UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Vinzenz Ansgar, recrue du bataillon

La poisse ! Nous voilà pris en chasse ! Ces putains de monstres nous collent au train et veulent pas lâcher ! Ils nous poursuivent depuis plusieurs minutes ! Les chevaux sont résistants mais ils vont pas tenir longtemps...

Y a plus que Franziska avec moi, tout le reste de l'escorte s'est dispersée... ou s'est fait massacrer ! Elle galope à côté de moi vaillamment tandis que je pousse l'attelage à donner son maximum. J'entends le chargement brinquebaler à l'arrière : heureusement que tout est bâché et arrimé sinon ça aurait déjà dégagé...

Bordel, il faut trouver une solution ! Je me retourne et regarde au-dessus de mon épaule. Deux titans nous poursuivent, et ils m'ont tout l'air d'être des déviants ! Rien ne les fera changer de route ! Les savoir dans mon dos, leurs horribles bouches ouvertes sur leurs dents géantes, je me sens déjà mourir ! Merde, j'ai pas signé pour ça ! Ca avait l'air si bien sur le papier... avec Livaï le tueur de titans dans l'équation ! Mais il est où, il attend quoi pour nous sauver, ce prodige ?! Je le vois pas, moi ! On est seuls et on va se faire bouffer !

On peut pas s'arrêter, ce serait notre mort... et le chariot serait détruit, ce qui condamnera tout le monde ! Bon sang, comme j'aimerais m'enfuir et le laisser là ! Mais non, c'est pas possible ça, je suis pas un traître ni un lâche ! Franz ! Il faut que t'y ailles !

Je lui crie d'essayer d'attaquer ces deux-là, de les ralentir au moins, qu'on puisse prendre de l'avance. Où sont les autres ? Nous nous trouvons en lisière de la forêt et je vois plus personne... Sont-ils tous partis ? A l'abri, quelque part ? Ils nous ont abandonnés !

La terreur se lit sur le visage de Franziska ; et une certaine résignation. Elle sait qu'elle va devoir se sacrifier. C'est toujours ce visage-là qu'on a quand on le réalise, je crois... Franz, quoi que tu décides de faire, fais-le vite, sinon on meurt tous les deux, et on emportera la réappro avec nous !

Elle hoche la tête vers moi et me salue. Sa monture ralentit et disparaît de ma vue. Même si je suis concentré sur la route en essayant d'éviter le plus d'ornières possible, je peux pas m'empêcher de penser à elle. On se connaissait à peine... mais elle est bien plus brave que moi. Et quand j'entends ses cris de douleur me parvenir de derrière - même le son de sa chair qui se déchire est décelable -, je ferme les yeux sur mes larmes et pousse les chevaux encore plus vite. Elle les a peut-être ralentis... Je dois trouver un moyen de me sortir de là ! Franz... je voudrais être aussi brave que toi un jour... Mais pas maintenant ! Je dois ramener ce chariot coûte que coûte !

Je me retourne encore une fois. Putain, les revoilà, ils ont pas abandonné ! Faut dire que je suis très visible dans cette plaine avec mon chargement ! Ils veulent s'amuser ou quoi ?! Dégagez, saloperies de l'enfer ! Foutez-moi la paix ! J'ai rien pour vous ! Je suis même pas comestible, je suis sûr !

Il me reste une option, car il y a des titans tout autour de moi. Je dois aller dans la forêt. Les autres ne me verront peut-être pas, et ces déviants auront sans doute des difficultés à me suivre. Le soleil a encore baissé mais pas assez pour les stopper ! Je dois gagner du temps ! Je tire sur les rênes et mène les chevaux à l'ombre des arbres. L'obscurité me cerne presque immédiatement, j'y vois plus grand chose... Si ces connards pouvaient croire qu'il fait nuit, ça m'arrangerai bien ! Il y a une route qui traverse cette forêt. C'est mieux que rien mais du coup, le chemin est aussi assez dégagé pour leur permettre de me suivre sans trop de problème. C'est bien ma veine ! J'en suis réduit à galoper encore, en espérant que mes chevaux ne meurent pas sous l'effort ! Le bataillon attend peut-être de l'autre côté !

Je sens leurs gigantesques pieds se rapprocher de plus en plus... Je veux me tirer d'ici, je veux pas crever loin de chez moi ! Mais je peux pas abandonner le chariot, je peux pas ! Je pourrais plus me regarder en face si je survis après avoir fait ça ! Je suis pas très croyant, mais là, maintenant, tout de suite, je me sens obligé de prier. Une sainte, n'importe laquelle... Maria, la protectrice du bataillon... Sainte Maria, fais qu'on vienne me sauver ! Que quelqu'un vienne abattre ces monstres !... Les larmes brouillent ma vue et je ne peux que mener les chevaux vers l'avant, encore et toujours, dans le noir...

Pitié ! au secours, que quelqu'un m'entende !