Printemps 1899, le gang Van De Linde s'installa enfin sur les rives du clemens Point. Toute l'équipe devait une nouvelle fois déménager et réaménager le campement. Encore quelques chariots étaient en route d'acheminement vers leurs nouveau lieu de vie.

Malgré son intégration officielle au sein du gang Van De Linde, Duffy Kieran se sentait toujours comme un étranger parmi les autres membres. Il était conscient que sa place parmi eux était précaire et que sa vie dépendait de la volonté de Dutch Van Der Linde et de ses compères.

Chaque regard méprisant, chaque parole cinglante des autres membres du gang renforçait ce sentiment d'exclusion et de mise à l'écart. Duffy était déterminé à leur prouver sa valeur, à montrer qu'il était prêt à tout pour être accepté parmi eux.

Il avait conscience que sa survie dépendait de sa capacité à se rendre indispensable, à prouver qu'il avait sa place au sein de cette bande de hors-la-loi. Malgré la peur qui l'habitait, il était prêt à prendre tous les risques pour gagner la confiance de ses camarades et peut-être un jour, se sentir enfin chez lui parmi eux.

Apart Dutch qui avait étonnamment bien adhéré à l'idée qu'il fasse partie des leurs et Mary beth et sa légendaire gentillesse à son égard, personne n'avait jusqu'alors fait montre de sympathie. Mais Kieran se sentait tout de même mieux parmi eux que parmis ses anciens camarades, des vauriens près à sacrifier des membres de leurs familles pour un dollars.

Kieran se réconfortait néanmoins dans le fait que chacune des montures de ses camarades semblait lui porter une affection particulière. Au fil du temps, il avait su tisser un lien si spécial avec les chevaux du gang que même leurs propriétaires ne pourraient rien obtenir d'eux si Duffy décidait de partir en leur compagnie.

Cette connexion unique avec les chevaux lui procurait un certain réconfort et une forme de loyauté infaillible de leur part. Il savait qu'il pouvait compter sur elles, même s'il devait un jour envisager de partir du gang. Cette relation spéciale avec les montures du gang était un des rares points positifs dans sa vie tumultueuse au sein des Van De Linde.

Parmi les montures des membres du gang, Boadicea II, la jument de Arthur Morgan, se démarquait par son caractère têtu et farouche. Peu importe les efforts de Duffy Kieran pour l'apprivoiser, elle refusait obstinément d'être chevauchée par lui. Gourmande et capricieuse, elle était pourtant d'une fidélité et d'une loyauté sans faille envers son propriétaire, Arthur.

Outre la relation avec Boadicea, Kieran avait développé une affection particulière pour elle, tout comme pour Brawen. Il trouvait amusant de constater que chaque bête avait un caractère unique, souvent similaire à celui de son maître. Cette observation le faisait doucement rire, lui rappelant les liens étroits qui pouvaient se tisser entre un cavalier et sa monture, même en dépit des difficultés et des différences de tempérament.

Parmi les derniers chariots à prendre la route, celui de Duffy était chargé du matériel indispensable pour les soins des chevaux et leur ravitaillement. Cependant, alors que le convoi avançait, leur chariot s'arrêta brusquement en pleine nature.

Interpellé par des bruits de tirs, Duffy détourna le regard vers l'origine du bruit et aperçut ce qui avait stoppé ses camarades : un échange de tirs intense entre un homme recherché, galopant à vive allure, et un chasseur de primes.

"Éloignez-vous ! Dégagez, c'est un dangereux criminel !" hurla le chasseur de primes en passant.

Dans leur précipitation, ils manquèrent de percuter de plein fouet le chariot, renversant tous les coffres entreposés et attachés sur le côté du véhicule.

"Hey ! Faites attention !" s'écria Karen depuis les rênes du chariot, agrémentant son cri de mots peu amènes.

Kieran descendit rapidement de sa monture pour apaiser les chevaux paniqués et ramasser les affaires dispersées au sol.

"Quelle bande de couilles molles." Continua Karen en descendant à son tour pour aider l'écuyer.

La terre rougeâtre commençait déjà à souiller les bottes abîmées de Duffy et le bas de robe de Karen. Une fois le tout de nouveau a bord du chariot Duffy interpella de nouveau la femme.

"On a un problème à l'arrière Miss. "

La femme fit demi-tour et se rendit compte, tout comme Kieran, que trois rayons de la roue arrière gauche avaient été endommagés, empêchant ainsi le véhicule d'avancer sans risquer de s'effondrer.

Karen soupira. "Génial, il ne manquait plus que ça."

L'écuyer fouilla dans le wagon, mais ses efforts furent vains.

