Titre : Le Fil rouge du Destin
Auteur
: Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient
Pairing et personnages pour ce chapitre : Mu x Aphrodite, mention des autres.

Rating : T

Note :

Bonjour à vous ! Comme promis, la suite directe, pour ceux qui le souhaitent. Merci d'être là.

Mini-Chan, merci pour ta présence, le temps accordé, et tes remarques qui me font toujours sourire. Merci pour ton petit clin d'œil sur la moitié d'orange, la media naranja, l'âme sœur des espagnols. Alors ce n'était peut-être pas clair dans le chapitre précédent, mais Mu et Aphrodite sont déjà amoureux, enfin, « tombés en amour » 😊. Mais ce n'était effectivement pas le cas au départ… Ou peut-être que si ? L'amour, c'est si mystérieux ! J'espère que ce chapitre-ci te plaira. Et je te rejoins, que Minos soit maudit ! Je déteste ce personnage, et dans TLC, ce combat contre Albafica, mon Dieu !J'ai aussi été très marquée. Bonne lecture à toi et merci encore ! J'espère que tout se passe bien au Brésil !

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Bonne lecture


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Le Fil rouge du Destin.

Chapitre Vingt-huit : Si nous n'avons pas de vie future, nous avons eu nos vies antérieures et elles sont le secret et les liens de nos existences d'aujourd'hui.
(Claire Blais)

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Flash back

Trois jours plus tôt
19 juin 1989
Sanctuaire, Maison des Poissons

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Aphrodite referma le frigo et releva brusquement la tête.

Ce qu'il sentait, là, qui approchait de son Temple, cette présence mauvaise et pourtant non hostile…
Un cosmos désagréable entièrement tourné vers lui…

Il ne lui fallut qu'une demi-seconde pour rejoindre l'entrée côté Treizième.
Il n'avait pas revêtu son armure, ils étaient en paix, et s'il venait du Palais du Grand Pope, il y avait peut-être une raison à sa présence ici, validée par Athéna et Shion.

Enfin, c'était quand même étrange qu'il n'ait pas été prévenu par télépathie.

- Juge Minos, le salua-t-il d'un ton neutre. Je peux savoir ce que fait un Spectre dans mon Temple ?

Le Premier Juge, le front ceint d'un cercle d'or blanc, drapé dans un luxueux chiton long bleu à la ceinture argenté, comme le voulait son haut rang, porta la main au niveau de son cœur et déshabilla Aphrodite du regard, sans aucune gêne.

Le Douzième gardien n'avait pas revêtu son armure, certes, mais n'avait pas plus pris le temps de s'habiller plus convenablement pour accueillir un invité…

Enfin, non, plutôt un intrus.

Il était donc en tenue décontractée d'été pour la maison : t-shirt blanc lâche dénudant son épaule et short vert en lycra révélant ses magnifiques jambes aux muscles comme sculptés dans le marbre.

Il n'en éprouvait cependant aucune gêne.

Il était beau, quel que fut son habit, et surtout, il était chez lui et n'avait pas été avisé de sa venue.
Qu'il fût un personnage de haut rang et fils de Zeus n'y changeait rien.

- Je me permets de t'importuner, Aphrodite, Chevalier d'Or des Poissons, répondit le Spectre avec un sourire mielleux écœurant au possible. Je sais que cette Maison, entre autres enchantements et à l'image de son Gardien, abrite un merveilleux jardin aux magnifiques rosiers. Accepterais-tu de me les montrer ? J'aimerais tellement les revoir…

Aphrodite haussa un sourcil, surpris, et le toisa, les poings sur les hanches.

- Les revoir ? Je ne me souviens pas vous avoir jamais accueilli ici, dans aucune de mes vies. Et je doute fort que l'un de mes prédécesseurs ait jamais fait une visite de courtoisie à un Spectre d'Hadès.

- Je n'ai pas eu l'honneur ou le privilège de l'être, en effet, et je suis conscient que ce ne seront pas tout à fait les mêmes roses, expliqua-t-il en faisant un pas vers Aphrodite, mais…

Le Griffon fut interrompu et coupé dans sa marche par l'Armure des Poissons, qui se matérialisa entre son porteur et lui dans un éclat doré presque aveuglant.

- Pisces, que se passe-t-il ? demanda Aphrodite en s'avançant pour poser sa main sur sa protection.

Un parterre de roses rouges incandescentes… Minos du Griffon dans son surplus… face à un Chevalier des Poissons à la beauté sans égale…
*La Reine des roses entourée de son jardin vénéneux…*
La voix de Minos qui résonne à travers les siècles…

- Oh, je vois... murmura Aphrodite. Elle a gardé le souvenir d'un combat à mort contre vous. Vous êtes celui qui tua mon prédécesseur, Albafica, autrefois.

Minos se passa la langue sur les lèvres, alors que ses doigts commençaient à s'agiter.

- Un merveilleux combat ! sembla-t-il se souvenir avec nostalgie. Un si grand Chevalier ! Un si bel homme, par l'Olympe ! Tel que je n'en avais jamais rencontré au cours de ma longue existence… Ah, Albafica, son nom seul est du miel, que dis-je, de l'ambroisie, à ma bouche…

Aphrodite fronça les sourcils, un frisson lui parcourut désagréablement le dos.

- Quel est ce ton, Juge Minos ? Ne me dites pas que… Étiez vous amoureux de lui ?

- J'ai abandonné ce genre de sentiments il y a bien longtemps, Chevalier. Mais j'aurais aimé pouvoir récupérer son âme… et son corps parfait… et jouer avec lui… jouir de lui… à jamais…

Il termina ses propos par un ricanement lugubre.

Aphrodite se savait autrefois sadique et pervers, mais il reconnaissait un maître devant lui.

Même durant ses pires phases, il ne lui était sûrement jamais arrivé à la cheville son regard métallique et son sourire, son ton enjôleur et douceâtre à souhait, ses doigts de marionnettiste qui s'agitaient de plus en plus et mettaient tous les sens du Chevalier en alerte, disaient tout de sa perversion et du très haut degré de celle-ci.

Il en était à la fois et bien malgré lui fasciné, mais surtout très mal a l'aise.

- Vous voulez simplement voir les rosiers ? Ils sont identiques à ceux qui bordent le Grand escalier, entre mon Temple et le Palais du Grand Pope que vous avez déjà pu admirer en descendant jusqu'ici.

Minos tourna son visage de moitié vers l'arrière, mais ne jeta qu'un rapide regard au paysage qu'il avait derrière lui, avant de refaire complètement face au Chevalier.

- Le rouge est moins profond que dans mon souvenir et le parfum moins… envoûtant, minauda-t-il, l'index posé sur ses lèvres ourlés du même sourire carnassier. Je suis sûr que tu cultives d'autres variétés. C'est pour cela que je suis descendu jusqu'ici, Aphrodite. Je voudrais pénétrer ton antre et découvrir ton jardin de volupté… Et si tu as autre chose à m'offrir, au passage… je saurais te remercier comme il se doit…

Les yeux du Douzième gardien prirent une teinte orageuse, alors que son regard se durcissait face à ces sous-entendus à peine voilés et cette provocation ouverte.

- Vous vous trompez d'époque et de Chevalier, Juge Minos. Je ne suis pas Albafica.

Un rire sadique résonna quelques secondes sur le parvis de la Maison des Poissons.

- Oh non ! il n'y a aucun risque que je confonde ! Vous n'avez ni le même corps, ni la même âme. Albafica, hmmm, Albafica… il était parfait ! Toi, tu es très beau, je ne le nierai pas, Chevalier, le plus beau d'entre tous, en cette ère. Mais je suis beaucoup, beaucoup, beaucoup plus attiré par ton âme entachée...

Il fit un nouveau pas, mais Pisces émit une note stridente d'avertissement.
Le Juge la regarda avec dédain, mais s'immobilisa, ne souhaitant sûrement pas créer d'incident et alerter tout le Domaine.

- Je croyais que vous souhaitiez voir les rosiers.

- Je suis un être plein de désirs divers et variés, mon cher Aphrodite. Plein de talents, également. Je pourrais, par exemple, réveiller tes pires instincts. Est-ce que tu le voudrais, Chevalier des Poissons ?

- Vous vous êtes encore trompé d'époque, Juge, le temps où j'aurais éventuellement pu entendre et être sensible à une telle proposition est révolu.

Il était extrêmement tendu et sur ses gardes Minos avait une manière de parler quasi hypnotique, il sentait le danger dans tous les pores se sa peau, qui se couvrait de chair de poule par moment.

Il bloquait au maximum son cosmos pour ne pas voir débarquer tous ses camarades présents au Domaine, alarmés, mais ce n'était pas facile à gérer. Il sentait notamment Shura aux aguets, et heureusement Angelo n'était pas encore rentré d'Athènes. Connaissant son impulsivité, il aurait sûrement déjà déboulé, même s'il avait les Spectres en horreur au moins autant que lui.

De la même façon que lui au début, les autres devaient tous penser que Minos était venu le trouver pour une bonne raison et avec l'accord d'Athéna, or, il n'en était rien.

Et si, de leur côté, Shion et Athéna n'intervenaient pas, il devait y avoir aussi une explication.

Le mettaient-ils à l'épreuve, pour voir s'il était prêt à basculer à la moindre tentation ?
Ou lui faisaient-ils simplement confiance pour gérer Minos et l'éconduire comme il se devait, sans provoquer d'incident diplomatique ?

Peut-être même que certains de ses camarades pensaient la même chose…

Peu importait ce qu'on attendait de lui, Aphrodite se promit de se montrer à la hauteur de son rang et de son devoir de Chevalier, de la confiance qu'on avait placé en lui, dans cette nouvelle vie.

Il se tint encore plus fermement sur ses jambes, le menton relevé fièrement, déterminé.

- Prends le temps de réfléchir, lui susurra Minos, le sortant définitivement ode ses pensées. Ce corps que je possède est celui d'un grand prince viking dans lequel je me suis réincarné à la fin du Premier millénaire de cette ère. Un Norvégien, ce qui nous rapproche encore.

- Je suis Suédois, rappela Aphrodite, forçant ses yeux à ne pas suivre le mouvement des mains que Minos faisait à présent glisser sur son torse, à moitié dans l'ouverture du chiton.

Fort heureusement, il cessa vite son manège.

- Crois-tu réellement que je puisse ignorer un tel fait ? J'ai eu ton Registre entre mes mains, je sais tout de toi. De la naissance du petit Freyr dans l'insignifiant village suédois de Silvertjärn, à l'installation d'Aphrodite, futur gardien de la Maison des Poissons, au Sanctuaire... De l'enfant qui revêt pour la première fois son Armure à l'adolescent enamouré qui supplie à la Porte du Grand Pope et finit dans le lit, sur le sol, sur un meuble ou épinglé à un mur chez son meilleur ami gagné par la folie... De l'adulte qui use et abuse de son corps pour tuer et assouvir ses pulsions les plus… perverses, à l'amoureux éconduit, maudit mais loyal jusque dans la mort à un homme qui ne l'a jamais vraiment regardé et encore moins, aimé... Je connais tout autant ton âme et les désirs les plus sombres qu'elle abrite... Cette obscurité fait partie de toi, tu ne peux lutter contre elle…

- C'est faux ! se défendit Aphrodite.

