"Arthur, il y a une chose dont je suis certain en restant avec vous," commença Kieran.
Leur périple se poursuivait, il faisait nuit et ils trottaient à travers les bois. Ils sillonnaient entre les ombres des arbres, baignés par la lumière de la lune qui les éclairait par intermittence. Depuis qu'ils avaient quittés le camp, laissant derrière eux plusieurs dizaines de cadavres, Kieran ne pouvait se défaire d'une pensée égoïste.
"En restant parmi vous, je sais que je pourrai prolonger mon temps sur cette terre. Mais je ne me fais pas d'illusions. Je sais que la mort m'attend au moindre faux pas, et quand elle viendra, elle sera sauvage et douloureuse."
Arthur qui l'écoutait parler, acquiesça silencieusement.
" Où veux-tu en venir ? "
" Que ce soit vous, ou les O'driscolls. Je suppose qu'un jour on me poignardera. Je sais que tôt ou tard, mes choix passés me rattraperont. Mais au moins j'aurais révisé mon jugement et aurait tenté d'avoir un semblant de calme. C'est effrayant de se dire que quelque soit le choix il conclura à la même chose."
Arthur sentit une quinte de toux lui secouer les poumons.
"Je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu entends par 'limité'. Cependant, je pense que tu ne devrais pas voir les choses de cette manière. Si tu parles de la mort, elle n'est pas un fin définitive. Elle est effrayante, certes, mais si tu restes obsédé par l'idée qu'elle te guette à chaque faux pas, alors je suppose qu'elle t'attend avec impatience au bout de n'importe quel chemin que tu prendras. Après tout, nous sommes tous destinés à la rencontrer un jour."
"Je suppose que tu as raison," admit Kieran.
Leur chemin croisa celui d'un cerf et d'une antilope qui se faufilèrent devant eux avant de disparaître dans les sous-bois. Arthur avait raison : fuir ne changerait rien et n'apporterait aucune solution. Kieran commençait à comprendre pourquoi Arthur était cet arbre solide au milieu de la forêt, sur lequel tout le monde comptait pour se relever.
Ils quittèrent le sentier boisé pour se diriger vers la vaste plaine au nord. Kieran s'émerveilla de la diversité qui se révélait progressivement à ses yeux. Lui qui avait perdu le goût d'admirer son environnement, tout semblait maintenant revêtir de nouvelles couleurs et de nouvelles textures. Chaque détail, chaque nuance prenait une signification renouvelée, comme s'il redécouvrait le monde avec une perspective rafraîchie et vivifiante.
Arthur observa avec amusement l'enthousiasme grandissant de son compagnon de voyage. Malgré une journée de marche déjà bien avancée et plusieurs heures encore avant d'atteindre leur prochaine destination, il opta pour une pause. C'était une démarche inhabituelle pour lui, mais il ressentait le besoin de savourer l'instant présent.
"Si tu le désires, on peut faire une halte. Ça fait un moment qu'on trotte," proposa Arthur.
"Tu veux qu'on s'arrête où ?" répondit Kieran, manifestant une impatience à peine dissimulée.
"N'importe où, je vois un coin tranquille en haut de cette colline," dit-il en désignant l'endroit du doigt. "Ou bien en bordure de la rivière, sous le gros rocher là," continua-t-il en montrant l'autre lieu. "C'est toi qui choisis," ajouta-t-il, laissant à Kieran le soin de décider.
Kieran se redressa sur ses étriers, observant attentivement les alentours pour déterminer le meilleur endroit où faire halte.
"Sur la colline, nous aurons une vue magnifique," suggéra-t-il.
D'un même mouvement, les deux hommes se dirigèrent vers la colline.
"En fait, on se rend où exactement ?" demanda Kieran, réalisant soudain qu'il n'avait pas pensé à la destination, mais plutôt à l'aspect pittoresque du paysage et à la fatigue qui commençait à se faire sentir.
"J'ai une affaire à régler pas très loin. Quelqu'un que je connais a visité." répondit Arthur.
Anticipant le motif de leur déplacement, Kieran se tut. Les actions du gang étaient souvent marquées par la violence et parfois l'injustice. Bien qu'il désapprouve cette conduite, il savait que cela ne le concernait pas directement et était résolu à rester en marge de ces affaires.
