce que ça n'arrivera pas. Athéna ne reviendra jamais sur sa parole. Et Elle défendra le droit à la vie et à la rédemption de chacun de ses Chevaliers, comme Elle l'a déjà fait pour nous permettre de revenir.

Le Cancer secoua la tête avec un petit rire plus grave.

- Ok, ok…

Un silence commença à s'installer, mais Shura ne le laissa pas prendre ses aises.

- Je suis content de te voir prendre la résolution de profiter de cette vie et de ne pas refaire les mêmes erreurs, 'Gelo.

Léger haussement d'épaules du Quatrième gardien.

- J'ai juste envie d'essayer d'être un peu moins con. Et peut-être aussi, un bon gars. Si t'es avec moi, ça peut se tenter. Si je me réveille au pieu avec toi tous les matins, je finirais bien par trouver ce monde et cette vie vraiment valables !

- C'est élégant.

- C'est bon, fais pas ta princesse ! grommela-t-il en guise de réponse. On en a déjà une, c'est largement suffisant.

- Ne t'avise pas de blasphémer devant moi et dans mon Temple, Angelo du Cancer ! l'avertit le Capricorne, menaçant.

- Ça va, désolé, j'ai rien dit !

- Bien.

- Alors, ta réponse ? demanda Angelo à brûle-pourpoint.

Shura haussa les sourcils haut sur son front dégagé.

- Quoi, tu la veux là, tout de suite ?

- T'as vraiment besoin de réfléchir ? Tu me connais, et tu m'as écouté parler, non ?

- Certes...

- C'est pas suffisant ?

- Je n'avais jamais envisagé la possibilité qu'on soit ensemble, un jour, Angelo. Pas avant ces derniers jours, en tous cas. J'étais résolu à demeurer ton meilleur ami, jusqu'à la fin.

- Tu te serais vraiment contenter de ça ? Tu l'aurais supporté, une nouvelle fois ?

- J'ai de l'entraînement.

- Tu ne serais donc jamais venu me parler ?

- Non.

- Je n'en valais pas la peine, c'est ça ? crut deviner le Cancer.

La tristesse qui traversa furtivement le regard d'Angelo n'échappa pas à Shura.

Ses doigts, qui enserraient encore son poignet, étaient toujours aussi froids.
Si l'on se basait sur l'adage « mains froides, cœur chaud », celui d'Angelo devait être aussi brûlant que celui de Milo et de tous les Scorpions avant lui.

- Je n'ai jamais pensé ce genre de choses, 'Gelo.

- Alors pourquoi ?

- Je n'y croyais pas, répondit simplement Shura. Quand tu veux quelque chose, tu vas le chercher sans attendre, ni te poser de question. On est revenu à la vie depuis plus d'un an et tu n'avais encore jamais fait un pas aussi significatif vers moi, si on exclu hier soir qui était un acte manqué.

- Je sais, j'ai pris le temps, c'est vrai. Je voulais pas faire n'importe quoi, parce que t'es pas n'importe qui. Et je voulais être digne de toi, montrer que je pouvais être un mec bien. Pour toi, mais aussi pour moi, tu vois.

- Je comprends, le rassura le Capricorne.

- J'espérai quand même que de ton côté, la réponse serait plus évidente, sans que t'aies à y penser, confessa le Cancer, un peu déçu. Pas forcément un oui, j'me doute bien que tu peux me renvoyer dans mes pénates. Et t'aurais bien raison, tiens ! Moi, à ta place, je l'aurais fait.

- D'une, t'y es pas et de deux…

- De deux ?

Shura détourna le regard un court instant.

Ses yeux tombèrent sur la main d'Angelo toujours refermée avec fermeté autour de son poignet.
Une vraie pince, songea-t-il de manière incongrue.

- Tu ne te voies pas comme moi, je te vois, finit-il par répondre en le regardant droit dans les yeux.

- Ah ça…

Angelo leva sa main libre pour se gratter l'arrière du crâne, comme chaque fois qu'il était un peu nerveux.
Mais Shura bloqua son élan en attrapant son poignet.

- Je prends le pari, mais attention : ce n'est pas celui d'une relation, mais d'une vie. Il n'y a pas d'essai qui tienne. J'ai trop attendu pour me contenter de ça.