Ses poings s'étaient de plus en plus serrés, alors que le Spectre dressait un portrait si peu flatteur de sa personne et de sa première vie.

- Ton amour pour Saga des Gémeaux était pur, mais tu l'as sali en te prostituant avec le Lémure qui le possédait… Ton amitié avec le Cancer et le Capricorne l'était tout autant, mais tu ne pouvais t'empêcher de la souiller avec des fantasmes aux scénarios ma foi très divertissants, mais qu'aucun jugerait de pervers, et que tu assouvissais avec l'un, connaissant pourtant les sentiments amoureux de l'autre à son égard…

Aphrodite serra les mâchoires, cette fois, mais se força au calme.

- Ce n'est plus le cas. Athéna m'a purifié, je ne suis plus le même homme.

- Mais tu en gardes le souvenir et lors de moments de plaisir solitaire, peux-tu affirmer que ceux-ci ne remontent pas à la surface de ton esprit pour t'apporter un plaisir coupable, mais si intense ?

- Vous m'espionnez ? s'offusqua-t-il, entre gêne et effarement.

- Ce n'est pas nécessaire, Aphrodite, je te l'ai dit : je te connais et je connais ton âme. C'est pourquoi je saurais répondre à tes désirs les plus profonds, même les plus inavouables, tu n'auras même pas à les formuler, si cela te coûte… Ou je pourrais m'amuser à t'arracher les mots un par un, pour que tu en redemandes encore…

C'était tout simplement horrible.

Minos n'avait pas bougé, depuis que Pisces l'avait rappelé à l'ordre, mais Aphrodite avait l'impression qu'il était tout autour de lui.

Sa voix, un filet aussi perfide que son sourire, désormais, le pénétrait par tous les côtés, c'était comme un murmure au creux de son oreille, un souffle brûlant sur sa nuque, un courant électrique sur sa peau…

- Je vous ai déjà répondu, Juge, cela ne m'intéresse pas, asséna-t-il d'un ton ferme, malgré son trouble.

Les yeux gris du Spectre s'enflammèrent, alors qu'ils glissaient sur le corps parfait face à lui, le déshabillant et le dévorant du regard avec une intensité qui lui donna la chair de poule.

- Ce n'est que mensonge... Tu es terriblement seul, Aphrodite, et cela te pèse lourdement. En dehors du Sanctuaire et des ressuscités, tu ne pourras jamais te lier à personne, car votre existence n'est qu'une illusion. Un sursis qui ne doit pas impacter les êtres vivants qui vous entourent. Et le poison dans tes veines t'isole déjà suffisamment, n'est-ce pas ? Je pourrais te soulager de toutes les façons dont tu auras besoin, farouche Aphrodite, mon bel Aphrodite...

- Ne m'appelez pas comme ça ! le coupa-t-il vivement, ses yeux lançant des éclairs et la bile remontant à ses lèvres.

Il détestait déjà suffisamment la manière dont le Spectre prononçait son nom de manière appuyée, l'accompagnant toujours d'un mouvement de lèvres et de langue malaisant, comme s'il suçait un bonbon…

Alors si en plus il rajoutait des adjectifs… cela n'allait clairement pas le faire.
La nausée commençait vraiment à s'installer au creux de son estomac.

Mais Minos poursuivit, le sourire encore plus prononcé et le regard fiévreux, un peu fou, comme hanté.

- Je peux boire ton sang à même tes veines, tu sais ? susurra-t-il, ses doigts dessinant des figures invisibles. Je peux le faire couler et le nettoyer en léchant chaque goutte, n'importe où sur ton corps… je le savourerai comme le meilleur des nectars, je sais déjà que tu es délicieux, je le sens… Ce sera magnifique, tu seras magnifique, Aphrodite, nu, offert et marqué, entravé et lacéré par mes fils… Je te ferai danser, ce sera si merveilleux, car tu es si sensuel… Je t'apporterai la douleur de la rédemption et le plaisir coupable… Sois à moi, Chevalier des Poissons… demanda-t-il enfin en tendant sa main vers lui en le regardant avec une intensité renouvelée. Tu feras une merveilleuse marionnette et je t'accorderai la plus haute attention, ma Reine dans son jardin de ronces…

- Minos.

La voix de Kanon, pourtant basse, claqua et résonna violemment entre les colonnes du parvis du Douzième temple.

Aphrodite avait été tellement envoûté par les dernières paroles du Juge et le jeu de ses doigts fendant l'air, qu'il n'avait pas senti Kanon arriver et il sursauta même en entendant sa voix briser le silence qui était retombé.

Le portail se referma derrière le Gémeau, visiblement très mécontent.

Ses yeux, abritant un ciel d'été habituellement, avaient viré à la tempête hivernale.
Aphrodite n'avait jamais vu ses sourcils blonds à ce point froncés au-dessus d'un regard à la dureté tout aussi inconnue, pour lui.

- Kanon… grimaça Minos, entre frustration et dépit. Toujours là où on l'espère le moins.

- Je pourrais en dire autant de toi, Griffon ! répliqua-t-il vertement. Que fais-tu ici, à importuner un Chevalier d'Or ? Tu devrais déjà avoir quitté le Sanctuaire.

- C'était juste un petit détour amical…

- Qui ne t'a pas été accordé par la Princesse Athéna. Tu ne t'es que trop attardé, ne L'oblige pas à intervenir et retourne aux Enfers.

- Bien, bien… Je regrette de n'avoir pu voir tes roses, Aphrodite, entre autres trésors qu'abrite ce Temple, et son Gardien, mais… je ne perds pas espoir. Je suis très patient, tu t'en doutes. Réfléchis bien à mes propos, et si tu souhaites me joindre, il te suffira de…

- As-tu besoin que j'ouvre un portail pour toi ? le coupa Kanon en se plaçant aux côtés d'Aphrodite et de son armure.

Minos grimaça encore, sûrement outré de se voir ainsi interrompu, et tout autant écœuré par la tournure prise par les événements.
Il ouvrit néanmoins son propre portail d'un geste vif, sans un mot.

Il se permit encore un long regard appuyé à Aphrodite, en passant sa langue pointue sur ses lèvres, jusqu'à ce que Kanon se plaçât entre eux pour couper le contact visuel.

Minos claqua sa langue, furieux, se détourna en faisant voleter son chiton, puis s'engouffra dans le vortex.

Une fois le portail vers les Enfers refermé, Aphrodite poussa un long soupir.
Kanon lui fit face, le regard toujours dur, bien que légèrement moins.

- Je n'allais pas accepter… commença le cadet en croisant les bras sur sa poitrine.

- Je ne te blâme pas. Minos est le plus grand manipulateur de l'Histoire et ce, depuis les temps mythologiques. Par ses mots, mais pas que, il manipule aisément les âmes. Le jeu de ses mains n'est pas à sous-estimer, même si son pouvoir est limité, ici. Il est extrêmement dangereux, Aphrodite, aucun de vous ne mesure à quel point. C'est pourquoi je me suis permis d'intervenir.

- Tu n'as guère une haute opinion de moi, Kanon, se désola le Douzième gardien sans parvenir à masquer son dépit.

- Ce n'est pas vrai. Mais que cela soit le cas ou non importe peu. C'est le fait que tu te sous-estimes qui pose question.

- Je connais ma puissance, je n'ai rien à prouver ! se défendit le fier Chevalier des Poissons en relevant crânement le menton, le regard farouche.

- À toi-même, bien sûr que si. Tu es plein de doutes, Aphrodite.

- Qu'en sais-tu, toi ? l'attaqua-t-il, sur la défensive.

- J'ai eu les mêmes et j'en perçois encore parfois leur écho, répondit calmement Kanon. Mais tu n'as rien à craindre, tu n'es plus celui que tu étais, tu as tout à fait raison. Un homme ne peut changer sa nature profonde, mais un Dieu le peut. Athéna, en nous pardonnant et nous purifiant, nous a lavé de tout mal en détruisant les racines les plus profondes. La terre en dessous était vierge et saine, car nous sommes nés pour être Chevaliers, nous avons été appelés dans cet unique but. C'est sur ce terrain que s'épanouissent nos vies actuelles, aussi illusoires qu'elles soient.

- Pourtant, les mots de Minos ont trouvé une résonance en moi, avoua Aphrodite en laissant retomber ses bras le long de son corps. J'étais prêt à la combattre, mais elle existe, je ne peux le nier, Kanon.

- C'est ce que tu penses, car malgré ce que tu essaies de faire croire, dans le fond, tu n'as pas confiance en toi. Mais je peux te l'assurer, Aphrodite, ce que t'a proposé Minos n'est pas quelque chose à quoi tu aspires, aujourd'hui. Il ne t'inspire que du dégoût et du mépris, n'est-ce pas ? Je le sens, dans ton cosmos. Tu étais au bord de la nausée.

Aphrodite posa sa main sur Pisces, toujours à ses côtés, qui brilla un peu plus fort en émettant une note claire de soutien.

- Oui, mais il a appuyé sur des points sensibles. Il a raison, Kanon, je ne pourrais jamais être avec personne… expliqua-t-il en levant les yeux pour les ancrer aux siens. Et c'est difficile, parfois. La chaleur d'un corps contre le mien ou en moi me manque douloureusement. J'ai toujours été très actif, sexuellement, avec Angelo, enfin Deathmask, et… l'Autre. C'était pathologique et pas sain du tout, mais de ce fait, la dépendance est plus forte et le manque, plus cruel et insidieux, encore. Ce que Minos me propose est sûrement la seule étreinte à laquelle je peux prétendre. Après tout, Athéna a purifié mon âme, mais mon corps, lui, est toujours empli de poison…

- C'est faux, tonna une voix que Kanon reconnut immédiatement.

Rhadamanthe apparut alors, sortant lui aussi d'un portail.

- Décidément, mon Temple est un véritable moulin, aujourd'hui ! soupira Aphrodite en levant les yeux au ciel.

Même s'il n'était pas mécontent de l'interruption, au final, car il s'était laissé aller à des confidences un peu risquées, pour lui, moins il voyait les Juges, mieux il se portait.

- Rhad', je t'avais dit d'attendre… protesta Kanon en lui faisant face.

Sachant l'animosité latente entre son cadet et son compagnon, il ne voyait pas en quoi la présence de ce dernier pouvait avoir un quelconque effet positif sur le premier, déjà bien secoué par la visite du Spectre précédent…

- Je sais, je te prie de m'excuser. Je me permets cette intrusion car je t'ai senti toujours énervé et inquiet. Minos s'en est allé, il est rentré aux Enfers, mais tu ne décolères pourtant pas.

Aphrodite fut étonné, car Kanon avait l'air calme.
Mais en effleurant légèrement son cosmos, il sentit la tempête gronder en lui.

- Je ne supporte pas ses agissements. J'essaie d'éviter qu'il ne fasse encore du mal à quelqu'un. Aussi grand Chevalier d'Or qu'il soit, je dois protéger Aphrodite de Minos, et de lui-même.

