Hello !
Bonne lecture ! :D
Juste pour information, pour celleux qui seraient intéressé-es : J'organise une lecture commune de Percy Jackson and the lightning thief dans deux semaines sur Discord. N'hésitez pas à aller voir mon compte Instagram pour plus d'informations !
Sur ce...
CHAPITRE 10 – La tête sous l'eau
— 9-1-1, quelle est votre urgence ?
— EDDIE !
Son cri se répercuta contre les arbres et provoqua un effet flipper dans toute la forêt. Les vibrations de ses cordes vocales la traversèrent, l'épicentre de ce séisme au beau milieu de son cœur. Elles s'évacuèrent par des tremblements qui parcoururent son corps.
Le pire était arrivé. Le pire arrivait toujours.
Elle n'était pas la seule à avoir perdu la voix. Les appels de Christopher se mêlaient à son cri. Elle n'était pas seule. Il y avait Christopher qui devait avoir peur. Il y avait le 9-1-1 qui attendait son urgence. Il y avait Eddie en train de couler.
Elle jura et ramassa son téléphone. Heureusement, il était résistant.
— 9-1-1, vous m'entendez ?
— Josh ! Calipso Rivera de la 118 !
— Calipso, oui ! Que se passe-t-il ?
D'une rapide recherche, elle retint sa localisation et la transmit à Josh.
— J'ai besoin d'une équipe de secours, d'ambulanciers et de plongeurs, ajouta-t-elle. Accident de voiture. Eddie Diaz est bloqué dedans et elle est tombée dans le lac.
— Pardon ? Eddie va bien ?
— Envoie la police aussi, ajouta-t-elle. Je te passe Christopher Diaz.
Calipso boitilla, gênée par la douleur dans son épaule et les cailloux qui ruisselaient sous ses pieds. La voix de Josh l'appelait, mais elle n'avait pas de temps à perdre. Elle retrouva Christopher et posa les mains sur ses genoux :
— Explique à Josh ce qu'il s'est passé. Il faut que j'aille chercher ton père, Chris, d'accord ? Tu comprends ?
— Oui. Je…
— Ne t'inquiète pas. Les secours vont arriver. Et moi, je ne reviendrai pas sans ton père.
Les yeux rouges de Christopher lui arrachèrent le cœur. A l'aide de ses pouces, Calipso essuya les larmes qui défilaient sur les joues de Chris. Le voir ainsi l'insupportait, elle devait apaiser sa peine. Elle n'avait qu'une solution. Elle prit la main de Christopher et y déposa le portable. Calipso l'embrassa sur le front pour le rassurer. Elle fit demi-tour, déterminée.
— CALI ! l'appela Christopher dans un sanglot.
— Je reviens !
Elle n'avait plus une minute à perdre.
Désolée Christopher. Désolée Eddie. Calipso ne pouvait aller à l'encontre de son propre choix. Même avec des milliers de promesses, elle les aurait toutes brisées. Devant la barrière qui la séparait du lac, elle enleva du gilet. La voiture sombrait dans les eaux troubles. Sans hésitation, elle plongea dans le lac.
Ce n'était plus une course contre Eddie, c'était une course pour lui.
Elle entama des battements et effectua des mouvements de brasse avec ses bras pour atteindre la voiture. Le plus dur était de garder les yeux ouverts, elle n'avait pas d'autres choix.
Bien sûr, la portière de la voiture s'était refermée lors de la chute. Elle se faufila par la fenêtre cassée. Elle s'appuya sur les rebords pour prendre appui et s'infiltrer dans la voiture. Elle gémit de douleurs. Des morceaux de verre, toujours accrochés, se plantèrent dans ses paumes de mains. Elle tomba sur le siège et eut juste à réaliser les ouvertures béantes dont le sang s'échappait.
— Cali ? s'exclama Eddie, la main portée à son médaillon Saint-Christopher. Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'ai entendu crier, tu vas bien ? Où est Christopher ?
— C'est bien moi, répondit-elle d'un ton risible. Enchantée.
Elle s'essuya les mains sur son pantalon. Ce n'était pas suffisant. Elle avait besoin de compresses, mais ce n'était pas le plus important.
— Je me suis remise l'épaule, c'est… douloureux.
