Les crocs de la vengeance
« As-tu perdu l'esprit, Salazar ?! hurla l'homme qu'il considérait comme son égal. »
Oh non, Salazar Serpentard était loin d'avoir perdu ses esprits. Au contraire, il les avait retrouvés. Il se sentait comme ramolli, loin de son ancienne prestance. Ce changement devait pouvoir se justifier par le temps qu'il avait passé aux côtés de ses trois amis. Ils étaient tellement différents, qu'il avait presque failli oublier l'un de ses principes les plus fondamentaux : le précieux savoir de la magie ne doit pas être à la portée de ceux dont le sang est souillé.
La pureté de la magie était et restera entre les mains des véritables sorciers. Et non dans celles de ces vils enfants de moldus.
Dans sa mansuétude, il avait décidé qu'il était grand temps que les trois autres fondateurs acceptent cette vérité. Salazar avait la conviction qu'ensemble, ils seraient capables d'atteindre l'idéal qu'il imaginait pour la communauté sorcière. Il suffisait désormais qu'ils abdiquent enfin à sa cause.
« Laisse-le s'expliquer, Godric. Et range-moi cette épée, nous vous avons déjà dit, pas d'affrontement au sein de l'école, réprimanda Rowena Serdaigle d'un ton glacial.
_Non mais vous avez entendu ce qu'il vient de nous proposer ? s'indigna-t-il. »
Godric Gryffondor, de sa haute stature et de ses cheveux imposants, pointait de son épée son adversaire de toujours. La tension de la discussion grimpait au rythme de la respiration du sorcier à la crinière de lion.
« Refuser tous les nés-moldus ? s'énerva Godric de sa forte voix. Choisissons les matières auxquelles les sang-mêlés n'auront pas le droit d'étudier, tant qu'on y est !
_Tu m'ôtes les mots de la bouche, cher ami, ironisa Salazar dans un rictus.
Godric s'élança, prêt à l'attraper par le col de sa robe, mais Helga s'interposa entre les deux hommes.
« Cela suffit, Godric ! Je refuse de vous voir vous battre de cette façon. »
« Mais enfin, Helga… »
« Je suis loin de cautionner ce que j'ai entendu, rassura la sorcière. »
Elle se tourna vers Salazar, le regard brillant d'un sentiment dont il ne savait pas la provenance.
« Explique-toi, Saly, je t'en prie. Dis-nous que nous avons juste mal compris. »
D'un pas lent, Salazar se mit à se déplacer dans la Grande-Salle encore vide de toutes tables. Ils étaient venus là exprès pour décider des derniers détails à lui ajouter. Les premiers élèves devaient arriver le lendemain, des jeunes sorciers promis à un glorieux avenir au sein de cette toute nouvelle école de magie.
Pourtant, en une seule phrase, il avait brisé la beauté de ce moment historique. Exhibant au grand jour ses sombres desseins.
« Vous m'avez tous les trois bien compris, Helga, assura Serpentard d'un ton désinvolte. Ces supposés "sorciers " vont venir entacher nos rangs de leur présence et de leur sang impur. Voulez-vous que tous nos efforts soient ainsi bafoués par ces êtres inférieurs ? Pitié, ouvrez les yeux. Ces nés-de-moldus n'ont rien à faire au sein de notre école, encore moins si près de nos jeunes pousses prometteuses. »
Sa tirade plaça un lourd silence dans la pièce. Les trois sorciers avaient braqué leur regard sur lui, désemparés par de tels propos. Irrité de ne pas recevoir de réponse, Salazar continua, redoublant d'efforts.
« Cela serait un véritable désastre. Un déshonneur pour nos ancêtres.
_Salazar… » gronda Godric, les dents serrées.
_Avez-vous oublié les chasses aux sorcières ? explosa Salazar, les yeux animés par la folie. Moi, je n'ai pas oublié cette immonde odeur arrivant à mes narines. Les cris de nos frères et sœurs sur les bûchers, toutes ces âmes noyées dans les lacs. Ils ne méritaient pas leur sort ! »
Il s'arrêta pour prendre une grande inspiration et reprendre son calme. C'était bien l'un des rares sujets qui arrivait à le faire sortir de ses gonds.