"Monsieur Escuella est parti avec le restant des rayons de secours. Nous sommes à proximité, je peux partir les chercher rapidement si nécessaire ?"

La blonde leva ses yeux azur vers son compagnon de voyage et laissa échapper un soupir de résignation.

"Je n'aime pas cette idée", lui avoua-t-elle. "Tu es le seul à être armé et donc le seul à pouvoir assurer un minimum de protection."

Elle remonta ses jupons jusqu'à ses genoux, ce geste faisant rapidement détourner le regard de Duffy. Il était bien conscient de son caractère tranchant et de son obstination, mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle aille jusqu'à lui montrer ses genoux..

"Oh, allez, ne sois pas gêné, passe-moi ton cheval et l'un de tes revolvers. Je vais chercher quelqu'un pour nous aider à soulever la roue et trouver de quoi remplacer les rayons endommagés."

Duffy retira l'arme souhaitée de son ceinturon et la lui tendit. Elle le remercia d'un signe de tête et enfourcha le cheval. Alors qu'elle s'éloignait, Kieran monta sur le chariot, essayant de surveiller attentivement les alentours.

Il s'alluma une clope et s'installa paresseusement sur une botte de foin, laissant échapper une volute de fumée dans l'air. Un soupçon de désillusion assombrit son regard à mesure qu'il se rendait compte une fois de plus qu'on ne lui confiait que des corvées insignifiantes, comme surveiller les bottes de foin et les bidons vides. L'idée même qu'on puisse lui faire confiance pour une tâche plus importante, comme chercher de l'aide, semblait totalement irréaliste.

Peu de temps après, il distingua nettement le fracas des sabots de deux chevaux lancés à pleine vitesse dans sa direction. Alerté, il dégaina son arme, prêt à tirer sur les intrus qui approchaient à toute allure.

"Doucement, O'Driscoll boy ! C'est nous", fit la voix inimitable d'Arthur.

Il abaissa son arme, descendit de la cargaison et se dirigea vers les arrivants.

"J'ai cru qu'on était attaqués", répondit-il, visiblement soulagé.

Arthur esquissa un sourire amusé. "Je sais, je sais. Allez, aide-moi. Je porte, et toi, tu répareras, d'accord?"

D'un signe de tête, Kieran prit les rayons que lui tendait Arthur.

"C'est à toi de jouer, mon beau", plaisanta Karen.

Il sourit timidement et se positionna devant Arthur, prêt à remettre en place les rayons et la roue. Le cow-boy lutta pour soulever le chariot, laissant à Kieran l'opportunité de travailler. Ce dernier se hâta de replacer la roue et de serrer les rayons.

"Allez, dépêche-toi !" ordonna Arthur, peinant face à l'effort fourni.

Une fois le travail terminé, l'homme relâcha le chariot et inspira profondément.

"C'est bon. Ces vieux attelages sont sur le point de lâcher de partout. On devra les consolider une fois qu'on sera de retour au camp", déclara Arthur.

Il s'installa sur le rebord du chariot, laissant ses pieds pendre dans le vide, et fit signe à Duffy de le rejoindre.

"En selle, Karen!" ordonna-t-il à la femme déjà prête à prendre les rênes.

"A vos ordres, Mister Morgan," répondit-elle avec enthousiasme.

Le chariot repartit, les chevaux suivant de près.

"Tu nous aurais vraiment troué le crâne O'driscoll ? lui demanda Arthur dans un rire moqueur."

Kieran apprécia la plaisanterie moqueuse d'Arthur, exprimée sur un ton léger. Contrairement aux autres membres du camp qui gardaient leurs distances, Arthur était l'un des rares à se montrer plus proche. Peut-être était-ce dû au sentiment de gratitude envers celui qui lui avait sauvé la vie. Ou peut-être simplement parce qu'il passait peu de temps au camp et n'était pas au courant de tout ce qui s'y déroulait.

Malgré tout, le cow-boy était le plus accueillant, le traitant plus comme un membre de sa famille qu'un étranger. Ce sentiment rassurait Duffy, tout comme Mary Beth et Karen. Pour le moment, sa décision de rester parmi eux était simplement motivée par leur présence.

"J'ai bien crû qu'il s'agissait du bandit croisé un peu plus tôt. J'ai voulu protéger le chariot. Admit Kieran.

"Je me doutais bien, vu ta tête lorsque tu nous as aperçus. Tu ne t'attendais pas du tout à ce que nous arrivions si rapidement, n'est-ce pas ?" plaisanta Arthur.

Kieran éclata d'un rire franc aux côtés d'Arthur.

"Tu es quelqu'un de bien, O'Driscoll," lui dit finalement Arthur en lui tapant amicalement sur l'épaule.

