Titre : Le Fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient. La chanson Bring me to life est à Evanescence
Pairing et personnages pour ce chapitre : Angelo x Shura.
Rating : T

Note : Bonjour à tous ! Merci de continuer le voyage avec moi, merci pour les divers ajouts dans les favoris et/ou liste de suivis.

Merci Mini-Chan pour ton comm' qui m'a bien soulagé ! Je connaissais ton attente au sujet de ces chapitres centrés sur tes « chouchouuuux » comme tu les appelles, et je t'avais beaucoup fait attendre. Je suis très contente que tu en sois satisfaite et j'espère que ce sera le cas de celui-ci et du prochain.

Important : Je suis consciente qu'Angelo présente une facette (ou plus) de sa personnalité qui peut surprendre, quand on connaît le personnage. Mon but est de présenter ma vision de ce que pourrait être cet homme qui a obtenu le pardon et ce qu'il désirait le plus au monde, même en tant que Deathmask : le bonheur de Shura et pouvoir rester à ses côtés. Son âme a été purifiée et est donc redevenue celle du Chevalier du Cancer, fidèle à Athéna, qu'il aurait toujours dû être. Mais ses crimes ne pouvant pas être totalement pardonnés, il lui a été conservé la mémoire de ceux-ci, et étant aujourd'hui quelqu'un de bien, au service de la véritable Justice représentée par Athéna, il ressent également une profonde culpabilité pour ses actes, ainsi que des moments de doutes sur sa place auprès de ses pairs, et sur son droit au bonheur avec Shura. C'est aussi le cas pour Kanon et pour Saga. Aphrodite, lui, pense qu'il a la solitude et la malédiction qu'il mérite. Malgré cela, j'essaie de conserver une partie de leurs caractères d'origine, car il y a des choses qui ne changent jamais vraiment. Pour Angelo, par exemple, la fierté, le côté un peu bravache, provocateur, bourrin, agressif mais uniquement s'il se sent attaqué. A la base, les personnes nées sous le signe du Cancer sont des êtres très sensibles et protecteurs.
Bref. Désolée pour cette longue note mais je tenais à clarifier les choses – même si personne ne m'a rien demandé !

Bonne lecture à tous !

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Le Fil rouge du destin
Chapitre dix-huit : Toute destinée, si longue et si compliquée soit-elle, compte en réalité un seul moment, celui où l'homme sait, une fois pour toutes, qui il est.

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Environs d'Athènes
Villa Nea Avgi
(Aube Nouvelle)
Appartements 4C
12-13 septembre 1989

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Accoudé à la balustrade du balcon des appartements qu'ils occupaient, Shura et lui, Angelo fumait, les yeux dans le vague posés sur une mer au loin qu'il devinait plus qu'il ne voyait vraiment.

Et bien qu'il sentît l'arrivée de Shura, il ne bougea pas, le laissant le rejoindre de son pas silencieux et si familier, qu'il reconnaitrait entre mille et plus.

Ce qu'il fit, après avoir d'abord déposé leurs mazagran sur la table basse du salon. (1)

C'était cela leur petit rituel du coucher, la dégustation de ce café frappé qu'ils ne consommaient que durant ce moment partagé du soir, à base d'espresso, de jus de citron frais et, variante personnelle très locale, de raki. (2)

Shura l'enlaça tendrement par derrière pour le laisser terminer sa cigarette, et posa son menton sur son épaule, non sans avoir au préalable planté un baiser au creux de son cou offert.

Posant sa main libre sur les bras qui l'enserraient amoureusement, Angelo exhala un nuage de fumée, avant de présenter le petit cylindre aux lèvres de son amant, qui tira une longue aspiration à son tour.

Le ciel était magnifique, les étoiles brillaient et tachetaient le ciel nocturne de points lumineux épars, où ils pouvaient distinguer certaines de leurs constellations, visibles seulement aux initiés.

Mais Shura n'avait d'yeux que pour Angelo, car ce tableau nocturne se reflétait dans le regard du Cancer, qui en avait la même profondeur, le même bleu intense parsemé de petits éclats argentés.

- Tu es content ? demanda-t-il en fixant l'horizon à son tour.

Enfin, c'était plus une affirmation qu'une vraie question.

- Je l'aurais encore plus été, si on avait été que tous les deux dans ce petit paradis, et qu'on avait pu terminer ce qu'on a commencé, tout à l'heure, répondit le Cancer d'un même ton bas. Mais c'était une soirée sympa, c'est vrai. C'était bien d'être avec des étrangers et de ne pas avoir à retenir mes gestes envers toi, enfin, pas tous… et de pouvoir parler de nous, aussi, normalement, en dehors des Maisons.

Shura resserra encore son étreinte autour de la taille d'Angelo, qui se tendit presque instinctivement en arrière pour s'appuyer contre lui, en réponse.

- Je suis d'accord avec toi. Mais il n'y a pas que ça qui t'a plu. Car tu as eu l'air de vraiment les apprécier, en effet. Notre liberté, la soirée en général, Letizia et Sergio, plus particulièrement.

Après avoir écrasé le bout de cigarette restant sur le bord en marbre, Angelo se tourna vers Shura sans se libérer de son étreinte pour autant. Il s'appuya contre la rambarde et glissa ses bras sous les siens pour nouer ses mains au creux de ses reins et l'attirer un peu plus contre lui, tout en déposant un chaste baiser sur ses lèvres.

- C'était bien de retrouver un p'tit bout d'Italie, c'est sûr, et Letizia comme Sergio et Ernesto sont des purs produits de chez nous, pas de doute là-dessus ! expliqua-t-il en souriant largement. C'est moins marqué chez Ernesto, par contre, il a plein d'influences extérieures, c'est tout un mélange, chez lui.

- Comme le dit souvent Aphrodite, les artistes sont universels, ils ont leur propre monde et leur propre langage.

- Ouais, enfin, il est quand même bien de Ligurie, tu le dirais pas natif des Pouilles ou de Calabre, tu vois ?

- Non, répondit honnêtement Shura. Mais si tu le dis, je ne peux que te croire.

- Bon, j'imagine que c'est pareil en Espagne : toi qui es catalan, tu reconnaîtrais tout de suite un andalou ou un castillan, non ? C'est pareil avec Ernesto ! Malgré ses influences, le ligure qu'il est reste dominant.

- Je comprends mieux, effectivement, assura le Capricorne en caressant sa nuque du bout des doigts. En tous cas, tout s'est bien passé, entre vous, c'est l'essentiel.

- Tu dis vrai. Ils ont beau être du Nord, le courant est plutôt bien passé. Même avec Shaina, que je pouvais pas encadrer, avant, et Chiara, que je connais vraiment et à peine que depuis un an…

- Ça, par contre, j'ai bien vu, oui.

- T'es jaloux ? demanda Angelo en collant un peu plus Shura contre lui, plein d'espoir.

- Non.

Un espoir que la réponse du Capricorne trancha aussi net que son Excalibur le pouvait d'un rocher.
Le pire étant que c'était effectivement le cas.

- Tchhh… Tu pourrais l'être, de temps en temps ! protesta-t-il en se dégageant.

Shura s'étira, puis le suivit jusqu'au salon et au canapé immense où ils s'installèrent confortablement.

- La jalousie implique la crainte de quelque chose, de la trahison, de la perte, entre autres.

- Et… ? demanda Angelo en lui tendant un des deux cafés.

- Merci. Chez moi en Espagne, on dit que la crainte et l'amour ne mangent pas dans le même plat. Je le pense. La jalousie n'est pas dans mon caractère, 'Gelo, tu le sais très bien. Et quand bien même… J'aurais des raisons de m'inquiéter, vraiment ?

