Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf Simon.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Rhadamanthe x Kanon, Saga x Aioros, Milo, Hadès.
Rating : T
Note : Bonjour à tous ! Merci aux fidèles lecteurs et désolée pour le retard !
Merci aux fidèles lectrices et revieweuses, Athéna, Mini-Chan et Julia13Verseau :
Athéna, merci beaucoup de prendre ce temps pour découvrir mon histoire et surtout, me dire ce que tu en as pensé ! Il n'y a aucune obligation de le faire à chaque fois, c'est comme et quand tu peux ! L'important, pour moi, est que tu apprécies et si tu me le dis à la toute fin, j'en serais aussi très heureuse, je ne me demanderai pas si je t'ai perdu en cours de route parce que tu n'aimais plus ce que tu lisais ! Je suis en tous cas soulagée que tu aies aimé le dernier chapitre un peu sucré, je l'avoue. Je les imagine assez sensibles, nos Chevaliers, peut-être parce qu'ils pleurent assez rapidement, je trouve, dans l'oeuvre originale et ils sont assez grandiloquents et démonstratifs dans leurs sentiments. Autant, c'est compréhensible pour les bronzes, après tout, ce sont des enfants, ils ont 13 - 14 ans, 15-16 pour Ikki. Autant, pour les Chevaliers d'Or, c'est parfois un peu poussé ! Mais ça fait tout leur charme aussi, je ne m'en plains jamais !
Julia13Verseau : je pense avoir répondu à ta review (j'espère !) sinon, mille excuses ! Je me rattraperai après vérification !
Mini-Chan : Merci à toi ! J'essaie en effet d'introduire des éléments et des faits avérés, en tous cas d'en donner le plus d'explications possible quand je le fais. Je le pense nécessaire quand on écrit dans l'univers de Saint Seiya, entre la mythologie de notre monde et l'hypermythe, l'univers créé par Masami Kurumada. Ce n'est pas toujours facile de concilier les deux, chaque auteur fait ses choix. Par exemple pour Rhadamanthe, il y a beaucoup d'évènements de sa mythologie qui diffèrent d'un auteur ancien à l'autre. J'essaie de trouver un équilibre en optant pour ce qui irait le mieux avec Saint Seiya... et ma fic, au passage ! Je veux juste rendre les choses les plus réalistes possibles pour un meilleur ancrage de mon histoire dans la réalité et la rendre plus crédible, plus proche de l'œuvre originale. Un mot pour te répondre sur Mu : il n'y a pas vraiment d'ambiguïté, Mu n'éprouve pas de sentiments amoureux pour Saga, selon moi. Il n'a aimé que deux personnes dans son enfance, Shion et Saga, ils étaient tout pour lui et ils les a perdu en même temps. Il éprouvera toujours un amour très fort pour eux, très proches, qui mêle affection, confiance, admiration, respect et reconnaissance. C'est cela qui, à mon sens, le fait réagir à al présence de Saga, à sa vue, à ses échanges avec lui. Enfin, rn ce qui concerne Angelo et Simon, la réponse est non, pas d'adoption. Pour le couple Shura et Angelo, il se trouve que j'ai été fortement inspirée, vive les muses capricieuses, donc ils auront une part importante dans la fin de mon histoire, qui s'est rallongée de deux chapitres. Cependant, elle sera bientôt finie quand même, je ne veux pas trop la faire durer.
Concernant le couple Rhadamanthe x Kanon, je fais allusion à beaucoup de points de leur histoire et de leur relation. Je ne m'y attarde volontairement pas, car j'ai le projet d'une fic qui leur sera entièrement dédiée, où je développe tout, leur passé, le présent, le lien entre les deux, l'histoire des âmes... J'espère pouvoir le mener à bien, ce projet, et j'espère que cela ne déséquilibrera pas cette histoire-ci.
Merci encore et bonne lecture !
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Chapitre Quatorze : Entre ce qui existe et l'irréel, il y a l'amour.
(Dicton espagnol)
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Royaume souterrain
Cocyte, Caina
Mai 1989
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Le regard rivé au damier où se déroulait une partie acharnée et serrée de petteia (1), Rhadamanthe était plus concentré que jamais.
A peine relevait-il les yeux de temps à autres pour de furtifs coup d'œil vers son amant, mimant une assurance qu'il était loin de ressentir.
La lutte était rude, il n'avait plus eu autant de difficultés à remporter ce jeu depuis la précédente incarnation de Lady Pandore, deux siècles plus tôt.
Les natifs du Gémeaux étaient souvent d'une grande intelligence, il le constatait encore pour la énième fois de sa longue existence.
Kanon était un adversaire redoutable, c'était un plaisir de l'affronter, et il pesait ses mots.
Rhadamanthe l'avait su dès leur première rencontre aux Enfers, alors que se dessinait l'épilogue de la Guerre sainte qui les opposait.
Il avait ensuite découvert, au cours de discussions argumentées, puis au détour d'une première partie d'échecs avec lui, que l'affronter intellectuellement était tout aussi délectable que l'avait été leur combat.
Et presque aussi jouissif que ne l'étaient leurs œuvres de chair.
Kanon ne le stimulait et ne le comblait pas uniquement physiquement et sentimentalement, mais aussi mentalement et intellectuellement.
Il était parfait, le partenaire idéal pour lui.
Et le Gémeau partageait ce même sentiment concernant son Juge.
Rhadamanthe se décida enfin pour un mouvement et tendit sa main vers le damier pour prendre son pion, lorsqu'une aura écrasante s'abattît soudain sur Caina.
- Rhadamanthe ! tonna la voix surpuissante d'Hadès, déchirant l'air autour du couple.
Le Spectre mit immédiatement un genou à terre, malgré la gravité qui pesait sur lui et ne fut pas surpris de voir que Kanon réussissait également à se mouvoir pour imiter son geste.
- Votre Majesté, Seigneur Hadès, je suis à vos ordres.
- Votre Majesté, salua également Kanon entre ses dents serrées par la pression divine.
C'était réellement monstrueux.
Plus du tout limitée par une incarnation de chair, l'aura du Maitre des Enfers était terrifiante de puissance et de magnificence.
C'était sombre, oppressant, presque suffocant et Kanon douta un instant de pouvoir supporter cela bien longtemps, avant d'être littéralement broyé au sol.
Mais brusquement, l'atmosphère s'allégea, tout en restant suffisamment pesante pour maintenir les épaules ployées.
- Pandore m'a transmis ton courrier et ta requête. Bien que Je sois prêt à te recevoir sur n'importe quel motif, rien de ce que tu n'as indiqué ne nécessite un entretien avec moi.
- Votre Majesté, je vous prie de me pardonner mon audace, mais je me permets d'insister…
- Comme toujours, lorsqu'il s'agit de Kanon des Gémeaux, le coupa Hadès. Je le tolère uniquement parce que c'est toi, Rhadamanthe et qu'il est bien plus que son incarnation, à tes yeux. Je veux bien aussi admettre que cette âme a suffisamment souffert des agissements de Minos pour justifier une certaine mansuétude.
- Je vous remercie, Votre Majesté. Aussi, concernant le problème que je me suis permis de vous soumettre…
- Il n'y a aucun problème, Rhadamanthe, le coupa le Dieu avec patience, cependant. Si Athéna libère son Chevalier, Je ferais de lui un Spectre, voilà tout. Pensais-tu que Je pourrais te refuser une telle chose ? Plus qu'un simple neveu, tu es l'un de Mes précieux Juges, le plus puissants de Mes Spectres et de Mes Généraux. Moi qui suis séparé de Perséphone deux tiers de l'année terrestre, ne suis-Je pas le mieux placé pour te comprendre, ayant été témoin de ta lente agonie et de ta longue quête solitaire pour retrouver l'autre partie de ton âme ?
- C'était la première fois que Kanon se retrouvait « face à » Hadès, qu'il l'entendait parler et plus particulièrement, échanger avec Rhadamanthe.
Il n'était pas le genre d'homme que les Dieux intimidaient, il ne les avait jamais craint.
Il avait seulement appris à leur témoigner du respect et à aimer Athéna, plus que jamais sa Déesse.
Néanmoins, il était surpris, voir impressionné par les propos d'Hadès et sa discussion avec son Juge.