- Pour un mec qui n'y croyait pas y a encore peu de temps...

- Tu as remplacé cette fausse croyance en rétablissant la vérité sur tes sentiments, objecta le Capricorne. Prends tes responsabilités.

- C'est bien mon intention, Shurizo, assura-t-il en réduisant encore l'écart entre eux.

- Avec tout ce que cela implique ?

Cette question figea Angelo dans son élan, alors qu'il s'apprêtait à relâcher le poignet de Shura pour mieux l'enlacer, peut-être.

- Tu parles d'Aphrodite ?

- Oui. Ca va être très difficile pour lui.

- Mais on reste là pour lui, ça changera pas.

- Mais d'autres choses vont changer, Angelo. Ce ne sera plus pareil. Il a déjà commencé à s'effacer, tu l'as remarqué aussi.

- Évidemment. Certainement bien avant toi, d'ailleurs.

.
.

Flash back

Quelques jours plus tôt
Sanctuaire, Maison des Poissons

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Angelo se redressa soudain et se coula contre Aphrodite. Sa main caressa sa cuisse, alors qu'il déposait un baiser dans son cou.

- Tu fais quoi, là ?

La voix était polaire, mais elle ne refroidit pas le ardeurs du Cancer pour autant.

- Depuis le temps, t'as pas appris à reconnaître les signes ?

- Si, et justement, répliqua Aphrodite en le repoussant. Arrête ça tout de suite.

- Me dis pas que t'as pas envie, ça commence à faire un sacré bout de temps, insista-t-il en cherchant à l'enlacer.

Aphrodite se dégagea et se releva, puis toisa le Quatrième gardien qui était resté assis sur la couverture, devant le feu.

- Je croyais avoir été clair, la dernière fois : plus de sexe entre nous.

- Mais t'étais pas sérieux, Beauté ! Allez, reviens t'allonger.

- Non, Angelo, refusa-t-il catégoriquement. C'est avec Shura que tu devrais faire ce genre de choses.

- Ça n'a rien à voir !

- Bien sûr que si ! Tu l'aimes, tu devrais être avec lui. Si tu portais tes roubignoles fièrement au lieu de vouloir à tous prix les vider n'importe où…

- Je croyais que t'avais un peu plus de considération pour ton corps, l'interrompit Angelo en se rallongeant.

- Tu m'as compris. Ça suffit, le temps passe et tu le gaspilles. Va le voir.

- Il n'est pas là, je te rappelle.

- Ça veut dire quoi, que tu y aurais été, s'il n'était pas absent ? Vraiment ?

- Je sais pas. Peut être.

Aphrodite se rassit près de lui et l'observa longuement.

- Mais tu l'envisages sérieusement, en fait ! Athéna soit bénie, y a enfin du progrès ! s'enthousiasma-t-il en battant des mains.

- Te fous pas de moi, grogna Angelo.

- Je m'interroge, plutôt, répliqua le Poissons. T'étais prêt à me sauter dessus, y a quelques secondes et là, tu me dis que tu penses peut-être à enfin te déclarer à Shura. Qu'est-ce qui se passe, Angelo ?

Le Cancer garda le silence un long moment, que le Poissons lui accorda.
Mais sous ce regard auquel il n'avait jamais vraiment su ni pu résister, il finit par soupirer.

- Je l'aurais pas fait.

- De quoi tu parles ?

- J'aurais pas été au bout. On aurait pas baisé.

- Tu sais que je n'aime pas quand tu emploies ce mot, grimaça-t-il. Il est tellement laid !

- Me casse pas les couilles.

- Celui-là aussi.

- Aphrodite…

Angelo employait plus que rarement son prénom, aussi le Poissons n'insista pas.

- C'était quoi, alors, un test ? demanda-t-il plutôt.

- Un truc dans le genre, ouais.

Le Douzième gardien prit la tête de son ami entre ses mains et le força à la poser sur ses genoux.
Angelo se réinstalla donc plus confortablement, perpendiculairement au corps d'Aphrodite et ses jambes étendues devant lui.

- Tu voulais savoir si tu pouvais encore coucher avec un autre.

- T'es pas n'importe qui, Beauté. J'ai jamais vraiment eu l'impression de le tromper, avec toi. Sinon, on l'aurait plus jamais refait, depuis notre retour.

