Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf Letizia et sa famille
Pairing et personnages pour ce chapitre : Shura x Angelo, Aioros x Saga, Marine x Aiolia, Shaina, Letizia, Sergio, Ernesto
Rating : T
Note : Bonjour. Merci d'être encore là pour poursuivre l'aventure.
Merci à toi Fealina07 d'avoir pris le temps de m'écrire et de me rassurer, je suis contente que mon histoire te plaise et j'espère que ce sera le cas jusqu'à la fin qui se rapproche. Pour Letizia, tu as très bien cerné le personnage, hypersensible et très croyante, donc proche du divin et des sphères supérieures à la simple dimension humaine.
Mini-Chan : merci pour ta fidélité et du temps que tu m'accordes alors que tu n'en as pas toujours, à ce que je peux déduire de tes reviews ! Je ne t'ai pas répondu la dernière fois et je m'en excuse mais pour la Japan expo, c'est non, je n'irai pas. Je n'y vais plus depuis au moins dix ans, trop de monde, santé fragile, bref, c'est pas pour moi ! J'y rencontrais mes lecteurs et d'autres autrices, avant, c'était l'occasion, en effet. Et j'aurais été ravie de t'y rencontrer ! Désolée !
Bonne lecture à tous !
Le Fil rouge du Destin
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Chapitre Vingt-deux : Et quand l'un d'eux rencontre l'autre moitié, la vraie moitié de lui-même, […] le couple se perd dans un émerveillement d'amour, d'amitié et d'intimité et l'un ne sortira pas de la vue de l'autre […] ne serait-ce qu'un instant… »
(Platon – Le Banquet)
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Environs d'Athènes
Villa Nea Avgi
(Aube Nouvelle)
Dans le jardin
Samedi 16 septembre 1989
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(Rappel de la fin du précédent chapitre car nous avons ici la suite directe.)
Cependant, il ne prit pas la peine de tenter une réponse, car Sergio et Ernesto les rejoignaient, l'un depuis ses appartements et l'autre, depuis le sentier menant à la plage.
Du coup, les baigneurs sortirent aussi de l'eau et tout le monde s'installa sur les fauteuils ou les transats qu'ils regroupèrent en petit salon.
Marine fut la dernière à prendre place, elle avait préparé un grand plateau apéritif avec Letizia puis Shaina, qui l'avait rejointe après son altercation avec Angelo.
Elle ignora d'ailleurs superbement ce dernier, ce qui le fit rire plus qu'autre chose.
Assis à côté de Shura, épaule contre épaule et sa main sur sa cuisse, rien ne pouvait espérer l'atteindre.
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- Vous parliez de quoi ? demanda Sergio à sa compagne.
- De tout : des liens entre les gens, des tatouages, et sur la fin, j'expliquais à Angelo pourquoi on avait renoncé à l'espoir de voir Aioros revenir vivre au village avec Saga. On est impuissant face au Destin et à un tel amour !
Saga et Aioros échangèrent un tendre regard et un sourire amoureux.
- Nous avons aussi de nouvelles responsabilités, aujourd'hui, souligna le Sagittaire.
- Et je suis tellement contente pour vous ! assura la belle Italienne. Heureuse, aussi, qu'on ait pu venir en ce moment si important, pour pouvoir vous féliciter de vive voix et le fêter ensemble, comme nous l'avons fait toute cette semaine avec vous.
- On va continuer et ça tombe bien, c'est l'heure de l'apéro ! déclara Angelo en levant son verre. Merci pour ça, les filles, leur dit-il, une fois n'est pas coutume. Tout le monde est servi… Bien ! On a déjà trinqué pour vous deux, mais y a pas de règles.
- Ce ne sera jamais assez, de toute façon, intervint Shura. Nous devrions lever notre verre tous les jours en votre honneur.
- Tu exagères, se moqua tendrement Saga. Mais merci. À vous tous. Yamas !
- Yamas !
- Je disais aussi à Angelo que j'avais remarqué à quel point cette terre était sacrée pour vous, reprit Letizia après qu'ils aient trinqué et bu un peu. Vous avez un lien très fort avec elle.
- C'est vrai.
Tous les Chevaliers pensaient la même chose qu'Angelo peu avant : « elle », c'était Athéna.
- Il n'y a pas qu'avec la terre, intervint Sergio. Vous avez des liens très forts entre vous, je ne parle pas que des couples. Vous semblez réellement engagés les uns envers les autres.
- On est une grande famille, on a été élevé ensemble, on a grandi ensemble, pour certains et on a tous traversé des choses plus ou moins difficiles et douloureuses, expliqua Saga. C'est le ciment de nos liens. Nous pouvons ainsi mettre nos vies, que nous devons parfois engager, entre les mains de nos compagnons et frères d'armes, et de cœur.
- Je ne vous cache pas qu'au tout début, quand tu nous as parlé de ton passé, des gens que tu voulais et devais retrouver, du Sanctuaire, on s'est demandé si ce n'était pas une sorte de secte, tellement tu semblais attaché et pressé d'y retourner, confia Letizia, après avoir échangé un regard avec son compagnon.
Des rires surpris accueillirent sa révélation.
- Vous avez été loin dans votre interprétation, commenta Aioros en se frottant l'arrière du crâne. Vous ne m'en avez pas parlé, vous avez dû comprendre seuls et rapidement qu'il n'en était rien.
- Détrompe-toi, j'avais encore des doutes, jusque très récemment, avoua son amie. Le vocabulaire que vous employez, le Sanctuaire, les arènes d'entraînement, les thermes, tout tourne autour d'une thématique précise liée à l'Antiquité, y a quelque chose de religieux dans tout ça, Vous êtes aussi tous tatoués de différents symboles, mais il y en a un que vous avez en commun, sur la nuque, une petite chouette. Je ne l'ai pas vu chez tout le monde, c'est vrai, c'est très discret, et vos cheveux la recouvrent le plus souvent, mais je suis sûre qu'il s'y trouve. Je me trompe ?
- Non, répondit honnêtement Aioros, mais d'un ton tout à fait neutre. C'est effectivement le signe de notre attachement et de notre fidélité envers notre supérieure, et également de notre appartenance au Sanctuaire. Certains militaires se font tatouer leurs matricules ou le numéro de leur régiment de la même façon, il n'y a rien d'étrange à cela.
Il était très calme, souriant et détendu, ses camarades le laissaient donc gérer la situation avec ses amis, car il savait mieux que n'importe qui comment s'y prendre avec eux qu'il connaissait bien.
Ils restaient néanmoins prêts à intervenir et l'appuyer, si nécessaire.
- Oui, je sais, reconnut Letizia. Mais il y a aussi le fait que tu parles toujours avec tant de ferveur et d'engagement, Sergio a dit le bon mot, quand tu évoques les aspects de ta vie ici, tes patrons, ta supérieure… Et je l'ai constaté chez vous tous très tôt !
- Il y a aussi tant de mystères autour de votre travail, ajouta Sergio. Mais nous sommes conscients de la nécessité du secret défense pour une organisation militaire ou paramilitaire, bien sûr. En tous cas moi, ça me suffisait.
- Pas à moi, expliqua Letizia. Et tu avais pressenti depuis un moment que je m'interrogerais, Aioros, c'est pour ça que tu m'as conseillé de me renseigner sur la Fondation Graad, il y a quelques temps, ce que j'ai fait. Je n'ai aucun doute sur elle. J'ai même été soulagée, c'est une grande société qui fait beaucoup de bien à notre monde, c'est évident.
- Tu ne sauras jamais à quel point.
- J'imagine que non.
- On s'est aussi dit qu'on ne voyait que la partie immergée de l'iceberg, précisa Sergio.
- C'est-à-dire ? demanda Saga, osant intervenir pour la première fois.
- Ce genre de grosses entreprises œuvre aussi beaucoup dans l'ombre pour le bien de l'humanité sans que les petites gens n'en soient jamais conscients, expliqua Ernesto. C'est compréhensible et justifié.
- C'est vrai. Alors vous êtes rassurés, maintenant, ou… ? demanda Aioros, pas très serein malgré les apparences.
- Définitivement, depuis très peu de temps après notre arrivée, et grâce à nos échanges, assura Letizia.
- Après avoir discuté avec vous, parfois individuellement, on a pu se rendre compte de beaucoup de choses et on en a parlé entre nous, expliqua Sergio.
- On a compris notamment que votre amour et votre engagement n'étaient que l'expression de votre reconnaissance envers ceux qui vous ont accueilli ou recueilli, enfants, précisa Letizia. Vous ne vous êtes pas tous confiés et personne n'a donné trop de détails, mais il en faut peu pour deviner que votre enfance a été plus ou moins difficile.
Ernesto intervint à son tour.
- Et même si nous avons pensé que tu avais eu une vie dure, Aioros, quand tu nous as parlé des entraînements, alors que tu étais enfant, pour expliquer enfin la raison de toutes tes cicatrices, qui nous intriguaient depuis des années… on a réalisé que c'était mieux que ce à quoi vous étiez sûrement condamnés, avant d'être recueillis.