- Évidemment, Votre Majesté, et je vous remercie de Votre compréhension et de Votre sollicitude, était en train de répondre le Juge. Un problème se pose cependant, car Kanon ne souhaite pas rompre son allégeance à Athéna. Si un conflit devait à nouveau surgir entre nos deux Royaumes…
- Je sais, tu m'as déjà expliqué tout ceci en détails. J'ai lu chacun de tes mots, Rhadamanthe.
- Loin de moi l'idée de mettre en doute l'attention que Vous avez aimablement accepté d'accorder à ma missive, Votre Majesté.
- Je préfère cela. Je ne refuse ni ne nie l'éventualité d'une nouvelle Guerre sainte. La Paix n'a pas Notre éternité, après tout. Et le désaccord majeur qui Nous oppose, Athéna et Moi-même, demeure : Je reste convaincu que l'amour éprouvé par les humains n'est qu'une illusion créée par eux. Il ne vaut pas celui des Dieux et il n'en a certainement pas le pouvoir. Les humains sont faibles et méprisables, arrogants et irrespectueux... Si peu d'entre eux se démarquent ! Mais passons, tel n'est pas le sujet. La question ici étant, si un nouvel affrontement avait lieu, alors que Kanon des Gémeaux nous a rejoint en tant que Spectre, que se passerait-il, n'est-ce pas ?
- Oui, Votre Majesté. Nous y avons déjà longuement réfléchi, mais pour l'heure, nous n'avons pas su trouver de réponse.
- C'est pourtant très simple, Rhadamanthe, et assez évident.
- Votre Majesté ? s'étonna le Juge.
- Si une telle situation se présentait, Je vous renverrais tous deux à la surface en tant qu'êtres humains mortels et dépourvus de cosmos, mais à la mémoire intacte. Vous subirez ainsi le sort du plus insignifiant habitant de la Terre, impuissants, et devrez attendre l'issue de cet affrontement sans jamais pouvoir y participer. Et bien évidemment, en subir les conséquences, selon quel camp la Victoire aura embrassé. A votre mort, et bien… Je déciderai quoi faire de vous. Tu vois bien qu'il n'y a aucun problème, Rhadamanthe ! Si vous acceptez ces conditions, l'éternité ensemble vous est acquise… enfin, plus ou moins. Cependant, Je comprendrai tes réticences à te lier aux humains, Mon cher Juge. C'est une décision qui doit être prise après mûre réflexion.
Rhadamanthe réussit à lever légèrement les yeux vers Kanon, malgré leurs têtes toujours baissées.
Celui-ci devinant le mouvement de son compagnon en fit de même, et leurs regards s'accrochèrent.
La même lueur de surprise, mais surtout d'espoir, brillait dans chacun d'eux.
- Nous n'avions pas envisagé cette possibilité, Votre Majesté, car je pensais devoir garder mon rang et tenir mon rôle, en cas de nouvelle Guerre.
- Tu es le meilleur d'entre tous, c'est un fait, mais tu as aujourd'hui d'autres attaches, d'autres... préoccupations. D'autres priorités, également. Je pourrais te contraindre, mais te placer dans une situation de conflit intérieur t'affaiblirait et donc, M'affaiblirait, Moi. Ce n'est pas envisageable.
- Je comprends, Votre Majesté. Dans ce cas, la solution que vous avez proposé répond tout à fait à notre dilemme.
Car oui, il n'y avait pas de problème.
Il n'y en avait en fait jamais vraiment eu !
- Tu aurais pu la trouver seul, tu es suffisamment intelligent pour cela.
- Je suis désolé de vous décevoir, Votre Majesté.
- Je n'irai pas jusque-là. C'était probablement hors de portée, puisque Je suis le seul à pouvoir apporter cette solution, reconnut Hadès. Tu aurais dû m'en parler plus tôt, cependant, tu aurais gagné du temps, Rhadamanthe.
- Je ne voulais pas vous déranger avant d'avoir réfléchi à toutes les possibilités, Votre Majesté.
- Tu es un idiot.
- Oui, Votre Majesté.
Kanon esquissa un sourire.
Il n'y avait bien que par Hadès et parfois, par son compagnon, que Rhadamanthe se laissait traiter d'idiot aussi facilement, et il ne le confirmait que lorsque cela venait de son Seigneur.
- Je dois reconnaître que J'ai manqué de clairvoyance, reprit le Maître des Enfers. Si J'avais anticipé ta demande, Rhadamanthe, je n'aurais pas accordé autant d'années à la surface au Chevalier cadet des Gémeaux. J'ai hâte qu'une âme si puissante rejoigne nos rangs, la voir à la surface est un tel gâchis !
- Oui, Votre Majesté.
Et Rhadamanthe n'acquiesçait pas par simple convenance, il « tait aussi convaincu que son Seigneur.
- Kanon des Gémeaux ! résonna la voix de ce dernier.
- Votre Majesté, répondit immédiatement Kanon, malgré la pression qui venait de se renforcer sur ses épaules.
Toute l'attention du Dieu était focalisée sur lui, à présent.
Un lourd silence se fit.
- Rhadamanthe est une grande âme majestueuse, noble, puissante et loyale, rare et précieuse. Le privilège d'en être aimé n'égal que la somme de ses vertus.
- Oui, Votre Majesté.
- Majes…
D'une pression de son cosmos, Hadès fit taire son Juge surpris par tous ces compliments de son Seigneur, qui en était si avare, ordinairement.
Une nouvelle pause, puis la voix du Dieu résonna une dernière fois.
- Ne nous déçois pas.
Plus qu'une recommandation ou même un avertissement, c'était clairement une menace.
Kanon n'eut pas le temps de répondre, la présence écrasante disparut aussi brusquement qu'Hadès n'était apparu.
Et il n'eut guère le temps de s'empêcher de s'étaler au sol, de se remettre ou d'amorcer un redressement, qu'il vit une ombre s'abattre sur lui il se fit littéralement enfermer dans une étreinte puissante.
Alors, la réalisation de tout ce qu'impliquait cette courte discussion avec le Dieu des Enfers monta enfin à son esprit et à son tour, il referma ses bras autour de Rhadamanthe et l'enlaça avec la même force.
Celui-ci n'avait pas dit un mot, le soulagement et l'émotion enserraient presque douloureusement ses cordes vocales comme dans un étau.
Il n'était ni sensible, ni démonstratif, ni excessif, habituellement.
Enfin, il avait sa propre façon de l'être, et le plus souvent, c'était dans leur intimité.
Et plutôt avec l'expression de son désir que celle de ses sentiments.
Mais son Seigneur venait de lui rendre son éternité avec Kanon, celle qu'il avait jugé acquise et qui lui avait pourtant échappé si brusquement, au détour de quelques phrases.
Rhadamanthe avait ressenti le passage du temps plus que jamais, cette dernière semaine depuis sa première discussion sur le sujet avec Kanon.
Comme si ses jours avec lui avaient été comptés.
Quelle sensation désagréable et affreuse, oubliée depuis si longtemps, avait-il éprouvé alors…
Il en avait souffert, sans avoir pris la mesure réelle du poids que cela pesait sur son cœur, son esprit et jusqu'à son âme.
Pas avoir d'en avoir été libéré d'un coup par son Seigneur.
Cela donnait tellement le vertige qu'il s'accrochait au corps de Kanon en le serrant puissamment contre lui.
Un simple humain aurait été broyé par cette force.
Au contraire de quoi et sans surprise, Kanon la lui retournait à l'identique.
Après le soulagement vinrent l'exultation, l'euphorie.
Puis l'excitation, le désir, la passion, la fougue, la fièvre…
L'amour, la libération…
L'extase.
Étendus l'un contre l'autre entre les draps de satin bleu nuit totalement défaits, sur le lit qu'ils avaient fini par rejoindre, les deux amants repus temporairement reprenaient doucement leur souffle, perdu entre les baisers, les soupirs et les cris.
- Douche… murmura Kanon.
- Bain ? proposa plutôt Rhadamanthe, le nez contre son cou.
- Bain, accepta-il en se redressant.