- Ce n'est pas plutôt parce qu'il semblait mieux l'accepter, puisque c'était moi, justement, que tu te l'es permis ?

- Je sais pas. Ça revient au même. Le truc, c'est que je me rends bien compte que je peux plus. J'ai envie, mais je suis sûr que je bloquerai à un moment ou un autre. Pas physiquement, attention…

- J'entends bien, sourit Aphrodite en passant sa main dans sa crinière argentée avec tendresse. Ce n'est pas une question de capacité physique. C'est juste ta conscience qui te travaille par anticipation.

Le silence se fit quelques instants, puis le Cancer reprit la parole.

- Je croyais qu'on pourrait continuer comme ça, comme avant. Qu'on baiserait de temps en temps, toi et moi, pour relâcher la pression et que je pourrais le garder loin de moi, même en restant proche de lui. Pourquoi j'y arrive pas, Beauté ?

- Eh bien, si tu veux mon avis… Avant, t'étais vraiment un enfoiré de première. Tu t'es racheté presque entièrement une conscience, tu t'es lié aux autres, t'es même sympa. Alors forcément, une part de toi doit se dire que tu mérites peut-être un peu plus Shura qu'au temps où t'étais…

- Un enfoiré, c'est bon, j'ai compris, le coupa-t-il en grimaçant.

- Ce n'est peut-être pas le bon terme. C'était plutôt moi, l'enflure. Toi, t'étais…

- Un monstre.

Le Douzième gardien sentit parfaitement le nœud dans la gorge de son ami lorsqu'il prononça ces mots, mais il n'y prêta pas plus attention que cela.
S'apitoyer sur le sort des autres, ce n'était pas leur genre à tous les deux.
Voir l'autre le faire pour soi n'en devenait que plus blessant.

- Exactement, confirma-t-il. Tu me disais souvent que tu ne pouvais toucher personne d'autre que moi, avec tes mains pleines de sang. Mais ce n'est plus le cas, aujourd'hui. C'est une bonne chose, Angie.

- Ouais, mais est-ce que je peux vraiment le toucher, lui ?

Aphrodite eut un petit rire.

- Il n'attend que ça, depuis des lustres. A toi de briser la carapace qu'il a construit autour de ses propres sentiments, en espérant te les dissimuler à jamais. Et de pulvériser la certitude qu'il s'est construit que tu m'aimais.

- Mais je t'aime, Beauté.

- Moi aussi. Et Shura aussi m'aime et je l'aime. Mais pas de la façon dont vous vous aimez, tous les deux, ai-je vraiment besoin de te le rappeler ?

Angelo soupira.

Pendant quelques minutes, il savoura simplement la caresse de la main de son ami dans ses cheveux.

Il ne l'avait jamais accepté que de lui et de Shura.
Même si ce genre de moments était assez rare avec le Capricorne, Angelo avait appris à en apprécier chacun d'eux.

- Tu sais quand il revient, toi ?

- Non. C'est toi qui l'a eu en dernier au téléphone, en plus, non ?

- Hier midi, ouais. Il savait pas encore, mais il m'a dit qu'il tarderait pas.

- Prends ton mal en patience, alors. J'espère juste que tu ne changeras pas d'avis, d'ici son retour.

- J'ai pas pris de décision, encore.

- Pourquoi tu demandes après lui, alors ?

- Juste pour savoir.

Le Poissons observa son ami.

- Dis plutôt qu'il te manque ! Il est parti y a trois jours !

- C'est juste que je suis habitué à le savoir dans le coin… On s'est rarement séparé, ça fait bizarre. Il est vraiment loin, là, et je sais même pas avec qui.

- Oh, c'est ça qui te pose problème !

- Je n'ai aucun problème, grogna-t-il. Juste quelques interrogations.

- Tu sais ce qu'il te reste à faire pour ne plus avoir à te demander avec qui il est, s'il devait partir loin de toi, à nouveau.

- Si on se met ensemble, je le laisserais plus jamais partir, répliqua fermement Angelo. Pas sans moi. Je le suivrai même s'il va bouffer de la paella à domicile !