Le chariot prit la direction du camp.

"Merci, Monsieur Morgan."

Arthur ôta son chapeau, le plaça sur le rebord du chariot et s'éventa avec sa main pour ressentir un peu de fraîcheur. Le cow-boy observa son compagnon pendant un instant, ses yeux bleus semblant brûler d'une détermination intense, mais assombris par de larges cernes.

Kieran observa que la nuque d'Arthur était perlée de sueur et que sa chemise rouge vif, dissimulée sous son gilet noir usé, portait des stigmates d'activité physique. Convaincu que l'homme devait être exténué, il lui tendit sa gourde.

"Besoin d'un peu d'eau, Monsieur Morgan?" lui demanda Kieran.

L'homme acquiesça, prit la gourde, en bu une gorgée et la lui rendit, leurs doigts se frôlant légèrement, rugueux et marqués par le travail.

"Va te reposer, tu l'as bien mérité aussi, et appelle-moi Arthur," dit-il en descendant du chariot avec un long soupir.

Arthur hocha la tête avant de s'éloigner. L'écuyer se rendit compte trop tard qu'il avait laissé son chapeau derrière lui.

"Il me semble que vous avez oublié votre chapeau..." tenta de dire le brun, mais Arthur était déjà pris à parti par un autre membre du gang.

"Hey, arrête de rêvasser, mon pote!" le réprimanda Karen. "On a du travail, le chariot ne va pas se décharger tout seul."

Kieran se tourna vers la blonde aux formes généreuses, lui offrit son plus beau sourire et commença à décharger le chariot.

"Oublie ce genre de mec. Il est complètement fasciné par la forêt interdite et inaccessible, tu saisis le concept." lança-t-elle d'un ton taquin.

"Je n'avais rien en tête, il avait simplement oublié son chapeau," se défendit prudemment Kieran.

"Oh, bien sûr, Mister Duffy," répliqua-t-elle avec un sourire espiègle.

La femme lui colla dans les bras une grosse botte de foin, qu'il s'empressa d'aller disperser auprès des chevaux.

Après avoir vidé le chariot, Duffy prit une pause, mais une sensation de mise à l'écart s'empara de lui. Quand il réalisa avec amertume que personne n'avait pensé à lui réserver un endroit pour se reposer. Farfouillant les chariots, Il trouva néanmoins une couverture roulée en boule dans l'un des chariots et la saisit.

Se frayant un chemin parmi les membres du gang installés autour du feu de camp, il remarqua que chaque recoin était occupé. Les rires et les discussions animées semblaient l'exclure de ce moment de convivialité. Son regard triste balaya le campement, mais aucune place ne lui offrait l'opportunité de s'installer confortablement. Cette sensation d'isolement et de solitude se renforça encore une fois.

"Tu peux t'installer vers moi en attendant. Lui fit la voix douce Mary Beth à côté de lui."

Se tournant vers la jeune femme, il bégaya un instant. Elle était si aimable, si séduisante, toujours bienveillante et la seule à lui offrir des sourires aussi authentiques. Elle était attentive à lui, écoutait ses paroles avec une sincérité touchante.

Kieran devait bien admettre que cette femme avait une importance particulière pour lui, et parfois il avait laissé échapper des mots qui dépassaient sa pensée.

"Si... si Miss Grimshaw me voit m'asseoir avec toi... je vais passer un sale quart d'heure," répondit-il nerveusement.

Elle laissa échapper un petit rire en entendant la réaction du jeune homme, puis jeta un regard circulaire autour d'eux.

"Tu as raison. Sinon, tu pourrais t'installer à côté de Bill et Hosea. Il semble qu'il y ait de la place."

Face à Bill et aux nombreux problèmes qu'ils avaient rencontrés, Kieran devint livide.

"Je vais me coucher près du feu de camp des sentinelles," déclara-t-il finalement, se résignant à cette décision et se dirigeant vers l'endroit désigné.

Attristée de le voir s'éloigner ainsi, Mary Beth le rattrapa discrètement pour lui glisser quelques mots à voix basse.

"Je serai là si tu as besoin de moi, n'hésite pas à faire appel à moi," chuchota-t-elle avant de déposer un baiser sur sa joue et de rejoindre son propre couchage.

Ce soir-là, Kieran prit place près du feu de camp des sentinelles. Au milieu des flammes dansantes, ses pensées tournoyaient dans tous les sens, remettant en cause sa décision de demeurer parmi eux. La vie en communauté se révélait être un défi complexe, loin de l'image d'une existence tranquille qu'il s'était imaginée.