Ils gagnèrent la salle de bain et s'installèrent dans la grande baignoire ovale creusée profondément à même le sol volcanique et brûlant des Enfers.
L'eau chaude coula et monta rapidement, jusqu'à la taille de Rhadamanthe, légèrement plus haut pour Kanon qui était assis entre ses jambes écartées, dos contre son torse.
Le Gémeau avait relevé ses cheveux au-dessus de sa tête, laissant sa nuque et ses épaules dénudées.
Et surtout à la merci d'une Wyvern qui ne se privait pas pour les couvrir d'attentions.
- J'aurais voulu mourir jeune pour garder ce corps intact et désirable pour toi, déclara soudain Kanon.
- Ne t'en fais pas pour ces détails, répondit le Juge entre deux tendres morsures.
- Quand je serai vieux et rouillé et que je pourrai plus assurer au lit, tu ne diras plus la même chose ! fit remarquer le Gémeau. Quoi que, j'y pense, tu n'auras sûrement plus envie de me toucher… et moi non plus, ce serait trop étrange…
- Kanon…
- Jusqu'à quel âge tu crois qu'on va pouvoir continuer à… aïe ! Mais qu'est-ce qui te prend ? s'insurgea Kanon en posant la main sur son épaule que Rhadamanthe venait de mordre plus férocement.
- Tu réfléchis trop et à des choses futiles, je court-circuite tes pensées.
- Elles ne le sont pas pour moi ! Cela ne te fait pas te poser des questions, cette différence d'âge qui va se creuser ? Est-ce que tu y as seulement réfléchi ?
- J'ai plus de trois millénaires, tu auras trois décennies dans quelques jours.
- Mais ta présente incarnation a 24 ans, j'ai déjà six ans de plus que toi. Cela ne se voit pas encore, mais dans dix ou quinze ans…
- Cela ne se verra pas davantage, le coupa-t-il en resserrant son étreinte autour de sa taille. Pour la simple et bonne raison que je peux faire en sorte de limiter cet écart, si tu le souhaites. Et avant que tu ne me fasses un nouveau procès, sache que je comptais bien aborder ce sujet important avec toi. Tu l'as simplement évoqué plus tôt que je ne l'avais escompté.
- D'accord, mais… comment tu pourrais faire ça ? demanda Kanon en posant sa tête contre son épaule.
Sa nuque épousait parfaitement l'arrondi de celle-ci.
Rhadamanthe en profita pour embrasser sa joue toute proche.
- Il y a bien longtemps, durant les temps mythologiques où je foulais le sol sacré des Terres grecques, Athéna m'a fait un don précieux : Elle m'a permis d'utiliser une fois le misopéthamenos.
- C'est le don qu'Elle a accordé au Vieux Maître, non ? Il simule le vieillissement par le ralentissement du cœur.
- Exactement. Une année compte alors pour un seul jour.
- Mais je croyais que c'était un attribut propre à Athéna ?
- C'est le cas et encore aujourd'hui, car Son pouvoir est le plus accompli. Elle ne m'a accordé qu'une forme dérivée, pour faire simple. Le don que je peux offrir doit déjà être validé et autorisé par Athéna Elle-même. Alors autant dire que ne l'ayant pas utilisé de mon vivant, je n'ai jamais pensé à en faire usage, une fois appelé par le Seigneur Hadès en tant que Spectre et Juge des Enfers.
- Oui, j'imagine.
- Il est également moins puissant que celui de ta Déesse. Au lieu d'un jour, une année équivaudra à un mois, pour celui qui le recevra de ma main. Ainsi, si cela est ta volonté et qu'Athéna y consent, dans 18 ans, tu auras effectivement consommé ce temps de vie sur celui accordé par les Dieux, mais ton corps n'aura vieilli que d'un an et demi.
- C'est… incroyable.
- Et cependant bien réel. Je crains que nous nous soyons inquiétés pour peu, in fine. Notre Destin était d'être réunis, pour toujours, c'est indéniable. Tout semble avoir été fait pour nous amener à ce point, malgré les obstacles. Nous traversons brillamment toutes les épreuves, depuis notre première rencontre, et nous en sommes désormais récompensés.
- Oui, en effet, nous n'avons pas été épargnés, mais cela répond à une certaine forme de logique. Car comme le dit si bien l'adage, « pour pouvoir contempler un arc-en-ciel, il faut d'abord endurer la pluie ».
- Je suis ton arc-en-ciel ? releva-t-il, taquin.
- Bien sûr, et moi, je suis une licorne ! se moqua-t-il tendrement à on tour.
Rhadamanthe mordit la peau délicate de sa mâchoire puissante, puis y déposa un baiser.
- Il y a bien quelque chose qui dépasse parfois, souffla-t-il contre sa trace de dents déjà visible, mais aussi dure qu'elle soit parfois, elle est bien moins pointue et bien plus agréable qu'une corne.
Kanon lui donna un coup de tête.
Il l'avait imaginé et espéré punitif et douloureux, il n'avait été que doux et presque affectueux.
Remontant sa main vers sa mâchoire qu'il venait de marquer, Rhadamanthe fit pivoter le visage de son Gémeau vers lui pour l'embrasser.
Ce dernier accepta son pardon, même si ce n'en était pas vraiment un.
- Alors, tu accepterais de bénéficier de mon misopéthamenos ? demanda le Juge, alors qu'ils se réinstallaient confortablement.
- Je crois que oui…
- Tu crois ? releva-t-il, perplexe.
- Je ne peux pas m'empêcher de penser aux autres… à Saga… Ça va me faire bizarre de les voir vieillir, alors que moi, non…
- Tu préférerais donc l'étrangeté de cette différence avec moi, avec tout ce que cela implique pour notre relation ?
- Non, bien sûr que non ! répondit immédiatement Kanon en prenant ses mains qu'il avait noué sur son ventre. Je veux rester le plus jeune et le plus en forme possible pour continuer notre relation telle qu'elle est, aujourd'hui, sans gêne, sans sentiment d'incongruité, ou pire, d'immoralité, d'indécence...
Il s'interrompit soudain, prit d'un léger rire.
- Allons donc, que t'arrive-t-il, à présent ? s'enquit Rhadamanthe avec un sourire indulgent.
Et un peu de surprise, car ils étaient en train de parler très sérieusement, malgré quelques échanges taquins et légers.
- Une pensée folle m'a traversé l'esprit : imagine qu'on se fasse arrêter un jour lors d'une de nos sorties là-haut, parce qu'on t'aurait pris pour un gigolo ! En même temps, tu fais pas gigolo du tout…
- Tu portes trop loin ton imagination, ralentis, lui conseilla le Juge en posant sa main sur son front.
Kanon le dégagea et le posa tout contre sa joue.
Il était à nouveau totalement sérieux.
- Je veux figer notre relation présente et l'inscrire dans ton éternité.
De tels propos étaient rares, mais la situation des derniers jours avait libéré une parole auparavant contenue, par pudeur ou par nature.
- Dans notre éternité, le reprit Rhadamanthe en le serrant plus fort dans ses bras. Elle t'est désormais acquise, anapnoï. (2)
Kanon n'était pas homme à rougir face à des mots doux ou des surnoms affectueux.
Au contraire, il était plutôt du genre à tourner cela en dérision, à surenchérir pour se moquer et provoquer.
Mais lorsque Rhadamanthe se livrait ainsi et l'appelait « mon souffle », il était celui qui perdait le sien.
Et les barrières du Gémeau, qui étaient un peu moins hautes et solides au fil de leur relation, explosaient.
Cette fois-ci ne fit pas exception.
- Je suis heureux... laissa-t-il échapper.
C'était donc, une nouvelle fois, un aveu inhabituel de sa part.
Et qui fit sourire le Juge.
- Tu ne me l'avais encore jamais dit ainsi.
- Je sais, grimaça Kanon. Mais tu l'as remarqué depuis longtemps, non ? Avons-nous vraiment besoin de mots, entre nous ?
- Je serai bien mal placé pour l'exiger de ta part. Ceci étant dit, parfois, ils sont appréciables, fit valoir le Spectre. Quand on désire quelque chose et qu'on met toute son âme pour le réaliser ou l'obtenir, avoir confirmation de notre réussite est agréable et même, apaisant et rassurant.