« Ces moldus n'ont jamais payé pour ce qu'ils ont fait subir à notre peuple, reprit-il avec amertume. Et vous souhaitez accueillir leur progéniture en ces lieux ? »
Salazar se tourna vers Helga, posant ses fines mains sur les épaules de la sorcière.
« Helga, n'avons-nous pas créé cette école pour que les jeunes sorciers et sorcières, puissent s'instruire en toute sécurité ? »
_Oui, bien sûr, bégaya la sorcière dépassée. Mais…
_Mais cela doit avoir un prix, la coupa férocement Salazar. Et toi, Rowena ! N'es-tu pas celle qui exècre les moldus depuis qu'ils ont essayé de s'en prendre à ta précieuse Héléna ? Désires-tu que des enfants d'agresseurs s'approchent de ta fille ?
Rowena se rembrunit en se souvenant du jour où elle avait retrouvé Héléna, pourchassé par des moldus avec leurs fourches. Depuis lors, l'intrépide Serdaigle s'était renfermée sur elle, abandonnant le sourire qu'appréciait tant sa mère.
Voyant que ses paroles les touchaient, Salazar finit par braquer son attention sur son allié le plus ancien.
« N'as-tu pas perdu ton premier amour par leur faute ? Ose me dire dans les yeux que tu les portes dans ton cœur, Godric. » s'exhorta-t-il.
_Cela suffit ! rugit Godric. Salazar, tes mots sont tellement remplis de haine que je peine à te reconnaître. J'ai toujours su que tu préférais garder tes distances avec les moldus, ce que je peux tout à fait concevoir. Mais de là à refuser l'apprentissage de la magie à des sorciers à cause de leurs origines ? Je refuse d'accepter une telle aberration.
_Je suis d'accord avec Godric, rajouta Rowena les bras croisés. Certes, certains d'entre nous partageons des réserves envers eux, comme tu as si bien su nous le rappeler. Cependant, les nés-moldus n'ont rien à voir avec ces méfaits. Ils restent, avant toute chose, des sorciers. Que tu le veuilles ou non. »
Helga attrapa délicatement les mains de son ami, plongeant dans son regard toute l'amitié qu'elle lui portait.
« Saly…Notre combat dépasse de loin la pureté du sang. Nous nous battons pour la magie, que tous ses enfants puissent en bénéficier avec la bienveillance qui leur est dû. Le comprends-tu ? »
Salazar arracha ses mains de sa prise, le visage dégoulinant de dégoût par ce qu'il venait d'entendre. Avaient-ils au moins écouté ce qu'il avait dit ? Il en doutait.
« Non. Je ne vous comprends pas, fit-il en s'écartant du groupe. »
Il se détourna d'eux, les poings serrés. Quelque chose au fond de lui se fissura au rythme de ses pas, une chose à laquelle il tenait. Sa confiance s'était éteinte comme une bougie.
« Salazar ! » cri Godric en le poursuivant.
Tous les deux se retrouvèrent seuls dans les couloirs. La contrariété du sorcier à l'épée faisait trembler les murs.
« Salazar, où comptes-tu aller comme ça ?! Nous ouvrons les portes de l'école demain matin !
_Eh bien vous les ouvrirez sans moi, rétorqua Salazar sans même se retourner. »
Godric arriva à sa hauteur en seulement deux enjambés et le stoppa en attrapant son bras. Ses yeux verts luisirent férocement.
« Tu ne peux pas nous faire ça. Après tous ces mois de dur labeur, tu vas tout simplement nous abandonner pour ces folles idées ?
_Lâche-moi.
_Voyons, mon ami, retrouve la raison, le supplia presque Godric. Les moldus ne sont pas nos ennemis, encore moins les nés-de-moldus. »
Salazar tourna lentement sa tête dans sa direction, les lèvres figées dans une moue dédaigneuse.
« Vous ne me laissez pas le choix. Aucun de vous n'est prêt à accepter la vérité. Alors restez dans votre ignorance, je n'ai plus rien à faire avec des incapables tels que vous. »
La pression sur son bras s'intensifia.
« Ne me parle pas sur ce ton, Serpentard, le prévint Godric. »
De sa main libre, Salazar sortit sa propre baguette et la pointa sur son ami.