- Flûte et zut, j'aurais dû trouver un moyen de t'enregistrer ! se désola le Douzième gardien. Ça a autant de valeur qu'une déclaration ! Un contrat de mariage, même !

- Ce te dirait pas d'arrêter de te foutre de ma gueule ? proposa le Cancer en relevant les yeux vers son ami.

- Ne m'en donne pas autant l'occasion et tout ira bien.

- Tch… Je crois que je vais rentrer et me branler un coup.

- Tu sais que tu n'es pas obligé de tout me dire, soupira Aphrodite en levant les yeux au plafond.

- J'ai peut être pas besoin de rentrer non plus. On peut faire ça ici, toi et moi. C'est pas grand-chose.

Cette réflexion lui valut une claque sur le front.

- Aïe !

- Non mais tu t'entends ? T'es limite pathétique, là ! Je crois que je vais appeler Shura et lui demander de rentrer illico presto, avant que tu deviennes encore plus intenable.

- C'est une bonne idée, tiens ! s'enthousiasma Angelo.

- Pourquoi tu l'appellerais pas toi-même, plutôt ? Ou mieux, on l'appelle ensemble, décida Aphrodite. Allez lève-toi, on y va tout de suite. Il doit encore y avoir du monde au Treizième, à cette heure-ci.

Il le poussa sans ménagement pour se lever.
Angelo grommela en se redressant.

- Je préférerai qu'on se branle.

- C'est même pas vrai !

Le Cancer ne releva pas.
Ils savaient tous les deux que c'était la stricte vérité, Angelo voulait entendre la voix de Shura.
Cette envie primait sur tout le reste.

- Ouais, ce sera sûrement encore mieux après l'avoir entendu.

Aphrodite le frappa au torse, cette fois-ci.

- Ne salit pas tout !

- Je ferai attention, promis.

- T'es irrécupérable ! soupira-t-il, tandis qu'ils quittaient son Temple. Finalement, Shura sera peut-être mieux sans toi.

Angelo le poussa fortement, mais Aphrodite tint bon sur ses appuis.

- Tu deviens méchant. T'es en manque, je le savais !

- Que ce soit le cas ou non, ça ne te concerne plus ! Surtout que tu ne peux plus rien faire, de toute façon.

- C'est bon, j'ai compris ! assura-t-il, alors qu'ils prenaient déjà le chemin du Treizième.

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Fin du flashback

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- Il sera forcément exclu, d'une manière ou d'une autre, malgré toutes les précautions que nous pourrons prendre et l'amitié dont nous ne cesserons jamais de l'entourer, se désola Shura, sortant Angelo de ses pensées.

- Je sais bien qu'il pourra pas nous suivre. C'est différent de la relation que j'avais avec lui, même si t'étais aussi exclu, d'une certaine façon. On avait notre équilibre, tous les trois. Si on se lance, ça changera complètement la dynamique entre nous.

- Mais il restera notre précieux ami. Celui-là même qui a tellement œuvré pour qu'on en arrive-là.

- Ça, on peut pas lui enlever ! T'imagine même pas le nombre de fois où il m'a pris le crâne pour que je vienne te parler.

- Sûrement autant qu'avec moi.

- C'est sûr, j'suis con ! se désespéra Angelo en posant un court instant son front contre celui de Shura. Il n'a jamais voulu que notre bonheur. Il se fiche royalement de tout, sauf d'Athéna, de Saga et de nous deux.

Le Capricorne laissa échapper un nouveau soupir désolé.

- J'aurais préféré ne pas le voir et le faire souffrir, surtout que c'est déjà assez difficile pour lui, avec Saga et son amour impossible.

- Et t'as peut-être pas souffert, toi, à me regarder m'envoyer en l'air avec lui toutes ces années ? fit remarquer le Cancer en grimaçant. Parce toi et moi, ça date pas d'hier !

Shura le savait, mais cela lui fit quelque chose d'entendre la confirmation de la bouche même d'Angelo.

- C'était ce qui te convenait le mieux.

- Et alors quoi, tu te consolais comme ça ? ricana amèrement Angelo.

E- ntre autres. Je te rappelle que je n'ai jamais cru que ce serait possible, tous les deux, alors je ne t'ai pas sagement attendu pour vivre mes propres expériences.

Angelo relâcha son poignet tout en dégageant le sien, le regard assombri.