— Une des…
— Ne pas la remettre soi-même, je sais. Je n'avais pas d'autres choix, elle rinça ses mains dans l'eau et fouilla dans sa caisse. Chris est en sécurité, il est au téléphone avec le 9-1-1. J'ai eu Josh, quelle chance, hein ? Je t'avais dit de m'attendre.
— Retourne avec lui ! grogna Eddie. Il doit être effrayé.
— Il l'est ! C'est pour cette raison que je viens te chercher, car il le serait d'autant plus ! Et sache une chose, Edmundo, il est hors de question que je te laisse te noyer ! Comment tu t'en sors ?
— Je suis complétement bloqué, je ne peux pas sortir. J'ai commencé à taillader la ceinture avec le canif dans ma poche. Je me suis dit qu'au point où en était ta voiture…
— Tu as bien fait, ricana-t-elle nerveusement. Okay… J'ai un pied de biche !
— Tu…
— Tais-toi, mer…ci…
Il était désespéré. Pas elle. L'eau montait vite, trop vite à son goût. Il fallait qu'elle soit rapide. Elle et retrouva le siège passager. Calipso inspira et analysa sous l'eau la jambe d'Eddie. Cela n'allait pas être une mince affaire. Elle se devait d'être positive pour deux.
— Une intervention de routine, plaisanta-t-elle.
Comme la voiture, sa blague tomba à l'eau.
— Et la femme ? demanda Eddie. Comment va-t-elle ?
— Elle a disparu… Je vais poser le pied de biche et sortir ta jambe de là.
— On ne sait pas comment elle est touchée. Je pourrai la perdre.
— Franchement, Eddie ? C'est le cadet de mes soucis. Tu sortiras d'ici avec ou sans ta jambe. Colle ta jambe droite à ton autre jambe que je puisse avoir un plus grand accès. Et… Permets-moi de venir sur toi, sinon je ne vais jamais y arriver.
Les bras d'Eddie touchèrent le plafond. Elle lui sourit, gênée. A priori, elle n'avait pas vraiment besoin d'être sur lui. Elle devait juste se frayer un passage entre le volant et lui, mieux valait être prévoyante. Calipso plongea. Elle planta le pied de biche entre la portière et la jambe d'Eddie. Elle le glissa au plus proche sans pour autant la toucher, elle préférait éviter des douleurs à Eddie. Une fois l'outil bien placé, elle retrouva l'air libre.
L'eau avait gagné en hauteur, bien trop en si peu de secondes. Eddie perdait en couleurs. L'hypothermie était la plus grande cause, mais Calipso craignait que la blessure ne soit plus grave.
— Cali, l'interpela-t-il.
— J'ai pas le temps, là ! rugit-elle.
La tête sous l'eau, Calipso donna un gros coup pour créer un espace et libérer la jambe d'Eddie. Pas de chance, le pied de biche se retira. Elle hurla. Des bulles remontèrent à la surface. Elle cala, encore, l'outil. La pression provoquait une résistance. Elle appuya plus fort, lui demandant plus d'énergie. Allez, allez se répétait-elle.
La tâche était plus difficile qu'elle ne l'avait pensé. Calipso sortit de l'eau pour reprendre sa respiration. L'eau rasait le menton d'Eddie. Elle n'avait pas d'autres choix que se dépêcher. Calipso inspira une grosse bouffée d'air et s'apprêta à retourner sous l'eau. Eddie lui attrapa la taille et le bras.
— Sors de là, lui demanda-t-il. Tu te mets en danger.
— Non.
— S'il te plaît… lui pria-t-il, il la serra plus fort. Je… Prends soin de Christopher, il t'apprécie beaucoup, ne l'oublie pas. Buck s'occupera de lui, mais… Fais attention à Christopher.
Jamais, Calipso ne s'était jamais senti aussi vulnérable. Son cœur se faisait piétiner. Les larmes d'Eddie se mêlaient à l'eau de plus en plus menaçante. Elle craquerait aussi. Elle craquerait s'il continuait à la supplier. Il caressa sa joue.
— Cali… Pars.
Calipso n'aurait rien pu faire pour retenir cette goutte d'eau qui quitta le coin de son œil pour s'infiltrer sur la peau d'Eddie. Ses dents se plantèrent dans sa lèvre. Il abandonnait. C'était son droit. Elle, elle ne l'abandonnerait pas.