Après avoir atteint le sommet de la colline, ils entreprirent d'installer leur campement provisoire. Kieran se révéla particulièrement doué pour cette tâche et s'y attela avec un enthousiasme contagieux. Tandis qu'il dressait la tente, Arthur partit à la chasse pour trouver un gibier à plumes pour leur repas.
Une fois la tente montée, avec deux futons disposés à l'intérieur et le feu de camp allumé, Kieran se félicita de leur efficacité. Tout était désormais prêt pour passer une nuit confortable. Du haut de sa position sur la colline, il aperçut Arthur en contrebas, revenant avec une dinde sauvage fraîchement chassée sur son épaule.
En repensant à tout ce qui s'était déroulé jusqu'à présent, Kieran sentit ses joues s'empourprer. Il ne pouvait plus se voiler la face : Arthur était quelqu'un de véritablement bien, peut-être même trop bien pour lui, pour être tout à fait honnête. Se sentir attiré par lui, aussi naturel que cela puisse paraître, lui semblait désormais troublant. Il avait cette sensation désagréable de ne pas mériter d'être celui qui gravitait autour d'Arthur, comme s'il n'était pas à la hauteur de cette place.
Sans aucun charme apparent, Kieran se percevait comme dépourvu de beauté, d'intérêt, voire même d'intelligence, de stratégie ou de combativité. Il n'avait rien de remarquable, à part sa passion pour les chevaux. Rien ne le rendait égal à Arthur. Ce dernier semblait représenter la sagesse, l'assurance et la fiabilité, en plus d'être physiquement attrayant. Il incarnait tout ce à quoi Kieran aspirait, lui qui se sentait radicalement différent, presque opposé à lui.
Ses mains se mirent en quête du bijou offert par Mary-Beth. Même s'il ne le comprenait pas totalement, il se sentait réconforté en le portant.
"Hé ! Tu fous quoi ? Ça fait trois fois que je t'appelle," interrompit Arthur, le tirant de ses pensées.
Kieran se tourna vers lui. À la vue de son visage détendu et du léger sourire sur ses lèvres, il oublia ce qu'il avait pensé quelques instants plus tôt.
"Je peux m'occuper de la viande si tu veux," proposa-t-il.
Arthur acquiesça silencieusement, puis s'installa devant le feu. Observant Kieran s'occuper du gibier qu'il avait chassé, il entreprit de le déplumer, veillant à préserver toutes les plumes intactes pour les réutiliser dans la fabrication de flèches. Ensuite, il découpa, vida et assaisonna la viande, la tournant doucement sur la broche, bricolée pour l'occasion.
Tout se déroula dans un silence réconfortant, et l'instant d'après, le repas était prêt. Kieran se leva pour s'occuper des chevaux et leur offrir leur nourriture.
"Nous ne sommes pas les seuls à avoir besoin d'un bon repas," plaisanta-t-il.
Arthur sortit deux bouteilles de whisky de l'une de ses sacoches.
"Ça ne nous fera pas de mal," admit-il avec amusement.
Les deux hommes mangèrent et burent, si bien que l'alcool eut rapidement raison d'eux. Kieran ne pouvait plus s'arrêter de rire ; ils chantaient, jouaient, plaisantaient et surtout, ils buvaient.
"Il tape bien, ton whisky !" s'étonna Kieran en finissant le fond de sa bouteille.
"Ouais, je ne sais pas pourquoi, d'habitude je ne bois jamais quand je suis en mission," répondit Arthur, penchant légèrement sur sa droite dans un rire.
Kieran essaya de se lever pour attraper une autre bouteille, tendant la main comme s'il pensait qu'elle allait se matérialiser devant lui. Se rapprochant presque en rampant, puis se redressant, il trébucha sur Arthur. Ce dernier toussa, et ils se mirent à rire à nouveau de bon cœur.
"Karen et Bill seraient là, on aurait déjà épuisé toutes les réserves," plaisanta Kieran en essayant de se relever. Il manqua d'équilibre et termina sa course sur les genoux d'Arthur. Essayant de se dégager encore, il cogna son visage contre le sien et se retrouva face contre son torse un rire communicatif aux lèvres.
Arthur ne bougea pas, chose qui interpella Kieran malgré son cas avancer d'ébriété. L'homme le fixait, son chapeau à moitié de travers.
