L'UNION FAIT LA FORCE
(juillet 844)
Mike Zacharias

Nous restons aux aguets, prêts à attaquer au moindre signe d'Erwin. Pour l'instant nous galopons sans nous éloigner du major, mais si nos ennemis réduisent la distance entre eux et nous, nous devrons nous y coller. Le chariot d'appro est pas loin derrière et il faut absolument qu'il arrive intact. Sans ce chariot, dans ces terres sauvages, nous n'aurions plus qu'à faire demi-tour.

Devant moi, Steffen observe également les titans qui s'avancent dans les plaines. De là où nous sommes, nous avons une vue plongeante sur quelques kilomètres. Ils avancent dans le sens du vent ce qui veut dire qu'ils doivent sentir notre odeur. Je ne me suis jamais expliqué comment ils pouvaient nous repérer sans ça. S'ils sont capables de nous sentir, moi aussi. Un point partout.

J'entends Hanji jubiler quelque part derrière. Ces spécimens sont encore loin, et j'aimerais qu'ils le restent, mais leur seule vue semble la rendre joyeuse. Franchement, elle m'inquiète vraiment, des fois. Mais moins que la comportement du nabot. Il galope gentiment derrière Greta, parallèlement à moi, et il paraît calme. Lui aussi guette un signe du chef. C'est sa deuxième sortie et il a pas intérêt à faire le con ; l'entraînement c'est une chose, mais ici on rigole pas. Il le sait, il en a déjà fait les frais, mais s'il compte en faire qu'à sa tête et mener le combat comme il l'entend, je le remettrais à sa place.

On fait pas cavalier seul dans le bataillon ; on se bat ensemble. Que ce nain soit capable de tuer quatre titans à lui seul - ce dont je doute - ne l'autorise pas à briser la formation pour faire sa vie. Un seul soldat mal placé, un coup manqué, et c'est toute la troupe qui peut se faire démanteler. La discipline, c'est ce qui peut faire la différence entre la vie et la mort ici.

Plusieurs fois j'ai moi-même cru que je pouvais décider pour moi-même comment agir, mais j'ai déchanté. Ma force ne fait pas tout, Erwin est là pour nous coordonner et nous utiliser au mieux. Si on suit ses ordres, on a toutes les chances de parcourir ce tronçon de route sans mourir.

Il enverra Greta et Livaï en premier ; Steffen et moi n'irons que si les ennemis se multiplient ou si on a affaire à des déviants. Hanji est là pour ça, elle arrive à les détecter de très loin. Et leur odeur ne les trahit pas...

Les monstres s'approchent de nous. Des gabarits de plus de dix mètres vus d'ici. Leur comportement n'a pas l'air anormal. Ils avancent à pas lents, leurs gueules figées sur des rictus horribles, en balançant leurs grands bras trop longs. Je vois une expression de dégoût se peindre sur le visage de Livaï juste avant qu'il ne se mette à les regarder avec intensité. Oublie pas un truc, nabot : c'est Erwin qui décide quand tu y vas. Pas de blague.

Hanji a pas donné l'alerte ; ce sont des normaux. Encore quelques mètres, et Erwin donnera l'ordre. Tout juste. Il lève le bras droit en criant le nom de Greta, et nos deux camarades se déportent vers la droite à la rencontre de leurs ennemis. Livaï reste un peu en arrière, comme à l'exercice, afin de laisser à Greta le temps de sectionner les genoux de la cible. Celle-ci ne se doute de rien, et se porte en avant de ses copains plus lents pour se faire écharper.

Greta saute de cheval dès qu'elle est à portée et plante ses deux grappins dans les cuisses du titan. Elle passe entre ses jambes dans un jet de gaz, effectuer une pirouette en vol et se jette sur l'arrière des jambes gigantesques. Elle sectionne les deux genoux en un seul passage. Bien joué ! Le titan trébuche, s'affale par terre dans un nuage de poussière, ce qui semble effrayer ses petits copains autour. Quand le nuage retombe, j'aperçois Livaï qui fond depuis le ciel et s'abat sur la nuque de sa cible avec une précision parfaite. Le morceau de chair vole dans les airs, coupe parfaite, à son habitude.

Parfait travail d'équipe. En se partageant les taches, on économise le gaz et les lames. Erwin avait vu juste, cinq membres, avec le chef qui reste en arrière pour coordonner, c'est l'idéal. Erwin est pas un planqué, c'est pas son genre, et il sait qu'il peut être amené à mettre la main à la pâte en cas de pépin. Mais mine de rien, je préfère le savoir loin du combat. C'est un excellent combattant, mais il est bon pour mesurer le danger pour les autres, rarement pour lui-même.

Les autres se ramènent ; Greta et Livaï se remettent en position pour les affronter. Voltigeant dans les airs sans se gêner, ils entourent le second titan et celui-ci tombe à terre à son tour. Livaï nous gratifie de son attaque tournoyante au moment de l'achever, ce qui me fait grincer des dents. Erwin t'a dit de pas en faire trop, le nain, on est pas à la parade. Bon, chef, je crois qu'il y en a d'autres qui se ramènent juste derrière les troupes. Soit tu laisses les lignes arrières s'en occuper, soit tu nous envoies Steffen et moi, mais décide-toi.