- T'étais pas obligé de me mettre ces images en tête…

Il se détourna pour partir, mais Shura le ceintura et posa son front contre sa nuque.
Il inspira profondément l'odeur mêlée de son parfum et de son shampoing.

- Je ne voulais pas te blesser, désolé.

- Ok, c'est bon.

Shura resserra encore son étreinte.

C'était autant pour transmettre ses sentiments que pour se donner du courage, face à la décision qu'il venait de prendre d'avouer ce qu'il s'était efforcé de cacher depuis toujours.

- Je ne te le dirai sûrement pas souvent, mais je t'aime vraiment, connard de rital… Alors fais pas le con.

Le rire grave du Cancer résonna à ce propos et fit vibrer chaque cellule du corps du Capricorne appuyé contre lui.

- C'est la déclaration d'amour la plus pourrie que j'ai jamais entendu, Don Juan de mes deux !

- Parce que t'en as entendu d'autres, Casanova de pacotille ?

- Enfoiré d'espanche… grogna-t-il.

L'Espagnol en question sourit un très vourt instant, avant de redevenir grave.

- J'étais sérieux.

Angelo posa sa main sur celles que Shura avait noué sur son ventre.
A l'inverse des siennes, elles étaient aussi chaudes que le souffle qu'il sentait chatouiller délicieusement sa nuque.

Chaque cellule du corps de Shura brûlait d'amour pour Angelo.

- Je sais, Shurizo mio. Et je te l'dirai peut-être encore moins que toi, mais je t'aime aussi, stupido. Alors me laisse pas faire le con.

Shura se recula et lui donna un bon coup de poing sur l'épaule.

- Jamais tu prendras tes responsabilités, hein ?

- Bordel ! jura Angelo en lui faisant face et en se massant l'épaule. T'étais obligé de frapper si fort ?

- C'était mérité.

- Après cette discussion, je pensais mériter mieux !

- C'est vrai, tu as fait beaucoup d'efforts.

Impossible de dire si Shura se moquait ou s'il était sérieux.

Peut-être un peu des deux.
Sûrement, même.

- Et donc ? demanda Angelo avec espoir.

- Je sais pas, tu veux un café ?

- Ah, je croyais qu'on irait direct au pieu, moi ! se désola-t-il en s'avançant pour l'enlacer.

Mais Shura recula, récupéra un coussin sur le canapé qu'il écrasa sur son visage pour le repousser.

- Bah quoi ? demanda le Cancer en se dégageant. J'aurais pas été contre un bon plateau de Shurizo pour bien commencer la soirée ! Mais va pour un café d'abord, accepta-t-il en balançant le coussin confisqué sur le fauteuil. Par contre, c'est moi qui le fait. J'en suis pas au point de tout accepter de toi, non plus ! Et certainement pas ce truc dégueu que t'oses appeler café !

Shura n'était ni surpris, ni inquiet de la décision d'Angelo de ne pas lui sauter dessus tout de suite.
Il partageait sûrement avec lui ce besoin de faire retomber la pression, pour permettre à d'autres sentiments de remonter à la surface et occuper ensuite tout l'espace.

Ce fut donc en souriant qu'il gagna la cuisine, son ami et désormais compagnon sur les talons.

- Et si je reste avec toi ce soir, t'auras même plus besoin de chercher un autre livre à lire !

Évidemment, le Cancer n'avait repoussé l'occasion que de quelques heures.

- Oui, bon, ne t'installe pas non plus trop vite !

- Fais pas genre, alors que t'attendais que ça ! Ça fait des années que tu m'répètes que je suis ici chez moi, en plus !

Le Cancer sortit les tasses pour le café, celle de Shura et la sienne.

Il se l'était appropriée des années plus tôt.
Il y avait une sirène gravée dessus et cela lui rappelait autant Aphrodite, Chevalier des Poissons, que Shura, le Capricorne au corps de chèvre et à la queue… de poisson.

- Je t'ai dit de faire comme chez toi, pas que c'était effectivement le cas.

- J'espère que ça le sera bientôt, lui dit simplement Angelo.

Il se pencha et déposa un baiser sur sa joue au passage.

Shura se figea un instant, le cœur battant à mille à l'heure.
Puis, il disparut à moitié dans le placard pour chercher le café, pourtant à portée immédiate.