- Je le reconnais.
- Je n'ai que deux désirs, Kanon et je les ai déjà exprimés : te rendre heureux et t'avoir à mes côtés, à jamais.
- Quel chanceux tu fais, tu as tout obtenu ! se moqua tendrement le Gémeau, plus ému qu'il n'acceptait de le montrer.
Son cœur battait si fort que Rhadamanthe ne pouvait pas manquer de le sentir, étroitement enlacé comme il l'était par ses bras forts et ses jambes puissantes.
C'était bien assez parlant.
- Je n'aurais de cesse d'assurer la continuité du premier et de protéger le second, répondit sérieusement Rhadamanthe, pour sa part.
Alors Kanon adopta le même ton et la même franchise.
Le moment était grave et presque solennel, ils n'avaient pas une conversation banale, malgré les apparences et certains de leurs propos, depuis l'intervention d'Hadès.
- Permets-moi de partager ces objectifs avec toi, Rhad'.
- Je suis heureux que tu me le demandes. Et je n'ai pas à l'accepter car en vérité, Kanon, c'est déjà le cas.
- Tu as raison.
Le silence s'invita alors, confortable et intime.
Ils apprécièrent tranquillement le moment partagé en se câlinant presque distraitement, leurs corps mus par une volonté propre, alors que leur esprit se perdait dans ses pensées qui étaient pourtant toutes tournées vers l'autre.
- Comment Athéna en est-Elle venue à te faire ce don si précieux ? demanda Kanon après un moment suspendu dans le temps, impossible à mesurer.
- Durant les temps mythologiques, Athéna était la protectrice attitrée des héros. Comme tu le sais, j'avais la réputation d'être un grand roi et héros civilisateur, au même titre que Minos.
- Tu apportais la civilisation, l'ordre, la paix et la justice aux peuples sur les territoires que tu régissais, notamment en établissant des lois et en veillant à leur respect.
- Exactement, confirma Rhadamanthe, ravi.
Il avait très vite découvert que Kanon connaissait tout de son histoire, de ses légendes et de ses mythes.
Ceux qui lui étaient propres, ceux où il intervenait d'une manière ou d'une autre, ceux qui restaient incertains, et ceux encore mal documentés.
Il en avait éprouvé un mélange de joie, de fierté et de reconnaissance.
Et ne l'en avait aimé que davantage.
- Pour cela, reprit-il ensuite, Athéna souhaita un jour me récompenser en m'accordant un souhait, un don, ce que je voulais.
- Et tu lui as demandé le misopéthamenos… mais pourquoi ?
- Plutôt pour qui. Pour toi, enfin, celui que tu étais, dans ma première vie à la surface. J'étais fils de Zeus, Miletos (3) était celui d'Apollon. Bien que tous deux demi-dieux, le temps passait différemment pour moi, plus lentement. Je voulais pouvoir lui accorder ce don pour que nous passions le plus de temps possible, ensemble. Malheureusement, Minos nous a séparé et contraint à l'exil avant que je ne puisse le faire. Je pensais avoir le temps de le retrouver pour enfin réaliser ce désir de le garder près de moi, mais je suis mort avant. J'ai attendu son âme, je t'ai attendu, depuis, alors que tu avais été si proche, tout ce temps. Et ce don accordé prend à nouveau tout son sens, aujourd'hui.
- Elle ne te l'a pas retiré, après ta mort et alors que tu étais devenu un ennemi, fit remarquer Kanon après un instant de réflexion.
- Non, je ne crois pas. S'il y a bien une qualité parmi celles que je lui ai toujours reconnu que j'apprécie, c'est qu'Elle ne revient jamais sur la parole donnée. C'est une Déesse qui tient ses promesses, Elle a de l'honneur. Ce n'est pas si fréquent, chez les Dieux, surtout ceux de l'Olympe.
- Oui, c'est une très grande Déesse, confirma Kanon avec émotion.
Ils ne parlèrent plus un court instant, profitant simplement du bain qui gardait une température constante et idéale, savourant les caresses légères qu'ils s'offraient l'un à l'autre de leurs mains attentionnées.
Les gestes étaient tendres, naturels, ils ne cherchaient pas à raviver le désir ou à s'exciter, juste à détendre et apaiser l'autre, tout en témoignant leur affection.
- Tu as réussi à pardonner à Minos, malgré toute ta souffrance.
- Je lui ai pardonné ses actions en tant qu'homme. Ce qu'il a fait en tant que Juge, il l'a payé, le Seigneur Hadès l'a sévèrement puni. Il le paie encore, même si cela ne sera jamais suffisant à mes yeux, puisqu'il s'e, est pris à toi.
- Pas uniquement à moi, mais à nous deux.
- Oui, c'est vrai. Cependant, je me dois de respecter les décisions et le jugement de mon Seigneur. Quant à ma relation avec Minos, elle n'est plus que professionnelle. Il n'est pas le bienvenu ici, à Caina et je ne compte pas retourner à Tolomea (4), un jour, même si je suis parfois contraint de traverser son domaine.
- Je suis désolé par rapport à la détérioration de votre lien, d'un côté, mais d'un autre, je préfère ça.
- Ne le sois pas, tu as raison. Il était jaloux, de notre vivant, mais c'était un grand roi, il a fait beaucoup pour notre peuple, malgré ses défauts et son mauvais caractère. Devenu Premier Juge des Enfers, ses mauvais travers se sont accentués.
- Ce serait malvenu de ma part de critiquer. Nous nous sommes tous deux joués de Poseidon, mais il l'a payé plus cher que moi.
- C'était un autre temps où les Dieux étaient bien plus impliqués dans la vie des hommes, ce n'est pas comparable. Et surtout, ne te compare pas à Minos. Vous n'avez absolument rien en commun, je t'assure.
- Nous sommes des manipulateurs, rappela sombrement le Gémeau.
- Vos raisons différaient totalement, Kanon, et tu n'en es plus un, aujourd'hui.
- Est-ce vraiment suffisant ?
- Ça l'est pour moi. Et si tu as besoin de plus que mon approbation, je te rappelle que tu as aussi celle d'Athéna, de ton frère et de tes pairs.
- Elles sont toutes importantes, à mes yeux. Mais la tienne m'est plus qu'essentielle, osa-t-il encore préciser.
- Alors tout va bien.
- Oui, confirma Kanon en s'appuyant un peu plus contre Rhadamanthe, qui resserra son étreinte autour de son corps.
Après un temps toujours aussi impossible à définir où les deux amants se détendirent pleinement, ils se décidèrent à quitter leur bain qui commençait à sérieusement marquer leurs peaux.
Ils se rhabillèrent dans la chambre, puis retrouvèrent le salon… qu'ils avaient laissé dans un joyeux désordre.
Kanon commença à ranger, mais Rhadamanthe l'arrêta.
- Je vais le faire, assieds-toi.
- Nous irons plus vite à deux.
- On a tout le temps, insista-t-il en l'empêchant de se baisser pour ramasser les pièces de jeu tombées à terre. Tu peux nous servir un verre, si tu veux, en attendant.
- Dans ce cas, je vais plutôt préparer le dîner, vu qu'on l'a un peu sauté.
- Pour ma part, j'avais bien plus intéressant à dévorer, souligna le Juge en l'enlaçant d'autorité.
- Tu n'as pas faim ? demanda le Gémeau, les mains autour de son cou.
- De toi, toujours.
Kanon lui donna le baiser qu'il réclamait en frottant ses lèvres aux siennes.
- On retourne dans la chambre, alors ? proposa-t-il ensuite sans trop se détacher.
Rhadamanthe fit glisser une de ses mains des reins de Kanon jusqu'à son ventre, mais lui aussi sans s'éloigner vraiment.
- Je ne veux pas que tu quittes notre lit en pleine nuit pour te restaurer. Je préfère nourrir cet estomac exigeant en premier lieu pour profiter pleinement du reste du corps jusqu'à l'aube, et sans baisse de régime.
- Hey ! protesta Kanon en le frappant au torse. Je n'ai jamais de baisse de régime !
Le Spectre le ramena contre lui et mordilla le lobe de son oreille, avant de poser sa bouche contre elle.