- Tu nous as dit avoir été très heureux, jusqu'à ce terrible conflit qui t'a éloigné de ceux que tu aimais, rappela Letizia. Nous ne pouvons que te croire, aujourd'hui.
- Moi qui pensais que vous veniez seulement en vacances… soupira Aioros.
Il était un peu sonné par l'aveu de ses amis.
Il connaissait bien Letizia, il avait anticipé des questions, mais il n'avait pas imaginé qu'elle pouvait pousser sa réflexion aussi loin.
- Oh ! mais c'est le cas ! assura cette dernière. J'espère que vous ne nous en voulez pas ? Nous n'avons pas mené d'enquête ou quoi que ce soit, nous avons simplement observé et écouté, sans nous focaliser dessus. C'est promis !
- Et c'était suffisant, car tout était sous nos yeux, compléta Sergio.
- Vous n'êtes pas fâchés ? s'inquiéta encore l'Italienne.
Tout le monde leur sourit avec bienveillance.
- Nous sommes conscients des interrogations que nous pouvons susciter, c'est pourquoi nous évitons de trop nous lier aux gens, expliqua Saga. Mais nous ne pouvions pas vous mettre à l'écart, vous êtes la famille d'Aioros, vous faites partie de sa vie. Donc, de la nôtre. Pas seulement la mienne et celle d'Aiolia et Marine, mais de tout le Sanctuaire.
- Nous sommes nous aussi conscients de tous les efforts que vous avez fait pour nous, et nous vous en remercions.
- Et soyez rassurés, nous en dirons le moins possible, même si nous serons assaillis de questions à notre retour.
- Tu n'avais pas à le préciser, Sergio, mais merci, lui répondit Aioros. Je suis soulagé que vous soyez rassurés, je ne voulais pas tant vous inquiéter. Et je vous remercie de votre compréhension et de votre confiance.
- C'est réciproque. Et il faut remercier Angelo, également, ajouta Letizia.
- Qu'est-ce que j'ai fait ? s'étonna celui-ci.
Il avait prêté attention à la conversation, mais avait progressivement plongé dans une douce torpeur.
Cela n'était pas dû à la chaleur un peu lourde de cette fin de journée encore estivale, ni à la fatigue, c'était à cause de Shura qui caressait lentement sa nuque du bout des doigts, dans un mouvement presque hypnotique.
Les premières secondes de ce geste l'électrisaient totalement, puis il se détendait très vite et se laissait aller complètement.
Shura cessa donc sa caresse pour qu'Angelo put se concentrer sur la conversation.
Il laissa tout de même sa main enroulée sur sa nuque, pour ne pas le frustrer complètement.
- C'est en pensant à ce qui aurait pu t'arriver, si tu n'avais pas été amené en Grèce, enfant, que nous avons compris qu'il y avait bien pire enfance que de grandir dans une organisation militaire qui formait des enfants soldats.
C'était abrupt, mais Letizia avait bien résumé la fonction du Sanctuaire, d'un point de vue extérieur. Qui heureusement n'existait pas, en dehors de rares situations comme celle-ci.
Car pour les concernés, sa mission première était de former les protecteurs d'Athéna dès leur plus jeune âge et malgré celui-ci, ce qui expliquait et justifiait la dureté de leur apprentissage.
Shion n'était pas un tortionnaire, ni aucun des Grands Popes avant lui.
Mais il avait vécu la terrible Guerre sainte précédente, il y avait perdu tous ses compagnons à l'exceptions d'un seul, et ils avaient chacun pourtant été de très grands et puissants Chevaliers. Il était donc parfaitement conscient de la nécessité d'un entraînement dur, intensif, exigeant, parfois cruel pour des enfants, en effet, mais ce, en prévision de la nouvelle bataille à venir.
C'était le seul moyen de leur donner une chance de l'emporter sur Hadès et surtout, de survivre.
- Et il me serait arrivé quoi, d'après vous ? interrogea Angelo, curieux d'entendre leur vision des choses. A part crever sur les pentes de l'Etna, ce qui aurait arrangé tout le monde...
Shura écarta sa main de la nuque d'Angelo pour lui tacler l'arrière du crâne.
- Ne dis pas n'importe quoi, idiota !
- Toi-même tu sais que c'est vrai, se défendit-il vivement. Bref, vous pensiez à quoi, alors ? reprit-il rapidement pour ne pas embarrasser davantage Shura, qui ne pouvait effectivement pas protester sans trop en révéler.
- En Sicile, tu aurais pu être récupéré par la mafia, répondit Sergio.
- Comment ça ?
- Il n'est pas rare que les parrains visent des orphelins pour les adopter. Les enfants arrachés à des orphelinats douteux, à la rue ou à des familles peu aimantes, voire à la dérive, ont une loyauté et une fidélité proportionnelles à leur reconnaissance. Du pain béni pour n'importe quelle organisation criminelle.
- C'est naturel et n'est pas propre aux organisations criminelles, intervint Shura. Nous sommes forcément reconnaissants et loyaux envers quiconque nous a sauvé et guidé. Quel honneur aurions-nous, sans cela ?
- C'est ce que nous avons compris, vous concernant. Mais dans le cas de la mafia, ça se discute, répondit Ernesto. Enfin, d'un point de vue extérieur, évidemment, les membres raisonnent comme toi. Mais face à la justice, cet argument ne fait pas le poids. Un criminel, en dehors de toute emprise ou endoctrinement, évidemment, n'échappera pas à sa condamnation en justifiant ses méfaits par une reconnaissance envers son bienfaiteur, sous prétexte qu'il lui doit tout.
- Non, reconnut Shura. La décision de suivre une personne mauvaise est un choix personnel, responsable et qui doit être assumé jusqu'au bout. quelles que soient les conséquences, qui devront elles aussi être assumées.
- Exactement, confirma Letizia.
Cet échange avait une résonance particulière pour les Chevaliers, notamment pour Angelo et surtout Shura, par rapport à Saga, qu'ils avaient choisi de suivre quand il était possédé, sans savoir qu'il l'était, malgré ses décisions douteuses, les assassinats et la teereure qu'il semait, et en connaissance de cause.
Ils avaient assumé ce choix de la manière la plus absolue, en y laissant la vie, le Capricorne plus volontairement que son compagnon du Cancer.
- Alors au final, reprit Ernesto, tu as eu de la chance de pouvoir quitter la Sicile, Angelo. Même si tu y restes attaché.
- C'est la terre qui m'a vu naître, pas le choix.
- C'est l'une des choses qui m'ont frappé, chez chacun de vous, intervint Sergio à son tour, c'est que malgré le fait que vous ayez passé le plus de temps ici, en Grèce, que vous considérez comme chez vous, vous évoquez tous votre terre natale comme une véritable mère patrie à laquelle vous tenez aussi énormément, et vous parlez très bien la langue. Et quand on parle de cuisine, vous vous y connaissez aussi en spécialités locales !
- C'est ce qu'on est : nos racines, nos origines, notre héritage, même, fit remarquer Angelo.
- Votre organisation n'a pas fait en sorte de vous priver de cela, vous n'avez pas été endoctrinés pour oublier et ne vous consacrer qu'à votre nouvelle nation.
- Non. Le Sanctuaire nous a construit en nous laissant cultiver notre individualité, pour ceux qui le souhaitaient, et préserver nos origines en fait partie. Ceux, très peu nombreux, qui avaient de la famille ou des connaissances, pouvaient les voir sous certaines conditions. C'est ce mélange qui a fait de nous ce que nous sommes, aujourd'hui, expliqua Shura.
- On est pas tous comme ça, nuança Angelo. Vous avez devant vous les plus attachés à leur mère patrie comme tu dis, Letizia. Y en a qui s'en foutent totalement !
- Ce n'est pas étonnant, quand on sait ce que certains y ont vécu, rappela Aioros.
- On peut pas dire que j'ai passé les meilleures années de ma vie en Sicile, moi non plus, tu te souviens ?
- Évidemment. Mais tout le monde n'a pas la faculté de passer outre les traumatismes de leur enfance pour ne garder que le meilleur, qui était très rare.
- Je ne dirai pas qu'il est passé outre, ou alors pas de la meilleure façon qui soit… grimaça Shaina. Ça t'a clairement cramé les neurones, t'étais complètement cinglé, un vrai psychopathe, ajouta-t-elle en regardant Angelo durement. Tu…
- Shaina.
Bien que prononcé sans élévation de voix, le nom résonna et frappa comme un couperet.
Sec, tranchant, précis, implacable, à l'image de son bras droit brandissant Excalibur, Shura n'avait besoin de rien de plus pour se faire comprendre.
Et obéir.
Il ne regardait même pas sa jeune camarade, qu'il avait réduit au silence ; bras à présent croisés sur son torse et yeux clos, il se tenait simplement là, aux côtés d'Angelo.