" Ça va ? Je t'ai fait mal ?" s'inquiéta Kieran en essayant de se redresser, s'appuyant comme il le pu sur lui pour se dégager de son assise inconfortable.
Arthur agrippa l'un de ses bras le forçant à s'asseoir à califourchon sur lui.
" Tu sais quoi, je vais t'avouer un petit truc juste comme ça." Commença Arthur avec une voix ferme et déterminée, il n'était visiblement plus lui-même. Il approcha de son oreille pour lui murmurer son aveux le fouettant d'un frisson. " J'ai pris une décision, j'ai pas l'intention de te laisser fuir O'driscoll boy. " Dit-il dans un rire avant de passer sa mains derrière sa nuque et achemina ses lèvres contre les siennes, lui volant un baiser, puis nonchalamment il s'étala sur le sol les bras en étoile.
Kieran se retrouva pris au dépourvu, sa voix hésitante et ses joues rouges trahissant son embarras.
"Quoi... Comment... ?" murmura-t-il, ses mots semblant se perdre dans sa confusion.
Le regard d'Arthur était scrutateur, la lueur dans ses yeux semblant refléter une nouvelle intensité.
"Tu as bien compris," répondit Arthur d'une voix calme. Puis, un bâillement s'échappa de ses lèvres. "Ce n'est pas que je m'ennuie, mais je suis fatigué," ajouta-t-il avec une pointe de taquinerie. "Il est temps de prendre un peu de repos, princesse." Son ton léger et taquin servait à dissiper quelque peu la tension.
Après ces mots, Kieran secoua la tête, se levant précipitamment et laissant Arthur prendre place dans la tente. Son esprit était embrouillé par l'alcool et les événements récents. Les souvenirs des bras d'Arthur l'enlaçant, de sa main caressant ses cheveux, de ses yeux bleus capturant les siens et de ses lèvres sur les siennes résonnaient encore dans son esprit, comme des échos persistants. Cependant, en même temps, il ne pouvait ignorer le souvenir de sa capture, les absences d'Arthur, sa propre vulnérabilité face aux autres membres du camp, et le sentiment lancinant de ne pas trouver sa place parmi eux.
Il observa l'ouverture de la tente un instant, puis décida de mettre de côté toutes ces pensées. À son tour, il pénétra dans la tente et s'installa dans son sac de couchage. Il jeta un regard à Arthur, qui était déjà installé, comme à son habitude, avec son chapeau abaissé et les bras croisés derrière la tête.
Il se retourna, essayant de chasser ces pensées de son esprit. Cependant, plus il tentait d'oublier, plus il se trouvait prisonnier des souvenirs de son récent excès de confiance. Il fit encore quelques mouvements dans son sac de couchage, laissant échapper un soupir de frustration.
"Arrête de bouger," grogna Arthur d'une voix douce mais ferme.
"Ou.. oui," répondit-il nerveusement, sentant son cœur s'emballer alors qu'Arthur le tirait plus près de lui.
Kieran se retrouva blotti contre le torse chaud d'Arthur, sa main caressant doucement ses cheveux. Dans cet étreinte, il trouva un sentiment de sécurité et d'affection, apaisant son agitation.
"Dors," murmura Arthur, avant que son souffle ne se fasse plus régulier.
Reconnaissant pour cet instant de confort, Kieran ferma les yeux et se laissa emporter par le sommeil à son tour.
Il fut réveillé au matin par un souffle sur son visage. Bien emmitouflé, il ne voulait pas ouvrir les yeux. Ce n'est qu'en se remémorant la soirée bien arrosée de la veille qu'il prit conscience de la présence à ses côtés. Il ouvrit un œil, espérant qu'Arthur dormait encore, pour pouvoir se retirer discrètement.
Malheureusement pour lui, deux yeux bleus l'observaient déjà. Il esquissa un sourire nerveux, espérant que les événements de la veille n'étaient qu'un rêve.
« Bonjour ? » murmura Kieran en essayant de se lever.
Un sourire moqueur apparut sur les lèvres d'Arthur à l'écoute de sa voix. Voyant le malaise de Kieran, il se mit à ricaner.
« Tu as peur de moi ? » demanda le cow-boy.
Incapable de parler, sa voix nouée dans sa gorge, il secoua la tête pour dire non, tandis que ses joues commençaient à rougir.