- Je suis vraiment touché, Kanon, mais ça ira, intervint le Poissons. Tu es arrivé au bon moment et j'ai compris. Même si c'est le seul moyen d'être touché aussi intimement, je ne le permettrais pas à Minos, jamais. Il ne goûtera pas à mon corps, ni à mon sang, ni à mon poison, tu as ma parole.

- Il ne pourrait pas le faire, de toute façon, les rassura Rhadamanthe. En ce qui concerne ton poison, en tous les cas. Le reste te regarde.

- Comment cela ? l'interrogea Kanon. Quel est le problème avec le poison d'Aphrodite ?

- De la même façon qu'un mort ne peut donner la vie, il ne peut également donner la mort en utilisant un élément qui le compose. Hors de ton corps, ton poison est inactif, Chevalier des Poissons.

- I…nactif ? répéta Aphrodite, stupéfait.

- Contrairement à ton prédécesseur, Albafica des Poissons, dont il se disait que la peau même était imprégnée de poison et dont le simple contact pouvait ainsi tuer, le tien est concentré dans ton sang, depuis ton plus jeune âge. Actuellement, il maintient ton corps ressuscité dans un état de vie simulée, au même titre que vos organes vitaux, car il fait partie de toi. Mais il n'a plus aucun effet une fois sorti de ton corps.

Aphrodite se laissa choir sur le sol, sous le choc.

- Tu aurais pu en parler avant, reprocha Kanon à son compagnon, tout en posant une main sur l'épaule de son cadet.

- La question n'a jamais été abordée, ce n'est pas quelque chose que j'avais en permanence en tête, se défendit le Juge. Le Chevalier des Poissons n'est pas une personne dont l'existence m'importe suffisamment pour le garder à l'esprit ou m'inquiéter de son sort.

- Justement, cela n'a vraiment rien à voir avec le fait que tu l'apprécies peu ?

- Peut-être, mais ce n'était pas volontaire de ma part. Je n'ai pas sciemment décidé de me taire ou de dissimuler cette information, tu ne peux m'accuser de cela et me le reprocher ensuite.

- Ce n'est pas ce que je fais, j'ai quand même le droit de te poser des questions, non ?

- Bien évidemment, mais j'apprécierai que tu utilises un autre ton pour cela. Je conçois que tu sois énervé, mais je n'ai rien fait qui justifie celui que tu emploies présentement à mon égard.

Kanon allait protester, mais Aphrodite posa sa main sur la sienne, qui était demeurée sur son épaule, pour l'en empêcher.

- Ce n'est rien, Kanon, ce n'est pas grave… assura-t-il en se relevant, ne voulant surtout pas être la cause d'une dispute entre ses aînés. Je… C'est une très bonne nouvelle, peu importe le moment où elle arrive, il n'est pas trop tard ! J'ai plusieurs années devant moi, encore. Alors… merci, Rhadamanthe… je pense… grimaça-t-il.

- Ce n'est pas nécessaire, je n'ai fait qu'énoncer des faits.

- Avec un train de retard… intervint Kanon.

Aphrodite posa sa main sur son bras, cette fois, alors que les deux hommes s'affrontaient du regard.

- Ce n'est vraiment pas important, je t'assure. Ce qui m'inquiète un peu, c'est la question de mes attaques avec mes roses. Si je ne peux plus rien empoissonner, quelle sera mon utilité en cas de nouveau conflit ? Comment protéger Athéna et le Treizième Temple sans mes Roses démoniaques ? Jeter de simples roses à la figure n'a jamais tué personne, que je sache… ironisa-t-il, un peu amer.

- Tu as d'autres techniques tout aussi puissantes, Aphrodite, rappela Kanon en se tournant vers lui.

- Certes. Mais le tapis de roses qui recouvrait la dernière volée d'escaliers en était principalement constituée.

- Nous trouverons un autre moyen, si nécessaire. Mais nous sommes très nombreux, aujourd'hui, à pouvoir défendre et protéger. Je doute qu'un ennemi puisse arriver jusque-là.

- C'est vrai… Mais j'imprégnais tout de même chacune de mes Roses offensives avec un peu de mon sang empoisonné, cela me donnait une assurance supplémentaire.

- Tu devras t'en passer, dorénavant, mais cela ne te rend pas plus faible pour autant, fou serait celui qui y songerait. Par contre, tu peux concentrer ton entraînement sur les attaques qu'il te reste pour les renforcer encore et te créer de nouvelles assurances.

Aphrodite sourit à Kanon, qui avait décidément réponse à tout.

- Tu ferais un bon Pope, toi aussi, tu sais.

- Je n'ai pas cette ambition.

- Ni ce Destin, ajouta Rhadamanthe.

Kanon lui jeta un coup d'œil, le sourcil levé, puis reporta son attention sur Aphrodite.

- Au sujet de ton poison, reprit-il en revenant au sujet principal, c'est effectivement une très bonne nouvelle, je m'en réjouis pour toi, mais je t'en prie, sois quand même prudent. Ne te mets pas à…

- A quoi, coucher à droite et à gauche et avec n'importe qui ? le coupa son cadet en retrouvant sa morgue. C'est vrai que c'est tentant, mais… non. Je ne suis pas à ce point désespéré, et j'ai surtout assez de respect pour ce corps magnifique pour ne pas l'offrir à n'importe qui ou en faire n'importe quoi, rassure-toi. Plus aujourd'hui, en tous les cas, ajouta-t-il, alors que Rhadamanthe laissait échapper un petit ricanement.

Ce que Kanon choisit d'ignorer, pour ne pas provoquer de dispute devant Aphrodite.
Il serait bien temps de régler leurs comptes une fois rentrés.

- Bien, répondit-il à son cadet. Pardonne-moi d'avoir abordé ce sujet, mais je préfère que les choses soient claires.

- Elles le sont, Kanon. Aussi claires que le soleil, comme dirait Angelo et tous ses ancêtres avanr lui.

- J'ai entièrement confiance en toi, Aphrodite.

- Et je sais ce que ça vaut et ce que ça implique.

Le cadet des Gémeaux hocha la tête.
Le silence retomba, mais avant qu'il ne prît trop de place, le maître des lieux frappa dans ses mains.

- Bien, je vous suis vraiment très reconnaissant pour tout ça, mais peut-être pas au point de vous inviter à prendre le thé, non plus... Enfin, Kanon, tu es toujours le bienvenu, mais je doute que ton Juge ait envie de s'attarder chez moi...

- En effet, confirma celui-ci en opérant déjà un demi-tour pour s'éloigner encore de quelques pas.

Et attendre son Gémeau plus loin.

Certes, le ton était un peu monté entre eux, mais il n'avait pas l'intention de partir sans son compagnon.
Il voulait être sûr qu'il allait bien revenir aux Enfers avec lui pour poursuivre le début de soirée qu'ils avaient dû écourter, ce qui lui donnerait la certitude qu'il ne lui en voulait pas de n'avoir rien dit plus tôt.

Ou si c'était tout de même le cas, qu'il lui avait déjà pardonné.
Ou qu'il lui laissait une chance de le faire.

Car de son côté, il ne lui en voulait déjà plus d'avoir été un peu agressif et accusateur avec lui.
Minos était le seul responsable, en vérité.
Et il était absolument hors de question qu'il gâchât sa soirée avec Kanon.

Ce dernier avait posé sa main sur l'épaule d'Aphrodite.

- Tu es déjà bien entouré, mais je suis là, moi aussi, si besoin, alors, n'hésite pas.

- Je te remercie, Kanon. Je… suis surpris, en vérité.

- Pourquoi cela ?

- Même si tu prends de mes nouvelles et discutes avec moi, souvent, je ne pensais pas que tu te souciais de moi de cette façon.

- Il ne le montre pas, mais il garde un œil sur chacun de vous, tout le temps, intervint Rhadamanthe, resté à portée de voix.

- Dans mon cas, c'est parce que tu crains que je ne me comporte mal ? se méprit le Douzième gardien, attristé.

- En aucune façon, le détrompa Kanon avec un doux sourire. Je veux juste m'assurer que tu vas bien. Saga et Aioros étant très occupés, et bientôt plus encore, c'est mon devoir en tant qu'aîné de veiller sur vous tous. Sur chacun de vous.

- D'accord, je comprends. Enfin, n'en fait pas trop avec moi, je pourrais facilement tomber amoureux, si c'est toi…

Rhadamanthe tourna le visage vers Aphrodite et le fusilla du regard.
Ce dernier leva les mains en signe de défense ou de reddition.

- Je plaisante, on se détend ! Il n'y a vraiment aucun risque, promis !

- Je n'en doute pas, répondit Kanon. Et lui non plus.

- Tu n'aurais surtout aucune chance, assura Rhadamanthe. La beauté physique ne fait pas tout.

- Oh ! et tu penses vraiment que je l'ignore ? répliqua Aphrodite, piqué au vif. Tout comme je suis parfaitement conscient que ce n'est pas ce genre de critère qui retient l'attention de Kanon, c'est assez évident.

Le regard du Juge flamboya.

- Viens-tu de m'insulter, Poissons ?

- J'énonce une simple évidence, je suis désolé si elle t'offense.

- Tu es tout sauf désolé, a qui donc crois-tu t'adresser ?

Kanon s'interposa en se plaçant entre eux, les bras en croix.
Ils étaient restés à distance l'un de l'autre, mais leurs regards étaient meurtriers.

- Il suffit, tous les deux. Restons-en là. Rhad', on rentre. Pisces, veille bien sur ton porteur.

L'Armure résonna gaiement, alors que Rhadamanthe avait déjà ouvert un portail et y disparaissait sans un mot ni un regard de plus.

- À plus tard, Aphrodite, salua Kanon en s'avancçnt à son tour vers le vortex.

- Oui ! Et… merci encore. Et aussi…

Kanon s'arrêta et se retourna vers son cadet.

- Oui ?

- Je suis désolé, je ne voulais pas le provoquer, mais il m'énerve, ton Juge ! Mais s'il te plaît, que ce soit parce qu'il n'a rien dit sur mon poison ou le reste, ne vous disputez pas à cause de moi, d'accord ?

- Ne t'en fais pas pour nous.

- Je ne m'en fais que pour toi. Mais je suppose que comme Angelo et Shura, vous êtes indissociables, l'un est l'autre…

- Exactement.

- Bon… alors j'espère vraiment que tout ira bien.

Kanon hocha la tête, puis traversa enfin le portail, qui se referma derrière lui.

Une fois les deux hommes partis, Aphrodite poussa un long soupir et se laissa tomber près de son armure, qu'il entoura de ses bras.

- Merci à toi aussi, Pisces. Je n'ai pas eu beaucoup de considération pour toi, lors de ma précédente vie, mais tu m'as toujours protégé et guidé. Je fais tout pour me rattraper, tu sais.

L'armure émit plusieurs notes, qui firent rire le Chevalier.

- D'accord, je t'emmènerai avec moi, la prochaine fois que j'irai chez Mu. C'est incroyable comme tu es proche d'Ariès. Enfin, cela se comprend, Albafica et Shion l'étaient aussi. Autant que mon prédécesseur se permettait de l'être de quelqu'un. Il avait l'air d'être un très grand homme et un très grand Chevalier. Tu as dû être tellement déçue que ce soit moi qui…

L'Armure émit un son strident qui obligea Aphrodite à se reculer et à se boucher les oreilles.