— Ecoute-moi bien, Edmundo.
Sa voix tremblait, mais elle resta ferme.
— Tais-toi, ne gaspille pas ton oxygène. Contente-toi de garder la tête hors de l'eau. Moi, ici, avec toi, je ne te laisserai pas. Tu vas sortir d'ici, avec moi ? C'est compris ? Tu lèves ta tête pour la garder un maximum hors de l'eau. Je fais vite.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre, il n'avait pas le choix. Elle plongea. L'eau était si haute qu'elle devait battre des pieds pour ne pas remonter à la surface. Elle empoigna le pied de biche. Son épaule la tiraillait. Son bras s'engourdissait. Peu importait, elle n'avait qu'un objectif : être la gagnante de ce bras de fer.
Sa poitrine frôlait la cuisse d'Eddie. Calipso força de toutes ses forces sur le pied de biche. L'air lui manquait. Elle sentait cette douleur dans la poitrine, celle qui lui ordonnait de renouveler l'oxygène. Calipso ne pouvait plus se le permettre. Elle n'était même pas sûre qu'il y ait encore de quoi respirer dans la voiture. Elle devait tout donner maintenant, quitte à mourir ici.
Elle pouvait mourir avec Edmundo Diaz, elle pouvait mourir pour lui. C'était la dernière possibilité.
Avant cela, elle devait surtout tout donner pour le sauver.
Christopher avait besoin d'Eddie. Buck avait besoin d'Eddie. Sa famille avait besoin d'Eddie. Bobby et Athena avaient besoin d'Eddie. Chim, Hen, Ravi, May, Maddie, Karen. Toute la 118 avait besoin d'Eddie. Elle avait besoin d'Eddie.
Elle ne pouvait pas abandonner.
La détermination se propageait dans chacun de ses muscles. La douleur n'existait plus. Il n'y avait plus qu'elle et ce pied de biche. Elle vaincrait.
Calipso puiserait chaque molécule d'oxygène disponible dans son corps, chaque molécule jusqu'à la toute dernière pour le sauver. Elle souffla violemment dans l'eau et… la jambe était décoincée ! Elle avait réussi !
Elle remonta à la surface. Calipso prit une grande inspiration dans les quelques centimètres d'air restant. Elle suffoqua quelques secondes le temps de récupérer l'oxygène nécessaire pour parler.
— C'est bon !
Pas de réponse.
— EDDIE !
La tête d'Eddie était abaissée, trop basse. Elle était horrifiée. Depuis combien de temps avait-il la tête sous l'eau ? Elle aurait dû vérifier de temps en temps au lieu de s'obstiner avec ce pied de biche. Calipso paniqua. Elle ne pouvait pas avoir perdu Eddie. Elle releva son menton et s'accrocha à son visage.
— Eddie, l'appela-t-elle doucement. Eddie.
Elle lui donna de légères tapes sur la joue pour le réveiller. Son sang se mêla à l'eau dans une couleur claire. Le visage d'Eddie en gardait de discrètes traces. Il ouvrit les yeux. Elle lâcha un soupir de soulagement. Les yeux noisette étaient plus ternes, presque vitreux. Il était de moins en moins présent. Calipso lui sourit pour le rassurer.
— Eh… Tu es débloqué. Je vais te sortir de là maintenant, mais je vais avoir besoin de toi. Il faut que tu retiennes ta respiration, d'accord ? Ça va être long, mais tu dois retenir ta respiration.
Ses mains n'avaient pas quitté ses joues. Calipso les lui caressa de ses pouces et colla son front au sien. Ses iris se plantèrent dans les siens.
— Tu peux faire ça pour moi, Eddie ?
Avec le peu d'énergie qu'il lui restait, il hocha la tête et leur nez s'effleurèrent. Cela suffit à Calipso. Il avait juste à retenir sa respiration, rien de plus. L'eau ne devait pas s'emparer de ses poumons.
— Bien. Inspire et bloque.
Elle relâcha la tête d'Eddie qui retomba à l'eau. Le minuteur était déclenché. Elle plongea pour se concentrer sur la portière d'Eddie. La voiture était pleine d'eau, elle ouvrit donc la portière sans difficulté.