- Tchhh…

- Ah, maintenant qu'on est seul, ton sale caractère ressort, finis le romantisme et les petites attentions ! fit remarquer le Dixième gardien avec un petit sourire en coin, après avoir but une première gorgée de boisson agréablement rafraichissante.

- La ramène pas ! Si je suis dans cet état, c'est à cause de toi, aussi. Je te rappelle que la soirée a commencé avec une bonne dose de frustration, parce que tu m'as coupé dans mon élan !

- Je ne vois pas le rapport avec maintenant. Ce ne serait pas plutôt parce que t'as été trop aimable avec trop de gens, trop longtemps ? le taquina-t-il encore.

- Vai al diavolo ! répliqua le Quatrième gardien d'un ton boudeur qui fit rire son compagnon du Dixième.

- Dis-moi plutôt pourquoi tu as sorti cette histoire abracadabrante sur nous deux, quand Letizia t'a demandé comment on avait pris conscience de nos sentiments après une si longue amitié ?

Angelo aspira fortement sur sa paille pour prendre une longue gorgée de café, avant de répondre.

- C'était plus crédible que de lui parler d'un coup de foudre à 6 ans ou d'âmes-sœurs qui se retrouvent, non ?

- C'est pourtant plus adorable et c'est surtout la stricte vérité, objecta Shura.

- Et moins banal qu'une histoire de triangle amoureux qui révèle les sentiments cachés, j'imagine…

- Clairement. Surtout que ce n'était pas notre cas, 'Gelo. Il n'y avait pas de triangle, il n'y avait qu'Aphrodite et toi. Mais tu n'étais visiblement pas amoureux d'Aphrodite, même si j'y ai cru. Nous deux, on faisait juste comme si nos sentiments pour l'autre n'existaient pas.

- Tchhh…

Shura laissa échapper un nouveau rire, puis posa sa tête sur l'épaule d'Angelo, qui, bien que grognon, l'entoura tout de même de son bras.

Sa main remonta même pour se perdre dans la douceur de ses mèches brunes, entre lesquelles ses doigts passèrent et repassèrent avec une tendresse qu'il n'avait plus que pour lui, dorénavant.

Car il ne s'autorisait plus ce genre de gestes avec Aphrodite, même en toute amitié comme cela avait toujours été le cas, auparavant. Il restait tactile avec lui, mais avec plus de distance.

- On aurait pu évoquer chacun le moment où on a vraiment pris conscience de ce qu'on éprouvait pour l'autre, reprit Shura. On s'est peut-être aimé au premier regard, mais pour moi, en tous cas, y a eu un moment-clé où j'ai su que je t'aimais et que je t'aimerais toujours, quoi qu'il advienne.

- Moi aussi, Shurizo. Et je pense qu'on parle du même : Pelion.

- Le Mont Pelion, oui, confirma sombrement le Capricorne.

- Alors non, on aurait pas pu raconter ça, tu sais bien. T'imagines ? ricana amèrement Angelo.

- Tu as raison. Et puis, ça nous appartient, aussi terrible que ça ait été.

- Certo…

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Flash back
Village de Makrini
Mont Pelion, Thessalie
Novembre 1979

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Le visage impassible, Shura traversa la rue jonchée de cadavres, dont les pavés boueux peinaient à absorber tout le sang versé.
A moins que ce ne fut la terre elle-même qui refusait ce vin sacrificiel pour ne pas cautionner ce massacre.

Le Capricorne marcha dans des flaques pourpres, les poings serrés, écoutant le rire lugubre et dément qui résonnait, déchirant le silence funeste et qui, à travers de nombreuses dépouilles sans expressions, le conduisit droit à son ami.

Penché sur un corps tel la Faucheuse récoltant une âme en l'aspirant, Deathmask était en train de prélever un énième visage sur une de ses innombrables victimes.

Sa basse besogne accomplie, et ce, sans jamais cesser de rire, il envoya le cadavre privé de faciès rejoindre la pile qu'il avait constitué derrière lui. Il leva alors des yeux fiévreux et brûlant de folie vers Shura, qui s'était immobilisé devant lui.

Celui-ci verrouilla son regard sombre au sien, ignorant ses mèches d'argent ensanglantées et poisseuses sous le casque d'or ajouré, son sourire sordide taché de carmin, ses mains rougies agrippant déjà un nouveau corps à ses pieds.

Mais face à ce regard intense et dur, froid, implacable, et pourtant inquiet et concerné, le Cancer n'alla pas au bout de son geste et son rire diminua jusqu'à s'éteindre.

Son sourire se mua en un rictus amer et ses yeux lancèrent des éclairs.

Comment peux-tu voir dans mes yeux comme au travers de portes ouvertes
Qui te mènent au plus profond de mon être,
Où je suis devenu si engourdi ?
Dépourvu d'âme
Mon esprit dort dans un endroit gelé

- Il est temps de rentrer, Parca. (3)

Et il attend là-bas que tu le trouves
Pour que tu le ramènes à la maison

- J'ai pas fini, cracha furieusement le bourreau. Tu me gênes !

(Réveille-moi) Réveille-moi de l'intérieur
(Je ne peux pas me réveiller) Réveille-moi de l'intérieur
(Sauve-moi) Prononce mon nom et sauve-moi de l'obscurité

- Tu en assez fait, Angelo.

(Je ne peux pas me réveiller) Avant que je ne sois détruit
(Sauve-moi) Sauve-moi de ce néant qui m'habite

- Je suis Deathmask du Cancer et t'es sur mon terrain de jeu, Shura ! grogna-t-il d'une voix caverneuse. Alors fermes-la, si tu veux assister au spectacle, ou dégages d'ici ! Immediamente !

La mâchoire du Capricorne se tendit, ses dents grincèrent, ses ongles crissèrent dans sa paume gantée d'or, alors qu'il serrait les poings à s'en blanchir les jointures.

Dégager loin d'ici ?
C'était terriblement tentant !

Il tourna la tête vers l'entrée du village dévasté, au loin, comme prêt à effectivement quitter cet enfer où il aurait préféré ne jamais mettre les pieds.
Alors, à son tour, Deathmask serra les dents, les muscles tendus.

Maintenant que je sais ce qui me manque
Tu ne peux pas me quitter.
J'ai vécu dans un mensonge... Il n'y a rien à l'intérieur
Ramène-moi à la vie.

Le Capricorne ne s'éloigna pas comme il avait donné l'impression de vouloir le faire, cependant.

Gelé de l'intérieur sans ta présence
Sans ton amour

Il reporta son regard sombre sur le Cancer, le verrouillant à nouveau au sien.
Le premier semblait abriter une véritable lutte intérieure, aussi puissante que la folie meurtrière qui dansait encore dans le second.

Puis, résolu, Shura s'avança vers Deathmask pour enrouler sa main autour de son poignet glacé, sous le sang tiède qui goûtait encore, et le serra jusqu'à l'obliger à lâcher le corps sans vie qu'il tenait toujours entre ses pinces acérées.

Toi seul représentes la vie dans la mort

Le Cancer sembla un court instant choqué par ce geste, il en demeura quelques secondes complètement hagard.

Mais un rugissement monta très vite dans sa gorge, puis une flopée de jurons italiens, et il repoussa violemment le Capricorne, sans le faire tomber pour autant. Il recula cependant de plusieurs pas, entraînant le corps sans vie avec lui, le mettant hors de portée immédiate de son bourreau.

Shura avait osé toucher Deathmask, ce qu'il ne faisait jamais dans ces moments terribles de fin de mission d'assassinat et de représailles.
Pire, il lui avait retiré son butin.

Le Cancer se jeta alors sur le Capricorne d'un bond en hurlant comme une bête à l'agonie, le plaquant violemment au sol dans un bruit mat et métallique qui résonna puissamment. Pesant de tout son poids sur son corps, il grogna à un centimètre de son visage, dardant sur lui un regard furieux… mais pourtant teinté d'un sentiment différent, plus difficile à déterminer, mêlant sûrement certains autres encore.