- C'est vrai, je te prie de m'excuser. Tu te plains souvent que c'est trop pour toi et pourtant, tu montres une endurance parfois supérieure à la mienne en me poussant à bout. J'aime tellement quand tu me rends complètement fou de la sorte...
- Moi aussi… assura Kanon d'un ton rauque.
Il préférait nettement ce genre de discussion.
Un nouveau baiser, puis ils se détachèrent.
Ils aimaient aussi s'exciter et laisser la pression doucement retomber, tout en sachant qu'à la moindre étincelle, l'explosion était assurée.
Kanon gagna la cuisine, ou Rhadamanthe le rejoignit après avoir rangé le salon assez rapidement.
Le reste de la soirée se passa aussi bien qu'elle avait commencé.
Tout comme la nuit qu'ils partagèrent, sans se laisser beaucoup de repos.
Le lendemain matin, après quelques heures de sommeil seulement, mais frais comme après une cure de sommeil, Kanon proposa à Rhadamanthe de prendre le petit-déjeuner au Sanctuaire, avec Saga et Aioros, pour leur faire part des dernières nouvelles.
Ce que le Juge accepta, tout comme les deux Chevaliers avisés par télépathie.
Ils se retrouvèrent donc tous chez Saga.
Kanon avait préparé des petites choses avec Rhadamanthe avant de rentrer au Sanctuaire, car ils ne voulaient pas venir les mains vides.
Ce devait être la deuxième ou troisième fois qu'ils se retrouvaient tous les quatre autour d'un repas.
Aioros était très content, Saga un peu intrigué par cette proposition soudaine de dernière minute.
Il ne s'inquiétait pas, puisque son cadet respirait un bonheur et une sérénité qu'il ne lui avait presque jamais connu.
Se pourrait-il qu'ils aient trouvé la solution à ce problème qui les occupait et les préoccupait tous à plus ou moins petite ou grande échelle ?
Lorsque Kanon leur expliqua la situation nouvelle, aidé de quelques interventions de Rhadamanthe, au cours du repas, Saga se vit confirmer son intuition et eut bien du mal à contenir son émotion.
- J'espère que je te manquerais un peu, quand je ne serai plus là, déclara-t-il avec un calme qu'il était loin de ressentir.
- Oh ! sûrement un peu, minimisa Kanon, faisant marcher Saga.
- Quelques centaines d'années, je dirai, précisa le Juge infernal.
- Au moins, confirma le cadet des Gémeaux.
Saga, qui n'avait pas marché mais courut, lui balança un torchon, qu'il rattrapa aisément.
- Tout est bien qui finit bien, comme on dit ! s'enthousiasma Aioros, qui s'était contenu pour laisser Saga s'exprimer en premier librement. Il faudra prévenir Athéna et Shion au plus tôt, cela les rassurera.
- C'est prévu, assura le cadet.
- Elle doit encore me permettre d'utiliser le misopéthamenos sur Kanon, rappela Rhadamanthe.
- Je ne vois pas pourquoi Elle le refuserait, répondit Aioros. Mais restons prudents, tu as raison.
Le petit-déjeuner se poursuivit dans une ambiance joyeuse et détendue.
Saga et Kanon insistèrent pour ranger la cuisine, laissant Rhadamanthe et Aioros terminer leurs thé et café dans le salon.
Il leur semblait important de permettre aux deux frères de partager un moment ensemble.
Aioros les installa à distance raisonnable de la cuisine, et s'adressa au taciturne Spectre à voix basse.
- Je suis content qu'on ait cette occasion de discuter, cela me permet de te donner les dernières nouvelles pour l'anniversaire. J'évite mille détours.
- Je t'écoute.
Aioros n'était plus impressionné par le Juge, mais il le respectait et l'admirait vraiment beaucoup, pour cette lourde fonction qu'il occupait autant que pour l'homme qu'il avait été de son vivant.
Au-delà de la vie et du destin du héros civilisateur que Rhadamanthe avait été, son histoire avec Kanon, leur lien d'âmes et leur amour qui avaient traversé le temps le fascinaient totalement.
- Comme convenus, nous conduirons chacun de notre côté Saga et Kanon au Stadium, à Athènes, sans rien leur dire. Une fois réunis là-bas, nous leur donnerons les billets de concert et les laisserons profiter de ce concert des Cure qui s'annonce mythique !
- J'ai l'impression que tu aurais voulu en être, non ?
- Je les aime beaucoup, mais pas autant que ces deux-là, répondit Aioros en désignant les Gémeaux, qui s'affairaient toujours dans la cuisine, d'un léger signe du menton. Je suis heureux qu'ils puissent partager ça, ils ne sont jamais sortis ensemble. Que le groupe donne un unique concert en Grèce ici, à Athènes, le jour précis de leur anniversaire, c'est un signe. Je te remercie encore d'avoir accepté de jouer le jeu.
- Je ne veux que son bonheur.
- Je sais.
- Avez-vous prévu quelque chose, après le concert ?
- Non. Je pense, en tous cas, je l'espère fortement, qu'ils prolongeront la soirée autour d'un verre. Sauf si tu insistes pour que Kanon rentre auprès de toi...
- Me demandes-tu de ne pas le faire ?
- Si cela ne te dérange pas, oui, je préfèrerai que tu lui laisses la possibilité de rester avec Saga. S'il pense que tu l'attends...
- Très bien. Et qu'en est-il de la soirée que vous organisez systématiquement pour chacun de vos anniversaires respectifs, avec l'ensemble de la Garde dorée et autres invités ?
- Elle aura lieu le lendemain soir, et comme l'année précédente, tu y es expressément attendu.
- Je vais donc devoir attendre deux jours pour pouvoir fêter l'anniversaire de mon compagnon en tête-à-tête avec lui, si je comprends bien.
- Nous pouvons toujours repousser notre soirée commune d'une journée ou d'eux.
- Faites donc cela, oui. Si le jour de naissance ne peut être célébré à date exacte, je tiens au moins à respecter le mois. Cela n'a sûrement pas d'importance pour vous, mais cela fait sens, pour moi.
- Très bien. Nous ferons ainsi Mais tu viendras quand même, n'est-ce pas ?
- Si Kanon me le demande, je serais présent.
- D'accord.
Aioros avait gardé son sourire, tout du long, et il était sincère, car il aimait bien parler avec Rhadamanthe.
Et encore cette fois-ci, même s'il lui avait donné l'impression d'être passé par son Tribunal.
- Kanon a dû t'apprendre que le futur successeur d'Angelo avait peut-être été révélé, même s'il n'est pas encore éveillé à ses pouvoirs, les lança-t-il sur un nouveau sujet.
- Oui, en effet, répondit le Spectre. Il a jugé bon de me prévenir rapidement de probables incursions dans la zone du Puits des Morts.
- Ce ne sera sûrement pas pour tout de suite. Angelo ne va pas y emmener Simon avant un moment. Enfin, je crois… j'espère, en tous cas ! rit-il, pas très rassuré. Je vais quand même vérifier, on ne sait jamais, avec lui ! Je ne veux pas qu'il traumatise Simon, il doit déjà s'adapter après avoir été amené ici et arraché à son quotidien…
Rhadamanthe regarda Aioros par-dessus sa tasse, qu'il reposa.
- Tu t'inquiètes beaucoup pour cet orphelin.
- Un peu, je l'avoue. Quand on a pas de parents, on s'accroche à tous les repères avec lesquels on grandit, aux gens qui nous entoure, qui deviennent une famille, avec un peu de chance. Cela devenait compliqué pour lui, en Autriche, mais il avait construit quelque chose, il y avait des personnes auxquelles il tenait particulièrement, une vie à laquelle il s'était habitué. On lui a arraché tout cela.
- Tu me fais penser à ton prédécesseur, tes mots ont une résonance avec les siens. Comme je l'avais pressenti, tu es influencé par l'âme de Sisyphe du Sagittaire et sa dernière incarnation.
Aioros haussa les sourcils, surpris.
- De quelle façon ?
- Sisyphe était rongé par une culpabilité dont il n'a pas su se défaire, avant sa mort. Et même au-delà, il ne s'en est jamais totalement libéré. Du moins, jusqu'à l'accord entre le Seigneur Hadès et Athéna, qui a permis le repos des âmes des anciens Chevaliers tombés lors des précédentes Guerres saintes, qui lui a apporté l'oubli salvateur.