Ce dernier passa une main légère sur la nuque de son compagnon dont il était si fier et amoureux, en cet instant, caressant doucement les courtes mèches qui la couvraient pour l'apaiser.
Ça avait aussi cet effet-là, sur lui.
Shura ouvrit d'ailleurs les yeux pour le regarder.
- Tout va bien, j'ai déjà dit à Letizia que j'avais été un sale type pendant très longtemps, sans entrer dans les détails.
- Oh vraiment ? s'étonna Aioros. À quelle occasion, si ce n'est pas indiscret ?
- Ça l'est ! répondit Angelo vivement en le fusillant du regard. Désolé, s'excusa-t-il très vite en se radoucissant.
Il avait encore parfois des réflexes et automatismes de défense assez brusques.
Mais il se reprenait vite et s'excusait de son agressivité, désormais, ce qui lui valait d'être généralement immédiatement pardonné.
- C'est moi qui suis désolé, Angelo, je n'avais pas à poser cette question.
- Si, ça se comprend, Aioros. Ça me dérange pas tant que ça, en vrai, c'était juste un réflexe défensif, tu me connais.
- Oui, et justement, j'aurais dû faire attention.
- Mais c'est vrai que c'est très étonnant d'apprendre que tu t'es confié et sur ce point précis, fit remarquer Saga. La spontanéité de ta question se comprend, 'Ros.
Ce dernier frôla discrètement la main de Saga, à ses côtés, pour le remercier de son intervention.
- Je ne vous imaginais pas déjà si proches, tous les deux, ajouta-t-il.
- C'est plutôt le fait que nous ne le soyons pas qui l'explique, le reprit Letizia. C'est parfois plus facile de parler à quelqu'un d'étranger.
- Mais je ne l'aurais pas fait avec n'importe quel étranger non plus, intervint Angelo. C'est qu'on s'entend pas mal, toi et moi. Et pas que toi, les gars aussi, je vous aime bien !
- Oui, c'est vrai, reconnut Letizia.
- Et c'est réciproque, ajouta Sergio.
- C'est pour ça qu'on vous a dit que vous étiez les bienvenus à Corniglia quand vous vouliez, chacun de vous, rappela Ernesto. Ce n'était pas de la politesse. On invite pas n'importe qui chez nous !
Angelo se tourna vers Shura.
- Ce serait sympa d'y faire un tour, non ?
- Certainement.
- Tu supporterais ?
- L'Italie ?
- Bah oui ! Tu suis pas, on t'a perdu ?
- Si, je suis, mais je ne comprends pas ta question, puisque nous y sommes déjà allés, et il y a peu. Tu perds la mémoire ?
- On était dans le trou paumé qui me servait de village natal, et t'as rien vu de la Sicile. On avait dit qu'il fallait qu'on y retourne pour profiter un peu du paysage. Et puis là, on parle du continent, c'est encore autre chose !
- Je serai heureux et enchanté de découvrir ce pays, peu importe la région. Ce n'est pas d'être en Italie que je pourrais avoir du mal à supporter, c'est d'y être avec toi, si tu continues à me casser les pieds avec ton complexe de supériorité à la con…
- Tchhh… J'aurais pas à l'ouvrir, t'es suffisamment intelligent, tu le constateras par toi-même à quel point j'ai raison depuis toujours ! On est les meilleurs à tous les niveaux !
- Tu illustres parfaitement mon propos, merci.
- A ton service, Shurizo mio, répondit-il, provocateur.
Shura secoua la tête en soupirant, mais ne releva pas, lui concédant la victoire.
- Qui sait, Angelo, tu pourrais peut-être vouloir revenir vivre en Italie, après un autre long séjour là-bas avec Shura ?
Le regard du Cancer se détacha de celui du Capricorne auquel il s'était verrouillé, pour se tourner vers une Letizia amusée par leur échange.
- Comme Shura l'a dit, on y est déjà allé en juin pour mes 25 ans, répondit-il. Il m'a fait une sacrée belle surprise, c'était quelque chose... Mais on avait que quatre jours et on est pas beaucoup sorti, on était trop occupé à…
- Merci de nous épargner les détails ! le coupa Aiolia en grimaçant, les bras levés en défense. On a compris.
- J'avais pas l'intention d'en donner, assura Angelo en souriant effrontément. Je voulais seulement expliquer qu'on a pas eu le temps de jouer les touristes. Donc, pour enfin répondre à ta question, Letizia, retourner en Italie, et régulièrement, je le fais depuis toujours, visiter un peu le pays avec Shura, ok, je veux bien, c'est prévu, même, mais pour y vivre… je ne sais pas trop. J'ai des engagements, ici, et pas des moindres.
- Alors quand tu en seras libéré, si c'est possible de l'être ? Même les militaires prennent leur retraite, parfois encore jeunes, pour retourner à la vie civile, après tout !
Angelo se frotta l'arrière du crâne vigoureusement.
- Même si c'était possible, la décision ne dépend pas que de moi.
- Oui, je comprends. Je suis désolée de t'avoir embarrassé avec cette question, c'est juste que tu es tellement attaché à notre pays que je me la suis forcément posée.
- Les expatriés ont très souvent ce désir de retour gravé en eux, intervient Sergio.
- Exactement, appuya Letizia. J'ai donc pensé que ce serait ton cas aussi, car bien que tu n'y sois pas resté longtemps, tu as l'Italie dans le sang, c'est indéniable.
- Mais c'est pas l'Italie que j'ai dans la peau.
Angelo ne baissa pas le regard, assumant fièrement ce qu'il avait laissé échapper spontanément.
Et ignorant les petits sourires en coin de ses frères d'armes et de Marine.
- C'est évident, sourit Letizia. Ton sang est italien, mais ton cœur est espagnol.
La protestation outrée d'Angelo ne vint pas, alors que tous les Chevaliers l'attendaient.
- J'espère que dans notre prochaine vie, tu te réincarneras moins à l'ouest, dit-il en ébouriffant les cheveux de Shura avec une tendresse aussi inattendue qu'émouvante.
- Ou toi, moins à l'est, répliqua ce dernier en repoussant la pince du Cancer pour se recoiffer.
Ça lui permettait de se cacher un peu, la déclaration surprenante d'Angelo l'avait vraiment touché et déstabilisé, lui que rien se semblait pouvoir ébranler.
- Et bouffer des tomates au petit dej' ? s'indigna Angelo. Non merci !
- Continuez comme ça et vous allez vous retrouver en France, assura Aioros, amusé.
- En plein milieu de la Méditerranée, en Corse, par exemple, ça t'irait bien, Angelo, ajouta Saga.
- Du moment qu'on se retrouve, moi, ça me va, répliqua celui-ci en haussant les épaules.
- Alors où est le problème avec les tomates au petit dej', si c'est en Espagne que t'atterris ? le taquina Aiolia. Si tu manges du chorizo, tu peux bien manger des tomates, non ?
- T'as tout faux, le Chaton : je mange pas de chorizo, je mange que du Shurizo, le corrigea-t-il en faisant un clin d'œil à Shura, qui leva les yeux au ciel.
- Du Shurizo ? interrogea Sergio, n'ayant pas saisi le jeu de mot. C'est une charcuterie espagnole locale ?
- C'est le chorizo de Shura, répondit naturellement Angelo.
Il y eut quelques rires gênés et de légers rougissements.
- Vraiment, Angelo… soupira Saga.
- Mais qu'est-ce que j'ai dit ?
- Fais pas l'innocent, le gourmanda Aioros.
- C'est pas de ma faute si vous avez l'esprit mal placé ! se défendit-il avec un petit rictus narquois.
- Angelo appelle Shurizo le chorizo servit par Shura, c'est ce qu'il entend par « chorizo de Shura », expliqua le Sagittaire à ses amis. C'est ainsi devenu son surnom.
- Franchement, c'est pareil, s'amusa encore Angelo. C'est vous qui êtes tordus !
- On ne pourrait pas reparler de ton problème avec la tomate, plutôt, Angelo ? intervint judicieusement Marine.
- Mais j'ai pas de problème avec la tomate, vous croyez qu'on bouffe quoi, en Italie ? On produit les meilleures tomates du monde, parce qu'on a la meilleure terre au monde, je vous signale !
- Bah voyons…
- C'est juste d'en manger le matin qui me va pas ! poursuivit Angelo sans tenir compte du soupir d'Aiolia. Mais bon, je serai peut-être pas forcé d'en manger aussi tôt non plus… Ou juste un peu plus tard que le petit-dej' ! J'adore les tomates, j'le répète, qu'on soit bien d'accord, mais justement, ça ne se mange pas n'importe quand, ni n'importe comment !
- Ce n'est pas ce qu'on fait, 'Gelo, répliqua Shura. On aime aussi tellement ça qu'on en consomme dès le réveil. Si tu acceptais de baisser l'intensité de ton Italo-centrisme, tu arriverais sûrement à voir les choses différemment… comme essayer un autre point de vue que le tien, par exemple.