Ses yeux lui piquaient, elle se dépêcha de sortir de la voiture. Elle enroula un bras autour d'Eddie. Même si sa vision était brouillée, elle aperçut sa bouche entrouverte. Non. Calipso le tira hors de la voiture. Elle battit de jambes jusqu'à la surface. Sa tête émergea et elle se nourrit de l'air.
— On y est, Eddie, ça va être bon.
Ils devaient juste retrouver le bord. Calipso se plaça sur le dos et colla Eddie contre sa poitrine. Elle prit soin à ce que son visage ne frôle pas l'eau. Ses doigts en pince, elle s'occupait de lui remonter le menton pour qu'il puisse respirer. Le terre ferme était inatteignable.
Son épaule était lancinante et s'accentuait à chaque effort. Sa toux la menaçait, ses poumons manquaient d'air. Ils s'étouffaient. Eddie… Qu'en était-il d'Eddie ? Elle força ses jambes à pallier ses bras inutiles. Son pied cogna au sol. Ils y étaient.
Debout, Calipso traîna Eddie, loin de l'eau. Pas un mouvement, il n'avait pris aucune inspiration. Aucun signe de vie. Elle posa deux doigts sur sa gorge. Rien.
— Eddie ?
Aucune réponse.
— REVEILLE-TOI ! hurla-t-elle. EDDIE !
Sans détacher ses yeux du visage d'Eddie, Calipso entama un massage cardiaque. Le corps d'Eddie remuait à chacun de ses mouvements. Toujours, rien. Elle s'approcha de lui, boucha son nez et posa ses lèvres sur les siennes pour lui transmettre de l'air. Elle reprit son massage cardiaque.
— IL Y A QUELQU'UN ?
— ICI ! appela-t-elle. VITE.
Les secours arrivaient. Elle ne s'arrêta pas. Elle poursuivit les enchaînements, de plus en plus fort. A chaque pression, la douleur dans son épaule l'électrocutait. Calipso appuya plus fort. Elle tenta un nouveau bouche à bouche.
— Reviens, Eddie. Reviens-moi, murmura-t-elle.
Une déchirure tirailla tout son bras, elle s'en moquait. Ses mains lui brûlaient, elle s'en fichait. Cette souffrance n'était rien comparée à celle de son cœur. Calipso donnerait chaque partie de son corps si cela signifiait redonner la vie à Eddie.
— On prend le relais, décalez-vous.
Elle se laissa tomber en arrière, la tête entre les mains. Les secours sortirent un défibrillateur. Un homme s'approcha d'elle :
— Edmundo Diaz. 31 ans. Hypothermie. A engorgé une grande quantité d'eau. Je… Je crois qu'il s'est fracturé la jambe. Et il… Il ne respire plus, sanglota-t-elle.
— Nous allons nous occuper de lui. Rivera, c'est bien cela ?
Calipso le regarda. Elle ne l'avait vu qu'une fois, mais elle aurait reconnu son visage entre mille. C'était le premier pompier qu'elle avait rencontré à Los Angeles.
— Capitaine Mehta ? Sauvez-le… S'il vous plaît.
Les ambulanciers chargèrent une deuxième fois. Le corps d'Eddie quitta le sol sur quelques centimètres avant de s'écraser à nouveau.
— NON ! NON ! EDDIE !
Elle vivait un film d'horreur. Des secousses la parcourent, du bas de sa nuque, glissant le long de sa colonne vertébrale jusqu'à sa voûte plantaire. Capitaine Mehta l'agrippa. Le sang de Calipso se glaça. Eddie ne pouvait pas partir. Il… Non… Un étau coinça sa gorge et se referma autour de sa trachée. Une quinte de toux la saisit.
Si Eddie ne respirait pas, plus jamais elle ne respirerait. Il était son répit, celui qui éteignait son feu. Sans Eddie, Calipso s'asphyxierait, emportée par une éparse fumée et des braises destructrices.
Jusqu'à présent, Calipso ne s'en était pas rendu compte. Maintenant, elle réalisait.
Car elle était sur son bûcher.
— EDDIE ! EDDIE ! l'appela-t-elle, il tomba une troisième fois. S'IL VOUS PLAIT ! EDMUNDO !