- Le Vieux Maître m'a parlé de lui, se souvint Aioros. Il se sentait coupable d'avoir ramené la réincarnation d'Athéna de cette époque au Sanctuaire.
- Exactement. C'était une orpheline qui vivait paisiblement dans un petit village en Italie. Elle grandissait auprès de deux autres enfants qu'elle aimait profondément. L'un était le Déicide et futur Pégase et l'autre, l'humain choisit comme hôte par le Seigneur Hadès.
- Ils n'auraient jamais pu rester ensemble.
- En effet, confirma le Juge, entre deux gorgées de thé. Mais Sisyphe refusait de reconnaître que par la réunion même de ces trois âmes, leur vie paisible ne pouvait pas durer. Il a sauvé Athéna en la conduisant au Sanctuaire. Mais lui ne voyait que la tristesse, la solitude et la charge immense qui pesait sur les épaules d'une jeune orpheline par sa faute. C'était beau et désespérant à la fois.
- A ce point ?
- L'exagération ne fait pas partie de mes attributs. J'ai jugé un nombre incalculable d'âmes, déroulé des milliers de vie humaines, or, je n'ai jamais rencontré d'âme aussi pure autant noircie par la culpabilité.
- Et tu penses que cela m'a été transmis à travers Sagittarius ? demanda Aioros, alors que Saga et Kanon les rejoignaient discrètement.
- Oui, cela me paraît évident, lorsque je t'entends parler de cet enfant.
- Je… commença Aioros, avant de jeter un regard à Saga, qui l'encouragea d'un hochement de tête.
- Durant mes bref séjours en Autriche, je me suis lié très vite avec un autre orphelin, Elrik, le meilleur ami de Simon. J'ai eu tout aussi rapidement l'envie de le ramener ici, avec moi, qu'il vive avec nous et demeure avec Simon. Une envie irrationnelle…
- Mais raisonnée, intervint Saga. Tu y as beaucoup réfléchi.
- Oui.
- Vous êtes en train de nous annoncer une adoption, je ne rêve pas ? demanda Kanon, plus qu'étonné.
- Ce n'est qu'un projet, pour le moment, assura Aioros. Et ce ne sera pas pour tout de suite. Mais on y pense, oui. Je tiens beaucoup à Elrik, il y a vraiment quelque chose entre nous.
- Tu es lié à cet enfant, cela ne fait aucun doute, confirma le Juge. Et tu veux le sauver, lui apporter une vie meilleure et surtout, ne pas le séparer de l'être cher avec lequel il a grandi.
- Ce que n'a pas pu faire mon prédécesseur.
- En effet.
- Alors ce n'est pas vraiment moi qui…
- Si, le coupa Rhadamanthe, calmement et sans affect. Ton âme n'est pas la sienne, Aioros. Cette envie t'appartient, ce lien aussi. Il est simplement entretenu ou plutôt encouragé par ce fragment d'âme de Sisyphe absorbée par l'Armure d'Or du Sagittaire. C'est de là que te vient sûrement ce sentiment d'urgence que tu éprouves, parfois... si je ne me trompe pas.
- Non, en effet, j'ai parfois l'impression que je dois aller le chercher dans la minute, révéla Aioros avec un petit rire gêné.
- C'est le seul fait que tu peux imputer à l'influence de ton prédécesseur, le reste t'appartient.
- Je vois, soupira Aioros, soulagé. Merci pour ces explications, Rhadamanthe.
- Je t'en prie. Je me permets d'ajouter une chose. Si tu mènes ce projet d'adoption à son terme, ce doit être pour toi et non pour apaiser l'âme tourmentée de ton prédécesseur. Un nouveau sacrifice ne sera pas recevable.
- Je...
- Le temps de l'abnégation et de l'héroïsme du Sagittaire est révolu, poursuivit Rhadamanthe sans tenir compte de son intervention. Je te parle en tant que Juge qui t'a ramené sous ordre des Dieux. Cette nouvelle vie est faite pour te recentrer sur toi, Aioros. Montre enfin un peu d'égoïste, tu l'as amplement mérité. Surtout qu'il n'est que feint. Car en vérité, en agissant comme ton cœur et ton âme le demandent, tu vas encore sauver une personne et la rendre heureuse. Finalement, un être humain n'échappe jamais à sa véritable nature, conclut-il en se levant. Je dois regagner les Enfers, à présent. Je vous remercie pour le petit-déjeuner, c'était un moment… intéressant.
- Merci à toi pour tes mots, lui répondit Aioros en se levant, la main tendue.
Rhadamanthe la serra, avant de se tourner vers Saga, qui s'était approché pour le saluer à son tour.
- Merci, lui dit le Gémeau. Pour Kanon et Aioros.
Leur poignée de main était ferme et sincère.
- Bonne journée à vous.
Kanon le raccompagna, mais fit un premier arrêt à la porte des appartements communs des Gémeaux.
- Merci pour tout ce que tu lui as dit.
- Je pense qu'il avait besoin de l'entendre.
- Oui, je crois aussi, vu son soulagement. Et tu as marqué des points avec Saga, au passage. Je sais que tu t'en soucies peu, mais…
- Si c'est important pour toi, ça l'est pour moi.
Kanon ne répondit pas par des mots, mais par un baiser profond et passionné.
Ils reprirent la route jusqu'à l'entrée du Sanctuaire, où ils étaient autorisés à ouvrir un portail.
Ce que Rhadamanthe fit, direction les Enfers.
- Avant que tu ne partes, je voudrais te faire une proposition, et tu pourras me dire ce que tu en penses ce soir, si tu as eu le temps d'y réfléchir aujourd'hui.
- Je t'écoute.
- Je me doute bien qu'il n'y a pas de congés aux Enfers, mais je me disais que si tu pouvais t'absenter quelques jours et si tu en as envie, on pourrait passer un peu de temps ensemble, à la surface, puisque j'ai droit à un peu de repos pour mon anniversaire. Cela nous permettrait de nous détendre et de profiter l'un de l'autre tranquillement, nous l'avons bien mérité, je pense.
- Je ne suis pas contre l'idée, mais je ne vois pas comment un tel programme serait réalisable ici, au Sanctuaire.
- C'est définitivement impossible, je te le confirme. Je pensais plutôt à aller ailleurs, rien que nous deux.
- C'est déjà bien plus intéressant. À quel lieu songes-tu ?
- Ce choix te revient ! Peu m'importe, je veux seulement être tranquille avec toi. Mais peut-être que de ton côté, tu voudrais aller quelque part. Ton dernier séjour à la surface commence à dater.
- Près de trois siècles, oui.
- Voilà... Aussi, tu as la journée pour réfléchir, ou plus, si besoin. Rien ne presse.
- Très bien, comme c'est une décision qui se prend à deux, nous en reparlerons ce soir.
L'instant était peu propice, en effet, car les passages étaient nombreux à cette heure-ci aux alentours, ils commençaient à attirer l'attention.
Mais personne ne se risquait à les approcher de trop près.
Aucun des deux hommes ne croisait d'autre regard, car s'ils étaient conscients de la vie qui continuait autour d'eux, ils n'avaient d'yeux que pour leur compagnon, toute leur attention était tournée vers lui.
- Oui, répondit le Gémeau, partageant sa réflexion silencieuse. Alors à…
- Kanon ! l'interrompit soudain une voix familière.
Effectivement, c'était sans compter sur les Ors, qui n'avaient ni la même retenue, ni la même déférence entre eux.
Le couple se tourna vers le Grand escalier, que Milo terminait de dévaler en faisant un grand signe de la main.
Le visage de Rhadamanthe se ferma et son regard se durcit, alors que Kanon accueillait son ami avec un grand sourire.
- Ça va ? lui demanda-t-il en l'embrassant.
- Oui ! Bonjour, Rhadamanthe.
- Scorpion, répondit-il entre ses dents serrées.
C'était plus fort que lui, c'était presque physique, tout son corps se tendait en présence du Gardien de la Huitième Maison.