- C'est étonnant cette opposition entre vous, si je peux me permettre, car il n'y a pas de rivalité spécifique entre les Espagnols et les Italiens, que je sache...
- Pour Angelo, l'Italie est au-dessus de tout dans tous les domaines, quiconque a un avis différent devient son ennemi, répondit Marine à Letizia.
- Mais dans notre cas, c'est différent, nuança Shura. La culture espagnole étant assez proche de la culture italienne, il se sent menacé et la voit comme une rivale, plutôt qu'une ennemie. Je ne fais que défendre mes origines, certaines comparaisons ne tiennent pas la route.
- C'est toi qui le dis ! protesta le Cancer en croisant les bras sur son torse.
- De toute façon, si tu reviens sur terre en Espagne, tu seras espagnol, tu grandiras avec ces us et coutumes et tu n'y trouveras rien d'étrange, souligna Saga.
Si Angelo et Shura se mettaient à énumérer les différentes spécificités de leurs cultures respectives pour les comparer, ils en auraient pour la soirée !
Il valait mieux couper court.
Il espérait seulement qu'Angelo accepterait d'en rester là.
- C'est pas faux, concéda ce dernier, étonnant et soulageant ses aînés. On a le temps de voir venir, il nous reste encore dix-huit ans à tirer, ici !
- Dix-huit ans ? s'étonna Letizia. Comment le sais-tu si précisément ?
Des regards inquiets ou réprobateurs se tournèrent vers Angelo, qui semblait avoir fait une belle boulette en laissant échapper une telle information avec autant de certitude.
Or, celui-ci n'était pas le moins du monde embarrassé ou gêné, et ce fut calmement qu'il répondit, et avec toujours le même aplomb.
- Ya quelque temps, une bohémienne nous a prédit qu'on vivrait un certain nombre d'années ensemble, tous les deux, il nous en reste dix-huit aujourd'hui.
Divers sentiments s'affichèrent sur le visage des Chevaliers, allant de l'effarement au choc.
Shura, qui était en train de boire, avala de travers et se mit à tousser violemment.
*Une bohémienne ? s'offusqua-t-il, outré par le blasphème à Athéna.
Quoi, t'aurais préféré que je parle de vieux sage et d'entrailles de poulet ?
Plutôt mille fois qu'une, oui ! T'as intérêt à t'excuser auprès de notre Déesse !
Je le ferai, même si je considère pas l'avoir insulté, y avait rien d'offensant ! Tu me connais, non ? Pas la peine de te mettre dans un état pareil !*
En effet, Shura avait un peu de mal à calmer définitivement sa toux, quelques raclements lui échappaient encore.
- Ça va, Shura ? demanda Letizia avec sollicitude, alors qu'Angelo remplissait son verre d'eau.
- Oui, désolé. En parlant de cette histoire, Angelo vient de me rappeler que je vais devoir le supporter encore plus d'une quinzaine d'année, ça m'a fait un choc.
Les rires et l'amusement reprirent leur place à cette subtile attaque de Shura, que les Chevaliers comprenaient comme une réprimande, et leurs invités, comme une tendre taquinerie.
*C'est mesquin.
C'est mérité.
Mais c'est faux.
C'est pour ça que je me permets de le dire. Mais tu n'es pas pardonné pour autant.*
Angelo sourit sans répondre à Shura, avec un air qui fit résonner une alarme interne chez ce dernier.
Qu'était-il donc prêt à sortir comme ânerie ?
- On sait tous les deux que t'aurais voulu me supporter bien plus encore, parce que c'est bien trop peu. Mais c'est déjà ça de pris, chaque année est un cadeau ! C'est comme pour cette histoire de réincarnation. Je fais le grincheux, mais en vrai, je veux bien prendre le risque de me réincarner en Espagne, avec tout ce que ça implique, si j'ai la garantie absolue de te retrouver. Après tout, comme l'a dit Letizia, mon cœur est déjà espagnol et je suis aussi déjà ta moitié d'orange, hein ? (1)
Il saisit même sa main à portée pour y déposer un baiser rapide, sans le quitter des yeux.
*Qu'est-ce qui te prend, maintenant, tu comptes te faire pardonner comme ça ?* lui envoya celui-ci, surpris tout comme les autres.
*Au passage, pourquoi pas. Mais j'ai surtout une réputation à tenir, tu te souviens ?
Justement, ta carapace de crabe dur et insensible est en train de définitivement se fissurer, là ! Ca t'a pas suffit de te faire appeler « surimi » par Milo ?
Ca m'emmerde, c'est vrai, mais au moins, là, je fais honneur à la gente masculine italienne. Le romantisme, c'est nous !
Juste derrière les Français, Casanova de pacotille !
On est un peu moins romantiques, et ça reste à prouver, mais les meilleurs amants qui soient. C'est pas moi qui le dit !
C'est pas moi non plus.
Hey !
Je n'ai pas connu de Français pour comparer.
Ouais, bon, vu comme ça...
Et bref, ça n'explique pas ton accès de romantisme, là ! Je croyais que ça t'était passé, depuis ta démonstration le premier jour !
T'as pas remarqué comment Sergio se comporte avec sa femme, et tout le temps ? Faut que je fasse pareil avec la mienne !
J'te demande pardon ?
Dommage que ta chevalière ne sera prête que la semaine prochaine, ça aurait été encore plus romantique si je l'avais embrassé, plutôt que le dos de ta main, non ?
Angelo !
Ça va, détends-toi et profite, avant que j'renfile mon armure, la semaine est bientôt finie.
Ça ne me dérangerait pas que tu ne l'enlèves qu'en privé, si je peux éviter ton pastiche de Roméo, là !
Tchhh…. Ingrat.*
- Sergio m'a dit à peu près la même chose, à son retour à Corniglia, après avoir travaillé dans de grands restaurants à travers le monde, révéla Letizia, ramenant l'attention sur elle. Il n'y avait trouvé sa place nulle part, parce que la seule qui lui était destinée était d'être à mes côtés. Nous vous avons raconté notre histoire, le premier soir.
- C'est tellement touchant, murmura Marine, plus sensible qu'elle ne laissait paraître au quotidien.
- C'est vrai, confirma Letizia en souriant à son compagnon, qu'elle entoura de son bras. Ah ! ces Italiens, toujours si romantiques et beau-parleurs ! Je ne pouvais que fondre…
- Tu as quand même mis des mois avant de me l'accorder à nouveau, cette place.
- Ah ! ces Italiennes, toujours si caractérielles et exigeantes ! soupira-t-elle théâtralement.
- De vraies comédiennes, aussi, ajouta Sergio, avant de l'embrasser sur le bout du nez.
Elle s'écarta en riant et se réinstalla convenablement.
- C'est mignon, cette histoire de moitié d'orange, reprit-elle en souriant à Angelo.
- C'est une expression courante en Espagne, expliqua Shura. L'orange est ronde, sa forme est parfaite, ce qui garantit une relation harmonieuse, si on trouve la moitié qui nous correspond.
- Quelle belle image !
- Ça vient pas d'eux, intervint Angelo. Ils ont piqué ça à Platon.
- Le philosophe grec, vraiment ?
- Au Banquet de Platon, précisément, répondit Saga. On y trouve une série de discours portant principalement sur la nature et la recherche de l'amour. Dans ce texte, le poète Aristophane affirme qu'à la base, l'être humain était si parfait qu'il était rond comme une orange. Il avait aussi quatre bras, quatre jambes et deux visages opposés.
- Ça fait penser à l'homme de Vitruve de Leonard de Vinci, intervint Ernesto. Sauf qu'il n'a qu'un seul visage. Désolé pour l'intervention !
- Aucun problème, elle est pertinente, même le les sens et les origines sont différentes, le rassura Saga. Toujours d'après Aristophane, reprit-il ensuite, ces êtres si parfaits étaient aussi si prétentieux qu'ils allèrent jusqu'à défier les Dieux.
- Alors, mécontent, Zeus utilisa sa foudre pour les couper en deux en guise de châtiment, poursuivit Aioros. Mais voyant ces êtres désormais à demi-rond déambuler seuls et tristes, Il fut pris de pitié, et leur permit d'avoir le visage du côté plat, afin qu'ils puissent retrouver leur moitié.
- Et ainsi former, avec elle, de nouveau, un être complet et parfait, conclut Saga en prenant la main d'Aioros, qui lui sourit en la serrant.
- Vous m'avez véritablement donné envie de le lire ! s'enthousiasma Letizia. J'adore les récits anciens, la mythologie, ce genre de littérature. Si cela parle d'amour en plus, même de manière philosophique, c'est encore mieux !
- On avait quasiment tous un exemplaire en anglais et en grec, on pourra t'en ramener un demain, proposa Marine. Le temps que tu en achètes un en italien, si tu préfères.
- Merci beaucoup ! Je suis parfaitement bilingue anglais, mais c'est vrai que je préfère lire dans ma langue natale. L'idéal aurait été de le lire en grec, c'est toujours mieux, mais...