D'une certaine façon, Deathmask était effectivement choqué par l'attitude de Shura, son ingérence, l'audace de son intervention, qu'il n'aurait jamais cru possible.

Pendant tout ce temps, je ne pouvais pas croire, je ne pouvais rien voir,
Maintenu dans les ténèbres, mais tu étais pourtant là, devant moi

Cependant, le Capricorne avait toujours été là pour lui, prêt à le faire lorsqu'il ne lui laisserait plus le choix. A veiller sur lui, peut-être, pour ne pas le laisser sombrer trop profondément ou définitivement dans la folie ?

Avait-il été à deux doigts de basculer, cette fois-ci, expliquant son immixtion ?
Car Deathmask n'avait encore jamais commis un carnage d'une telle ampleur, auparavant.

J'ai l'impression d'avoir dormi un millier d'années
Je dois tout redécouvrir.

Mais la noirceur en lui étouffa la petite lueur qui s'était allumée.

Alors le Cancer se redressa et se laissa tomber en arrière, se retrouvant assis dans le sang et la boue, haletant, tendu.

Shura était resté impassible, jusque-là, il n'avait pas cherché à se dégager, ni même à protéger son visage des hurlements ou des grondements de Deathmask, ni des éclaboussures.

Il avait néanmoins suivi son mouvement pour ne jamais rompre le contact visuel et ils étaient à présent assis, face à face, les yeux dans les yeux, toujours.

Grognant et soufflant encore, le cœur battant à un rythme anormalement élevé, Deathmask tendit sa main pour reprendre un corps.

Peu lui importait lequel, Shura pouvait bien sauver l'âme de celui qui lui avait volé en lui arrachant littéralement des mains, tantôt, il y en avait plein d'autres à disposition.

Il lui fallait seulement encore un visage ou deux, peut-être trois, si c'était encore possible.
Car il ne devait pas perdre trop de temps pour les arracher, il aimait que la peau soit encore tiède sous ses doigts…

Sans aucune pensée, sans voix, sans âme.

Sa main tâtonna autour de lui à l'aveugle, car ses yeux étaient ancrés à ceux, magnétiques, de Shura, comme aimantés.

Étrangement, le bourreau cherchait sans vraiment le faire, ses doigts passant et repassant sur des membres refroidis sans vraiment s'y attacher, car il ne parvenait plus à les reconnaître comme tels.

Deathmask pensait aux visages qu'il voulait arracher, pourtant, seul celui de Shura occupait son champ de vision autant que son esprit.
Il hurla sa frustration et tapa du poing sur le sol, sans parvenir à se libérer des yeux perçants posés sur lui toujours si intensément.

Le Cancer dansait sur un fil, au bord du monde, à un battement de cil de basculer dans le précipice et s'être dévoré par ses ténèbres intérieures.

Et il avait face à lui un regard franc, droit, qui ne cillait pas, un roc stable dans le désert de sable mouvant où l'enfonçait inexorablement sa folie, l'engloutissant sous ce mal qui le dévorait.

Ne me laisse pas mourir ici (Il doit y avoir quelque-chose de plus)
Ramène-moi à la vie

Le Capricorne se releva alors doucement et se pencha vers le Cancer en lui tendant la main.

- On rentre, Angelo.

Le ton était sec, mais la phrase n'avait pas claqué comme un ordre.

Un moment impossible à définir dans le temps passa dans une immobilité totale et un silence lourd, comme si la scène s'était figée.
Même les vautours et les charognards qui se régalaient déjà autour s'étaient tus.

Puis, proche d'un état second, Deathmask saisit l'avant-bras de Shura pour se relever.

Mais, se reprenant soudain, comme sortant d'un rêve ou d'un cauchemar, il exerça une violente traction en arrière pour le projeter à terre sans ménagement, alors que lui-même se relevait complètement.

Il s'éloigna ensuite de quelques pas avec un « Fanculo ! » ponctué d'un claquement de langue sec, récupéra son gantelet d'or qu'il avait ôté pour mieux travailler le dépeçage de ses victimes, puis accéléra et disparut à la vitesse de la lumière.

Shura se releva alors, le visage fermé, mais sans inquiétude.

Il ne pouvait pas être sûr que son ami se dirigeait vers le Sanctuaire, mais au moins, il avait la certitude qu'il s'était déjà éloigné du village qu'il avait transformé en antichambre des Enfers et concrètement, en véritable charnier. Il ne ressentait plus aucune présence, il n'y avait plus que des âmes torturées et errantes qu'il pouvait à peine percevoir.

Deathmask avait vraiment été très loin, cette fois-ci.

Trop.

Shura n'avait encore jamais osé intervenir, de peur de voir le Cancer surenchérir dans l'horreur, par contrariété ou provocation.
Mais ce jour-là, il avait été si loin dans l'abomination qu'il était facile de comprendre qu'il n'y avait pas de niveau au-dessus de ce qu'il avait fait.

Heureusement qu'il avait fini par l'écouter.

Au point même d'avoir laissé derrière lui la pile macabre de masques humains récoltés.
Shura avait au moins réussi à stopper sa funeste récolte.
Maigre victoire en vérité, mais dans ce genre de situation, il n'y en avait pas de petites, elles étaient toutes bonnes à prendre.

Le Capricorne soupira de dépit.
Il n'avait pas le pouvoir de libérer et guider les âmes, c'était la prérogative du Chevalier du Cancer.

Une des techniques du Capricorne, l'Eclipse Calibur lui permettait, le temps d'une attaque, d'aspirer l'énergie du Royaume souterrain pour créer une lame de karma, qu'il pouvait abattre sur ses ennemis. Mais il s'était juré de ne jamais y avoir recours, il détestait l'idée. C'était le seul lien qu'il avait avec le monde des morts.

Alors Shura fit ce qui était en son pouvoir : il eut une pensée pour chacune de ces âmes meurtries.

Plus qu'une pensée, même, car ce fut de véritables prières qu'il adressa pour les âmes des défunts, ces pauvres innocents qui avaient eu le malheur d'héberger un ennemi de leur Grand Pope et d'être découverts.

Puis, respectant les ordres de ce dernier, il fit disparaître le village, ses cadavres et toute trace de la présence des Chevaliers sous des flammes immenses et aussi impitoyables que l'ange de la mort qui les avait frappé...

Et il disparut à son tour avant que les lueurs rougeoyantes qui déchiraient la nuit ne donnent l'alerte…

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Fin du flashback

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- Je n'aurais jamais pensé que ce moment t'avait autant marqué, toi aussi, murmura Shura, revenu au présent, en se redressant.

- Il s'est passé un truc fort, ce jour-là, répondit Angelo avec un petit rictus, son bras toujours autour de ses épaules. Je coulais totalement, je le sentais, j'arrivais plus à m'arrêter. Et j'me disais qu'y aurait personne pour le faire, ni pour me sauver, que j'avais personne sur qui compter, cette fois-là. J'avais été trop loin. Tu le supporterais pas, et Aphrodite trouverait ça trop laid pour intervenir. Personne me regretterait, de toute façon. Et personne pourrait me trouver, alors que j'avais sombré si profondément, même pas toi, alors que tu me trouvais toujours. Et pourtant, t'es arrivé, comme d'hab'. Un vrai Chevalier, un authentique héros libérateur.

- J'ai pas le souvenir que ça t'aie fait spécialement plaisir de me voir débarquer en plein milieu de ton… office, grimaça Shura, entre deux gorgées bienvenues pour détendre sa gorge serrée.