- C'est bon, j'ai compris, stop !

En effet, chaque fois qu'Aphrodite avait ce genre de propos, Pisces le faisait taire de cette façon.

- Tu es tellement caractérielle ! Mais merci, mon amie, lui dit-il encore en posant sa main sur elle. Je demanderai à Shion qu'il me parle un peu d'Albafica, s'il a le temps, avant leur départ. Et toi aussi, tu me montreras vos combats. Avec l'aide de Mu, je comprendrai un peu mieux les images que tu m'enverras.

Une nouvelle note claire et douce, cette fois-ci, accueillit ses propos.

- Enfin, pour l'heure, il faut que j'aille annoncer la bonne nouvelle pour mon poison à Shura et Angelo, je dois leur raconter ce qui vient de se passer, je dois absolument les voir ! s'enthousiasma-t-il en se relevant d'un bond souple. Ceci dit, Shura ne m'a pas rejoint alors qu'il doit être curieux de savoir ce qui s'est passé… Mais je sens la présence d'Angelo avec lui, il doit être rentré, maintenant, ce doit être pour ça. Ils ne se sont pas vus de la journée, je le sais, alors ils sont sûrement déjà en train de jouer à « saute-cabri, saute-capri, saute-capricorne » sous la douche ou ailleurs, soupira-t-il. Mais tant pis ! Je prends le risque ! Je dois leur dire maintenant ! A tout à l'heure, Pisces !

L'Armure repartit se positionner à sa place, après avoir salué son porteur, et Aphrodite s'empressa de traverser son Temple pour descendre jusqu'au Dixième et partager la bonne nouvelle avec ses meilleurs amis de toujours.

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Fin du flash back

.

.

Le récit d'Aphrodite laissa Mu songeur… et quelque peu dépité.

Bien sûr qu'il voulait que son aîné soit heureux et apaisé, mais le fait qu'il ne représenta plus de danger pour les autres changeait la donne, pour lui, pour eux. Aphrodite n'avait plus aucune raison d'avoir ce genre de relation avec lui, il pouvait enfin sortir et rencontrer d'autres personnes, coucher avec qui il voulait.

S'il n'avait pas répondu avec une telle fougue à ses avances, Mu aurait pu penser que, peut-être, il avait déjà eu une aventure d'un soir, depuis qu'il avait appris la nouvelle, même si cela ne datait que de trois jours.

C'était ce que lui-même faisait parfois, loin, très loin du Sanctuaire, pour rompre une certaine forme de solitude.

Shaka aussi, d'ailleurs, même si c'était plus rare, de son côté.

Ce n'était pas si facile, même pour quelqu'un d'aussi sage et détaché que Mu, de vivre parmi tant de couples aux sentiments (amour – désir) très puissants, auxquels ses dons extraordinaires le rendaient particulièrement sensible.

Au fur et à mesure qu'il se rapprochait d'Aphrodite, l'idée de ce genre de relation avec lui s'était peu à peu fait jour dans son esprit, d'autant plus qu'il ne craignait pas son poison. Il y avait pensé de plus en plus souvent, mais sans savoir comment présenter les choses à son ainé, car il ne voulait pas tout gâcher non plus de la jolie amitié qu'ils construisaient.

Lorsque celui-ci leur avait parlé de la visite du Juge Minos et sa conversation avec lui, la veille, alors qu'ils prenaient tous les deux le thé avec Shaka, Mu s'était décidé à agir.

Il savait que le Douzième gardien ne céderait jamais aux avances du Spectre, mais cette ordure avait semé le doute en lui, remuant des blessures refermées, certes, mais peinant à cicatriser totalement.

Il n'avait pas le détail de leur échange, alors, mais c'était ce qu'il avait perçu chez son aîné.
Et à présent qu'il connaissait les mots qui avaient été prononcés par Minos, sa perception de ce jour-là était confirmée.

Mu voulait aider Aphrodite, il avait appris à l'apprécier et le considérait dorénavant réellement comme un ami.

Alors, peu importait si, finalement, son aîné décidait de ne pas donner ce virage à leur amitié et de fermer la parenthèse sur ce qui venait de se passer et ce qui serait, alors, leur première et unique fois.

Il voulait vraiment son bonheur, il en mesurait le degré pour la première fois ce jour-là, ce qui l'étonnât, car il ne le pensait pas si élevé. Pourtant, c'était alors déjà à un point beaucoup plus haut qui n'était pas encore totalement à sa portée.

- A quoi penses-tu ? lui demanda Aphrodite, le tirant de ses pensées en caressant le dos de sa main.

- Quand tu nous as parlé de Minos, hier, je t'ai senti perturbé, comme si cela avait remué quelque chose en toi, alors que je ne connaissais pas encore la teneur de votre échange. C'est ce qui m'a décidé à venir te trouver, ce matin, je voulais te faire savoir que peu importe les avances du Spectre, tu avais une autre alternative.

- Toi.

- Moi.

- Alors, si j'ai bien tout compris, tu as demandé à Aldébaran l'accès à son appartement ici, car tu avais prévu ce qui s'est passé, entre nous.

- Oui, confirma Mu en se redressant sur un coude. Ou plutôt, dans le cas où tu accepterais, car je n'en étais pas sûr. Je ne savais pas comment j'allais bien pouvoir aborder le sujet, avec toi, mais j'étais décidé à le faire et à te convaincre, si besoin. Et tu m'as tendu la perche que j'espérai, en me proposant de prendre une douche chez toi.

Le Douzième gardien se redressa à son tour pour se mettre plus à l'aise, et à présent assit face à Mu, il reprit leur échange.

- Tu as fait ça par pitié ? Ou parce que tu as trop bon cœur ? Pour joindre l'utile à l'agréable ?

- Non, Aphrodite, je l'ai fait par amitié et envie, surtout, assura-t-il en glissant ses doigts entre ses mèches d'or pâle à portée. Je ne l'ai pas fait uniquement pour toi, j'y trouvais aussi mon intérêt, et pas que physique, car comme je te l'ai déjà dit, je suis et je vois au-delà des apparences. Je voulais te proposer ce genre de relation, cette idée me trottait dans la tête depuis un moment, mais je ne savais pas comment aborder les choses.

- Vraiment ?

Mu s'assît à son tour dans le lit pour être plus près d'Aphrodite, encore, dont il continua de jouer avec une mèche dorée et soyeuse.

- Oui, vraiment. Je voulais que ça vienne naturellement, que ça devienne comme une évidence, que l'évolution de notre relation nous y amène logiquement. Mais ton altercation avec Minos m'a offert une opportunité, tout en précipitant les choses. Même si, au final, tu n'as pas besoin de moi, puisque sans ton poison, tu peux avoir une vie normale, désormais, sortir et rencontrer d'autres personnes... Il semblerait que je me sois décidé un peu trop tard, conclut-il en relâchant ses cheveux.

La tristesse et le dépit qui traversèrent ses yeux n'échappa pas à Aphrodite, même s'ils disparurent rapidement.
Ce fut alors à son tour de glisser ses doigts entre les longues et fines mèches blondes qui encadraient le visage de son cadet, avec douceur.

- Ce n'est pas encore mieux si je n'ai pas besoin de toi, mais juste envie, Mu ? demanda-t-il en lui souriant avec douceur et espièglerie mêlées. Je ne vois pas l'interêt d'aller chercher ailleurs ce que je sais que tu peux m'offrir, toi qui es mon ami et en qui j'ai une confiance absolue.

- Tu dis cela aujourd'hui, mais tu as le droit de changer de discours et d'avis, sache-le. Tu viens de retrouver une certaine liberté, je ne veux en aucune façon te contraindre, parce que nous venons de coucher ensemble. Tu as le choix, désormais.

- Et tu es le meilleur possible, je le répète.

- Aphrodite, je suis le seul que tu aies eu, il peut y en avoir d'autres demain, dans un mois, dans cinq…. insista-t-il en prenant sa main, alors qu'elle s'attardait sur sa joue.

- J'ai compris, ne t'en fais pas. Mais sache que si l'envie me prend d'aller voir ailleurs, je t'en informerais. Nous sommes amis, j'aurais ce respect-là.

- Et j'aurais le même à ton égard, évidemment.

Ils échangèrent un sourire entendu, puis Aphrodite se laissa aller sur le dos, les yeux rivés au plafond.

- Alors, telle sera donc la nature de notre nouvelle relation, à partir d'aujourd'hui ? Tu as dit, tout à l'heure, que je pouvais t'appeler si je le voulais, et que tu le ferais aussi.

Oui. Nous sommes amis avant tout, nous pouvons partager ce genre de moments pour nous faire du bien, mais sans les inscrire dans une relation amoureuse. Je ne me trompe pas en partant du principe que nous sommes d'accord là-dessus, n'est-ce pas ?

- Totalement d'accord, assura l'aîné en se redressant pour s'asseoir, son visage tourné vers son cadet. Comment pourrait-il en être autrement ? Que quelqu'un comme toi, si noble et pur, puisse aimer de cette façon un être aussi entaché que moi…

- Aphrodite… commença Mu en fronçant les sourcils.

- … est tout aussi inconcevable que la possibilité que moi, je puisse aimer un jour un autre homme que Saga, continua-t-il sans tenir compte de son interruption, la main posée sur son cœur. J'ai grandi, j'ai vécu, je suis mort et je suis revenu à la vie par deux fois en l'aimant, chaque jour, à chaque instant. Aussi douloureux soit-il, cet amour fait partie de moi.

- Comme ton poison.

Aphrodite tiqua à ces mots.

- Oui, en effet...

- Et tu es débarrassé de son aspect le plus contraignant, douloureux et néfaste pour toi, aujourd'hui, conclut Mu avec un regard entendu.

Et encore une fois, tellement intense !

Aphrodite le soutint un instant, puis reporta son attention sur le paysage au loin, qu'il distinguait à travers la grande fenêtre de la chambre.

Se débarrasser de son amour pour Saga ?
Oui, il en avait rêvé, il avait appelé de tous ses vœux la libération de cette souffrance infinie, tout en la redoutant, car elle le définissait.

Mais il n'avait jamais cru cela réellement possible.
Cet amour était viscéral, il coulait dans ses veines, à la manière de son poison, il était vrai, mais…

Ne plus éprouver ce sentiment, jamais ?
Ne plus penser à Saga chaque jour et chaque seconde ?
Ne plus avoir son visage comme première image le matin au réveil, et dernière le soir en se couchant ?

Son cœur était serré d'appréhension, alors qu'il aurait plutôt dû apprécier l'idée.
Seulement, il ne s'imaginait pas vivre sans cet amour qui l'avait nourri autant que détruit, et qui avait conditionné toute son existence.

Cela lui donnait le vertige.

Percevant son trouble autant qu'il le lisait sur son profil, son regard vague et ses mâchoires serrées, Mu posa sa main sur le bras d'Aphrodite et tendit son cosmos vers le sien, doux, apaisant.

Cela fonctionna immédiatement.

Le Douzième gardien laissa échapper un soupir, puis se tourna vers lui et lui sourit.