- Il doit exister d'excellentes traductions en italien, je t'en trouverai une, proposa Aioros.
- Si tu as le temps, mais sinon, ce n'est pas grave. Je suis sûre que j'en apprendrais déjà beaucoup en anglais !
- Assurément, certifia Saga.
- Parlant de banquet, l'heure tourne, remarqua Letizia en se levant. Je vais aller terminer la préparation du dîner.
Sergio se leva à son tour.
- Je t'accompagne.
- Vous avez besoin d'aide ? demanda Aioros.
- Non, refusa la belle Italienne, ce soir, c'est nous qui vous régalons, on tient à ce que vous restiez sagement assis, le temps qu'on s'occupe de tout !
- Ça nous fait vraiment plaisir, ajouta Sergio, tout sourire et les manches déjà retroussées.
- On voit ça, s'en amusa le Sagittaire. Très bien, dans ce cas. Mais n'hésitez pas.
Le couple de cuisiniers hocha la tête, avant de gagner la cuisine.
Shura se tourna vers Aioros.
- Tu penses que je peux aller les rejoindre sans risquer de les déranger ?
- Bien sûr, ils seront ravis, au contraire.
- Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas d'aide, rappela Angelo en le tirant par le bras. Reste-là, avec moi.
- Je veux juste regarder ce qu'ils préparent et comment ils le font.
- Mais on s'en fout, tant que c'est bon !
Shura se dégagea doucement mais en soupirant, puis gagna la cuisine où il demanda au couple s'il pouvait rester, et qui fut accepté avec enthousiasme.
- C'est quoi, son problème ? grommela le Cancer.
- C'est toi qui es idiot, Angelo, soupira Marine.
- J'ai fait quoi, encore ?
- Tu ne réfléchis pas, expliqua Aiolia.
- Mais encore, petit génie ?
- C'est toi qui a choisi le menu, quand Letizia nous a dit qu'elle voulait cuisiner pour nous, gros bêta, répondit Marine, défendant son compagnon au passage.
- Me voilà bien avancé avec ça ! En quoi ça explique que Shura…
Le Cancer s'interrompît, les yeux écarquillés.
- Et la lumière fut, s'amusa Saga.
- Ça va… je pouvais pas deviner que…
- Que Shura allait vouloir assister à la préparation de la recette de ce soir, l'interrompit Marine, que tu as tout spécialement choisie, pour pouvoir te refaire ce plat plus tard…
- Pour toi, compléta Aiolia.
- Non, c'est vrai, impossible à deviner… conclut Aioros.
- Tchhh, je vous emmerde !
- Allons tiens, bois un coup, ça va te détendre ! lui proposa Marine en le resservant.
Angelo grimaça, mais but tout de même une gorgée, sous les regards amusés de ses amis taquins et d'Ernesto.
- Tu lui as demandé quoi, d'ailleurs ? s'enquit Aiolia.
- Y a un truc qu'elle a décidé de faire toute seule, c'est quand je lui parlais d'un souvenir de mon enfance, les panellis, accepta-t-il de répondre.
- Des panellis ? répéta Ernesto. Je n'ai jamais entendu ce nom, je crois bien.
- Ce sont des espèces de galettes à la farine de pois chiches qu'on trouve à chaque coin de rue, à Palerme, et dans toute la Sicile, même, aujourd'hui. C'est trop bon. Letizia m'a dit que ça se faisait aussi, par chez vous.
- Ce sont les cecina, Erneso, expliqua Aioros. C'est comme ça qu'elles sont appelées en Ligurie, ajouta-t-il pour les autres. Et c'est plus une crêpe qu'une galette. Tu nous diras s'il y a une grande différence au terme du repas, Angelo.
- Je penserai aussi à en ramener de Palerme, la prochaine fois. Toi aussi, tu pourras comparer, comme ça.
- Bonne idée !
- Tu aimes donc ces galettes, Angelo ? demanda Etnesto. Personnellement, je ne leur trouve aucun intérêt.
- Je suis pas très objectif, sûrement. C'est un genre de madeleine de Proust. Quand j'étais gosse, si je faisais ce qu'il fallait, mon tuteur m'en donnait une entière, ou la moitié, selon son humeur.
- C'était ça, ta récompense ? s'étonna Aiolia.
Ayant été entraîné principalement par son grand frère, il avait toujours été félicité et récompensé pour ses efforts par ce qu'il préférait manger ou faire.
- Non, c'était mon repas.
Sa réponse jeta un froid sur le groupe.
- Quelle enfance terriblement difficile, se désola Ernesto.
- Ca n'a pas duré longtemps, et il en reste plus rien, aujourd'hui, à part que je bouffe comme un titan, le rassura Angelo.
Ce qui termina de dissiper le malaise.
- Je n'ai pas remarqué ! lui dit Ernesto.
- Il se tient correctement, ici, expliqua Saga. Shura dirait sûrement que c'est différent, chez eux.
- C'est de sa faute, aussi, il cuisine trop bien !
- Même si ce n'était pas le cas, tu trouverais toujours une autre cuisine à piller, intervint Aiolia. Chaque fois que Shura n'est pas là, tu viens gratter à notre porte.
- Marine aussi est un vrai cordon bleu, j'y peux rien si je suis attiré vers les meilleurs fourneaux ! En plus, tu exagères, j'ai plus autant que ça à aller taper à d'autres portes, Shura me prépare ce qui faut pour au moins deux jours. Et je vais pas toujours voir les mêmes, quand j'ai plus rien !
- Mais entre Aldébaran, Aphrodite et nous, tu as de quoi faire, répliqua Marine.
- C'est vrai. Mais si vous voulez pas me voir rappliquer avec ma gamelle à remplir, faut demander aux deux futurs chefs, là !
- Quel rapport avec nous ? s'étonna Aioros.
- Si vous faites en sorte de pas me séparer de Shura, j'aurais plus de raison d'aller emmerder les autres !
- De la même façon que Shion le faisait quand il n'avait pas le choix, nous agirons de même, répondit Saga. Mais nos missions sont prioritaires.
- Je sais bien…
- Vous avez toujours formé une bonne équipe, tous les deux. Vous êtes même plus efficaces ensemble, tu n'as pas à t'inquiéter.
- Et tu es moins irritable quand on ne vous sépare pas, ajouta Aioros.
- C'est vrai que t'es casse-pieds quand Shura n'est pas là, soupira Aiolia.
- Raison de plus pour pas nous séparer ou pas trop longtemps, au moins.
- Shura a aussi ses propres déplacements personnels, Angelo, le Sanctuaire n'est pas responsable de tout, rappela Saga.
- Ça, ça devrait s'arranger. Son prochain séjour en Espagne, ce sera avec moi. Enfin, si vos Seigneuries y consentent…
- Vraiment ? On va finir par t'appeler Angel, si ça continue, se moqua Aiolia.
Bien mal lui en prit.
- N'essaie même pas si tu tiens à tes bras et tes jambes ! l'avertit Angelo, le regard dur.
- C'est bon, détends-toi, lui dit Marine en posant sa main sur son bras. Il te taquinait juste.
- Ouais, désolé. Mais retiens bien, Shura est le seul autorisé à m'appeler comme ça.
- Bien reçu, sourit Aiolia, pas rancunier pour une drachme.
Du côté de la cuisine, ouverte sur le jardin mais non à portée de voix, Shura, concentré sur les gestes et les explications du couple de cuisiniers, se tourna un instant vers le groupe et son compagnon en particulier. Il avait senti une légère variation de son cosmos, qui s'était brièvement teintée d'une nostalgie amère qu'il ne lui connaissait que lorsqu'il évoquait son passé.
- Letizia, accepterais-tu de me dire ce dont t'as parlé Angelo, lorsqu'il s'est confié à toi sur sa partie sombre ? demanda-t-il en reportant son attention sur la jeune femme.
- Bien sûr… Il ne m'a pas dit grand-chose, en vérité. Il m'a avoué qu'il n'avait pas été quelqu'un de bien, par le passé, se qualifiant même de monstre, sans entrer dans les détails. Il m'a expliqué que tu l'as empêché de sombrer encore plus et que tu l'as même sauvé. Et que c'est grâce à toi aussi qu'il peut avancer, aujourd'hui, avec confiance, car tu es la meilleure part de lui-même.
- Je vois. Merci.
- Je t'en prie. Si je peux me permettre, je trouve que c'était très courageux de ta part d'avoir voulu l'aider, par le passé, malgré la situation. Tu es très fort, Shura.
- Non, c'est faux, répliqua le Capricorne en serrant les poings sur la table. Si je l'avais été suffisamment, je serais parvenu à l'arrêter. Si j'avais été courageux, je l'aurais tué pour qu'il ne nuise pas davantage. J'étais simplement amoureux, ce qui, dans notre situation, m'a rendu lâche et égoïste. Le monde se serait mieux porté sans lui, à cette époque. Mais le mien se serait effondré. J'ai fait un choix terrible que j'assume et que j'assumerai jusqu'à mon dernier souffle, en mon âme et conscience.