Angelo sourit face à son manège, mais il résista à l'envie de le taquiner davantage.

Il se demanda brièvement comment un être aussi taciturne et fermé que Shura, du moins en apparence, pouvait montrer parfois un côté si adorable…
A moins qu'il ne fut le seul à le voir ainsi.

Ce ne serait pas la première fois que Shura lui montrerait une facette de lui qu'il ne s'autorisait à dévoiler à personne d'autre.

Le café fut prêt rapidement et les deux hommes regagnèrent le salon pour le déguster, tranquillement installés sur le canapé, côté à côté, tout en discutant simplement.
A première vue, c'était presque comme si leur précédente conversation n'avait pas eu lieu, et qu'ils n'avaient pas pris de décision si importante pour leur avenir commun.

Mais en y regardant bien, ils étaient un peu maladroits, presque intimidés, par moment.
Car il n'y avait plus de distance entre eux et cela aussi les faisait réagir malgré eux.

Leurs bras et leurs cuisses se frôlaient ou s'appuyaient fortement les unes aux autres, là où ils veillaient chacun, auparavant, à ne jamais trop prolonger le moindre contact involontaire.

Tout en cherchant à en profiter jusqu'à la dernière seconde.

- Je pensais à un truc, lâcha soudain Angelo, après un silence confortable.

Shura reposa sa tasse vide et l'interrogea du regard.

- On est le 11 janvier.

- Et donc ?

- Demain, c'est ton anniversaire, Shurizo, rappela-t-il en passant sa main dans les cheveux de Shura un court instant. Et tu vas pouvoir fêter ton quart de siècle de la meilleure façon qui soit : en te réveillant avec moi dans ton pieu ! Ça ressemblerait pas au cadeau parfait, hein ?

Bien sûr que ça l'était, Shura ne voulait même rien d'autre que d'avoir Angelo à ses côtés, ce jour-là, tous les ans, pour toujours, et tous les autres jours aussi.
Mais il avait quand même envie de faire ravaler son sourire de séducteur à Angelo.

Et pour cela, il n'y avait qu'un seul moyen.
Mais oserait-il être déjà si audacieux, alors qu'ils s'empêtraient tous les deux dans une espèce de timidité qui ne leur ressemblait absolument pas ?

La question ne se posait même pas, en vérité.
Il fallait faire sauter le verrou une bonne fois pour toutes et débloquer la situation, pour sauver leur soirée.
Et peut-être aussi leur première nuit.

Volontairement ou non, Angelo venait de leur offrir l'occasion de le faire.

Résolu, Shura se leva pour se rasseoir sur les cuisses d'Angelo et glissa ses bras autour de sa nuque.

Le Cancer fut plus que surpris par ce mouvement inattendu, mais il agrippa néanmoins presque immédiatement les hanches de son Capricorne, intrigué – et soulagé - par son attitude et sa témérité.

- Ce qui veut dire que tu vas t'offrir à moi demain matin, c'est ça ? murmura Shura d'une voix dangereusement rauque. Ça va être difficile d'attendre jusque-là, mais je veux bien être sage, cette nuit. Ça en vaut la peine.

La provocation fit mouche, Angelo perdit son sourire et ses mains se crispèrent sur le pull de Shura.

- Attends, attends, attends, stop, deux secondes, là, y a trop d'infos d'un coup ! s'affola-t-il. Je crois que tu te méprends, t'as pas bien capté ce que je voulais dire !

Évidemment, cela ne serait jamais aussi simple de convaincre Angelo de se donner à lui.
Surtout pour leur première fois.
Il était presque en panique, à cette simple idée.

Enfin, c'était ce que pensait Shura.

- Détends-toi, je plaisantais, le rassura-t-il d'ailleurs. Je ne te sauterai pas dessus, promis.

- Ah ! mais ça ne me pose pas de problème que tu le fasses ! répliqua immédiatement le Cancer. Et quand tu veux !

Le Capricorne haussa les sourcils de surprise.

- J'ai mal entendu, je crois.

- Non, je suis sérieux, là. C'est toi, alors ça va, je peux gérer…

Ému par ces simples mots, Shura détourna un court instant le regard.
Mais le magnétisme d'Angelo l'obligeait à revenir se noyer dans le sien, et il y plongea à nouveau avec intensité.

