UN SOMMEIL SANS RÊVES
(août 844)
Erwin Smith
Nous arrivons en vue de notre objectif, au petit trot. Le lac miroite au soleil, et rien ne vient le troubler. C'est une chance. Nous pourrons nous faufiler dans ce tunnel sans être vus.
J'envoie Livaï et Mike en éclaireurs afin de s'assurer qu'aucun titan ne se dissimule quelque part. Hanji est satisfaite de la traversée ; sa méthode est très efficace pour des missions comme celles-ci. Mais je doute de son utilité sur des expéditions standards...
Les voilà qui reviennent. Apparemment, la voie est libre. Nous dévalons les collines au galop jusqu'à la berge du lac, et laissons boire nos chevaux tout en scrutant les alentours. Puis nous dessellons les montures et les renvoyons pour la nuit. Au matin, il nous suffira de les siffler pour les faire revenir ; les chevaux des explorateurs ne s'éloignent jamais de leurs cavaliers. Nous transportons tout le harnachement et le matériel dans l'entrée du tunnel.
Hanji est déjà dedans et profite de la lumière pour observer les contours de la grotte. Il s'agit à la fois d'une carrière de pierres et d'une mine, à ce qu'il semble. Les étais vermoulus se fondant presque dans la roche indiquent bel et bien que tout ceci est d'origine humaine. Les hommes qui nous ont précédés ont utilisé les pierres arrachées à la colline abrupte au-dessus, mais ont aussi creusé cette mine, dans le but d'en extraire quelque chose, évidemment. Le tout est de savoir quoi.
L'escouade d'Hanji reste à l'extérieur pour faire des prélèvements rocheux. Cette pierre paraît étrangère. Nous sommes assez loin des Murs, et il n'est pas étonnant que nous trouvions dans cette région un type de minéral inconnu. C'était le but. Moblit exhibe à la lumière un morceau de roche aux reflets cuivrés et annonce que cela ressemble à du mica, mais avec des propriétés différentes. Il en recueille une grande quantité, autant que son cheval puisse porter pour le retour.
Je regarde la forme de l'endroit où se trouve la mine et constate qu'il s'agit d'une cuvette, et qu'autrefois, le lac était sans doute plus étendu ; cette mine devait être sous les eaux avant que les humains ne la creuse. En jetant un oeil dans les profondeurs du tunnel, je remarque que le chemin reste plutôt droit. Hanji meurt d'envie de s'y enfoncer pour voir un peu ce qu'elle recèle. Je saisis une des torches que nous avons emportées avec nous et Livaï l'enflamme avec une allumette.
Le tunnel est large d'environ trois mètres et haut de deux. Je marche devant avec Hanji et Livaï, le reste de mon escouade suivant derrière. Je me sens un peu à l'étroit, mais Livaï semble tout à fait à son aise ; ses yeux s'accoutument vite à l'obscurité, ce qui ne me surprend pas. Hanji continue à parler tout du long, faisant des commentaires sur tout ce qu'elle voit.
Le fait est qu'il n'y a pas grand chose à voir. Les étais vermoulus ne comportent aucune inscription ou signe intéressant laissés jadis par de lointains ancêtres. Ma torche éclaire une surface neutre, sans reflet. Si des humains ont travaillé ici autrefois, ils n'ont pas dû y passer beaucoup de temps. Ils n'ont rien laissé. Je ne distingue aucune alcôve, aucun ameublement sur les côtés, même quand le tunnel s'élargit. Je dois bien avouer que je suis déçu ; j'avais espéré trouver un indice évident de leur passage, et même des documents. Mais comme dans tous les bâtiments qui nous servent d'avant-poste, une absence pénétrante se fait sentir tout autour de nous. Je me sens alors plus seul que jamais dans ce monde...
Livaï continue d'ouvrir la marche et se glisse dans un embranchement un peu trop bas pour moi ; Hanji le suit de justesse, mais je dois rester en arrière. J'entends la voix d'Hanji qui demande à Livaï de l'attendre, et puis soudainement une exclamation. Vous avez trouvé quelque chose ? Curieux, je me plie en deux et finit à genoux pour traverser le bras de tunnel et débouche dans une galerie plus large. Je remarque tout de suite ce qui a fait rugir Hanji.