Letizia et Sergio échangèrent un regard, surpris et touché à la fois par les mots de Shura.
Celui-ci continuait d'observer les ingrédients sur la table et les gestes de Letizia, qui ne s'était pas interrompue durant leur échange, par habitude sûrement.
- L'ordre dans lequel tu mets chacun des produits est important pour la confection de ton pesto, n'est-ce pas ? reprit la Capricorne naturellement.
Comme si ce qu'il venait de dire juste avant n'avait rien de spécial, comme s'il ne venait pas de parler de la décision qu'il avait du prendre d''ôter ou non la vie de l'homme qu'il aimait de manière quasiment neutre.
Respectant son apparente volonté de ne pas s'étendre sur le sujet, Letizia, qui sentait l'épaisse couche d'émotion et de sensibilité derrière le masque impassible, répondit à sa question.
Ils poursuivirent ainsi la préparation du dîner.
Du côté du jardin, ce fut au tour d'´Angelo de jeter un œil vers la cuisine, ayant lui aussi senti une légère variation empreinte d'amertume dans le cosmos de son Capricorne.
Mais elle ne dura pas, aussi reprit-il le cours de leur discussion, d'autant plus qu'Aioros s'adressait à lui, à présent.
- Tu n'as pas répondu à la question initiale, Angelo, qu'allons-nous avoir au dîner ? lui demandait-il.
- Je n'ai rien demandé de spécial, répondit-il. Je voulais juste manger d'authentiques pasta. Je crois qu'elle avait déjà dans l'idée de nous faire goûter le fameux pesto de Gênes. Je pense qu'on connaît tous la version copiée, c'est une chance d'avoir l'original à notre table, ce soir.
- Je confirme, intervint Saga. Il n'a absolument rien à voir avec ce qu'on peut avoir ailleurs. Mais je ne sais pas si elle a pu trouver du basilic d'aussi bonne qualité que celui qu'elle fait pousser elle-même. Je ne m'inquiète pas pour l'huile et le reste, mais…
- Elle en avait ramené, le rassura Ernesto. Je crois qu'elle avait déjà prévu de cuisiner quelque chose. Je suis même étonné qu'elle ne l'ait pas fait plus tôt. Elle s'est retenue longtemps ! se moqua-t-il tendrement.
- C'est vrai qu'elle a du mal à rester loin des fourneaux, reconnut Aioros. Elle a été relativement sage, pourtant, jusque-là.
- Je pense que ça lui fait beaucoup de bien, ces quelques jours de vacances. Elle se repose et fait autre chose que de cuisiner ou penser au restaurant, même si elle prend des nouvelles régulièrement. Elle découvre de nouvelles saveurs aussi, ça lui plaît beaucoup. Elle vous est très reconnaissante et tu la connais, Aioros, c'est comme ça qu'elle exprime le mieux ses sentiments, en partageant sa cuisine.
- Oui, c'est pour ça qu'on la laisse faire, je sais bien que c'est important pour elle.
- En plus, non seulement elle cuisine avec Sergio dans un cadre calme et reposant, mais en plus, elle a un élève. Elle est aux anges, j'en suis certain. On la voit pas bien d'ici, mais elle doit avoir un sourire jusqu'aux oreilles.
- Sûrement, répondit le Sagittaire.
- Par contre, parlant de son élève, justement, je vous préviens, c'est pas parce que Shura est en train d'apprendre avec les meilleurs que vous pourrez passer commande ou débarquer tous les jours à la maison, c'est clair ? annonça Angelo.
- Égoïste, répliqua Marine.
- Aioros cuisine très bien italien et on nous laisse relativement tranquille, tu sais, fit remarquer Saga.
- C'est Aioros, répliqua Angelo. Personne ne dérange jamais Aioros. Ni toi. C'est gravé dans le marbre du Sanctuaire.
- T'exagère à peine, soupira Aiolia. Surtout que tu es le premier à venir lui demander une pizza maison au moins une fois par mois !
- J'ai dit que personne ne le faisait, je m'incluais pas dedans.
- C'est sûr que toi, tu crains jamais de déranger qui que ce soit, Monsieur Sans gêne…
Angelo sourit à Shaina qui venait de l'interpeller.
- Ah, la Vipère s'est réveillée !
- Tu devrais savoir qu'un serpent ne dort jamais vraiment.
- J'en fréquente pas assez pour être au faîte de leurs petites manies et ça me va très bien.
- Enfin peu importe, coupa Aioros avant que cela ne s'envenime. Si par malheur, on venait trop embêter Shura, n'hésite pas à me le dire, je prendrais une part des commandes !
- Parce que tu crois vraiment que t'auras encore le temps de jouer les cuistots ? se moqua gentiment Angelo. Je te rappelle que vous aurez des gens pour vous préparer les repas, parce que ce sera plus possible pour vous de le faire seuls, vous en oublierez même de manger, parfois ! Même à deux, vous allez avoir un sacré boulot sur les bras.
- On le sait.
- Et on est prêt, assura Saga en serrant la main d'Aioros plus fort, qui lui sourit en retour.
- Et on est là, nous aussi, rappela Aiolia.
- Oui, bien sûr, le remercia son aîné.
- Ce sera prêt dans 30 minutes ! annonça alors Letizia depuis la cuisine.
Tout le monde se leva, certains pour débarrasser l'apéritif et d'autres, pour dresser la table pour le repas.
Le dîner qui suivit fut délicieux.
Il fut effectivement composé des fameuses pâtes maison typiques de la Ligurie, les trofie, accompagnées de leur délicieux pesto alla genovese. Le second plat, selon le découpage italien d'un repas, les régala d'une friture de poissons et de fruits de mer d'une fraîcheur inégalée, puisqu'ils provenaient de la pêche du jour, servie avec un mélange de légumes marinés et grillés au barbecue.
Le dessert fut une surprise pour Angelo, qui ne s'y attendait pour le coup vraiment pas et qui en fut très touché. Il s'agissait d'un semifreddo, dessert emblématique italien mais dans sa version sicilienne. Letizia l'avait préparé la veille, car ce dessert semi-glacé nécessitait 12h de repos au frais. Constitué de café fort et de meringue italienne, il clôtura de manière bien gourmande et festive le délicieux et copieux repas italien.
Un petit digestif ne fut pas de trop, ce soir-là, alcool, tisanes ou même cafés furent les bienvenus.
- Je m'absente un instant, s'excusa Ernesto en se levant, je vais récupérer les photos qui doivent avoir terminé de sécher.
- Oh, ramène-les nous, s'il te plaît ! demanda Letizia. Tu ne nous as pas montré celle de la soirée moussaka d'hier avec Milo et Kanon ! Tu les as développés, non ?
- Oui, mais dégage-moi un coin propre et sec sur la table, si tu veux les voir maintenant.
- Si, capo !
Quand Ernesto revint avec une pochette et son carton à dessin, un bord de la table était complètement vide, nettoyé et séché. Tout le monde était autour, patientant sagement, les verres et tasses souvent posés entre les pieds, à même la terrasse, pour ne prendre aucun risque.
- Elles sont complètement dans le désordre, et je ne les ai pas toutes vues, je n'ai donc pas retiré les ratées.
- On a l'habitude, allez, montre ! s'impatienta Letizia en battant des mains, tout excitée.
Ernesto sourit et sortit la première photo, puis la suivante, et ainsi de suite, alors qu'elles passaient successivement de mains en mains, sous les commentaires et les appréciations de chacun, les rires aussi ou les exclamations et le ravissement.
Il y avait par exemple deux photos très réussies de Shura et d'Angelo.
Sur la première, prise dans la lumière du matin, les deux hommes entrechoquaient leurs mugs de café, mais sans se regarder. Assis côte à côte, ils étaient chacun tourné vers une autre personne, Angelo vers Marine à sa gauche et Shura, vers Aiolia à sa droite, visiblement en grande discussion. La scène montrait toute la complicité et la confiance que le couple se témoignait : le café était brûlant, on le voyait à la fumée qui floutait légèrement le cliché au-dessus des mugs, mais les amants n'avaient pas besoin de se regarder ou de regarder ce qu'ils faisaient. C'était comme s'ils connaissaient par cœur leurs moindres mouvements, leurs moindres déplacements dans l'espace.
C'était une photo incroyablement forte qui racontait une belle histoire.
La seconde était un cliché en noir et blanc de Shura qui sautait pour frapper le ballon, lors d'un match de beach volley, une fin de journée ou ils étaient descendus à la plage. L'angle de prise de vue était parfait, mettant en avant le corps athlétique et tatoué de Shura en pleine extension. Outre ses muscles puissants, saillants et bandés, on distinguait la concentration sur les traits de son visage, son regard acéré, sa mâchoire anguleuse. Malgré cela, il avait un fin sourire qui ourlait ses lèvres fines, trahissant l'amusement qu'il ressentait à cet instant. Cela adoucissait sensiblement sa beauté brute et froide, le rendant plus attirant, plus captivant encore. Le mouvement de son corps était gracieux, la pose était très belle, Ernesto avait su appuyer au meilleur moment, celui qui rendait le plus grâce à son sujet.