Je sais qu'Erwin les as vus. Et Hanji se met à gueuler au déviant. Voilà un boulot pour moi ! T'es prêt, Steff ? Erwin abaisse son autre bras et nous nous dirigeons vers la nouvelle menace. Nous passons très vite devant nos deux camarades en train de tomber leur troisième titan. Gardez-en un de côté pour nous, on revient, je leur lance en passant. Pas sûr qu'ils m'aient entendu, mais ça me fait plaisir.

Le titan qui se précipite sur nous n'est pas très grand mais très agité. Il se dandine sur ses courtes jambes d'une façon immonde et jette ses mains en avant pour tenter de nous choper. Tandis que Steffen le fait tomber, j'indique aux troupes de prendre au large, car on s'en occupe. Une équipe de trois était déjà sur les rangs pour l'affronter et fait demi-tour. Ceci fait, je vérifie que Livaï est bien en train de regarder et je m'abats sur le cou de ma cible tellement fort qu'elle se retrouve clouée au sol.

Steffen lève le pouce dans ma direction, mais il se réjouit pas longtemps. D'autres titans approchent par devant, mais aussi de l'autre côté de la colonne, si j'en crois les équipes qui décollent pour les intercepter. On a la charge de l'aile droite, alors finissons le boulot. Le prochain est aussi un déviant si j'en crois sa démarche ridicule. Et il fonce droit sur le chariot, ce connard.

Pas question ! Revient ici, saleté ! Je lui plante mon câble dans l'épaule, juste pour attirer son attention, mais il a l'air de s'en foutre. Et bien... Steff, je me charge de ce gros lard, occupe-toi de celui qui se pointe. Je sais, mais c'est un cas d'urgence là. On doit les stopper très vite, avant qu'ils ne décident de réellement accélérer. On se remettra en position après.

Le titan semble un moment comme hypnotisé par mon cheval qui galope autour de lui en attendant mon retour, et j'en profite pour me poser sur son épaule. Il essaie de m'attraper mais je m'élance et lui cisaille les doigts. Il se met à beugler et fait le mouvement se rouler par terre, ce qui arrange pas mes affaires ; sa nuque n'est plus accessible. Je dois attendre qu'il se relève.

Steff, t'en es où ? Il vient de faire son affaire à un normal de petite taille, et se tourne déjà vers le prochain. Il a pas le temps de m'aider. Bah, je vais m'en sortir, c'est pas le premier déviant que j'affronte en solo. Au moment où je me demande comment je vais m'y prendre parce que cette saleté a entrepris de se gratter le dos contre le sol, Erwin apparaît soudain. Il tourne autour du titan sur son cheval pour l'asticoter et le faire changer de position. Le monstre roule sur le côté en essayant de choper Erwin, mais le rate. Gaffe, chef, va pas te faire bouffer !

Mais je le sous-estime toujours. Il s'élance de sa monture au moment où le titan s'est redressé sur une jambe. Il est agité celui-là, ou chatouilleux ! Reste à l'écart, je m'en occupe ! Mais Erwin lui tranche les tendons du pied gauche et ma cible s'écroule de nouveau, du bon côté cette fois. Merci, chef, je vais le finir ! Retourne à l'avant ! Greta et Livaï sont peut-être en galère !

Je tombe sur le dos musculeux du monstre et l'achève d'un seul coup d'épée. Le souffle court, je regarde autour de moi. Le bataillon est maintenant plus éloigné, et sur le ciel, je vois se découper les silhouettes de mes deux camarades en pleine bataille. Une autre troupe de titans vient de rappliquer, avec au moins un déviant. Ca va barder pour eux ! Je siffle ma monture afin qu'elle me ramène par ici. Steffen est déjà en selle.

Mais apparemment, notre équipe de choc n'a pas besoin d'aide. Greta s'occupe toujours des jambes de ses ennemis et Livaï virevolte comme un démon dans les airs, esquivant tour à tour les mains tendues et les mâchoires qui claquent. Il prend appui sur le front du déviant et se propulse dans les airs en s'aidant de la pression de gaz. La vache, je dois avouer qu'il sait y faire ! Gérer autant de titans en même temps, c'est du jamais vu. Il redescend en tourbillonnant, sabre la nuque du déviant, mais ne s'arrête pas là. Dans la foulée, sa trajectoire décrit un vaste arc de cercle et il explose les cous de deux autres géants qui semblaient attendre tranquilles de se faire tuer !

Ma chère Greta, ta présence me semble superflue sur ce coup ! J'en crois pas mes yeux, et j'entends même Erwin lâcher un "oui !" sonore de contentement. C'est vrai, il est très fort, y a plus de doute. On récupère tous nos chevaux, et on remonte ensemble la ligne des troupes, sous les remerciements et les acclamations de quelques-uns. J'entends même des "Livaï avec nous !" très enthousiastes...

Le nabot semble pas relever les compliments, ou il fait semblant de pas avoir entendu. Il fait le modeste, à ce que je vois... Je ne peux que me féliciter de l'avoir dans mon équipe, mais je dois bien avouer que sa soudaine notoriété me vexe un peu... Je n'ai jamais senti de concurrence sérieuse jusqu'à présent. Mais après ce que je viens de voir, elle me semble bien réelle...