- C'était la merde sous mon crâne, t'imagine même pas ! ricana amèrement le Cancer. Je devenais dingue, j'me sentais perdre pieds et pourtant, je restais lucide, j'étais conscient de tout ce qui se passait et de ce que je ressentais, le tout dans un joyeux bordel.

- T'étais comme drogué.

- Ouais, mais je comprenais tout, pourtant. Je planais, mais je restais là… Y avait une partie de moi qui t'appelait à l'aide, en même temps que je réalisais que si t'étais là pour moi, à ce moment-là où je faisais la pire démonstration de la pourriture que j'étais, alors tu le serais toujours. Comme tu l'avais toujours été, parce que tu m'aimais, bordel de merde ! Tu voyais le pire de moi, ce soir-là, mais tu m'aimais quand même… C'est ce que me disait ton regard : je t'aime et je te déteste de t'aimer, j'me déteste de t'aimer, mais je te lâcherai pas, jamais. Tes yeux me condamnaient, mais pourtant, ils ne me jugeaient pas. C'était dingue… t'étais dingue, toi aussi et moi, on en parle même pas ! Ta présence et ton intervention étaient aussi complètement insensées ! Comment ça aurait pu ne pas me marquer ?

- J'ai eu une hésitation, avoua Shura après un court silence, en posant à nouveau sa tête sur l'épaule d'Angelo.

- Je sais. Et je te comprends, Shurizo, t'inquiètes pas.

- Mais je ne pouvais pas te laisser tomber, 'Gelo. Je ne pouvais pas, redit-il dans un souffle, sa main libre se crispant en poing sur la cuisse du Cancer.

- Et moi, je devais me protéger de toi, parce que le démon en moi voulait pas être sauvé et qu'il prenait son pied à tout détruire. Et d'un autre côté, je voulais à tout prix te protéger de lui. C'était fou, un vrai bazar dans ma tête, répéta-t-il pour la deuxième fois, son visage glissant entre les mèches soyeuses de Shura. Pareil pour mon cœur, que je croyais pétrifié depuis des lustres. Ce jour-là, il a battu plus fort à cause de toi, un être humain vivant, à un rythme que je connaissais seulement quand je massacrais et dépeçais les gens et accrochais mes masques sur mes murs…

- Tu avais de quoi être sacrément perturbé, en effet, murmura tristement Shura. Je le voyais bien, je n'ai eu de cesse de chercher un moyen de t'apaiser.

Leur passé n'était pas un sujet tabou, entre eux, ils avaient déjà eu l'occasion d'en parler.
Mais le Capricorne n'appréciait pas tellement le rappel de souvenirs douloureux, même si c'était parfois nécessaire.

Angelo semblait avoir besoin de l'évoquer, lui.

Shura l'avait compris en remarquant qu'il y faisait souvent référence, ces dernières semaines.
Alors il prenait sur lui et jouait le jeu, pour lui.

Et en étant conscient que ça pourrait leur être bénéfique à tous les deux, individuellement, mais aussi pour le couple qu'ils formaient, plus solide et uni de jour en jour.

Angelo, de son côté, était effectivement plongé dans ses souvenirs.

À cet instant précis, il repensait notamment à la première fois où il avait couché avec Aphrodite, au retour d'une mission sanglante, environ un an avant le Mont Pelion. Il était reparti satisfait de son déroulement, après avoir semé la mort, l'effroi et la destruction. Mais de retour chez lui, malgré une douche longue et glacée, l'adrénaline n'était pas retombée, il en voulait encore, il voulait déjà repartir et recommencer.

Le serpent de l'avidité l'avait mordu, son corps entier réclamait encore du sang et des cris, et ce fut dans cet état fébrile qu'Aphrodite était venu le trouver.

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Flashback

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Le Sanctuaire,
Maison du Cancer
Février1978

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- Death'…

- Je t'ai pas autorisé à entrer ! Dégage, j'suis pas d'humeur, là !

Ignorant les propos de son ami autant que les gémissements sinistres qui leur parvenaient depuis le hall, Aphrodite s'approcha malgré tout de lui.

Les cheveux humides gouttant sur le torse nu autant que la peau rougie indiquaient que le Quatrième gardien sortait de la douche, mais visiblement, ça ne lui avait apporté aucun réconfort ni apaisement.

Il faisait les cent pas dans la pénombre de son salon, cigarette aux lèvres, tremblant, ses mains s'agitant nerveusement et le regard bouillonnant d'un feu ardent ne parvenant pas à se fixer sur un point précis.

- Tu as une mine affreuse.

- Porcca puttana ! hurla le Cancer en attrapant un coussin qu'il lui balança violemment au visage.

Et que Poissons esquiva d'un gracieux mouvement de tête sur le côté.

- La propos est sûrement aussi fleuri que la langue est belle, je m'abstiendrai de te demander une traduction… Ecoute, Death', le prends pas comme ça, je suis là pour t'aider, moi. Je sais exactement ce dont tu as besoin.

Le Quatrième gardien rit sèchement en écrasant son mégot dans son cendrier sur la table, avant de pointer un index accusateur sur le Douzième.

- Toi, t'sais que dalle ! Alors dégage, avant qu'ça ne tourne mal pour toi !

Il reprit ses allers-retours nerveux sans plus prêter attention à son ami, espérant qu'il serait assez lucide pour comprendre qu'il devait impérativement le laisser seul.

Mais Aphrodite n'en avait pas l'intention.

- Tu as tué beaucoup de gens, depuis un an, surtout, et tu y a pris goût. En témoigne ta décoration douteuse, grimaça le Poissons en jetant un œil dégoûté à la porte qui les séparait du hall sinistre. Mais tu as toujours envie de plus, tu n'en as pas eu assez, tu es clairement en manque, Death'. Le sang appelle le sang, la violence se nourrit de violence.

Aphrodite se déshabilla alors sans aucune pudeur et entièrement nu, il vint se coller à Deathmask, l'arrêtant dans ses allers retours.

- Cazzo ! Qu'est ce que tu fous, bordel ? s'exclama celui-ci en le repoussant sans ménagement.

- Tu es excité, je vais te détendre et te soulager, répondit Aphrodite en s'enroulant fermement autour de son bras. Le sexe et la mort sont étroitement liés, tu sais, ils procurent les mêmes sensations, si on sait s'y prendre. Et je suis très doué pour ça, tu peux me faire confiance, murmura-t-il à son oreille d'une voix suave.

Le Cancer le repoussa et se détourna encore une fois du corps nu qui s'offrait à lui, puis tapa du poing contre le mur.
Son propre corps avait réagi à cette proximité, il était plus que tenté par cette proposition. Ce ne serait pas la première fois qu'il évacuerait sa frustration par le sexe, même si d'ordinaire, c'était avec une personne inconnue, peu importait le sexe, peu importait s'il la laissait morte ou pas loin après avoir obtenu ce qu'il voulait.

Mais il n'obtenait jamais totalement satisfaction.
Ce n'était jamais assez, Aphrodite avait raison.

Malgré cela...

- J'peux pas coucher avec toi, rhabille-toi et dégage de chez moi ! ordonna-t-il en désignant la porte, mais sans le regarder. Va tapiner chez le Pope, si t'es en manque, tiens, p'tetre qu'il t'ouvrira son pieu, aujourd'hui !

- Mais écoute-moi, bon sang, il ne s'agit pas de moi, je te dis que c'est ce qu'il te faut à toi ! répliqua Aphrodite en ignorant volontairement sa provocation et son attaque. Tu trembles, t'en as besoin, il faut que tu évacues tout ça, t'es une vraie bombe à retardement !

- Justement, tu d'vrais pas t'approcher de moi ! Rentre !

Le Cancer était aller récupérer les vêtements de son camarade et les lui avait fourré dans les bras, avant de s'éloigner.
Mais Aphrodite les redéposa sur le canapé.