Eddie toussa. Calipso sauta et poussa un ambulancier. Eddie expulsa de l'eau. Elle le pivota et tapota son dos pour l'aider.
— Oui, c'est bien, c'est bien, pleurait-elle.
Eddie respirait. Eddie était vivant. Il se remit sur le dos, reprenant son souffle. Calipso se laissa tomber sur son torse et elle s'autorisa enfin. Elle s'effondra sur Eddie. Toutes les larmes qu'elle gardait éclatèrent bruyamment. Elle se moquait des personnes autour d'eux.
toudoum toudoum toudoum
Il respirait, alors elle respirait.
— Tu es vivant.
— C'est… bon… prononça-t-il.
Sa voix. Il enroula son bras autour d'elle et Calipso s'accrocha à lui. Il parlait, il était toujours là. Il posa sa main sur ses cheveux et la pressa contre lui. Elle ne parvenait pas à se calmer. Elle en oubliait toute douleur.
toudoum toudoum toudoum
Elle s'alimentait des battements de son cœur. Légers, mais présents. Le plus beau son au monde.
Il était vivant. Eddie Diaz était vivant.
— C'est bon, Cali. Je…
— Nous devons lui procurer les premiers soins, rappela le capitaine Mehta.
Les secours les attendaient. Christopher les attendait. Calipso essuya ses larmes, toussant à de multiples reprises. Elle rejeta sa crinière de lion en arrière et attrapa la main d'Eddie. Les ambulanciers, Ezeudu et Summers, s'occupèrent de la jambe d'Eddie.
Calipso inspecta leurs soins. Il était clair que la jambe était amochée. Elle le déduisit à l'angle de son genou et à la plaie qui s'étendait jusqu'à sa cheville. Comment ne souffrait-il pas ? Eddie s'en sortirait avec des semaines de repos.
— On dirait que cela te fait une belle jambe, remarqua-t-elle.
— Tu es incorrigible, grimaça-t-il quand Ezudu manipula son genou. Tu saignes.
— C'est rien, ne t'inquiète pas.
— On y va, Diaz, annonça Capitaine Mehta.
— Vous êtes… Eddie toussa. Toujours là au bon moment, capitaine.
Ezudu et Summers glissèrent Eddie sur le plan dur. Ils lui placèrent un masque à oxygène sur le visage. Calipso n'eut plus le choix. Son index frôla chacune des phalanges d'Eddie et elle lui lâcha la main. Elle eut l'impression qu'il partait avec son cœur. C'était trop tôt elle n'avait pas encore réalisé qu'il était toujours là.
Les pieds de Calipso restèrent plantés alors qu'Eddie s'éloignait, au ralenti, comme dans ces films dramatiques qu'elle regardait pour déprimer plus qu'elle ne l'était déjà. Elle était à la place du personnage principal dont l'histoire dérapait, ce moment où il perdait tout. Calipso en avait toujours été très sensible, désormais le vivre bousculait tout. Le personnage n'exagérait pas quand il s'effondrait, car le monde de Calipso s'écroulait.
La réalité la rattrapait, toujours.
— Rivera ? l'appela Capitaine Mehta. Vous devriez nous suivre.
— Christopher ! paniqua-t-elle. Il lui est arrivé quelque chose ?
— Il va très bien, mon collègue l'a pris en charge. Il vous attend. C'est à votre tour, maintenant.
Il désigna du menton ses mains. Calipso les examina. En effet, quelques compresses ne leur feraient pas de mal. Capitaine Mehta l'aida à gravir la légère pente, qui ne lui avait pas paru si longue tout à l'heure. L'énergie lui manquait.
Les gyrophares rouges tourbillonnaient dans la nuit. A leur hauteur, Calipso en fut aveuglée. Elle n'avait pas eu cette sensation depuis que Carl et Cooper l'avaient retrouvée sous les décombres d'une journée funeste.
— CALI !
Le cri de Christopher fut plus efficace que n'importe quelle sirène de camions ou d'échelles. Elle boitilla jusqu'à lui, assis dans l'ambulance. Son pas claqua sur la marche d'acier et elle se laissa tomber à côté de Christopher pour le prendre dans ses bras. A son tour, il l'étreignit et il sanglota sur son épaule.