« Je te conseille de me lâcher si tu ne souhaites pas perdre ta main, Gryffondor. »
Ils s'affrontèrent du regard, l'air autour d'eux se mettant à gronder par leur magie respective. Si la magie de Godric se représentait parfaitement la chaleur du soleil, celle de Salazar s'apparentait à la présence d'un gigantesque glacier. Un combat entre ces deux sorciers pouvait faire de sacrés dégâts, ils le savaient très bien tous les deux.
Finalement, au bout d'un temps infiniment long, Godric se décida à lâcher. Salazar ne se fit pas prier pour reprendre sa route, Godric fixant avec hargne son dos.
« Si tu quittes ce château, ne reviens jamais ! » lui hurla-t-il du fond du couloir.
Cette mise en garde, il était loin de vouloir l'écouter. Il comptait quitter le château, mais ça pour une très courte période, le temps de mettre en ordre quelques détails avant d'appliquer l'idée qu'il avait eue au fil de sa discussion avec les fondateurs. Salazar avait pris une décision drastique de l'envergure de ses ressentiments.
Quelques jours plus tard, celui-ci entra de nouveau dans l'école par l'un des nombreux passages secrets du château. Godric avait manifestement oublié qu'il était celui qui avait le plus travaillé sur les plans du château. Il avait omis de préciser à ses partenaires, qu'il avait rajouté une salle supplémentaire, cachée dans les entrailles de l'école.
En premier lieu, il avait espéré l'inaugurer avec ses futurs élèves, avec l'idée qu'elle devienne la Chambre des Secrets des jeunes serpents de sa maison, une salle secrète qui aurait pu être leur repère rien qu'à eux.
Ce rêve si éphémère était devenu caduque. Les Serpentards n'allaient jamais pouvoir s'y présenter.
En passant dans les couloirs, Salazar entendit des rires. Non de lui, dans une classe, des enfants riaient et s'extasiaient bruyamment devant le spectacle que leur accordaient les directeurs des maisons. Il se pencha et vit dans l'embrasure de la porte ses anciens collègues entourés de jeunes sorciers, tous enjoués de pratiquer des sorts avec ces magiciens d'exception.
Cette vision finit par anéantir Salazar, remarquant que les verts et argents se retrouvaient mis de côté. Ils n'avaient pas leur directeur de maison pour les soutenir et les mener vers la grandeur. Il se détourna de la scène en serrant fermement les mâchoires et prit la direction de la Chambre des Secrets.
Salazar n'aspirait qu'à se venger de cette trahison. Car oui, ce qu'il venait de subir en était une à ses yeux. Ces sorciers qui se disaient être ses amis, n'étaient autre que des hérétiques à la botte des sang-de-bourbe. La rage le consumait alors qu'il enchantait la porte de la salle en Fourchelangue.
Il s'avança jusqu'au puits de lumière, en face de la statue à son effigie.
La haine qui faisait battre son cœur, l'accompagna quand il se jeta sur lui-même un sort de sa propre création. Son corps se mit à se métamorphoser, abandonnant son enveloppe charnelle pour revêtir celle d'un énorme Basilic.
Il avait planifié d'attendre sous cette forme qu'un de ses descendants vienne le libérer et qu'il puisse se délecter lui-même des cris des sang-de-bourbe qui périront sous ses crocs. Salazar avait soif de sang et comptait bien tuer sans la moindre once de pitié.
Les années devaient passer, s'écouler et emporter les autres fondateurs dans la tombe. S'il le pouvait encore, il rirait de la naïveté des autres fondateurs qui avaient cru qu'il abandonnerait si facilement son école.
Ainsi, présenté sous cette monstrueuse forme, il s'en alla se cacher dans la statue.
Avant de s'endormir pour un très long sommeil, il repensa une dernière fois à ses trois camarades, se remémorant de très vieux souvenirs de leur jeunesse. Des souvenirs d'un temps où ils n'étaient que des adolescents rêveurs et sans peur, où la seule chose qui leur importait, était d'être ensemble.
Son passé regorgeait d'instants agréables, alors que son avenir n'était que la promesse d'un bain de sang.