C'était vraiment un très grand photographe, il en avait sans aucun doute le fameux « œil » comme on le disait dans le milieu.
Angelo mit immédiatement une option dessus. Il annonça qu'il allait en faire un agrandissement et l'accrocher dans sa chambre, face au lit. Il pourrait ainsi l'admirer, avant de se tourner vers Shura pour profiter pleinement de ce bel homme dans la réalité…
Il avait dit cela avec un sourire torve en regardant Shaina, qui se retint de lui tirer effrontément la langue.
Sur un autre cliché, c'était Angelo qui était à l'honneur, cette fois-ci. Il était assis sur un fauteuil dans le jardin, la tête reposant sur le dossier et les yeux clos, cheville gauche sur genou droit, les bras sur les accoudoirs, dans une position que Letizia avait qualifié de « caïd assoupi ». On pouvait en effet le croire abandonné au sommeil en toute confiance, mais il n'en était rien, comme en témoignait la cigarette rougeoyante fermement tenue par ses lèvres pincées.
A la moindre alerte, il était prêt à répondre et intervenir en bondissant tel un fauve.
La série continuait avec le plus jeune couple de la Chevalerie. Marine et Aiolia avaient été capturés par l'objectif alors qu'ils riaient aux éclats, en une photo débordante d'amour, de jeunesse et de fraîcheur, qui faisait du bien à tous les Chevaliers qui la regardaient.
Et à ceux qui la regarderaient à l'avenir. Elle disait tout de cette nouvelle vie qui leur avait été accordée, elle résumait à elle-seule cette nouvelle chance, la manière avec laquelle ils devaient tous la saisir.
La suivante était une photo exceptionnelle dans tous les sens du terme également, celle de Shaina avec une expression que personne ne lui avait jamais connu : la surprise et l'émerveillement. Elle venait d'ouvrir un petit paquet qu'Ernesto avait laissé à son intention…
… avant de se mettre en retrait pour pouvoir photographier sa réaction avec l'appareil qu'il avait caché dans son dos, car elle n'acceptait pas toujours…
Très discrètement, l'artiste avait sculpté une petite figurine en bois représentant Shaina sous la forme de la fameuse « Déesse aux serpents », une divinité chthonienne de la civilisation minoenne crétoise. La jeune femme lui ayant confié sa passion pour l'invertébré, Ernesto avait ainsi jugé cela approprié pour la grecque d'adoption et avait voulu lui rendre cet hommage. Il avait fait mouche, et l'émotion ressentie par Shaina était désormais immortalisée sur papier photo. Il y avait de quoi, la sculpture était petite, la taille d'une main de femme, mais les détails étaient incroyables et on reconnaissait tout à fait le visage de Shaina. Ernesto avait imité la posture mais bien évidemment, il avait rendu le tout plus moderne et harmonieux, notamment en faisant s'enrouler les serpents autour de ses bras et en se contentant du casque sur la tête, retirant le drôle d'oiseau qui y juchait sur le modèle d'origine.
Ernesto avait aussi, de la même façon, immortalisé le moment où Chiara avait reçu son propre cadeau – il avait fait quelque chose pour chacun d'eux en guise de remerciement - un joli bateau sculpté à son nom, matérialisant son rêve de posséder un jour un voilier.
D'autres photos suivirent, notamment de la fameuse soirée moussaka avec Milo et Kanon : Letizia en pleine leçon de cuisine avec le Chef de la soirée, le visage de Letizia extatique en goûtant la moussaka de Milo pour la première fois, et un très joli instant volé entre Saga et Kanon, assis face à face au bord de la piscine.
Photo à la symétrie si parfaite dans leurs postures, penchés l'un vers l'autre, autant que dans leur ressemblance, qu'on aurait pu croire à un montage, si les vêtements ne les avaient pas différenciés.
Pour les Italiens, c'était vraiment le seul élément qui leur permettait de les différencier de prime abord. Venaient ensuite les détails, l'anneau que portait Saga et son petit doigt gauche marqué, la chaîne qu'arborait Kanon, leurs tatouages que laissaient entrevoir l'ouverture d'une chemise ou les manches courtes encore relevées sur les épaules. Puis, en fin de soirée, leurs coiffures, car Kanon avait rassemblé ses cheveux en queue de cheval haute. D'autres différences étaient bien évidemment apparues au fil des heures, leur gestuelle et l'intonation de leurs voix, notamment, leurs rires. Sans compter le fait que Saga n'était jamais loin d'Aioros, et qu'il suffisait de les voir côte à côte pour déterminer que c'était bien Saga et non Kanon. Le cadet, lui, s'amusait et taquinait beaucoup Milo et Aiolia...
Ce que l'œil du photographe avait également saisi.
Car c'était cela qu'Ernesto capturait et immortalisait, au-delà de moments de vie, d'instants T, il captait les émotions.
Un regard tendrement complice entre Letizia et Aioros, l'admiration dans les yeux que Shura posait sur ses aînés et particulièrement Saga, alors que son visage, souvent impassible, semblait ne s'animer qu'à ces moments où il les regardait… et bien sûr, dans ses échanges avec Angelo aussi. Une autre forme d'admiration dans les yeux qu'Aiolia posait sur son grand frère adoré. L'amour aussi, bien sûr, était retranscrit sur le papier glacé, l'amitié qui les unissait, la bienveillance et la fierté des plus âgés, la complicité de Milo avec Aiolia, d'une part et avec Kanon, de l'autre, le lien puissant entre le Sagittaire et le Lion…
Un panel de sentiments auquel s'ajoutaient des émotions plus immédiates et spontanées, comme l'étonnement, la joie, le rire, l'amusement, des expressions outrées parfois et quelques grimaces, volontaires ou non.
Les émotions négatives aussi avaient été captés, gardées et montrées uniquement lorsqu'elles étaient susceptibles de déclencher des rires, voire, des fous rires : l'irritation qui déformait une bouche en une grimace comique un regard noir sur une bouche pincée dont on sentait les lèvres forcées de ne pas sourire mais prêtes à le faire d'une seconde à l'autre…
L'album de cette semaine parmi eux allait vraiment être exceptionnel, il l'était déjà.
Même s'il ne photographiait pas tout et n'importe quoi et que chaque prise était réfléchie, Ernesto ne se limitait pas. Il avait un stock conséquent de pellicules, que Aioros avait aidé à constituer. Avec l'accord et l'appui d'Athéna. celui-ci avait même transformé une des pièces de la Villa en chambre noire équipée de tout le nécessaire pour développer ses clichés, Ainsi, si l'un d'eux était raté ou simplement peu satisfaisant, l'artiste pouvait la reprendre tant qu'il était encore présent. Il avait été très reconnaissant pour cette attention particulière.
Il y passait ainsi souvent quelques heures avant de se coucher.
Quelques photos n'étaient pas d'Ernesto, mais d'Aioros. Le Sagittaire n'avait pas le talent stratosphérique de son ami, certes, mais elles étaient plutôt bien réussies. De cette façon, Ernesto apparaissait aussi sur les photos de temps en temps. C'était toujours le drame du photographe ou du cameraman qui filmait tout mais qu'on ne filmait jamais… Présent à un événement mais absent des images l'immortalisant.
Afin de conclure la présentation de ses quelques réalisations, Ernesto ouvrit son carton à dessin et en sortit un très beau portrait de Marine à la sanguine, si réaliste qu'on pouvait croire à une photo sépia.
Il était magnifique.
Et elle l'était aussi.
Tant et si bien qu'Aiolia, pourtant si pudique sur ses sentiments, déclara qu'il venait de retomber amoureux de Marine.
Ce à quoi Angelo répondit, pour le taquiner, que ce ne serait que la 1000e fois, depuis leur première rencontre….
Au-delà des rires et de l'amusement provoqués par cet échange, une vive émotion avait là aussi saisi la principale intéressée, mais pas que. L'œuvre, par ce qu'elle dégageait, toucha tout le monde à divers degrés.
- Tu as un talent monstrueux, Ernesto. Pourquoi n'as-tu jamais essayé de faire connaître tes travaux ?
- Je suis bien dans mon petit village avec mes amis et mes chats. Je suis libre, personne ne me dit quoi faire, ni quand le faire. Ce n'est pas un travail, c'est une passion. Ce que je peux vendre comme ça, par bouche-à-oreille, les commandes qu'on me fait régulièrement dans toute la région, et aux touristes de passage, ça me suffit pour vivre et pour continuer à me sentir libre, car je peux les décliner, si j'en ai envie.
- C'est vraiment suffisant ? demanda Shaina. Ça me semble un peu précaire, comme situation, et tout le matériel coûte cher.