- Au contraire, il n'y a que moi qui puisse t'aider, là ! Tu sais que tu n'as pas besoin de me ménager, tu pourras me griffer et me mordre au sang, j'ai autant besoin de cette douleur que tu as besoin de chair et de sang… Mon poison t'a souvent mis dans un état second quand tu en prenais trop, quant à moi, la perte de sang me fait toujours complètement planer… C'est exactement ce qu'on recherche, au fond, et on peut l'avoir sans se droguer ! On peut faire ça, être là de cette façon l'un pour l'autre, puisque c'est toi et moi… t'en dis quoi, Death' ? A moins que tu ne préfères aller tuer d'autres gens, encore, avec tout ce que cela implique ?

Deathmask sentit l'odeur du sang, il avait un incroyable odorat pour le reconnaître, alors il se tourna vers Aphrodite, les pupilles encore plus dilatées qu'elles ne l'étaient déjà avant.

Le Douzième gardien avait entaillé finement la peau de son cou et des gouttes d'un rouge carmin glissaient déjà sur sa peau laiteuse pour rejoindre son torse.

Le Cancer fixa la ligne qu'elles traçaient, hypnotisé, prit d'une envie soudaine d'aller les boire à même leur source… puis détourna encore une fois le visage, poings et mâchoires serrés à se briser, en proie à une âpre lutte intérieure.

- J'te dis que j'peux pas te baiser, cazzo di merda !

- Tu as peur de me blesser ? Aussi dangereux que tu puisses l'être, tu ne peux pas détruire ce qui est déjà brisé.

- P'tetre, mais y a pas que ça !

- Tu hésites à cause de Shura ? Il nous a toujours soutenu et apaisé, mais tu es conscient que ce n'est pas ce qu'il te faut, aujourd'hui, n'est-ce pas ? Et ce dont tu as besoin, il ne peut te le donner... Tu ne peux même pas le lui demander...

- Il trouvera une solution...

Aphrodite se rapprocha et l'enlaça par derrière, se collant à son dos et pressant ses lèvres contre son oreille.

- Voyons Deathmask, susurra-t-il, tu penses vraiment l'approcher avec tes mains encore plus pleines de sang et l'odeur métallique qui émane de toi ? Tu crois qu'une douche peut effacer ça, alors qu'elle fait presque partie de toi, désormais ? Tu sombres de plus en plus, tu vas finir par le salir, ou pire, encore… c'est vraiment ce que tu veux ? Alors qu'on s'est promis de le protéger de nous à n'importe quel prix ?

- Non ! hurla-t-il en voulant se dégager.

Mais Aphrodite l'en empêcha avec une surprenante force et le maintint dos contre son torse.

- Très bien. Parce que si c'est le cas, je ne te laisserais pas le faire, sache-le. Cela aussi, on se l'est promis. On peut partager notre folie et notre noirceur, Death', nous sommes déjà perdus, mais Shura n'est pas comme nous. Il faut à tout prix l'en garder, si l'on veut demeurer à ses côtés et le protéger. Tu ne dois pas l'approcher dans cet état. Jamais.

Le Cancer grogna de frustration, se parvint à se libérer, cette fois-ci, puis envoya valser ce qui se trouvait sur sa table, une chaise sur sa route, avant de frappa le mur.

Puis, à peine calmé, il revint se jeter sur le Douzième gardien qui l'avait regardé faire patiemment, sachant très bien qu'elle serait sa décision finale.

Il l'arrêta cependant alors que, l'ayant soulevé sans ménagement pour l'asseoir sur la table à présent dégagée, il léchait déjà avidement son cou, prêt à le mordre férocement.

- Quoi ? C'est toi m'as cherché, bordel, tu te fous de moi ?

- Non, je suis content de t'avoir trouvé, mais juste, pas ici, on entend les gémissements lugubres, ça me dégoûte au plus au point… Allons dans ta chambre, tu veux ?

- Non, plutôt chez toi.

Aphrodite n'eut pas le temps de protester qu'il se retrouva téléporté dans son propre lit.

Avant d'être emporté par la tornade qu'il avait lui-même déclenché, il sentit le cosmos de Shura à l'entrée du Sanctuaire et comprit.
Deathmask n'avait sûrement pas voulu qu'il les découvrit ainsi.

Même s'il allait les chercher, comme à chaque fois qu'il rentrait au Sanctuaire, et donc forcément sentir et comprendre ce qui se passait, c'était autre chose de traverser un Temple et passer à quelques mètres seulement de la scène en question...

Ils allaient aussi devoir lui parler et tout expliquer.
Mais plus tard, Aphrodite devait s'occuper du Cancer en priorité.

.
Fin du flashback.

.

- Tu sais, reprit Angelo en revenant à eux après cette courte pause, encore aujourd'hui, j'ai parfois du mal à comprendre comment t'as pu me supporter et m'aimer, toutes ces années, particulièrement dans ces moments-là. Surtout après Pelion.

- Il y a des questions qui ne se posent pas, Ángel, murmura Shura en prenant sa main abandonnée sur sa cuisse pour la serrer fort. Ce jour-là, devant ta folie meurtrière poussée à son paroxysme, face au monstre que je découvrais encore plus terrifiant que jamais, je me suis retrouvé à me demander comment te sauver, comment t'empêcher de sombrer encore plus. C'est la seule chose que j'avais en boucle dans la tête. Et quand tu as pris la main que je t'avais tendu à peine quelques secondes, tu m'as donné raison de croire que tu pouvais encore être ramené à la raison. Je m'étais promis, en te la présentant, que si tu me donnais cet espoir-là, et bien si à l'avenir, je ne pouvais pas t'empêcher de tomber, je serais au moins là pour te relever, à chaque fois. Tu as pris ma main, ma résolution était faite.

- Ouais et une partie de moi te disait merci pour ça, et l'autre…

- Vaffanculo !

Angelo rit en lui ébouriffant les cheveux, avant d'y déposer un baiser.
Mais il retrouva vite un ton grave.

- Après ce jour-là, j'ai continué à tuer à tour de bras, dépassant toujours les ordres du Pope, mais je n'ai jamais plus commis de massacre d'une telle ampleur. T'as sauvé beaucoup de vies et beaucoup d'âmes, Shurizo, à commencer par la mienne.

- Disons plutôt que je t'ai maintenu à flots pour qu'Athéna puisse le faire, le corrigea Shura avec humilité. Avec l'espoir qu'on puisse un jour la rencontrer.

Les mots qu'Athéna lui avait adressés en le recevant seul, peu après leur résurrection, revinrent à l'esprit d'Angelo.

*Dans le Royaume dévasté de ton âme, j'ai trouvé une fleur unique, une magnifique rose blanche (4) protégée par un dôme de cosmos lumineux, déterminé et aimant, qui l'abritait furieusement de toute la noirceur et la désolation qui alimentaient le chaos alentour. Il m'a suffi d'une simple impulsion sur ce cosmos pour l'amplifier puissamment, afin que la Rose devienne un vaste champ de fleurs et que la paix règne enfin sur ton âme, à qui fût rendue sa lumière originelle. Il y aura encore de mauvaises herbes à arracher, le terrain a été éprouvé. Mais mon cher Angelo, tu auras toujours le principal architecte de ton jardin intérieur à tes côtés. J'espère que tu accepteras de le laisser prendre soin de sa plus belle œuvre, pour cette nouvelle chance qui vous est accordée.*

Angelo se dit qu'il avait bien fait d'écouter la Déesse de la Sagesse.

- Mais sans toi, Shurizo, y aurait rien eu à sauver.

- C'est évident.

Shura plaisantait à moitié en disant cela.
Mais Angelo, lui, était toujours aussi sérieux.

