INSPECTION DES CADETS
(février 845)
Erwin Smith

Je coiffe mes cheveux en arrière jusqu'à ce que l'image que me renvoie le miroir me semble acceptable. J'ai dû les couper hier car ils avaient bien poussé. Je connais d'autres explorateurs qui devraient en faire autant...

La matinée est déjà bien avancée. Il faut croire que j'ai dormi plus que de raison. J'ajuste le col de ma chemise, puis attrape mon manteau fourré avant de le passer en vitesse. Ma journée va être chargée, je ne dois plus tarder. J'ai rendez-vous avec Nile à Stohess, officiellement pour un simple repas. Mary sera présente, paraît-il... Mais je compte bien orienter la conversation sur le culte du Mur. Si Nile sait quelque chose, il me le dira sûrement.

J'ouvre le tiroir d'une commode. Dedans, posé sur une pile de linges, se trouve le petit pistolet que Nile m'a offert il y a quelques années pour un anniversaire, je ne sais plus lequel ; soit disant parce que je prends toujours trop de risques et qu'il pourrait m'être utile. Ha ha. Il n'avait pas tort après tout. Je le saisis, vérifie s'il est chargé - il ne l'est pas - et déniche la boîte de munitions dans un autre tiroir. Cet exemplaire est réellement magnifique, garni de gravures sur la poignée et parfaitement adapté à ma main. Nile l'avait fait faire sur mesures malgré sa taille. Aujourd'hui, il pourrait me servir. J'ai le mauvais souvenir des brigands croisés la dernière fois sur la route de Shiganshina ; sans compter que d'autres ennemis peuvent en avoir après moi...

Je ne devrais pas me montrer aussi suspicieux que Mike et Livaï. Après tout, je ne suis qu'un simple soldat. Ils passent leur temps à me suivre où que j'aille, mais cette fois, je compte bien me passer de leur compagnie. Ceci assurera ma sécurité, et leur donnera confiance. Je l'enclenche, le met sur le cran de sureté, et le cache dans ma poche intérieure. Ainsi équipé, je tourne la poignée de ma porte et jette un oeil dans le couloir.

Personne. Ni Mike, ni Livaï. Ce dernier m'attend très souvent, adossé sur le mur en face, quand il sait que je traîne au lit. C'est une habitude qu'il a prise et que je n'ai pas essayé d'empêcher... J'aurai peut-être dû car maintenant Mike a tendance à le copier... Il est vrai que les menaces de ce Révérend étaient inquiétantes, mais surtout pour le bataillon ; pourquoi s'en prendrait-on à moi personnellement ? Je me sens en sécurité ici. Quand le bataillon reprendra du service, il sera toujours temps de m'en inquiéter.

C'est aussi pour cela que je vais voir Nile. J'espère le convaincre de me remettre les dossiers concernant les cadets de la cession d'entraînement qui vient de se terminer afin de m'assurer qu'aucun profil n'est suspect. Je me concentrerai plus longuement sur ceux qui veulent rejoindre le bataillon.

J'en suis encore à me demander si je dois parler de tout cela à Keith quand il reviendra...

Je descends l'escalier en colimaçon jusqu'à la salle commune d'où proviennent des bruits divers. Journée de ménage, on dirait. Tant mieux, Livaï sera occupé et ne fera pas d'histoire. Je croise Hanji et Moblit, ainsi que d'autres jeunes recrues arrivées il y a quelques mois, qui me saluent de la tête. Le poing sur le coeur serait surfait en cette saison, il faut dire. Je n'accorde pas une grande importance à ce type de cérémonial de toute façon.

Je lance un coup d'oeil vers la grande salle et constate que tout le monde est armé de serpillères et de brosses, et occupé à récurer le moindre recoin. Après tout, nos camarades ne vont pas tarder à revenir ici, et je soupçonne Livaï d'avoir insisté pour que tout soit parfait. S'il pouvait être un aussi bon leader quand il s'agit de combat...

Je me glisse discrètement vers l'entrée, guettant l'apparition de l'un ou l'autre de mes protecteurs, faisant bien attention aux sons des voix autour de moi, tentant d'y déceler celle de Livaï donnant des ordres sur la meilleure méthode pour récupérer un tapis taché... Aucun signe d'eux.

J'ouvre la porte et m'apprête à mettre un pied dehors quand un manche à balai particulièrement insistant se place en travers de mes jambes pour m'empêcher de passer. Une paire d'yeux gris acier, soulignés d'énormes cernes, me fusillent de sous le foulard blanc familier... Et une voix sourde et grave grogne "Erwiiiiiiin..." avec un mécontentement manifeste...

Raté...