- Pourquoi t'es dans cet état, alors ?

- Parce que je veux pas attendre jusqu'à demain, moi !

Shura essaya vraiment de ne pas rire, mais sans succès, et les notes graves et chaudes résonnèrent mélodieusement.

Angelo adorait ces moments précieux où son ami exprimait sa joie ou son enthousiasme. Ils avaient été si rares, dans leur précédente vie ou rien n'avait donné à Shura de réelles occasions de se réjouir pleinement.

Ce n'était pas un enfant très gai, à la base, même s'il savait sourire, faire des bêtises et rire.
Et à partir de la mort d'Aioros, son caractère taciturne et réservé s'était encore accentué.

Il attira Shura contre lui et le serra à l'étouffer.

- Hey ! protesta le Capricorne comme il put, mais en raffermissant son étreinte autour du corps de son Cancer.

Ils en avaient tellement rêver, tous les deux, en vérité !

- Arrête de te moquer et arrête d'être si craquant ! Bordel, je vais jamais tenir jusqu'à demain, t'auras ton cadeau en avance cette année, tu l'as cherché !

Ce qui fit encore rire Shura, qui termina ainsi de relâcher la pression de la journée et surtout, des dernières heures.

Une autre tension s'installait enfin, alors qu'Angelo le soulevait sans effort pour l'allonger sur le canapé et faire la démonstration de son propos.
Pour les plus grands bonheur et plaisir du couple enfin réuni et détendu.

Shura et Angelo n'avaient pas été totalement prêts à avoir cette conversation, pourtant, ils l'avaient mené jusqu'au bout.
Ils étaient désormais parfaitement préparés à en assumer toutes les conséquences.

A commencer par les plus immédiates.

.

.

Oui, Angelo avait vraiment été une mauvaise personne, dans sa première vie.
Mais peut-être que dans une précédente incarnation, il avait été quelqu'un de vraiment bon.

Il ne s'expliquait pas autrement cette incroyable chance qu'il avait, aujourd'hui, d'avoir Shura à ses côtés, non plus comme il en rêvait, mais prêt à construire une relation concrète et durable avec lui.

Dans sa première vie, le Capricorne avait été son garde-fou et avait préservé le peu de lumière que son âme pourrie gardait encore.
Il avait entretenu sa lueur par son amitié, comme on souffle sur les braises d'un feu mourant pour en raviver la flamme.

Shura avait veillé sur lui, avec la constance et la rigueur qui lui étaient propres, sans jamais faillir ni se décourager face à son comportement monstrueux et les atrocités qu'il commettait.

Toutes ces années, Shura avait condamné ses actions sans jamais le juger, pourtant.
Plus d'une fois, il lui avait mis le nez dans sa merde, d'une main, tout en lui tendant l'autre pour l'aider à se relever.

Angelo s'était souvent dit que pour agir de la sorte, Shura devait être soit fou, soit amoureux de lui.
La folie ou l'amour seuls pouvaient expliquer cette acharnement à le protéger d'un basculement total vers sa propre folie… ou sa mort.

Il n'avait voulu que ce soit ni l'un, ni l'autre.

Mais il avait vite compris les sentiments de Shura à son égard.
S'il n'en avait jamais parlé avant, c'était parce qu'il se savait indigne de lui.

D'être aimé, déjà.

Mais par un homme tel que Shura, c'était tout bonnement inconcevable.

En tant que Deathmask, il l'aurait détruit.
Il le savait.
Lui, leur amour, leur amitié, tout aurait été consumé par sa folie destructrice.

Alors, il s'était perdu dans les bras d'Aphrodite, qui recueillait son désespoir et nourrissait sa folie, partageant avec lui la frustration d'un amour impossible et évacuant entre leurs draps, ensemble, toute la tension accumulée par leurs pulsions et leurs conséquences.

Assumant pleinement leurs actes et leur folie, dansant dangereusement sur le fil et prêts à basculer à tout instant…
Mais au final, toujours préservés et secourus par le regard parfois désapprobateur, mais toujours concerné, attentionné ou inquiet de leur ami et sauveur du Capricorne.