Il avait détesté son attitude, lors de la précédente Guerre sainte, il supportait difficilement le lien qu'il avait avec Kanon et ce qu'il représentait aux yeux de son amant.
Leur histoire avait de profondes racines dans l'adolescence de Kanon et l'enfance de Milo, et ce dernier était celui qui avait rendu sa place parmi ses pairs en tant que Chevalier au Gémeau.
Sans cette première reconnaissance, peut-être que les autres Ors n'auraient pas suivi.
Depuis leur retour à la vie, ces deux-là avaient transformé tous leurs sentiments complexes et leurs bribes d'histoire en une amitié solide qui s'était très rapidement développée.
Le Juge l'avait accepté, il n'avait aucune crainte à avoir à ce sujet pour leur relation.
Il arrivait parfois à Kanon et Milo de passer des soirées entières ensemble, jusque tard dans la nuit, sans que Rhadamanthe ne trouvât à y redire. Kanon en avait besoin et envie, son amant n'avait pas à lui permettre une chose dont il disposait déjà : sa liberté.
Il aurait simplement préféré que Kanon fut proche de cette façon d'un autre de ses pairs que l'un des trois « gros rats » qui avaient osé le prendre de haut lors de leur affrontement.
Ils avaient déshonoré leur combat et l'avait rendu si laid et si vil…
Il l'avait encore en travers de la gorge, deux ans après.
Bien évidemment, le temps s'écoulait différemment, il n'avait pas la même notion que les humains, aussi, cela ne lui paraissait pas très long.
- Rhad'… soupira le cadet des Gémeaux, qui pensait au contraire que cela avait assez duré.
- Laisse, Kanon, ne t'en fais pas ! le rassura Milo en s'appuyant sur son épaule avec son coude. C'est juste que c'est un peu étrange de se faire appeler « Scorpion » par un autre scorpion… même si nous ne sommes pas du même décan !
- La logique voudrait en effet que je t'appelle par ton prénom, car tu es, à mon sens, réellement peu digne de l'Armure du Scorpion. Elle fut si brillamment portée par ton prédécesseur, Kardia, qui m'a fait l'honneur d'un combat admirable.
- Outch, ton dard est bien aiguisé ! grimaça Milo. Mais peu importe, tu finiras bien par admettre que je suis quelqu'un de bien et de tout à fait fréquentable. Auquel cas, Kanon ne me fréquenterait pas si assidûment !
- Ce n'est pas ce genre d'attitude ni de propos qui aidera, protesta Kanon, sans se dégager pour autant.
Ce fut Milo qui s'écarta de lui-même.
- Et en plus, je vous ai interrompu, je ne m'y prends clairement pas de la bonne façon, désolé ! s'excusa-t-il en souriant à Rhadamanthe, avant de regarder Kanon. Je voulais juste pour te dire que j'allais m'entraîner, et je comptais t'inviter à te joindre à moi. Tu n'as rien de prévu, ce matin, si je me souviens bien ?
- Non, je pensais aller courir sur la plage et faire un tour aux arènes, après, justement.
- Génial, les grands esprits se rencontrent !
Kanon ne savait pas si Milo le faisait exprès ou non, mais Rhadamanthe semblait ne même pas se poser la question : on pouvait presque entendre ses dents grincer sous la pression de ses mâchoires serrées.
- Faut que je remonte me changer, et je vais prendre une vingtaine de minutes pour courir, répondit-il à son cadet pour désamorcer une nouvelle joute verbale. Je te rejoindrai d'ici une demi-heure.
- Retrouve-moi plutôt sur la plage, dans ce cas, je t'accompagnerai dans ton footing matinal. Ça fera un bon échauffement !
- Très bien. A tout à l'heure, Milo.
- A tout de suite ! Rhadamanthe, salua-t-il encore poliment en hochant la tête face au Juge.
- Scorpion.
Même avec toute la volonté du monde, Milo ne put retenir complètement un rire, qui se transforma en gloussement.
Alors, il se détourna bien vite et ne s'attarda pas davantage, filant sans un regard en arrière…
Mais sentant ardemment celui d'or en fusion, assassin, braqué sur son dos.
- Tu m'avais dit que tu ferais un effort, protesta Kanon en se plaçant dans le champ de vision de son Juge pour désarmer le regard meurtrier.
Celui-ci se radoucit, mais le sourcil qui le surmontait demeura froncé.
- Cela prend plus de temps que prévu.
La Gémeau leva les yeux au ciel, avant de les ancrer à ceux de son compagnon.
- Je ne t'oblige à rien, tu le sais, mais…
- C'est important pour toi, le coupa Rhadamanthe en décroisant les bras de son torse puissant. Alors, ça l'est aussi pour moi, répéta-t-il volontairement.
Même si cela lui coûtait plus, lorsqu'il s'agissait de Milo, que dans le cas de Saga où il avait prononcé ces mots la première fois.
Kanon hocha la tête, son irritation envolée.
Comment aurait-il pu continuer à la ressentir, face à de tels propos ?
Il aurait bien eu un geste envers Rhadamanthe, mais il y avait de plus en plus de passage, même si on se contentait, au mieux, de les saluer de loin.
Cela lui fit prendre conscience que l'heure tournait.
Le Second Juge des Enfers n'était pas aussi libre que lui ne l'était, ce jour-là.
- Je vais y aller et toi aussi, surtout, il faut que tu rentres et que tu prennes tes fonctions.
- Hm, répondit le Juge, mais sans bouger.
Jusqu'à ce qu'il jeta un œil vers la direction prise par Milo, un peu plus tôt.
- Je veux courir avec toi, moi aussi.
- Tu peux ?
- Il suffirait de s'arranger.
- Alors allons-y ! s'enthousiasma Kanon. Je peux te prêter des vêtements plus adaptés, même si tu es plus large d'épaules que moi. J'ai des tuniques au col lâche qui t'iront sûrement.
Rhadamanthe était touché par son entrain, pourtant, il secoua la tête négativement.
- C'est à cause de Milo ? crut comprendre le Gémeau. Ne t'en fais pas, je lui dirai de m'attendre aux arènes, il comprendra ! On ne sera que tous les deux...
- Une autre fois, Kanon. Je te remercie de me l'avoir proposé avec une telle exaltation, en réponse à un caprice de ma part.
- Je ne le vois pas du tout de cette façon, Rhad', répliqua-t-il. Tu n'es pas capricieux… pas souvent, en tous cas.
- Toujours, lorsque tu es concerné.
- C'est un peu vrai, reconnut Kanon avec un petit rire. Et si j'étais prêt à l'accepter avec un tel engouement, c'est bien parce que cela m'aurait vraiment plu.
- Plus qu'avec le Scorpion ?
- Je croyais que tu ne posais jamais les questions dont tu connaissais déjà les réponses, mon cher Juge du Royaume souterrain ?
Rhadamanthe sourit, le regard enflammé.
Ce qu'il pouvait l'aimer, son Gémeau retors !
- Tu sais comme j'apprécie ces moments que je passe sur la plage. Encore plus, depuis cette première fois où tu m'y as rejoint, jusqu'à celle où tout a commencé, pour nous, quelques jours plus tard. J'aime chaque instant que j´y vis, avec toi, même si on la traverse simplement. Donc oui, j'aurais adoré que tu viennes courir avec moi, ce matin.
- Je… commença Rhadamanthe.
Avant d'être interrompu par le doigt de Kanon en travers de ses lèvres.
- Mais je sais que même si tu peux t'arranger avec tes frères ou tes subordonnés, poursuivit celui-ci en libérant sa bouche, les jugements et les morts n'attendent pas. Tu as déjà pris du temps pour moi, ce matin, pour ce petit moment avec Saga et Aioros, surtout lui, par ailleurs, car tu l'as bien aidé. D'ordinaire, à cette heure-ci, tu es déjà à pied d'œuvre depuis plus d'une heure et demie, au moins.
- Certes, mais tu es ma priorité.
- Je sais, mais il n'y a aucune urgence, là. On aura d'autres occasions, on s'organisera, si besoin. Je ne veux pas qu'on passe du temps ensemble au détriment de ta charge. Tu es sérieux, rigoureux et responsable, depuis des millénaires, dans la vie comme dans la mort. Cela ne doit pas être remis en cause, surtout par ma présence ou ma faute. Ton travail ne doit pas être affecté, car tu en souffrirais. Donc, moi aussi.