- Faut que je t'avoue un truc, par rapport à Athéna… Je trouvais jamais la bonne occasion, la voilà enfin...

- Je t'écoute.

- Je suis pas revenu des Enfers pour Elle. Dans la demande de Shion, j'ai juste vu un moyen d'échapper à la torture pendant 12h, mais aussi et surtout, la possibilité de te revoir et d'être avec toi. Même si, au final, on a pas eu beaucoup de temps ensemble, je… j'étais heureux de te retrouver.

- Je l'avais déjà compris, le rassura Shura. Tu n'avais aucune raison de participer à cette mission, à cette guerre, tu es mort sans avoir rencontré Athéna et sans même réellement chercher à savoir si la jeune fille qui se présentait à nos portes pouvait réellement être ou non son incarnation. Tu n'aurais pas dit oui sur la seule foi en les propos de Shion, même si tu respectais son autorité de son vivant. Peut-être, comme Aphrodite, tu voulais suivre Saga comme tu l'avais toujours fait… même si ce n'était pas vraiment lui.

- Je suis pas sûr, mais ce que je sais, c'est que c'était pas pour Elle. Je veux pas que tu penses que c'est ce que je voulais te faire croire, Shurizo mio. Athéna le sait aussi, on en a parlé.

- C'est le plus important.

- Non, c'est tout aussi important que tu le saches. Et même les autres, parce que je veux tromper personne là-dessus.

Oh ! oui, Angelo avait bien changé et pour le meilleur.
Et grâce au meilleur, comme il le plaisait à le dire, lorsqu'on le lui faisait remarquer.

- Je sais tout ça, ˋGelo, et je ne suis sûrement pas le seul à en être conscient. Tu avais tes raisons, à ce moment-là, et elles n'étaient pas aussi louables que celles des autres. Qu'importe ? Tu t'es battu et a péri, tu as fait ta part. Et puis, tu as répondu à l'appel de Dokho et des armures d'Or devant le Mur, tu l'as fait pour Elle, cette fois-là, non ?

- Oui, mais pas que, je voulais aussi que tu sois fier de moi. Que tu gardes au moins une bonne action que j'aurais faite, que tu partes définitivement avec cette image. Comme pour te rassurer et que tu puisses te dire que tu avais eu raison de croire en moi… Mais j'étais là pour Elle, c'est vrai. C'était impossible de ne pas répondre, à ce moment-là. Quand on est arrivé au Sanctuaire pour lancer l'assaut, je l'ai immédiatement senti et ça m'a retourné.

- De quoi ?

Shura posait une question dont il connaissait pourtant déjà la réponse, il n'y en avait qu'une seule possible, en vérité.

- Son cosmos, confirma Angelo. Il baignait tout le Domaine sacré. Une puissance incommensurable, écrasant pour mettre en garde Ses ennemis, mais que je percevais pourtant aussi si chaud et doux, si accueillant et bienveillant… ça a remué quelque chose en moi, profondément.

- Ton âme de Chevalier, sûrement.

- Quelque chose comme ça, oui. Regarde, ajouta-t-il en tendant son bras, j'ai la chair de poule rien que d'en parler !

- Je comprends. J'ai ressenti la même chose. Pareil pour Camus, on en a déjà parlé.

- Moi aussi, avec Aphrodite.

- Je crois qu'on en avait tous besoin. Nous étions les quatre seuls à ne pas l'avoir rencontré de notre vivant. Elle n'était pas encore pleinement éveillée en tant qu'Athéna lors de la Bataille des Douze Maisons. Et Son cosmos était principalement utilisé pour La maintenir en vie et soutenir les Bronzes dans leurs combats. Quand on est revenu en tant que Renégats, Elle avait retrouvé sa place au cœur et à la tête du Domaine sacré. Tout comme aujourd'hui, Il en était entièrement baigné. Il n'avait plus rien à voir avec celui qu'on avait connu. Même au temps de Shion, une telle sérénité n'existait pas.

- Tu prépares pas la guerre et t'entraînes pas des gosses en étant totalement serein, c'est sûr ! Surtout quand la dernière vécue t'a enlevé toutes les personnes que t'aimais ou presque et que tu l'as encore au travers de la gorge, 200 ans plus tard !

- En effet.

Un silence intime et confortable s'installa quelques douces minutes, concluant cette partie de leur conversation.

Ils terminaient tranquillement leurs mazegram, perdus chacun dans leurs pensées, sans pourtant jamais perdre leur connexion.
Ils ressentaient pleinement la présence de l'autre, les cuisses appuyées, leurs peaux qui se frôlaient ou se touchaient franchement, les caresses du bout des doigts sur un bras ou une main, le souffle chaud contre un cou ou balayant des mèches soyeuses, les battements de cœur qui résonnaient et se répondaient…

Un moment calme, serein, heureux, une pause bienvenue dans l'évocation de ces souvenirs et de ce passé lourd qu'ils avaient convoqué, ce soir.

Shura aurait apprécié que ce fut plus une conclusion à leur échange qu'une pause.
Mais visiblement, Angelo n'en avait pas terminé.

- Dis, reprit ce dernier après cet agréable moment, t'as jamais pensé à m'avouer tes sentiments pour, justement, essayer de me sauver ?

- Comment ça ?

- Je sais pas, on dit que l'amour guérit tout, non ? Tu t'es jamais dit qu'en me parlant de tes sentiments, tu pouvais peut-être me raisonner ?

- Il aurait déjà fallu que je les reconnaisse et que je les assume, répondit honnêtement Shura. Ce n'était pas si évident, ´Gelo. J'avais l'impression qu'en t'aimant, je cautionnais tes actes. Tous. Et de même, aimer un tel monstre, qu'est-ce que ça disait de moi ?

- De toi, rien, ça prouvait juste que personne pouvait me résister, j'ai toujours eu plein de charme !

- Idiota ! siffla Shura en se redressant pour lui tacler l'arrière du crâne

- Ça va, on peut bien plaisanter, aujourd'hui, se défendit Angelo en reprenant son sérieux, une nouvelle fois, et ramenant Shura contre lui. On sait très bien ce que ça dit de toi, Shurizo, ce que ça dit de ta loyauté et de ton intégrité. T'es un gars sur qui on peut compter. Quand tu t'attaches à quelqu'un, peu importe ce qu'il fait, tu seras toujours là pour lui. Et t'essaieras toujours de le sauver, ou si tu peux pas, au moins de l'empêcher de s'enfoncer encore plus, comme avec moi.

- Je ne le fais pas avec tout le monde.

- Parce que tu te lies pas à tout le monde. Mais quand tu accordes ta confiance et ta loyauté, tu dévies jamais de ta position, elles sont indéfectibles. C'est ce que t'es. C'est ce que j'aime tant, chez toi, entre autres... Ça m'agace juste quand t'es comme ça avec Saga...

Shura releva le visage vers lui et verrouilla son regard au sien.

- Ça fait un moment que je voulais te demander ça, 'Gelo : tu sais que je n'ai jamais été amoureux de Saga, rassure-moi ?

- Je sais bien que t'as jamais aimé que moi !

- De la façon dont je t'aime, en effet. Mais j'ai déjà eu des sentiments plus modestes pour d'autres personnes, rappela-t-il. Mais pour Saga, ils n'ont jamais été de cette nature. Tu n'as pas à douter de…

- Je doute pas ! grogna Angelo en l'interrompant. Mais tu vois, j'aurais préféré que tu sois amoureux et que je te le fasse oublier définitivement, plutôt. Y a aucun moyen, aujourd'hui, que tu perdes ton admiration pour lui, il est putain de parfait, même quand il se plante !

- Ce que tu dis n'a aucun sens, s'amusa Shura avec un doux sourire.

