CE QUE L'ETAT NOUS CACHE...
(juillet 844)
Greta Elfriede
Même si Livaï est de relâche aujourd'hui, il traîne quand même avec nous. Faut dire qu'il n'a nulle part où aller... Il se fiche de pas être payé, il dit que ça l'occupe de toute façon.
Comme le bataillon est désoeuvré en ce moment, les explorateurs ont été réquisitionnés pour filer un coup de main à la garnison. Nous sommes donc à Shiganshina pour la journée. Comme c'est jour de marché, on patrouille dans les rues pour s'assurer que tout va bien. Mais je me sens pas tranquille... On nous lance des regards furieux, et tout à l'heure, un gamin a même jeté un caillou sur Steffen.
J'ai l'impression que ça n'en finira jamais... J'ai abandonné l'idée que les civils puissent un jour réellement apprécier le travail que nous fournissons. L'insigne que nous portons nous condamne à ce genre de traitement. Quand je vois les membres de la garnison passer leur vie à boire et jouer aux cartes, je me dis que c'est pas juste. Même s'ils ont aussi leur part de quolibets, au moins on peut dire qu'ils sont justifiés.
Nous approchons du poste de garde. Hannes est en train de dormir, les pieds sur un muret et la chaise en équilibre. Ce mec m'horripile... Ils feraient quoi sans nous, là ?! Livaï s'énerve aussi et plaque la chaise sur le sol violemment, ce qui réveille Hannes. Il sursaute et gesticule en demandant ce qui se passe, s'il faut ouvrir les portes, ou quoi. Non, mon vieux, c'est juste pour vous faire remarquer que c'est pas parce qu'on est là qu'on doit faire votre boulot à votre place !
En plus, c'est d'un ennui. Je préfèrerais une bonne bataille plutôt que de subir ces heures interminables avant le retour. Le soleil a commencé à baisser, mais il reste encore un peu de temps avant qu'ont soit officiellement libérés.
Livaï jette un oeil dans le poste et constate que le sol est jonché de bouteilles vides et d'emballages de nourriture. Il fronce le nez, secoue la tête et s'apprête à y mettre bon ordre, mais je l'arrête juste à temps ; si tu t'y mets maintenant, on va y passer la soirée, c'est hors de question, je te connais !
Livaï se reprend et hoche la tête, en murmurant qu'il a un truc prévu ce soir et qu'il doit pas le louper. On s'assoit tous les deux sur un banc et Livaï oublie le désordre du poste de garde un moment. Ah bon, qu'est-ce que c'est ? Il me répond que c'est un secret et que ça me regarde pas. Mmh, ça a l'air privé... T'as un rencard ? Allez, tu peux me le dire ! Mais il reste muet et pose sa main sur mon visage pour que je cesse de l'interroger.
Il ne me semble pas qu'il ait lié des relations particulières en dehors de l'escouade. Il y a bien chef Hanji qui loupe pas une occasion de lui faire la conversation, mais à part ça... Les regards appuyés qu'on lui lance ne manquent pas, pourtant. Ils peuvent être tous interprétés différemment, mais dans le tas, il doit bien y en avoir qui attendent quelque chose de lui... Il est devenu une petite célébrité dans le bataillon, et forcément, ça attire les gens.
Il a peut-être rendez-vous avec quelqu'un et ne veut pas qu'on le sache... J'ai bien envie de savoir... Mais quand Livai a décidé de cacher quelque chose, c'est dur d'aller plus loin ; il peut rester des heures sans parler s'il veut, et il arrive très bien à vous ignorer. Je vais pas insister, il sera en rogne pour le reste de la journée. Si on allait plutôt rejoindre Mike et Steff ? Ils doivent déambuler dans le marché.
On se remet à marcher vers le nord, quand on tombe sur une bagarre, dans une petite ruelle à l'écart. Apparemment un marchand a des problèmes avec de mauvais payeurs... Le pauvre homme est adossé au mur, les mains en avant pour se protéger, et le rustre le menace avec un bout de bois. Ca va être pour nous, Livaï. Je me précipite en avant pour désarmer le bandit et lui tord le bras dans le dos. Il se met à râler en prétendant que le marchand lui doit de l'argent. Je lui rétorque que c'est pas mon affaire, et que si vous avez un différend, il vous faut régler ça avec la loi, et pas en le tabassant.
Des mains se posent sur moi et essaient de me faire lâcher prise. J'entends des rires gras et une voix me murmure à l'oreille que le bataillon ferait bien de s'occuper de nourrir les titans au lieu de se mêler des affaires des braves gens. Je serre les dents et m'apprête à lui balancer mon coude dans le ventre, quand je vois Livaï arriver au pas de charge et décocher un coup de genou dans l'estomac de mon assaillant. J'en profite pour neutraliser ma cible une bonne fois en l'assommant contre le mur d'en face. T'as cru que j'étais une faible femme, sale type ?! Puis Livaï met hors de combat un deuxième gars à la gueule cassée en le frappant au cou du plat de la main. Un autre se jette sur lui pour le plaquer au mur, et pendant un instant, il me semble avoir réussi... Mais Livaï lui colle un coup de tête dans le visage puis un coup de pied entre les jambes et le type s'affaisse, le nez éclaté et les couilles en purée.
Mince, Livaï, tu sais y faire ! Faudrait trouver un moyen d'entraver ceux-là. Voyons, ils sont trois. Reste ici pour les surveiller, je vais chercher Hannes. Il aura au moins fait quelque chose d'utile aujourd'hui. Je cours vers le poste en criant qu'on a besoin de menottes et les gardes rappliquent pour voir ce qui se passe. Nous tombons sur Livaï, assis sur le torse du type à la sale gueule, tandis que les deux autres rampent par terre, l'un se tenant la gueule en sang, et l'autre se massant les couilles en gémissant. Le marchand est à genoux à côté de lui et semble l'abreuver de remerciements admiratifs.
Même s'il est à moitié bourré, Hannes sait reconnaître du travail bien fait. Bon, les gars, on vous les laisse. Livaï et moi, on a d'autres bonnes gens à sauver ! Livaï se relève tandis que les gardes menottent les bandits et, accrochée à son bras, fière de moi, je me mets vraiment à la recherche de Mike et Steffen.