Rhadamanthe frôla les doigts de Kanon des siens en une caresse discrète.
Mais cela ne lui suffisait pas, aussi, lui prit-il carrément la main pour pouvoir la serrer tendrement.
- J'apprécie ta compréhension, Kanon, je t'en remercie.
Le Gémeau acquiesça d'un signe de tête, avec son sourire en coin habituel et irrésistible.
- Alors, si tout est réglé… On se voit ce soir.
- Oui, répondit-il, même si la confirmation n'était pas nécessaire. Bonne journée, Kanon.
- Merci, à toi aussi, Rhad'.
Après un dernier long regard, qui lui fit rendu avec la même intensité, et où ils se disaient tous ces mots qu'ils ne prononçaient que rarement et le plus souvent, que dans leur intimité, Rhadamanthe disparut dans le vortex qu'il venait de rouvrir.
Kanon remonta le Grand escalier d'un bon pas.
*Il est parti ? résonna soudain la voix de Milo dans sa tête.
Oui, je rentre me changer et j'arrive.
Tu vérifieras tout à l'heure, je crois que j'ai deux trous dans le dos...
Idiot ! rit Kanon, alors qu'il arrivait déjà chez lui.
Je te jure, y a vraiment que toi qui peut soutenir un tel regard normalement… Je fais le malin devant lui, mais il me file des frissons, à chaque fois, et je ne suis pas le seul ! Et ce ne sont clairement pas les mêmes qie les tiens...
Je sais, merci, et tant mieux.
Oui, heureusement... Il a un vrai regard de dragon, ton Juge. Franchement, il n'a pas volé son surplis, ni son étoile !
C'est une wyvern, pas un dragon.
Oui, oui, deux ou quatre pattes, c'est pareil…
Pas exactement, non. Par exemple, toi, t'es un scorpion ou un homard ?
Non mais t'abuses, là ! protesta Milo en riant cependant. Le scorpion vit dans le sable, pas dans la flotte !
Mais t'es un signe d'eau, t'es long et t'as deux grosses pinces. Si on fait pas attention, c'est facile de faire des approximations.
Mais j'ai un dard qui est bien visible et il fait toute la différence ! répliqua Milo.
Si tu veux partir sur ce terrain, sache qu'il n'y a pas que le nombre de pattes qui diffère entre une wyvern et un dragon. A l'inverse de celui-ci, elle a des pics sur le bout sa queue, ce qui lui permet d'empoisonner ses ennemis.
Des pics empoisonnés sur sa queue ? Heureusement que vous ne vous êtes pas envoyés en l'air dès la première rencontre aux Enfers !
Voyons, Milo ! protesta Kanon, faussement outré. Et puis, quelle idée !
Arrête un peu, je suis sûr que t'y as pensé ! le gronda presque Milo, pas dupe pour une drachme. C'est tellement électrique, entre vous, encore aujourd'hui… Il s'en serait fallu de peu pour que votre corps-à-corps change de nature, ce jour-là. D'ailleurs, cette mort ensemble, à votre dernier affrontement, l'un étroitement enlacé par l'autre et montant vers les cieux pour disparaitre dans une explosion de cosmos, c'est clairement un orgasme mit en scène !
Va dire cela à Shura, pour voir, grommela l'aîné.
Ce n'est pas pareil, Shiryu a été renvoyé sur Terre, tout était dans le symbole, se défendit le Scorpion. Ce n'était pas de son âge, ces pensées-là. Alors que pour Rhadamanthe et toi, c'était plus qu'évident qu'il y avait quelque chose de féroce, animale et charnelle…
Tu n'étais même pas présent, Milo, tu te gelais les miches dans les glaces du Cocyte, quand est arrivé notre premier face-à-face.
Certes, grimaça-t-il. Mais ce que tu as bien voulu m'en dire est suffisant. C'est pour cela que je suis persuadé que l'idée – ou l'image – t'a traversé l'esprit. Même une seule petite fraction de seconde, tu ne peux pas nier !
C'est toujours un instant de trop, en pleine guerre, répondit Kanon à mots couverts.
Je te l'accorde, concéda Milo. Mais qu'est-ce que tu fabriques, au fait, pourquoi tu n'es pas encore là ? reprit-il après un court silence. Tu n'as pas besoin de te faire beau pour moi, tu sais !
Évidemment, tu craques déjà sans que je n'aie besoin de faire quoi que ce soit !
Hey, fais attention à ce que tu dis, je te rappelle que j'ai le même que le tien à la maison, et t'es un sujet sensible ! T'as le feu, mais moi, j'ai la glace et ça pique pareil quand on les titille… Enfin, ça dépend comment !*
Kanon soupira.
C'était bien du Milo tout craché, à exiger des autres une conduite qu'il n'était même pas à même de tenir…
*J'arrive sur la plage.
Oui, j'avais cru voir un beau gosse approcher, mais ce n'était que toi, en fait !
Y a pas que ton dard qui est empoisonné, enflure de Scorpion de merde !*
Le lien télépathique se rompit sur le rire de Milo, qui résonnait à présent aussi dans l'air, porté par le vent marin.
Kanon avala à bonnes foulées la distance qui le séparait encore de son ami.
Celui-ci cala son pas au sien et ils démarrèrent ainsi leur footing matinal d'un bon rythme.
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Notes :
1) Le jeu des « pente grammai » ou « petteia » est une adaptation par les Grecs (dès le -8ème s.) du jeu de sent égyptien). Il se joue à deux sur un damier de 4X4 avec 10 jetons (5 par joueur). Les dix jetons sont placés face à face, aux intersections : 5 sur la ligne A, 5 sur la ligne B. Au centre du damier, se trouve la case sacrée où l'on ne peut pas se placer. À tour de rôle, chaque joueur déplace un pion d'une intersection à la fois, verticalement ou horizontalement (jamais en diagonale), vers une intersection voisine libre. Il est interdit de reculer, sauf pour échapper à une prise de l'adversaire ou lorsqu'on se trouve sur le point central. Il est interdit de sauter au-dessus d'un pion. Pour prendre les pièces ennemies, il Suffit de les placer entre deux de ses propres pièces, sur une même ligne. Le joueur qui réussit à prendre un pion adverse rejoue. La partie s'achève lorsqu'un des deux joueurs est parvenu à prendre ou à bloquer tous les pions de son adversaire.
2) Anapnoi : petit mot doux grec signifiant « mon souffle » (mon air, mon oxygène, mon souffle de vie). C'est très littéraire, donc employé par une certaine catégorie de personnes et dans certains contextes. Je trouvais que ça collait bien à Rhadamanthe.
3) Miletos : dans la mythologie grecque, ce jeune homme, fils d'Apollon (et parfois petit-fils de Minos) mais élevé par des bergers, avait ravi le cœur de Minos, Rhadamanthe et leur frère Sarpédon. Il est parfois dit que c'était ce dernier qui avait sa préférence, mais pour mon histoire, j'ai voulu que ce soit Rhadamanthe. Minos étant jaloux, il a forcé Miletos à s'enfuir (soit par décision, soit parce que Milétos voulait le fuir) Rhadamanthe lui a donné une partie de ses hommes pour l'aider à fuir, il a accosté sur les côtes d'Asie Mineure, s'est installé avec les troupes et a fondé la ville de Millet.
4) Tolomea : une des sphères de la Huitième prison, le Cocyte, la Troisième précisément. On ne sait rien de cet endroit, mais dans le manga, il y a un palais orné de deux statues de Griffons laissent penser que c'est la résidence attitrée de Minos. Tout comme la Première sphère, Caina, montre un palais surmonté d'une Wyvern pour Rhadamanthe et la Deuxième Sphère, Antinora, une demeure ornée d'une statue d'un Garuda, pour Eaque. La Quatrième Sphère abrite Giudecca, le Palais d'Hadès.
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Merci pour votre lecture, j'espère que vous l'avez apprécié.
A dès que possible pour la prochaine escale, avec un bon nombre de Chevaliers, cette fois-ci, si je m'en tiens à ma trame actuelle.
Bonne continuation.
Lysanea