— C'est bon, Chris, le rassura-t-elle. Ton père est pris en charge. Il va bien. Nous allons bien.
— Euh… Rivera, l'interpela Holden, une autre ambulancière de la 133.
Calipso réalisa qu'elle avait couvert de sang Christopher. C'était immonde. Elle l'était. Elle était trempée. Ses vêtements lui collaient à la peau et ses cheveux dégoulinaient. Ses vêtements étaient couverts de sang, causé par ses coupures.
Holden estima l'étendue de ses plaies et les désinfecta. Elle y colla des strips avant d'enrouler un beau bandage à chacune de ses mains. Elle aurait maline avec ce tout nouveau style de moufles. Une lumière défila devant les yeux de Calipso, elle suivit le rayon. Holden toucha son arcade et Calipso grimaça. C'était plus douloureux au fil des minutes. Des strips habillèrent son sourcil. Enfin, Holden plaça le bras de Calipso en écharpe, solution temporaire jusque l'hôpital.
— On peut y aller ! s'exclama Holden et elle ferma les portes de l'ambulance.
Calipso accrocha Christopher, puis elle-même. Le camion démarra. Calipso n'avait jamais remarqué à quel point la sirène résonnait dans l'ambulance. Christopher se colla à elle, Calipso l'enveloppa de son bras.
— Ça va aller, Cali.
— Ça va aller, répéta-t-elle. Il faudrait que j'appelle…
— Buck, termina Chris.
— Ouaip. Il s'occupera de prévenir les autres.
Christopher lui donna son portable. Le doigt de Calipso glissa dans son répertoire, et rapidement, elle n'avait pas beaucoup de contact, elle trouva le nom Buck Buckley.
BIIIP.
— Hey, Cali !
La voix de Buck était enthousiaste. Elle discernait de la musique et d'autres voix, ils devaient encore être en voiture. Ce n'était pas plus mal, Maddie et Chimney seraient déjà au courant, elle pourrait leur demander de garder Coop le temps de…
Elle prit conscience. Coop… Ses aboiements… Son comportement… Coop l'avait senti.
— Ton chien va très bien si…
— Buck, le coupa-t-elle, la voix tremblante.
— Cali ? Ça ne va pas ?
Les voix de Chimney et Maddie se mêlèrent à celle de Buck, plus éloignés, comme lointaines et inaccessibles. Calipso mit du temps à assimiler ses pensées, par quoi devait-elle commencer ?
— Cali ? Cali ? T'es là ?
— Oui, chuchota-t-elle. Euh… On a eu un accident.
— Quoi ? Attends… Chim, Chim, fais demi-tour.
— Non… C'est… Non. Continuez, allez à l'hôpital.
Quel hôpital ? Où allaient-ils ?
— Chris et Eddie vont bien ? s'inquiéta Buck. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— On a fait une sortie de route, lui expliqua-t-elle. Christopher va bien. On est dans le camion. Eddie… Sa jambe était bloquée. La voiture est tombée dans l'eau. Il va bien, mais…
Sa tête vrilla dans une tornade de pensées. Une migraine l'abattit. Elle éclata dans de nouveaux sanglots. Des larmes coulaient sur ses joues, elles étaient glaciales tant elle bouillonnait intérieurement. Christopher passa sa main dans son dos. Elle ne pouvait tout dire devant Christopher, si ? Qu'aurait-fait Eddie ?
— Respire, Cali, lui conseillait Buck à l'autre bout du fil. Res-pire. Est-ce qu'Eddie va bien ?
— Oui, il va bien.
— D'accord, c'est tout ce qui compte. Et toi ?
— J'ai… Des petites coupures aux mains et… une luxation de l'épaule.
— Okay, Chimney et Maddie vont me déposer à l'hôpital. D'accord ? Vous vous dirigez vers lequel ?
— Je… Oui… Je…Je te laisse. Je… Je ne me sens pas très bien.
— Cali ?
Sa vision se troubla. Sa tête tangua, comme un bateau en pleine tempête. Elle lâcha le téléphone. L'adrénaline tombée, la douleur la foudroyait. Des petits points noirs dansaient avec des étoiles brillantes et s'éteignirent d'un clap de fin.