Des veines brillantes et colorées sillonnent les murs et disparaissent dans les ténèbres. Ma torche les fait rutiler davantage mais la lumière provenant d'un puits - naturel ou artificiel - menant à la surface se charge d'éclairer l'endroit. On y voit assez clair, alors j'éteins la torche pour le moment. Hanji est déjà en train de d'user d'un petit marteau de joailler sur la paroi et en détache un éclat. Livaï et moi nous penchons sur sa main. Un métal ou un minéral, je ne saurais le dire, je ne suis pas expert. Mais ça ne ressemble à rien de que je connais. Livaï demande alors si ça peut servir à quelque chose et Hanji lui répond qu'on le saura plus tard.
Dans notre dos, j'entends la voix de Mike parvenir jusqu'à nous mais je lui dis de ne pas tenter le coup ; j'ai moi-même eu des difficultés pour arriver jusqu'ici avec les fourreaux, qu'il ne s'y risque pas. Par contre, qu'il m'envoie Steffen et Greta. Nous aurons besoin d'eux ici. Pour tout dire, je commence à me sentir mal à l'aise... Heureusement que ce puits de lumière est là...
Juste en dessous, Livaï se tient dans la lumière plongeante, immobile, les yeux levés, comme aux prises avec un souvenir morbide... Je lui pose la main sur l'épaule et il semble se réveiller. Il se demande si nous ne pourrions pas extraire des matériaux par ici au lieu de faire l'aller-retour. Nous devons économiser le gaz, ce ne serait donc pas une bonne idée. Je lui demande si ça va ; il me répond que oui, mais que cet endroit ne lui plaît pas trop...
Je lui ordonne de remonter avec moi et la sensation de l'air frais sur mon visage me rassure. L'escouade d'Hanji est toujours au travail, mais l'un de ses hommes nous informe qu'il lui semble avoir vu un titan au loin. Continuez votre travail jusqu'à ce que ça devienne dangereux. Puis rentrez tous, nous nous réfugierons à l'intérieur pour la nuit, les titans ne nous sentirons pas.
Livaï s'assoit sur une pierre dehors et scrute les alentours à la recherche d'un ennemi. Quand il se sentira mieux, je l'enverrai à Hanji pour l'aider à extraire le curieux métal que nous avons trouvé. Quant à moi, je me sens trop à l'étroit là-dedans, je resterai avec Moblit pour planifier le voyage de retour.
Mike vient vers moi avec dans les mains un fragment de pierre et me dit que ça ne sent rien, tout comme moi. Il aime me rappeler que je n'ai pas d'odeur, même si je n'ai jamais su ce que cela signifiait pour lui, ah ah ! Je le renvoie à Moblit et m'approche de Livaï. Est-il aussi déçu que moi, de ne pas avoir trouvé de signes, d'indices, de nos ancêtres ici ? Sans doute, mais après tout, nous n'étions pas partis pour trouver l'océan ! Je vais le laisser cogiter et installer notre campement de fortune avec Mike.
Nous avons à peine terminé qu'il passe devant nous et s'engage de nouveau dans le tunnel. Il prétend vouloir relever Hanji car cela fait des heures qu'elle est là-dessous. Il exagère un peu, mais je suppose qu'elle aimerait remonter à la surface. Pendant un instant, les traits de son visage me paraissent plus sombres, plus tirés, son teint encore plus pâle... Je m'inquiète pour son manque de sommeil, il le sait, et il a beau me dire qu'il y est habitué, cela ne me rassure pas...
Hanji ressort du tunnel, tirant derrière elle un sac plein. Son visage est tout aussi sombre que celui de Livaï - à cause de la terre et de la poussière - mais elle affiche un large sourire satisfait. Livaï reprend alors sa route pour continuer son travail, et saisit un sac vide au passage. Je lui signale avant qu'il ne disparaisse que j'aimerais grandement qu'il essaie de dormir cette nuit ; il risque d'être exténué demain... Il hoche la tête mais ne me promet rien. Hanji reste perplexe en suivant notre "conversation".
Le soir ne va plus tarder et il me semble entendre le pas d'un titan non loin de là. Les gars, cessez le travail et repliez-vous à l'intérieur. Même si les titans ne bougent pas pendant la nuit, il serait ennuyeux que l'un d'entre eux décident de se laisser tomber devant l'entrée !