- Ça en a pour moi, et pour toi aussi, t'as très bien compris de quoi je parlais !

- Je l'admire, certes, mais c'est toi que j'aime, Ángel.

- Mais tu m'admires pas autant ! protesta-t-il encore.

Le problème était donc là : Angelo voulait tout de Shura, son amour et son admiration.

- Tu te trompes, répondit calmement le Dixième gardien. Je suis extrêmement fier du parcours que tu as fait, depuis notre résurrection. J'admire plus que tout l'homme que tu es devenu et que tu continues de construire, à mes côtés. Tu crois que je ne vois pas chacun des efforts que tu fais, depuis qu'on est ensemble ? Tu es très attentif à mon bonheur, à mon bien-être. Et ça te demande parfois de faire des concessions dont tu aurais auparavant refusé de simplement en entendre parler.

- Tchhh…

Shura observa son caractériel compagnon.

- Ça te gêne que je te dise tout ça, ou bien c'est parce que tu pensais que je ne le verrai pas ?

- J'sais pas... J'pensais pas que tu remarquerais tant de choses, j'crois.

- Je ne te quitte jamais des yeux, Ángel.

Et cela avait toujours été le cas, réalisa ce dernier.

Saisit par une vague d'émotion impossible à refouler ou canaliser, le Cancer repoussa légèrement son Capricorne pour mieux plonger son nez dans son cou et y cacher son visage qui le trahissait.

Plus que cette dernière affirmation, Shura avait aussi d'utilisé plusieurs fois la version espagnole de son prénom. Ce qui, dans la bouche de son compagnon, lui donnait une réelle signification.

Angelo n'avait jamais vraiment aimé le porter, même s'il témoignait d'une certaine ironie de la vie, ou de la cruauté des hommes, allez savoir ! Il ne l'avait pas jugé approprié, peu adapté à sa nature dans sa précédente vie, et ne s'en sentait pas digne, au début de celle-ci.

Mais peu lui importait, s'il n'était qu'un prénom, aujourd'hui, ou si les gens autour pensaient ou non à sa signification en le prononçant. La seule chose qui comptait, était que ce fut le cas pour Shura.

Son Capricorne avait fait d'un prénom un petit surnom affectueux, l'air de rien, comme si c'était juste une adaptation espagnole sans symbole ni intention.

Or, dans ces moments-là, Shura lui disait bien qu'il était un ange, - le sien, puisqu'il était le seul autorisé à l'appeler ainsi - bien plus que lorsqu'il l'appelait Angelo, comme tout le monde.

Son prénom prenait alors tout son sens et lui, il l'incarnait vraiment.

- T'aurais dû me l'dire, que tu m'aimais, murmura Angelo, le nez toujours contre son cou. Peut-être qu'en étant ensemble…

- Non, Angelo, le coupa-t-il fermement. Je t'aimais, c'est un fait. Mais je n'aurais jamais pu être avec toi comme nous le sommes, aujourd'hui.

- Je te dégoûtais tant que ça ? siffla-t-il douloureusement entre ses dents serrées.

- Tu tuais des enfants et des innocents, tu souillais les cadavres et martyrisaient les âmes, rappela tout aussi douloureusement Shura. Je pouvais demeurer ton meilleur ami, car cela permettait une zone de repli où je pouvais me réfugier, gérer tout ce que ça provoquait en moi, tous ces conflits internes, et continuer d'essayer de t'empêcher de sombrer définitivement. Cette possibilité n'existe pas, en amour, pas pour moi. Si j'avais pris cette décision et que tu avais accepté mes sentiments pour toi, je t'aurais tout donné, ´Gelo, jusqu'à plonger mon âme dans les abysses pour toi. Mon but était de t'en sortir, pas de t'y rejoindre.

Un court silence, puis Angelo se redressa et le regarda gravement.

- De toute façon, je t'aurais repoussé.

- J'en suis sûr.

- Je devais te protéger de moi, mais y avait aussi que…

- Ce n'est pas de moi dont tu avais besoin, à ce moment-là, compléta Shura pour lui. Ce n'est pas le genre de relation que tu voulais vivre. Tu ne voulais pas qu'on t'apaise ou qu'on t'arrache à ta folie, tu voulais quelqu'un pour la cautionner, la nourrir et la partager avec toi.

- C'est ça… grimaça-t-il, peu étonné par la lucidité de son Capricorne. La part la plus forte de moi, en tous cas. Je… Non, plutôt en tant que Deathmask, je me sentais tellement vide à l'intérieur, je voulais juste remplir ce trou de n'importe quoi, tant que ça me permettait de ressentir quelque chose. Peu importait que ce soit la colère, la rage, la folie, un désir animal et primaire, une jouissance sanglante… C'est pour ça que j'avais besoin d'Aphrodite, de sa folie, du sexe brut sans affect qu'il offrait et de la douleur qu'on partageait. Je devais réfréner mon envie de sang et évacuer ma rage, remplacer mon besoin de découper la chair par une autre façon de m'en délecter. Et tu l'as compris très tôt, toi, t'as toujours su...

- Évidemment, souffla le Capricorne avec un sourire entre tristesse et timidité. Je te connais mieux que toi-même.

Angelo dégagea le front de Shura d'une mèche rebelle qui s'y était aventurée, caressant doucement son visage au passage.

L'amour qu'il éprouvait pour Shura, aujourd'hui libre et épanoui, avait remplacé tout l'espace occupé par sa folie et sa noirceur passées, chaque élément qui constituait son être en était imprégné.

- Et tu me comprends comme personne, depuis toujours. D'ailleurs, je dis des conneries, j'étais pas vraiment vide, y avait le démon en moi et y avait toi, aussi.

- Il n'y avait pas vraiment de place pour moi, 'Gelo.

- Ouais, mais t'étais là quand même, répliqua-t-il en appuyant son front contre le sien. Et en tant qu'Angelo, aujourd'hui, y a plus que toi et ça me convient parfaitement. J'te l'ai jamais vraiment dit, mais tu sais, tu me combles à tous les niveaux, je ne me suis jamais senti aussi vivant que depuis qu'on est ensemble. Je suis peut-être pas le meilleur choix pour toi, j'en serai toujours conscient, mais t'es clairement celui qui me correspond. T'as pas touché le gros lot avec moi, mais pour moi, c'est le jackpot ! assura-t-il entre joie et tristesse. Et puis de toute façon, ça ne pouvait être que toi, Shurizo mio.

Toujours front contre front, Shura sourit, le cœur battant et la gorge nouée d'émotion contenue.

Ces moments-là avec Angelo étaient plus que précieux.
Lui qui ne se livrait que par petites touches, habituellement, avait ouvert grand les vannes, ce soir-là.

Car habituellement, Angelo ne parlait pas d'amour.

Il le lui faisait, très souvent et admirablement.
Il le lui montrait, en privé avec moins de gêne et de maladresse au fil du temps, par des moyens plus ou moins détournés en public, mais dans un cas comme dans l'autre, de manière toujours assumée.

Mais le dire, mettre des mots francs, forts et parfois douloureux dessus, il ne l'avait fait qu'en de rares, très rares occasions, jusque-là.

Il avait presque autant décrit ce qu'il ressentait ces derniers jours, que depuis leur neuf mois de relation.
Alors forcément, Shura était très touché et aussi soulagé qu'Angelo fut suffisamment bien avec lui pour s'accorder et se permettre cette liberté.

- Je t'aime aussi, Angelito, murmura-t-il en frottant son nez au sien.

Le Cancer se recula, piqué au vif.

- M'appelle pas comme ça si c'est pour te moquer, d'une, et de deux, c'est absolument pas ce que j'ai dit !