- Cette vie retrouvée est l'occasion de changer plein de choses, penses-y, Aphrodite. Et tu es parfaitement digne d'être aimé, j'espère que quelqu'un saura un jour t'en convaincre. Mais en attendant, je suis là, pour tout le reste.

- Et c'est déjà plus que je ne mérite ! Je ne vais cependant pas tourner le dos à cette chance.

- C'est tout ce qui m'importe, aujourd'hui.

Aphrodite laissa échapper un soupir.

- Merci beaucoup, Mu. Et puis, tu es aussi gagnant dans l'histoire ! lui rappela-t-il, un peu taquin. Je suis le plus beau des Chevaliers, même un hétéro aurait envie de profiter de ce corps magnifique ! fanfaronna-t-il en rejetant en arrière ses belles boucles cascadant sur ses épaules nues.

Le Bélier n'était pas dupe.
Il savait très bien que sous l'apparente frivolité se cachait de profondes blessures.

Qui supporterait longtemps de n'être réduit qu'à sa beauté et son apparence ?
De n'avoir personne voulant aller au-delà de cela pour découvrir quel homme il était vraiment ?
L'aimer et le désirer pour lui et non uniquement pour son physique ?

Personne ayant la sensibilité et le besoin d'être aimé d'Aphrodite.

Et puis, au temps du Lémure, Mu l'avait appris récemment, les soldats du Sanctuaire n'avaient pas été tendre avec le Douzième gardien.

Il avait été surnommé « la catin du Pope », « la putain du Sanctuaire », « la succube des geôles » et pire encore, car il s'occupait souvent des prisonniers du Pope et le bruit courrait qu'il assouvissait ses pires fantasmes avec eux, avant de les laisser pour mort, évidemment.

De nombreuses autres rumeurs avaient circulé sur lui, sur ses pratiques sexuelles et ses penchants pervers, que ce fut avec Deathmask ou le Grand pope.
Il avait souvent quitté les appartements de ce dernier blessé, les vêtements en lambeaux, même si son visage avait toujours été préservé.

Évidemment, rien ne lui avait jamais été dit en face.
Mais les regards et les murmures avaient été systématiques sur son passage et à la simple mention de son nom.

Aphrodite en avait joué, en avait rajouté, c'était une défense comme une autre, mais au fond, évidemment qu'il en avait été cruellement et profondément blessé.

Suffisamment pour que Shura et qu'Angelo, enfin, Deathmask, n'intervinssent une première fois, un jour, le premier en inspirant une crainte paralysante et le second, jugeant cela trop peu dissuasif, en mutilant trois soldats qui n'avaient pas été assez discrets, dont les langues avaient un temps ornées son mur.

Cela avait calmé les rumeurs, pour une certaine durée.
Mais les regards ne mentaient pas et les silences étaient parfois plus éloquents que mille discours, plus blessants que mille coups de couteaux dans le dos.

Dans cette nouvelle vie, Aphrodite avait réussi à s'intégrer au reste de la Chevalerie, il avait été pardonné et reconnu par ses pairs beaucoup plus facilement qu'Angelo.

Il avait gardé son caractère un peu rebelle et provocateur, mais sans la méchanceté et l'agressivité d'autrefois.

Celles-ci étaient plutôt tournées contre lui-même, dorénavant.

Il était souvent ironique et sarcastique, au quotidien, avec tout le monde, mais envers lui-même, il mélangeait l'autodérision et l'autosuffisance avec un parfait équilibre et une rare dextérité, se jetant des fleurs à se noyer dedans pendant un temps, et celui d'après, se mettant des coups de bâton à s'en briser tous les os jusqu'à en faire de la poussière d'étoile.

Mais, encore une fois, cela cachait la profonde blessure laissée ouverte par un premier abandon, enfant, puis par un amour désespéré et à sens unique, dont il avait aujourd'hui le rappel constant sous les yeux.

Ainsi que la peur d'être rejeté et abandonné, doublé d'un besoin d'être aimé aussi profond que l'assurance de ne pas avoir le droit de l'être.

Mu avait appris à lire en lui au fil des moments partagés, avec respect et sans jamais être intrusif, n'allant jamais trop loin ni trop profond et ne prenant que ce qu'Aphrodite lui donnait, n'empruntant que les chemins qu'il laissait ouvert pour lui, même si c'était parfois inconscient.

La route qui menait jusqu'à son cœur meurtri était bien plus sinueuse qu'il n'y paraissait, des remparts hauts et épais de ronces le rendait presque inaccessible.
Mu n'en était pas découragé pour autant.

Comme il l'avait expliqué à Aphrodite et d'autres, il était le parfait représentant de sa constellation : déterminé, passionné, allant au bout de ce qu'il entreprenait.
Être sage et posé n'étaient parfois que des moyens d'atteindre ses objectifs.

- Certes, finit-il par concéder. Mais tu te doutes bien que ce genre de choses n'est pas primordial, pour moi.

- Bien sûr, tu n'es pas si superficiel ! Et tu me l'as encore rappelé, il y a une minute ou deux. Mais reconnais que ça compte quand même ! Surtout dans une relation basée sur le physique.

- C'est plus agréable, en effet, mais nous sommes aussi amis, et je t'apprécie pour bien d'autres raisons.

- Fort heureusement, et c'est là qu'est ma chance.

- Je te l'ai déjà dit, ne vois pas la chance là où il n'y a que mérite.

Aphrodite sourit et hocha simplement la tête.
Ils ne seraient peut-être jamais d'accord là-dessus.

- Et sinon, par rapport à nos camarades, on fait comment ? reprit-il. On leur dit ou non ?

- J'ai dû mettre Aldébaran dans la confidence, par respect, mais en dehors d'Athéna, de Shion et de Dokho, pour le moment, à mon sens, les autres n'ont pas à savoir.

- Tu ne préfères pas t'afficher avec moi, je comprends…

La main de Mu se posa cette fois-ci sur le poignet de son aîné, autour duquel ses longs doigts fins s'enroulèrent avec une certaine tendresse et une légère pression.

- Ne te méprends pas, Aphrodite, cela n'a rien à voir avec toi, ce n'est ni une question de fierté, ni de honte. Simplement, au vu de la nature de notre relation, je pense qu'il vaut mieux la garder secrète, autant que faire se peut. Je n'en ai pas honte non plus, je n'ai simplement pas envie qu'elle soit gâchée par des commentaires graveleux, ou même pensés bienveillants, mais qui ne le seront pas vraiment. Ou des conseils, ou que sais-je encore. Je veux quelque chose qui nous appartienne, à nous seuls. Tu serais d'accord pour ne pas en parler à Shura, et encore moins à Angelo ?

- Oui, Mu, bien sûr, accepta-t-il sans hésiter en prenant la main de Mu. Je comprends, tu as raison sur toute la ligne. Mais je tiens à préciser qu'Angelo est bien plus sensible et bienveillant qu'il n'y parait. Il pourrait rester discret et respectueux, pour moi. Ceci étant dit, je peux aisément faire taire mon envie spontanée de leur parler, à tous les deux, tu peux me faire confiance.

- Je n'en doute pas. Je suis désolé, je sais que je t'en demande beaucoup.

Le Douzième gardien secoua la tête, faisant voleter quelques mèches qui dansèrent harmonieusement autour de son visage en dispensant leur doux parfum.

Mu inspira discrètement, mais tout de même à plein poumons, cette senteur florale qui émanait toujours d'Aphrodite et particulièrement de ses cheveux, s'en délectant avec délice.

- En fait, j'aime assez le principe, cela rajoute un peu d'excitation ! assura le sujet de toute son attention. Même si, sincèrement, il n'y en a pas vraiment besoin !

- Ça reste cependant appréciable.

Entièrement d'accord avec lui, Aphrodite hocha la tête en souriant.

- Par contre, je pense qu'on devrait en parler à Shaka, aussi. Il le devinera sûrement seul, mais on a pas à craindre de jugement ou d'indiscrétion de sa part, c'est une certitude.

- En effet, et je crois aussi que nous aurons besoin d'alliés pour maintenir notre secret, confirma Mu, alors qu'Aphrodite libérait sa main.

Aussi, il ôta à son tour la sienne de son poignet.

- D'ailleurs, en parlant des autres, on devrait peut-être rentrer, Mu, non ? On a disparu d'un coup…

Le regard du Premier gardien se chargea d'une lueur que le Douzième allait bientôt apprendre à reconnaître, alors qu'il se penchait vers lui, glissant sa main haut sur sa cuisse, sous le drap, et déposa dans le même temps un baiser dans son cou, le faisant frissonner délicieusement.

Puis, il remonta doucement jusqu'à son oreille en un effleurement électrisant et diaboliquement excitant.

- Tu veux vraiment rentrer ? murmura-t-il d'une voix basse et rauque qu'Aphrodite ne lui avait encore jamais connu.

De celles qui parlaient directement aux sens.
De celles qui cinglaient violemment les reins.
De celles qui faisaient monter un afflux de sang vers une zone bien précise de l'anatomie masculine.

Aphrodite se mordit la lèvre et crispa les mains dans les cheveux de soie de son cadet effrontément tentateur.

La seconde d'après et en guise de réponse, il le renversa sans autre forme de procès dans les draps.

S'ensuivit une nouvelle étreinte qui, à l'inverse de la première, commença dans le lit et se renouvela et se conclut dans la baignoire, où ils se prélassèrent une vingtaine de minutes dans un bain chaud relaxant des plus appréciables.

Mu fit ensuite téléporter leurs vêtements restés au Douzième, et ils se rhabillèrent.

- Je suis prêt ! assura Aphrodite, après un dernier coup de brosse que Mu lui avait aussi téléporté à sa demande.

- Rien ne presse, répondit Mu en lui tendant la main.

Aphrodite haussa un sourcil avec un petit sourire.

- Ce n'est pas que je sois contre un nouveau round, mais il me semblait qu'on arrêtait là pour aujourd'hui, puisque nous sommes rhabillés et sur le départ ?

- La journée est loin d'être finie. Mais pour ce matin, discutons encore un peu autour d'un verre, si tu veux bien. Cela nous fera un sas, avant le retour, il n'est pas si tard.

L'aîné sourit en prenant enfin la main tendue.

- Avec plaisir.

C'était plaisant de se laisser guider, il aimait bien cette facette de Mu, entreprenant et sûr de lui.
Ce dernier le conduisit jusqu'à la cuisine, où il relâcha sa main.

- J'ai l'autorisation d'Aldébaran de nous servir dans le frigo, expliqua Mu en ouvrant celui-ci. Mais si tu veux quelque chose en particulier, je te le ramène.

- Oh ! tu sais, je ne suis pas difficile ! J'ai juste besoin de me réhydrater, et d'un peu de sucre, aussi ! Cela fait bien longtemps que je ne m'étais pas autant dépensé sans me préparer, avant.

- Tu n'as pas pris de petit-déjeuner ? s'inquiéta Mu.

- Pas vraiment, non… Si j'avais su ce qui m'attendait, j'aurais pris le temps de manger quelque chose !

- Je suis désolé.

- Alors là, c'est totalement inutile ! le rassura-t-il en grimpant sur un tabouret de bar. Je te remercie, au contraire !