Cependant, à cet instant, Kieran reconnaissait qu'il avait besoin d'eux pour sa survie. Une part de lui, l'enfant craintif qu'il était au fond, redoutait de s'aventurer seul, se jugeant inexpérimenté et impuissant face au monde. La pensée de l'indépendance lui faisait peur. Pour lui, demain représentait une nouvelle page, une opportunité d'apprentissage et d'évolution.

Au cours de la nuit, Kieran fut tiré de son sommeil par des bruits de pas furtifs tout autour de lui. Il rouvrit les yeux pour constater que le feu à ses côtés s'atténuait progressivement. À ses côtés, une paire d'éperons scintillait faiblement dans l'obscurité. Étonné, car l'aube n'avait pas encore pointé le bout de son nez, il était inhabituel de voir quelqu'un d'autre éveillé avant lui.

Il leva les yeux longeant la silhouette assombrie par la pénombre de ses émeraudes. Il tomba droit sur deux perles bleues.

" Monsieur Morgan ? Articula le plus jeune se mettant assis."

Une main chaleureuse et amicale se glissa dans ses cheveux avec délicatesse, comme pour apaiser un enfant. Effleurant doucement ses mèches, Arthur s'installa sur un morceau de tronc à ses côtés. D'un geste tendre, il l'invita silencieusement à se recoucher, termina par retirer sa main de ses cheveux.

"Repose toi petit, fais pas attention à moi ,je pars."

"Vous avez besoin de moi ? Lui demanda le plus jeune dans une voix proche de la somnolence."

Une légère odeur de cigarette chatouilla son visage, signe que l'homme s'était retourné vers lui. Malgré cela, le cow-boy restait indécis quant à sa réponse.

"Ne sois pas stupide, bien sûr que j'ai besoin de toi. Mais en pleine forme. Allez, retourne te coucher O'driscoll." plaisanta Arthur en ricanant discrètement.

Après avoir pris une seconde bouffée de nicotine, l'homme se leva et écrasa le reste de sa cigarette avant de se diriger vers les chevaux.

"Oh, au fait, tu as vu où j'ai posé mon chapeau ?"

Kieran, déconcerté par ces mots réconfortants qui semblaient irréels, se surprenait à croire qu'il était plongé dans un rêve. Tâtonnant dans l'obscurité à la recherche de son chapeau, qu'il avait déposé à ses côtés, il ne parvint pas à le trouver. Arthur, amusé par son état de somnolence et sa recherche infructueuse, l'observa avec un sourire en coin.

"Laisse tomber, tu me le rendra la prochaine fois qu'on se croisera."

"Vous partez longtemps ? Se réveilla soudainement Kieran dans un sursaut."

L'écuyer sentit la panique l'envahir, comme si le maigre instant de reconnaissance offert par le cow-boy allait s'évaporer soudainement. Comme si cette petite brèche d'appréciation allait se refermer aussi rapidement qu'il avait pu en profiter.

"Peut-être, je ne sais jamais pour combien de temps. Mais je reviendrai, que ce soit mort ou vif."

Kieran se leva, courant pieds nus dans la boue jusqu'à Arthur déjà en selle. Il plaça ses mains de chaque côté de la jambe d'Arthur, l'arrêtant dans son élan. Surpris, le cow-boy, habituellement habile pour lancer des insultes à ceux qui osaient se mettre sur son chemin, s'immobilisa subitement

.

"Monsieur Morgan, enfin, Arthur, serais-je autorisé à vous accompagner ?" demanda Kieran avec empressement.

Les perles bleues scrutèrent avec anxiété les yeux bruns.

"Tu ne veux ni voir ni accomplir ce que j'ai à faire. Alors je crains que ce ne soit impossible."

"Je le veux vraiment !" s'exclama presque Kieran, sans se soucier de déranger le camp.

"Alors que nous étions à Colter et que je te pourchassais, tu n'as pas ouvert le feu sur moi. Et chez les O'Driscolls, tu étais visiblement terrifié à l'idée d'avoir ôté une vie. Pour ces raisons, je regrette, mais je préfère te préserver de la brutalité des actes que je vais devoir commettre dans les jours à venir."

"Je ne suis pas un enfant et j'ai déjà été confronté à la mort !" protesta Kieran, mais il fut rapidement interrompu par une main chaude qui l'écarta du cheval.

"Il n'y a pas de 'Mais'." Trancha Arthur sans possibilité de poursuite de la discussion.

Kieran baissa les yeux sur ses pieds, se sentant une fois de plus inutile.

"Prends soin de Mary Beth, Karen et Tilly pour moi," murmura Arthur en caressant de nouveau ses cheveux.

Arthur quitta le campement, laissant une nouvelle fois Kieran abattu par son sentiment d'inutilité.