- D'une, je ne me moque absolument pas et de deux… Tu l'as pensé très fort en prononçant chacun de tes mots, répondit calmement Shura. Et ton cœur et ton âme parlent plus fort que ta bouche, ce qui est un exploit, en soi.

- Tchhh… Tu mériterais bien un Vaffenculo, tiens, si c'était pas à moi de m'en occuper !

Amusé, Shura enlaça son grognon de Cancer qui lui avait tourné le dos, et qui se laissa faire sans protester.

Au contraire, il soupira presque douloureusement, encore une fois, tout en basculant sa tête en arrière contre celle de son Capricorne, derrière lui, qui s'en inquiéta et perdit son sourire.

D'autant plus qu'Angelo avait refermé ses mains sur ses bras qui l'entouraient et il s'y agrippait comme s'il allait tomber, s'il ne le faisait pas.

- Hey, qu'est-ce qui ne va pas, Ángel ?

- Aujourd'hui, je regrette le mal que j'ai pu causer, je suis pas fier de moi, avoua Angelo pour la première fois de sa vie, surprenant fortement Shura. Mais même si c'est parfois atrocement lourd, j'arrive à vivre avec, parce que tu me donnes cette force et ce courage, parce que t'es avec moi et que tu m'aimes, et si fort... C'est juste que… parfois j'e repense à tout ça et j'me rends compte... si je t'avais fait le moindre mal… je veux dire, bien sûr que j't'en ai fait en étant ce gros monstre pervers, égoïste et sadique et en me tapant Aphrodite sous ton nez… Mais tu vois, si je m'en étais pris à toi autrement, si je t'avais souillé ou détruit physiquement ou psychologiquement ou que sais-je, encore…

- Angelo…

- J'aurais pas voulu de cette nouvelle vie et de ce pardon, ni d'Athéna, ni de toi ! l'interrompit-il en se tournant vivement vers lui pour lui faire face, le faisant presque sursauter. Je serais reparti aux Enfers, j'aurais dévalé la Pente de Yomi en courant jusqu'au Puits des Morts et j'm'y serrais jeté immédiatement de moi-même, et plutôt cent fois, mille fois qu'une !

Connaissant la terreur qu'éprouvait Angelo à cette simple évocation, qu'il avait déjà vécu ce traumatisme à deux reprises, cet aveu était très puissant.

Shura l'entendît très distinctement et le ressentit tout autant, dans son âme, dans son cosmos, dans son cœur et chaque cellule de son corps.
Tout comme il percevait la détresse de son compagnon, plongé si loin dans la partie la plus enténébrée de leur passé.

Ses yeux abritaient une sombre tempête prête à éclater à tout moment, les nuages brumeux plein d'orages s'y amoncelaient déjà.

Alors Shura prit le visage d'Angelo en coupe entre ses mains et l'abaissa vers lui pour embrasser tendrement son front, avant de se dégager et de se lever du canapé.

- Tu vas où, d'un coup, je t'ai fait flipper ? s'inquiéta le Cancer en grimaçant.

- Non, ça me touche beaucoup et je te remercie de te livrer ainsi à moi.

- Mais… ?

- Mais tu te fais du mal, Angelo, rien de tout ceci n'est arrivé. Et je trouve que nous avons beaucoup remué le passé, aujourd'hui. Nous sommes ensemble, vivants et heureux, alors ce soir, je préfère savourer ce présent et laisser le reste derrière nous, si tu es d'accord. Et là, tout de suite, j'ai envie de me détendre dans un bon bain, dans cette grande baignoire sous la verrière. Les étoiles font scintiller le ciel, cette nuit, c'est magnifique, j'ai envie d'en profiter. Tu m'accompagnes pour rendre ce moment parfait ? Si vraiment tu y tiens et en a besoin, nous continuerons de parler de tout ce que tu veux. Enfin, ajouta-t-il en déboutonnant sa chemise lentement, si je n'arrive pas à te convaincre de le faire demain, par exemple…

Le regard encore hanté et triste d'Angelo s'illumina en un instant d'une vive flamme d'intérêt, et de désir.
Il fut rapidement debout à son tour.

- T'as raison, j'ai assez fait ma pleureuse pour ce soir !

- Ce n'est pas ce que j'ai dit.

- Je sais, t'en fais pas, j'ai parfaitement compris ce que tu faisais. Merci, luit dit-il en lui volant un baiser rapide, mais appuyé. Tu arrives toujours à savoir ce dont j'ai le plus besoin.

- J'essaie, en tous cas.

- Tu y arrives très bien, assura Angelo en glissant ses mains sous les pans de la chemise maintenant ouverte de Shura pour caresser son torse puissant. Commence à tout préparer, je vais chercher deux ou trois trucs pour que ce soit encore meilleur ! ajouta-t-il en reculant à regret.

Un sentiment partagé par Shura, qui avait à peine eu le temps de sentir la chaleur de ses paumes sur sa peau.
Il haussa un sourcil, mais ne l'interrogea pas et gagna la salle-de-bain.

Comme il l'avait dit à Angelo, la seule chose qui lui importait, c'était de les sortir de ce passé où ils avaient replongé, pour revenir au présent heureux qu'ils partageaient, et se concentrer dessus pour le savourer pleinement.

Et cela aussi, il y arriva parfaitement, durant les heures suivantes.

Leur étreinte, cette nuit-là, commencée dans la chaleur du bain et longuement poursuivie dans la fraîcheur des draps, fut plus intense que jamais.
Elle renforça et scella l'évidence de ce lien que la folie, puis la mort, n'avait pas su ni pu briser.

.

.

A suivre


Notes :

Mazagran : Breuvage servi dans un verre profond, conique et sans anse, à base de café noir, de sucre et d'eau-de-vie. Du nom de Mazagran, une ville d'Algérie où une garnison française soutint victorieusement un siège en 1840. Les soldats auraient, dit-on, tenu le coup grâce à du café brûlant, additionné de sucre et d'eau-de-vie. C'est en souvenir de cette bataille que cette boisson s'est popularisée en France et qu'une manufacture française créa une tasse conique sans anse en porcelaine. Il existe plusieurs variantes à travers l'Europe, notamment au Portugal ou en Autriche où ils utilisent du rhum. J'ai donc pensé qu'ils pourraient pareillement utiliser le célèbre « raki » en Grèce, où le café frappé/froid est une institution !

Raki : c'est une eau-de-vie de marc de raisin (l'équivalent de la grappa italienne) qui symbolise souvent la chaleur de l'hospitalité grecque. Un nom d'origine turc, où le raki est aromatisé à l'anis contrairement à celui de Crète, très connu.

Parca : la Faucheuse en espagnol

Rose blanche et astrologie : Les roses blanches sont symbolisées comme étant pures et innocentes, tout comme la nature sensible du Cancer. Mais elles ont aussi un côté épineux. J'aimais bien cette idée qu'il y ait une part d'innocence et de pureté au fond de l'âme torturée D'Angelo et qui ait été préservée par Shura, par son amour déguisé en amitié profonde.

Merci pour votre lecture, j'espère que vous l'avez apprécié !
J'ai pris le partir de "matérialiser" les visages sur les murs du Temple du Cancer, alors qu'elles ne sont que des représentations, dans l'animé, qui disparaissent à la mort de Deathmask. Je voulais accentuer encore l'aspect horrible et macabre de ses actions, en en faisant des visages réels qu'il aurait "traité" pour qu'ils ne se décomposent pas, pour en faire de réelles œuvres d'art à accrocher. Ces morceaux de chair conservant l'âme, ce sont elles qu'on entend. C'est gore, je sais et je grimacer en décrivant tout ça, mais je voulais éclaircir ce point.

Bonne continuation et à bientôt pour un prochain chapitre encore consacré à Angelo et Shura, avant de retrouver les autres. J'espère que vous serez au rendez-vous.

Lysanea