Arthur glissa silencieusement une main sur sa joue, effleurant doucement ses cernes de son pouce. Il fit remonter sa main le long de son oreille, jusqu'à la nuque. Puis, avec une infinie douceur, il s'approcha et cueillit ses lèvres dans un baiser tendre.
Kieran se sentant nerveux à mesure qu'Arthur se rapprochait, ferma les yeux. La douce sensation de leurs lèvres en rendez-vous apaisa Kieran, il se laissa aller à profiter de cette douce proximité. Arthur ne forçait pas les choses, bien au contraire il attendait que Kieran se détende. Le brun se laissa doucement aller,laissant glisser au fur et à mesure ses bras dans le dos d'Arthur. Le sentant se relâcher, Arthur les fit tous les deux basculer dans une position plus confortable.
Leur échange prit une tournure passionnée, cousue d'une intensité nouvelle pour Kieran qui n'avait encore jamais sentie son cœur s'affoler autant. Il se sentait brûlant parcourus d'un désir qu'il avait du mal à réfréner à mesure que leur lèvres s'entrelacaient avec vigueur et besoin.
Sentant son partenaire glisser ses mains dans son dos, s'y agrippant avec plus d'envie, Arthur s'éloigna pour l'observer. Il fut captivité par l'homme allongé sous lui, s'enivrant de l'aura de désir dans son regard et des ses mains essayant de la rattraper à mesure qu'il s'éloignait. Il aima avoir le dessus, voir que l'autre n'attendait que lui pour diriger leur étreinte.
Kieran se sentit envahir par un mélange de désir et la honte de réagir ainsi avec autant d'urgence. Le simple contact de la main d'Arthur glissant doucement sur son flanc, remontant dans son sillon sa chemise déclencha un soupir de frustration. Ses yeux mis-clos posés sur l'homme au-dessus de lui l'implorant de ne pas aller plus loin, par peur de perdre définitivement le contrôle.
Les pupilles azurs gardaient précautionneusement leurs distances. Observant avec attention chaque détail, chaque réactions de son partenaire. Gravant dans sa mémoire chaque geste involontaire, les multiples nuances de son désir et le scintillement de ses pupilles caramels posées sur lui. Arthur le trouva magnifique, désirable, sa tête était légèrement penchée sur le côté, ses dents serrées essayaient de retenir ses dernières limites contrastant avec sa chemise débraillée remonter par ses caresses jusqu'à son nombril, témoignage de son laisser aller.
Arthur grogna et jura entre ses dents alors qu'il se penchait à nouveau sur Kieran. Il évita soigneusement ses lèvres qu'il jugeaient trop dangereuses et tentantes, préférant goûter son cou. Savourant le sel de sa peau sur ses lèvres et ses papilles, puis glissa sur sa mâchoire. Kieran, sous lui, se débattit, luttant en vain pour réprimer des gémissements qui menaçaient de lui échapper.
Surpris et effrayé par sa le son de sa propre voix au moment où le plaisir le frappa brutalement alors qu'Arthur entamait la découverte de son torse et de son ventre. Kieran se sentit soudainement envahi par des sanglots.
" Arthur… s'il-te-plaît, arrêtons." Supplia -t-il des larmes commençant à mouiller ses joues.
L'homme en question se redressa, réagissant instantanément au changement d'humeur de son compagnon venant le prendre dans ses bras pour le consoler. Le rassurant sans rien demander, pensant qu'il avait lui-même fauté et qu'il était allé trop loin.
" Pardon je suis aller trop loin.." admit Arthur l'aidant à se ressaisir.
" Non… j'ai eu peur de moi-même." Murmura Kieran la tête blottit dans le cou d'Arthur. " J'ai eu peur de moi et peur de ce qui se passera pour nous si tout ça ne s'arrête pas maintenant."
"J'ai pas l'intention de te laisser tomber ni face à toi, ni face aux autres. Je te l'ai dit hier soir." Lui rappela Arthur.
Arthur attendit que Kieran reprenne son calme avant de prendre un peu de distance.
" Si tu es d'accord, prenons le temps qu'il faudra, mais ne nous arrêtons pas ici." Proposa le cow-boy avec espoir.
Remplaçant soigneusement ses vêtements en ordre, Kieran hocha silencieusement la tête tout en offrant à son partenaire un léger sourire.
" Il est peut-être temps de reprendre la route…je suppose que nous avons un peu trop tarder." changea-t-il de sujet.