Seulement pour cette nouvelle vie, Angelo n'avait plus besoin de cela.

Purifié par le cosmos bienveillant d'Athéna, son âme était comme neuve.
Sa rencontre avec sa Déesse avait tout changé.

Son pardon absolu avait détruit tout le mal en lui, apaisé toutes ses tensions, soigné toutes ses blessures.
En un instant, Elle l'avait définitivement guéri de sa folie, que le Lémure avait entretenue et encouragée durant treize longues années.

Alors, après de très longs mois de tergiversations et d'efforts, le nouvel Angelo, qui se faisait désormais appeler par son prénom par tous, s'était senti enfin à peu près digne de faire face à ses sentiments.
Et surtout, à les révéler au principal intéressé.

Parce que, concrètement, il ne voyait pas quel autre sens donné à sa vie retrouvée.

Dans tout ce qu'il imaginait ou envisageait pouvoir faire, il y avait Shura à ses côtés.
Et plus il y avait réfléchi, depuis leur retour, moins il le voyait comme un ami, dans ses projections vers le futur plus ou moins lointain.

L'ami de toujours s'effaçait pour prendre une place que le Cancer lui avait toujours voulu : celui du compagnon de route, de l'amant, de l'âme-sœur.

A présent qu'ils avaient pu parler, le pas vers la réalisation et la concrétisation de cet espoir était franchi.
Il ne leur restait plus qu'à vivre cette histoire qu'ils avaient à peine osé imaginer, encore quelques temps en arrière, pas si lointains que ça.

Et au Cancer résolu de tout mettre en œuvre pour enfin récompenser son Capricorne pour toutes ces années de soutien, de patience, de foi parfois aveugle en lui, d'amitié et d'amour silencieux, de protection, de présence et peut-être aussi, d'attente inavouée.

Sa décision prise, Angelo s'était promis de rendre Shura heureux.

Il avait commencé par un plaisir tout simple : lui préparer le meilleur café possible, même si ce n'était pas la première fois.

Et il était bien parti pour remplir un autre objectif de ce plan : lui faire passer la plus belle des soirées et aussi, une nuit qu'il ne serait pas près d'oublier.

Ainsi, Angelo en était sûr, ils en reparleraient encore dans des dizaines d'années, lorsque très âgés mais encore alertes, ils reparleront des débuts de leur longue histoire avec émotion, nostalgie, et toujours autant d'amour.

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.

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Notes :

Parles comme tu manges : Parla come mangi– expression italienne pour dire : « Viens-en au fait !» Elle est plutôt employée pour demander à quelqu'un qui embrouille avec son discours et plein de détours inutiles d'aller droit au but.

Anerríphthô kýbos : locution grecque signifiant (que) le dé soit jeté ! Connu aujourd'hui sous sa forme latine alea jacta est, unetraduction erronée de Suétone qui veut dire : les dés sont jetés/le dé (ou le sort) est jeté. Ce qui change le sens.
César cita dans la langue originale ce proverbe grec bien connu « ἀνερρίφθω κύϐος » qui apparaît notamment dans un vers de Ménandre, auteur apprécié de César. Cela se serait passé le 10 janvier 49 avt J-C devant le Rubicon qu'il allait franchir.

Pour la chronologie "officielle" indiquée en début de chapitre, je suis consciente qu'elle est fragile et pose question. Déjà, les batailles sont plutôt rapprochées dans le temps, alors qu'elles ont été chacune très violentes et ont occasionné des blessures assez graves. C'est surprenant qu'ils se soient tous remis en si peu de temps.
Un autre point me chiffonne, durant la Guerre Sainte, Athéna dit à Saga "Il y a 13 ans, alors que je n'étais qu'un bébé" pour évoquer sa tentative d'assassinat, lorsqu'il était possédé. Or, cet évènement a eu lieu en 1973. La Guerre Sainte devrait donc logiquement avoir eu lieu en 1986. Peut-être que certaines traductions sont approximatives. Mais ce ne serait pas la première incohérence relevée dans l'oeuvre, de toute façon, donc j'ai choisi de ne pas trop m'y attarder.

Merci d'avoir lu ce chapitre, à bientôt pour le prochain, je n'ai pas encore décidé lequel ce sera parmi ceux déjà prêts.

Lysanea