- Mes parents possédaient un grand verger, je l'ai vendu quand j'en ai hérité au décès de ma mère. Je n'ai pas besoin d'argent pour vivre. Et puis, je suis bien entouré. Letizia et Sergio ne peuvent pas s'empêcher de me nourrir. Je ne peux pas rester une journée sans donner un signe de vie.
- Il n'oublie jamais de s'occuper de ses chats, mais il se néglige totalement, fit remarquer Letizia. Il est désespérant ! Tu es désespérant, Netto !
- Heureusement que tu es là pour veiller sur moi, depuis toujours !
- Tu devrais plutôt faire des efforts pour rencontrer une femme, au lieu de te reposer sur moi. Je veillerai sur toi toute ma vie, s'il le faut, et avec plaisir, mais je serai plus rassurée de te savoir heureux en ménage. Et si tu me parles encore de ton âge, je fous ton appareil photo dans la piscine !
Ernesto rit, mais rapprocha son appareil photo, posé sur la table, un peu plus vers lui.
- Si ma moitié d'orange existe bel et bien, je finirai par la trouver, ou c'est elle qui me trouvera. Le grand auteur français Théophile Gautier a écrit « Nous devions nous aimer, c'était écrit là-haut. Les âmes sœurs finissent par se trouver, quand elles savent s'attendre. » Vous illustrez ce propos, Sergio et toi, et vous n'êtes pas les seuls, ici. Peut-être pourrais-je un jour, moi aussi, le dire à quelqu'un ! Mais si ce n'est pas le cas, tant pis. Je n'éprouve aucun manque dans ma vie actuelle. De charmantes amies s'occupent de mon entretien physique, au besoin…
- Davvero! Non è meraviglioso ? se désola Letizia. Sérieusement, Ernesto… Comment peux-tu être si romantique et si graveleux dans la même phrase ? Tu aurais dû t'arrêter plus tôt.
- Je voulais juste te rassurer, pour la énième fois.
- Ça va, j'ai compris !
- Je ne pouvais pas rêver meilleure petite sœur.
- Je confirme, sourit Aioros.
- Je suis plus vieille que toi… répliqua-t-elle. Santa Madre di Dio ! Pourquoi, tu m'obliges à dire ce genre de choses !
Aioros rit à cette remarque.
- Mais je ne t'ai jamais obligé à quoi que ce soit, Izïa !
- Ça va encore être de ma faute…
- Ce ne sont que des chiffres, ma chérie, la rassura Sergio. Les années n'ont pas de prise sur toi.
- Enfin un mot gentil !
- Oh la mauvaise foi ! répliqua Aioros en riant encore.
Elle lui tira la langue, avant de partager son rire, qui fut général.
Ils échangèrent encore un peu tous ensemble, mais progressivement, le groupe diminua, au fur et à mesure que les uns et les autres allaient se coucher.
Jusqu'à Aioros et Saga, qui firent un dernier tour pour vérifier que tout allait bien, avant de gagner leurs propres appartements.
Après une douche rapide, les deux hommes se glissèrent dans la fraîcheur des draps.
- Encore une belle journée et une belle soirée qui se terminent, murmura Aioros, le visage dans le cou de Saga et son bras autour de son torse.
- Oui. On a passé de très bons moments, à nouveau.
- Je suis partagé entre l'envie d'être déjà la semaine prochaine, pour qu'on se retrouve tous les deux loin de tout, et celle que le temps passe moins vite pour profiter de tout le monde. J'adore les moments qu'on vit, tous ensemble.
- J'éprouve la même chose. C'est vrai que les jours défilent. Plus que deux seulement, avant qu'ils ne rentrent en Italie.
- On va bien profiter de chacun d'eux.
- Parlant de ça, on s'organise comment pour mardi, tu as pu voir avec les autres ?
- Oui. Après avoir déposé nos invités à l'aéroport, on reviendra ici. C'est là qu'aura lieu l'anniversaire de Shaka, finalement.
- Ça aurait été plus simple au Sanctuaire, non ?
- Plus simple, mais peut-être moins divertissant, fit remarquer Aioros.
- Tu fais référence à la piscine ?
- Je suis certain qu'elle sera très appréciée.
- Il va y avoir beaucoup d'agitation, et cela ne correspond pas tellement au caractère de Shaka.
- C'est vrai. On aura toujours le repas du soir au Treizième ou chez lui en plus petit comité pour être plus en conformité. L'après-midi sera vraiment un moment de détente et de lâcher-prise. Je suis certain que Shaka aussi appréciera, lui aussi. Le jardin est immense, on peut facilement s'écarter de la piscine pour trouver un peu de calme.
- Sur ce point, je te rejoins. Et je ne doute pas que tout va bien se passer.
- Et puis, c'est aussi une bonne chose de pouvoir encore un peu profiter du lieu, avant de rentrer chez nous. Ça me changera les idées, je sais que je vais avoir un petit moment de moins bien après le départ de Letizia.
- C'est normal. Mais ça va aller quand même, amour.
- Bien sûr, puisque l'on sera tous les deux.
Saga déposa un baiser dans les cheveux d'Aioros, puis éteignit la lumière.
- Tu as réfléchi à notre semaine de congés ? On a pas vraiment arrêté de destination, encore.
- On était resté sur l'Egypte, la dernière fois, que je t'avais suggéré.
- Oui et j'étais plutôt partant. Je pense que cela nous ferait du bien de nous ressourcer sur une terre aussi ancienne et sacrée. Les énergies qui y vibrent encore nourriront nos cosmos.
- Je le crois aussi. Sans compter le fait que c'est un pays magnifique. Il y a tant de choses à voir, tant de lieux à s'imprégner.
- Exactement.
- Il nous faudra par contre être extrêmement discrets et prudents, lorsque nous serons avec la population.
- Justement, je me disais que puisque nous allions devoir être si précautionneux en Égypte, je pensais que nous pourrions garder quelques jours pour aller dans un lieu où au contraire, nous pourrons relâcher notre vigilance et être plus à l'aise. Une grande ville avec un quartier gay plus ou moins officiel où on ne risquera pas de nous arrêter pour nous lapider en place publique.
- Cela nous fera du bien aussi, tu as raison. Un tel endroit existe ? Tu penses à un lieu en particulier ?
- Toronto.
- Au Canada ? s'étonna Saga.
- Oui. Il y a un quartier connu pour être un lieu où tout le monde peut vivre sa sexualité librement. On y sera tranquille.
- Et comment tu connais un tel endroit, tu t'y es déjà rendu ?
- C'est un touriste canadien en vacances aux Cinque Terre qui m'en a parlé, il y a quelques années.
- Un touriste, vraiment ? Rien de plus ?
- Il a tenté, mais je n'étais pas intéressé, répondit honnêtement Aioros. Et c'est justement parce que je m'étonnais de sa drague assez décomplexée qu'il m'a parlé de ce quartier qu'il fréquentait beaucoup et où il projetait de s'installer.
- Je vois.
- Tu en penses quoi ?
- S'il existe un lieu où je peux te prendre la main ou sentir ton bras autour de ma taille en pleine rue sans risque ni jugement, ni prison, je ne peux qu'en penser du bien. Un tel endroit existe vraiment ?
- Apparemment. Je t'avoue que j'avais un peu oublié, c'est Letizia qui me l'a rappelé. Sinon, je t'en aurais parlé plus tôt. Je sais combien tu es frustré parfois de la retenue que nous sommes contraints d'avoir, en public.
- Il n'est jamais trop tard.
- Oui, en effet.
- Alors c'est réglé. Nous irons d'abord à Toronto pour nous détendre et profiter comme un jeune couple amoureux en vacances, puis nous irons en Égypte pour nous préparer sereinement et profondément à notre futur rôle de Grands popes.
- C'est un programme parfait. J'ai hâte, mon aimé ! conclut Aioros en se pressant un peu plus contre Saga.
- Moi aussi, amour. Je t'aime.
- Je t'aime.
Ils échangèrent un doux baiser.
- Bonne nuit, 'Ros.
- A toi aussi, mon aimé. A demain.
- A demain.
Et ainsi, les deux amants fermèrent les yeux sur une autre très belle et très enrichissante journée qui venait de se terminer sur une réjouissante décision et un programme très prometteur.
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A suivre...
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Notes :
1- La moitié d'orange : c'est ainsi que les espagnols désignent leur âme-sœur.
2- Yamas : A notre santé ! En grec moderne
Pour info en grec ancien, on dit stin ygia mas !
3- La déesse aux serpents est une divinité chthonienne de la civilisation minoenne. Des figurines représentant cette déesse et datées d'environ 1600 av. J.-C. ont été trouvées lors des fouilles archéologiques au palais minoen de Cnossos, en Crète.
4. Le quartier en question à Toronto est Church and Wellesley, connu depuis de nombreuses décennies pour la liberté sexuelle éprouvée par tous types de communautés.
Merci d'avoir lu ce long chapitre, j'espère qu'il vous aura plu.
On retrouvera Kanon et Rhadamanthe pour le prochain, normalement.
Bonne continuation à tous.
Lysanea