Mu sortit deux bouteilles en verre qu'il tendit à Aphrodite, puis attrapa également deux verres dans le troisième meuble qu'il ouvrit, et ils gagnèrent le balcon pour s'installer autour de la table.

Enfin, plutôt à une extrémité de celle-ci.

Tout était très grand, évidemment, à l'image du propriétaire des lieux.
Les murs devaient bien faire trois mètres cinquante de haut.

Seules la salle de bain et la chambre qu'ils avaient utilisé avaient des dimensions standard, car elles formaient la partie réservée à l'hébergement d'amis.

Et il y avait aussi, ça-et-là, des éléments qui témoignaient de la présence, depuis peu, d'une autre, de deux autres personnes de bien plus petite taille : Daphné et son fils Daréios.

Aldébaran les emmenait souvent avec lui, désormais, lorsqu'il revenait dans son pays natal où il renouait peu à peu des liens avec sa famille.

Il y avait quelques jouets sur la terrasse, ce qui fit sourire Mu, un court instant.

Il leur servit à boire et tendit un verre à Aphrodite.

- Caldo de cana : ça devrait combler tes besoins en sucre.

Le Douzième gardien trempa ses lèvres dans la boisson fraîche.

- Ah oui, la vache, c'est chargé ! s'exclama-t-il avec un petit rire surpris.

- Trop ? s'inquiéta Mu. J'ai pris de l'eau de coco pour moi, tiens, si tu préfères, c'est moins sucré…

- Non, non, c'est très bon, merci ! refusa Aphrodite en lui souriant. Qu'est-ce que c'est ? T'as appelé ça… caldo de nada ?

Mu rit à ces mots, ce qui ne vexa pas le moins du monde le pourtant réputé susceptible Poissons.
Au contraire, il apprécia la vue autant que le son de ce rire cristallin.

Était-ce dû à leur récent rapprochement, qui le rendait plus sensible à ce genre de choses, à sa beauté solaire, plus discrète que celle de Saga, évidemment, mais aussi d'Aioros ou de Milo, certes, mais qui n'en était pas moins éblouissante, quand il la libérait ainsi au détour d'un éclat de rire ou d'un élan de joie…

Comme s'il s'autorisait, à présent, à le regarder autrement.

Aphrodite posa son menton entre ses mains croisées.

- Qu'est-ce que j'ai dit comme bêtise ? s'amusa-t-il avec lui.

- Quelque chose comme « jus de rien du tout » en mélangeant un peu les langues. C'est bien évidemment du portugais, caldo de cana, le corrigeât-il ensuite. « Jus de canne ». C'est de la canne à sucre pelée et broyée. Il y a beaucoup d'eau, ça te réhydratera et te rafraîchira bien, en plus de recharger tes batteries avec le sucre.

- C'est parfait, exactement ce qu'il me faut ! Merci, Mu !

- De nada, répondit-il, taquin, en lui faisant un clin d'œil.

Et ils partagèrent un nouveau rire.

Un silence tranquille les enveloppa ensuite, alors qu'ils savouraient leurs boissons en admirant la vue qui se déployait face à eux.

Le jour se levait et terminait de déchirer le rideau de la nuit, dispersant ses ombres à coup de rayons de soleil triomphants, qui baignaient progressivement la mer et la ville d'une douce lumière.

- Il fait frais, c'est tellement agréable...

- On est dans l'hémisphère sud, c'est le début de l'hiver, ici, expliqua Mu.

- Je sais qu'Aldébaran est né et a grandi à Sao Paulo, est-ce que cet appartement y est aussi situé ?

- Oui, il ne voulait pas trop s'éloigner de sa famille. Nous sommes toujours dans l'Etat de Sao Paulo, mais pas dans la ville du même nom. Ici, c'est Osasco, pas très loin. Je crois même qu'on peut apercevoir certains grattes-ciel de la ville de Sao Paulo, qui sont parmi les plus hauts au monde. Il faudra lui redemander.

- Je compte bien le remercier, je lui poserai la question en même temps. Tu es déjà venu, alors.

- Avec lui, oui. Il m'a fait découvrir sa terre natale, de la même façon que je l'ai fait en l'invitant à Jamir. Je te l'avais également proposé.

- Je n'ai pas oublié et je te remercie pour cet honneur.

Mu posa sa main sur le poignet d'Aphrodite.

- J'y dispose aussi d'une relative tranquillité, tu sais. Nous y serons bien, surtout pour ce que je prévois de faire. J'ai préféré t'emmener ici pour notre première fois, car c'est plus spacieux et confortable. A Jamir, nous ne vivons pas dans le dénuement total, mais simplement avec l'essentiel, pour un environnement propre à la méditation.

- Je n'ai pas besoin d'être dans le luxe, Mu, je ne suis pas si superficiel, se vexa presque le Douzième gardien.

Il voulut libérer son poignet, mais Mu la retint fermement, sans brutalité.

- Je sais et ce n'est pas ce que j'ai dit. Je voulais juste qu'on soit à l'aise et véritablement isolé. Jamir n'est pas si loin d'Athènes, et surtout, ma présence aurait immédiatement été repérée et signalée. Mais à présent que notre relation est redéfinie, nous allons nous y rendre ensemble, si tu es d'accord. Je prendrai le temps de saluer qui de droit, puis, je nous conduirai chez moi, dans les hauteurs, où on me laissera en paix.

- D'accord, je comprends mieux. Pardon, s'excusa-t-il en posant sa main sur la sienne, qui enserrait toujours son poignet. Je suis un peu soupe au lait, parfois.

- Ton passé l'explique. Je voulais aussi ajouter que je n'ai pas non plus oublié ce que tu m'as répondu, lorsque je t'ai proposé de nous accompagner à Jamir, Shaka et moi, au début du mois : que cet endroit te paraissait tellement sacré que tu osais à peine imaginer que tu puisses t'y rendre.

- C'est vrai, reconnut Aphrodite en libérant sa main. Je ne suis pas certain que j'y serai à ma place.

- Avec le joli dhoti que les membres de la communauté t'ont confectionné, tu peux être sûr que ce sera le cas, il te va parfaitement. Ce sera l'occasion de les remercier, tu y tenais vraiment.

- Oh oui ça, je veux bien !

- Tu verras, ce sont des gens simples, très ouverts et tolérants. Et je sais qu'ils vont t'apprécier, parce que tu aimes et respectes profondément la nature et le vivant, et que ces deux éléments sont au cœur de toutes leurs prières et de leurs préoccupations.

- Ce sera vraiment un honneur pour moi d'y aller, Mu, tu m'as vraiment donné envie !

- C'est parfait, nous organiserons cela bientôt.

- Euh… je voudrais d'abord les rencontrer et passer du temps avec eux, en dehors de notre arrangement, si tu veux bien… précisa l'aîné avec un petit rire nerveux.

- Ne t'inquiète pas, je l'avais bien prévu ainsi.

- Ah et justement, tu as dit quelque chose, il y a un instant, « nous y serons bien, surtout avec ce que je prévois de faire »… Tu m'expliques ?

Mu prit le temps de boire une gorgée de son eau de coco, avant de répondre.

- Tu n'as jamais connu qu'une sexualité mécanique ayant pour but l'assouvissement d'un désir, la douleur, la libération d'une frustration, dont chaque geste n'était qu'un moyen d'atteindre cet objectif et la jouissance. Si la jouissance est ce que recherche généralement toute personne engagée dans un acte sexuel, tes autres objectifs relevaient d'une forme de pathos.

- En effet, j'étais pathétique…

- Je ne parle pas de pitié, mais bien de pathos, de maladie. Ce n'était pas une pratique saine.

- Non, c'est peu dire... ricana amèrement le Douzième gardien.

- Et tu n'as connu quasiment que cela, si l'on excepte les quelques étreintes partagées avec Angelo, à notre retour.

Aphrodite grimaça.

- Ce n'était pas très sain non plus, même s'il n'y avait plus cette ambiance de folie, de perversion et d'autodestruction.

- Certes. Néanmoins, ces étreintes étaient toujours un moyen d'atteindre un assouvissement, un plaisir, de combler un vide ou un manque.

- C'est vrai, oui.

- Comme bien souvent, les gens font l'amour en pensant à la jouissance finale, en courant après elle pour l'atteindre à tout prix, allant ainsi de très nombreuses fois trop vite. Or, il existe une autre sexualité possible, qu'on pratique beaucoup dans les pays où la philosophie bouddhique domine, et pour toute personne qui la pratique, issue de celle-ci : le sexe tantrique.

- Alors le tantrisme, Shaka et toi m'en avait parlé plusieurs fois, m'expliquant que je devais vivre et profiter du moment présent, ne pas rester bloqué sur le passé. Mais je ne vois pas le rapport.

- Tu as oublié une notion qui est fondamentale, Aphrodite : vivre le moment présent, oui, mais comment ?

- En pleine conscience, se souvint-il rapidement.

Ils le lui avaient suffisamment dit et répété, l'un comme l'autre.

Tout comme Dokho et Shion, d'ailleurs, et même Shun s'y était mis récemment, certainement fortement influencé par Shaka et leurs longues heures de discussions et de méditation.

- Tout à fait. De la même façon, le sexe tantrique invite les deux partenaires à se toucher avec lenteur, en vivant l'instant en pleine conscience. L'important n'est pas la destination, à savoir la jouissance finale et mécanique des corps, mais bien le voyage, à savoir, chaque caresse, chaque baiser, chaque regard échangé, donné et reçu avec douceur et lenteur pour le vivre entièrement. Chacun d'eux est une source de plaisir et de jouissance en soi. La connexion avec son propre corps et avec celui de l'autre est merveilleuse. Je veux t'inviter à cela.

- Pourquoi ne l'as-tu pas fait, aujourd'hui ? Enfin, pas totalement, je reconnais bien là dans ta description certaines de tes attitudes envers moi. Plutôt vers la fin, d'ailleurs.

- Je ne t'ai donné qu'un aperçu, car tu n'étais pas vraiment prêt à vivre ce genre de partage. Ce dont tu avais besoin, dans un premier temps, c'était cette sexualité mécanique qui est la pratique la plus courante. Tu avais besoin de te libérer du manque, de la frustration, de soulager ton corps. A présent que c'est fait, tu pourras mieux te concentrer et accepter un échange plus lent, plus dense, et t'ouvrir à cette forme différente de sexualité où l'esprit, les émotions, la concentration et l'écoute de tout ce qui se passe dans la tête et dans le cœur est au moins aussi intense, si ce n'est plus, que les simples réactions physiques. On honore le moment et notre partenaire avant tout, sans autre but que cela.

- Tu en parles presque comme quelque chose de sacré.

- Ça l'est. Car dans le tantrisme, la sexualité est une voie privilégiée d'accès au spirituel, cela lui confère donc effectivement un côté sacré.

- C'est donc pour ça que Shaka et toi êtes beaucoup moins innocents qu'on aurait pu le croire, de prime abord... J'ai été si surpris d'apprendre que vous étiez, l'un et l'autre, actifs sexuellement depuis votre adolescence !

- Nous avons été élevés et avons grandi dans cette philosophie, et en effet, la sexualité menant au spirituel, nous y avons très tôt été initiés. En théorie, d'abord, puis en pratique, une fois l'âge requis atteint.

- Je ne m'étonne plus que le Kama sutra soit né par là-bas…

Mu sourit à cette réflexion.

- Il est devenu une sorte d'utilitaire et de mode d'emploi pour les sociétés occidentales, mais en vérité, son message est tout autre et bien plus profond, à l'image de la sexualité tantrique.

- Tu me feras un cours là-dessus, aussi ? demanda Aphrodite, le nez dans son verre.

- Bien sûr, répondit très sérieusement Mu. Tu es très fier de ta grande beauté que tu mets souvent en avant, mais je voudrais t'apprendre à prendre pleinement conscience de ton corps, à l'habiter pour le ressentir, au-delà de la simple enveloppe – aussi magnifique soit-elle, nous sommes d'accord. J'utiliserai tous les moyens dont je dispose pour se faire.

- Je tâcherai d'être un bon élève ! promit Aphrodite.

Il était très tenté et enthousiaste, mais il n'était pas dupe non plus : cela n'allait pas être facile.

Son rapprochement avec Shaka et Mu lui avait permis de découvrir un peu la philosophie bouddhique, et il avait pu constater que ses pratiques demandaient beaucoup de rigueur et de concentration.

Ce qui était promis sur le papier était toujours alléchant, mais pour y accéder, la route, bien que balisée, était un véritable parcours à étapes qui demandait un grand travail sur soi, un dépassement de soi, également.

Per aspera ad astra : par des sentiers ardus jusqu'aux étoiles.
Le bonheur, la sérénité, l'éveil, tout se méritait, en ce monde.

- Vu comme tu as commencé à répondre, tout à l'heure, je n'ai pas de doute à ce sujet, assura Mu. Ton potentiel est grand.

- Vraiment ?

- Oui. Tu as beaucoup de tendresse en toi qui ne demande qu'à s'exprimer. Et puis, cette forme de sexualité où le corps est mis en avant comme élément central, et non plus comme un moyen ou un outil, te correspond parfaitement. Mais mon but est aussi de t'aider à t'aimer, car tu es bien plus qu'une simple beauté physique. Le tantrisme amène à cela. A prendre conscience de soi, de son corps, de son être, à quel point tu peux ressentir de choses et être connecté aux autres, et dans la sexualité, à un autre en particulier. Ou plusieurs personnes, chacun ses préférences, il n'y a pas de jugement… Et si…

Mu s'interrompît soudain et ferma les yeux.
Ayant déjà assisté à ce genre de scènes maintes et maintes fois, Aphrodite n'intervînt pas et termina son verre en silence.

Il n'était pas mécontent de cette pause, car les mots de Mu avaient touché une corde sensible.
L'avaient touché tout court.

S'entendre dire qu'il voulait l'aider a s'accepter, à s'aimer, à ressentir des choses…
À quel point son cadet avait-il perçu le vide qui s'était logé dans sa poitrine, depuis plusieurs mois ?

Son don d'empathie était réellement très puissant, et personne n'en mesurait pourtant vraiment le niveau.

Mu rouvrit les yeux après quelques minutes, seulement.

- Je te prie de m'excuser, Aphrodite.

- Aucun problème. Kiki ? devina-t-il.

- Oui, il me cherchait. Il devait déjeuner au réfectoire avec les autres apprentis, mais apparemment, le menu ne lui plaît pas. Il pensait me trouver à la maison.

Aphrodite grimaça.

- Le connaissant, il a dû aller taper à toutes les portes pour savoir où tu étais, dès qu'il a senti que tu n'étais plus sur le Domaine.

- Sûrement. Je le préviens, normalement, quand je m'absente. Sinon, il demande toujours aux autres, avant de tendre une perche télépathique, parce qu'il ne veut pas prendre le risque de me déranger. Mais quand personne n'a de réponse, il s'inquiète. Il va beaucoup mieux, depuis l'an dernier, mais la disparition de tous les Ors, surtout la mienne, plus le coma de Seiya, lui ont laissé un vrai traumatisme.

- Oh, vraiment ?

Mu hocha la tête, un pli soucieux barrant son front.

- Il est encore parfois pris d'angoisse sourde et violente dans la nuit, ou parfois même en journée, quand je ne réponds pas. Aussi, je pense que le menu du réfectoire était tout à fait correct, mais me sentir à distance sans avoir été prévenu l'a sûrement perturbé.

- Ne le faisons pas attendre, alors, rentrons vite, décida le Douzième gardien en se levant déjà.

- Je l'ai rassuré, ne t'en fais pas, mais merci de t'inquiéter pour lui, lui dit Mu en posant sa main sur la sienne, touché par sa réaction et son inquiétude spontanée et sincère.

Aphrodite haussa les épaules en souriant, alors que Mu se levait à son tour pour débarrasser.

- C'est normal. Même s'il me fait souvent tourner en bourrique, je l'aime beaucoup, ton fils, tu sais…

Le Premier gardien marqua un temps d'arrêt devant l'évier de la cuisine où il s'apprêtait à laver leurs verres, et se tourna vers son aîné, une légère surprise dans le regard.

- C'est ainsi que tu le vois ? C'est ce qu'il est, d'après toi ?

- D'après tout le monde ! répondit Aphrodite en rangeant les bouteilles au frais. Même lui te considère comme son père. Il ne t'appelle pas ainsi parce que tu ne le lui as pas autorisé, mais je suis certain qu'il doit se mordre la joue, parfois, pour que ça ne lui échappe pas de manière spontanée.

- Tu l'as remarqué ?

- Évidemment, Mu. D'ailleurs, pourquoi tu ne veux pas qu'il le fasse ?

- Je ne dirai pas que c'est plus facile, mais c'est en tous cas moins difficile de perdre un Maître qu'un père…

Aphrodite prit le verre que Mu était en train d'essuyer, après les avoir tous deux lavés, et le posa sur la table pour pouvoir prendre sa main entre les siennes.

- C'était valable et compréhensible lors de notre précédente vie, où chaque jour nous menait vers la Guerre sainte et une mort fort probable. Mais aujourd'hui que la paix règne, le disciple a autant besoin de son Maître que l'enfant de celui qui a toujours été son père, à ses yeux. Vous avez plus de deux décennies à vivre ensemble, encore, Mu, c'est largement assez pour être les deux, le Bélier et son successeur, et puis la famille que vous avez toujours été, de fait, même sans le dire… non ?

Mu soupira.

- Je sais que tu as raison. Mais…

- Mais la disparition de Shion est une blessure encore vivace dans le cœur du petit enfant que tu étais et qui vis encore là, quelque part, devina le Poissons en posant sa main libre à plat sur le torse du Bélier.

Qui la recouvra de la sienne.

- Je l'ai senti disparaître, tu sais. Ça a creusé un énorme trou dans ma poitrine, d'un coup.

- Kiki a ressenti la même chose, Mu, on en a déjà parlé. Mais grâce soit rendue à Athéna, tu es là, aujourd'hui. Tout comme Shion t'a été rendu. Tu as construit une nouvelle relation avec lui, que tu continues de développer. Avec Kiki, tu as simplement à la poursuivre, et à lui donner la dimension que tu ne t'es pas autorisé lui donner, à cause du risque et des enjeux. Cette chance qui ne vous a pas été donnée, à Shion et l'enfant que tu étais. Mais tu sais déjà tout ça. C'est toi le sage, entre nous deux !

- La preuve que non, répliqua le cadet en serrant sa main qui reposait toujours à plat sur son torse. Je vais y réfléchir. Merci, Aphrodite.

- Mais je t'en prie ! Du coup, on y va, retrouver ce fameux fils ?

- Oui, acquiesça Mu.

Il se détacha pour aller ranger les verres, alors Aphrodite se dirigea vers la chambre.

- Je vais chercher les draps pour les emporter, je les laverai à la maison, lui dit-il. Tu sais où il range la literie ? Je vais refaire le lit, rapidement.

Mu le rattrapa et le ceintura.

- Ce n'est pas nécessaire.

- Quand même…

- Je ne t'ai pas dit ce que j'ai raconté à Kiki pour expliquer mon absence.

Aphrodite ne voyait pas le rapport, mais il laissa son cadet poursuivre, alors qu'il le gardait tout contre lui.

Son souffle chaud contre sa joue et son oreille lui donnait des frissons.
Allait-il réagir ainsi à chaque fois, dorénavant ?

Si c'était bien le cas, cela allait être compliqué, devant les autres…
Mais en même temps tellement excitant !

- Apparemment, tu avais besoin d'engrais pour tes boutures, je t'ai donc emmené faire un aller-retour à Athènes, car c'était pressé...

- Tu mentirais avec autant d'aplomb, toi qui détestes le mensonge ? s'étonna le Douzième gardien en posant ses mains sur ses bras qui enserraient toujours sa taille.

- Tu en vaux la peine.

- Mu…

Cette fois, le Premier gardien se recula et le Douzième put ainsi lui faire face.

- Pardonne-moi, je suis à la limite de notre nouvelle relation. Je dois plutôt dire que ça en vaut la peine.

- Oui, voilà ! Ne me fais pas tomber amoureux de toi, tu pourrais le regretter ! le prévint-il en riant.

Car encore une fois, ce n'était rien qu'une boutade, tant dans son esprit une telle chose était inconcevable.

Mu ne répondit rien, il prit juste la main d'Aphrodite et la porta à ses lèvres, mais sans la toucher, et le regard intense.
Un vrai baise-main de gentilhomme.

- Qu'est-ce que je viens de dire ? protesta-t-il en récupérant sa main, riant toujours.

Mu lui sourit, mais encore une fois, en silence, se contentant d'un long regard appuyé.

- Tout ceci ne me dit pas pourquoi je ne peux pas changer les draps ?

- Je t'ai dit, tout à l'heure, que nous en avions terminé pour ce matin, mais que la journée n'était pas finie. Et il se trouve que nous avons dû faire plusieurs magasins car la référence de ton engrais est très spéciale, cela a pris du temps. Mais comme malgré tout nous ne l'avons pas trouvé, il a fallu le commander. Nous devons donc y retourner cet après-midi…

Aphrodite laissa échapper un petit rire.

- Mu ! Et nos obligations ? Je donne un cours en classe aux apprentis à 14h30, et tu dois travailler dans ton atelier avec Kiki, si je me souviens bien… En plus, il t'attend pour déjeuner !

- En effet, nous serons donc libres vers 17h30. A moins que tu n'aies autre chose de prévu, c'est juste une proposition…

- Non, je n'ai rien prévu pour la fin de journée, Mu.

Le Premier gardien combla l'écart qui s'était créé entre eux et posa ses mains sur les hanches de son aîné.

- Alors, c'est réglé ?

- Oui ! répondit-il en posant ses mains sur ses épaules. On peut rentrer.

- Est-ce que l'invitation à déjeuner tiens toujours, si Kiki se joint à nous ?

- Évidemment et avec joie ! Je vais nous préparer un bon repas pour prendre des forces !

- Ton enthousiasme fait plaisir.

- J'aime le tien, également. Surtout à certains moments… se rappela-t-il avec une petite moue irrésistible.

Mu posa son front contre le sien.

- Je vais avoir envie de t'embrasser, si tu continues à faire ce genre de choses.

- Mais des amis ne s'embrassent pas comme ça, Mu… le taquina-t-il en nouant ses mains sur sa nuque, se rapprochant de fait un peu plus.

- Nous sommes un peu plus que cela, désormais, répliqua-t-il sans bouger. Hors du Domaine, nous sommes amis-amants, alors si tu m'y autorises, je vais le faire sans braver un quelconque interdit, sans briser aucune règle.

- Je t'en prie, cher amiant…

Cette contraction improbable et d'une certaine façon, maladroite et touchante, fit légèrement rire le cadet.

Mais il reprit vite son sérieux.
Car Aphrodite détachait déjà son front et penchait légèrement la tête de côté, alors Mu répondit à son invitation en comblant l'écart qui les séparait encore.

Le baiser fut incroyablement doux et tendre.
Tant et si bien qu'une vague d'émotion saisit Aphrodite, lorsqu'il se termina, et il serra Mu dans ses bras, la gorge nouée,

Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas connu ce geste si intime…
Et à bien y réfléchir, cela ne lui était jamais arrivé.

Les hommes ou les femmes qu'il avait eu pour mission de tuer et avec lesquels il s'était amusé ne l'avaient jamais considéré que comme un objet, une beauté magnifique dont ils étaient fiers d'avoir réussi à retenir l'attention, fiers de posséder…

Avec Angelo, enfin, Deathmask, il n'y avait jamais eu aucune douceur ni tendresse, il n'y avait que de la douleur salvatrice, recherchée, certes, mais dure.

Tout comme avec le Lémure.

Les rares fois où Angelo et lui l'avaient fait, à leur retour, avaient été plus tendres, mais Angelo n'était pas du genre à s'attarder après.
Et ils ne s'étaient plus embrassés, d'ailleurs.
L'ami avait toujours été bien plus démonstratif et tactile que l'amant.

C'était pourquoi Aphrodite était si troublé.
Il prenait la mesure de ce vide qu'il avait eu en lui, bien plus grand que le gouffre qu'il percevait déjà, de cette envie et ce besoin immenses d'être touché de cette façon.

Ils les avaient niés pour ne pas souffrir davantage, à chaque fois qu'il surprenait un regard, un geste, un baiser d'un membre de l'un des nombreux couples qui l'entouraient envers l'autre.

Mais il avait bien eu un trou béant dans la poitrine, que l'amitié comblait en partie, fort heureusement, mais pour tout ce qui relevait de l'intime et du contact physique, c'était plus délicat.

L'Atlante comprit tout cela et resserra un peu plus son étreinte sur le corps d'Aphrodite.
Il n'était pas encore prêt à entendre qu'il serait là pour lui, dorénavant et pour toujours, c'était encore un peu tôt.

L'étreinte suffisait.

Ils restèrent un moment ainsi en silence, puis Aphrodite recula et embrassa Mu sur le front.

- Merci. Cette fois, on peut y aller, je ne veux pas trop faire attendre Kiki.

Le Bélier prit ses mains entre les siennes avec un sourire, et un battement de cils plus tard, ils étaient de retour au Douzième temple.

Ils se détachèrent et Aphrodite fut soudain prit d'un fou rire.

- Que se passe-t-il ? demanda Mu, amusé et presque contaminé par son hilarité soudaine.

- Une pensée saugrenue m'a traversé l'esprit, je suis désolé… répondit-il en s'essuyant les yeux.

- Tu veux me la partager ?

- C'est ridicule, mais, je me suis dit que j'étais revenu sans ma virginité !

Mu ouvrit de grands yeux, surpris.

- Mais Aphrodite, voyons !

- Je sais, je t'avais prévenu ! rappela-t-il, alors qu'ils gagnaient la cuisine. Mais ça fait si longtemps, Mu… Et puis, quelque part, c'était un peu comme une première fois.

- C'était la nôtre, oui.

- Pas que… enfin, laissons ça de côté, pour le moment, trancha-t-il avec un revers de la main. Qu'est-ce qui te ferait plaisir, pour le déjeuner ?

- Qu'avais-tu prévu ? On le préparera ensemble. J'ai demandé à Kiki de nous rejoindre, il arrive au pas de course.

- Il ne se téléporte pas ? s'étonna Aphrodite.

- Non, il commence à perdre son habitude d'apparaître partout d'un seul coup sans prévenir, et je veux qu'il continue sur cette lancée. Avec tous les couples qu'il y a aujourd'hui, ici, il risquerait bêtement d'apparaître au plus mauvais moment pour un enfant de son âge. Sans compter le fait que ce n'est pas correct.

- Je te l'accorde.

- A Jamir, je l'ai élevé au sein de la communauté, il n'y avait quasiment pas de portes et peu d'espaces privés. On ne l'a jamais beaucoup réprimandé en le voyant apparaître et disparaître, je dirais presque, au contraire. Tout le monde l'a toujours adoré, ça a toujours été difficile de le gronder. Il est très obéissant, c'est plus de la naïveté que de l'insubordination ou de la révolte. Son pouvoir est tellement spontané, c'est comme de lui demander se contrôler sa respiration. Mais depuis que nous vivons ici, il comprend et il apprend. Mais je dois tout de même lui rappeler, de temps à autres.

- C'est normal. Tu l'as très bien élevé, alors que tu étais très jeune. C'est admirable.

- Je n'étais pas seul, j'ai eu beaucoup d'aide, les deux premières années. Puis, au cours de la troisième après son arrivée, je l'ai trouvé un jour juché sur Ariès. J'avais senti qu'elle était sortie de sa box seule, cela m'avait interpellé, mais notre relation est telle depuis l'enfance que je lui laissais cette possibilité, alors je ne m'étais pas inquiété. Seulement, lorsqu'elle le faisait, elle me prévenait. Elle m'a expliqué que Kiki l'avait appelé.

- Mais ce sont nos armures qui nous appellent, normalement ! s'étonna Aphrodite. Kiki n'est vraiment pas un enfant comme les autres.

- Je ne sais pas quel sera son Destin, mais j'espère qu'on ne lui en demandera pas trop. C'est à cause de son potentiel, justement, que j'ai préféré nous isoler dans les hauteurs. Et j'ai commencé à lui transmettre son héritage de Chevalier, mais aussi, de descendant du Peuple de Mu, les rescapés atlantes. J'avais alors 16 ans et Kiki, 4 ans.

Aphrodite buvait littéralement ses paroles.
Mu ne se livrait jamais beaucoup sur ces treuze années loin du Sanctuaire, ces moments de confidences étaient donc précieux.

- Tu dis que Kiki est un enfant exceptionnel, mais tu n'es pas banal, toi non plus. Athéna ne l'a pas confié à n'importe qui !

Mu détourna un court instant les yeux, un peu gêné.

- Nous devrions préparer le déjeuner, l'heure tourne.

Ne voulant pas l'embarrasser davantage, même s'il aurait pu l'écouter parler de lui et de son passé des heures entières, l'aîné n'insista pas.

- Oui ! Alors, pour répondre à ta question sur le menu du jour, Shura a été au port au retour de pêche ce matin, il m'a rapporté du poulpe. Je comptais le faire griller et préparer une salade classique pour accompagner. Mais comme tu es là, tu pourrais faire ta délicieuse fava (2) ! Ce sera parfait avec le poulpe !

- Bien sûr. Tu as tout ce qui faut, ici ?

- Je pense, mais je te laisse vérifier ! répondit-il en ouvrant le frigo. Il me reste du halloumi, je vais en faire griller pour Kiki, il aime toujours ça ?

- Oui, et je ne pense pas que ça changera un jour.

- Parfait !

- Tu as bien tout ce qui faut, mais je devrais peut-être me changer et te rendre ta tunique, avant.

- Non, garde-là. C'est vrai que tu as mis la chemise que je préfère te voir porter pour me rendre visite, mais… j'aime tout autant te voir dans mes vêtements, je te l'ai déjà dit, tout à l'heure.

En effet, les mêmes mots avaient été prononcés quelques heures avant, seulement…

La manière dont ils avaient occupé une partie de ce temps et l'évolution de leur relation que cela impliquait donnaient tout de suite un côté plus sensuel et provocateur à certains propos autrefois si anodins…

Mais l'avaient-ils vraiment été, où n'étaient-ils pas déjà l'expression d'un désir inconscient ?

- Dans ce cas, c'est d'accord, accepta Mu en lui rendant son sourire. D'autant plus que je partage ta pensée.

Le sourire d'Aphrodite s'accentua, puis se mua en une sorte de moue boudeuse, alors qu'il revenait vers son cadet.

- Par contre, si je peux me permettre… commença-t-il en remontant un peu le col du vêtement, pour cacher une clavicule tentatrice. Voilà. Si tu m'en montres trop, je vais avoir du mal à gérer, surtout devant Kiki et son regard inquisiteur. En plus, l'après-midi va déjà être sûrement très longue…

- En effet.

Après un nouveau sourire et un regard entendu, ils s'attelèrent à la préparation du repas, alors que l'horloge murale affichait déjà 13h.

Et que le cosmos chaleureux et enthousiaste de Kiki se rapprochait de plus en plus du Douzième et dernier Temple.

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A suivre

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Notes :

La fava : La Fava est un plat grec typique qui tient son nom du pois cassé jaune qui le compose. Ce plat végétarien se sert généralement froid ou tiède en entrée ou en tartinade. Il peut également être proposé chaud comme plat principal ou en accompagnement d'un poisson.

Petit point couleurs originales : Je rappelle que dans l'animé Mu a les cheveux mauves et les yeux vert, MAIS dans les mangas, il est blond (comme Shaka, Shion, Aldébaran, Saga, Kanon, Aiolia, Milo et Aphrodite). Si vous êtes curieux de voir à quoi ils sont censés ressembler, mais ne voulez pas vous retaper toutes les couvertures des mangas entre autres pour se faire, il vous suffit de taper le nom du Chevalier sur le moteur de recherche et d'ajouter « figurine OCE » qui veut dire « figurine original color edition » et vous aurez un très bel aperçu ! Même Angelo enfin Deathmask et ses cheveux argentés ou Camus et sa magnifique chevelure écarlate, ses yeux et ses ongles aussi ! Par contre, Aioros a les cheveux bronze clair tirant presque sur le roux et non chocolat. Dokho a les cheveux bien noirs et Athéna châtain foncé. Pour les Bronzes, Shun est châtain clair, Ikki, châtain foncé, les autres ne changent pas. Aussi, Shaina est brune et Marine châtain clair. Voilà voilà !

J'ai toujours trouvé dommage que les couleurs n'aient pas été respecté mais bon pour les années 80 il fallait des couleurs flashy dans les animés, ils y ont quasiment tous eu le droit… On les identifiait et les reconnaissait mieux comme ça aussi, parce qu'en vérité, on a une sacrée belle brochette de blonds !

Merci d'avoir lu ce chapitre. Contrairement à ce que j'avais annoncé, le prochain chapitre parlera encore un peu de Mu et Aphrodite, j'espère que vous serez quand même au rendez-vous. N'hésitez pas à me dire si vous n'êtes pas contents ! Et si vous avez aimé aussi, bien sûr.

Bonne continuation, prenez soin de vous et à la prochaine, j'espère.

Lysanea