Une lumière blanche éblouit Calipso. Elle plissa les yeux pour atténuer cette brillance insupportable. Ses cils papillonnèrent pour s'adapter à cette agression visuelle. Sa vision s'habitua. Les rebords flous devinrent plus nets. Calipso pivota la tête. Christopher était assis sur une chaise près d'elle, en train de pianoter sur son portable.
— Chris ? l'appela-t-elle d'une voix rauque et il releva la tête vers elle.
— Ah, Cali ! J'ai utilisé ton portable pour envoyer des messages à tout le monde. Buck les a appelés, mais je leur ai expliqué.
— Tu as bien fait. Tu vas bien ?
— Oui. Ils ont soigné ma coupure au genou. Je vais rentrer ce soir avec Buck.
Elle lui sourit. Christopher ne risquait plus rien. Elle balaya l'espace autour d'elle, elle espéra repérer Eddie, mais il n'y avait que Chris et elle. Seuls des rideaux de part et d'autre du lit les séparaient du reste du monde.
— Tu t'es évanouie dans le camion, lui rappela Christopher. On est arrivés il y a une heure, je pense. L'infirmière devrait bientôt arriver.
— Ton père ? s'inquiéta-t-elle.
— Il va bien, la rassura-t-il. Grâce à toi. Je crois que son genou était dans un mauvais état. Le médecin a dit qu'il devrait garder sa jambe immobile pendant un mois.
— Où est-il ?
— Il est déjà dans sa chambre, je l'ai vu. Il était réveillé, mais je ne voulais pas que tu sois seule à ton réveil.
— C'est gentil. Ne t'en fais pas pour moi, tu devrais retourner avec ton père.
— Buck est avec lui, lui apprit-il. Je préfère rester avec toi le temps que tu ne sois plus toute seule.
Ce garçon était un ange tombé du ciel, il méritait le monde.
L'infirmière s'enthousiasme de constater son réveil. Elle appela un médecin qui l'examina. Il posa de nouveaux strips à ses paumes de main et lui confectionna un nouveau bandage. Enfin, il s'attarda sur son épaule. Elle eut le droit à une radio et c'est à ce moment qu'elle pria Chris de retourner avec son père.
Le diagnostic ne fut pas une surprise : luxation de l'épaule. Le médecin lui posa un bandage coude à corps qu'elle devrait garder minimum trois semaines. Bobby sera ravi d'apprendre qu'il avait deux pompiers en moins.
Le médecin lui préconisa une nuit à l'hôpital. Son évanouissement ainsi que les blessures les incitaient à rester vigilants. Elle gagna la chambre proposée. A peine installée, Ravi débarqua dans sa chambre, affolé.
— Oh tu vas bien ! porta-t-il la main à son cœur avant de reprendre son souffle. Buck et Christopher ont appelé.
— Ça va, ça va. Juste quelques blessures, je serai vite remise.
Ravi s'assit à ses côtés et fronça les sourcils. Ses yeux de chaton n'avaient jamais paru aussi doux. L'humidité qui y brillait les rendait irrésistibles. Calipso lui prit la main pour le réconforter. Plus de peur que de mal.
— Il va me falloir une nouvelle voiture, soupira-t-elle.
— Ce n'est pas important ça, que du matériel. S'il faut, je t'amènerai au travail tous les jours et à tous les endroits que tu voudras.
— Je n'en doute pas, répondit-elle, un sourire au coin des lèvres, mais elle ne s'en préoccupait pas, elle avait une autre requête. Je devrai sortir demain matin, est-ce que je pourrai te demander de récupérer Coop chez Chim et Maddie ? Et nous ramener à la maison, s'il te plaît ?
— Tout ce que tu voudras.
Pendant toute une heure, les visages s'enchaînèrent au grand désespoir de l'équipe médicale. Qu'aurait-elle pu faire face à la 118 qui avait le besoin de s'assurer que l'accident demeurerait un lointain souvenir. Hen et Karen passèrent, une fois Denny chez elles, puis Chim et enfin Bobby, Athena et May. Avant de quitter l'hôpital, Buck fit un passage éclair.
— Eh ! Je suis content de voir que tu te portes bien. Tu m'as fait une frayeur au téléphone !
— La seule fois où tu m'as prise au sérieux. Comment va Eddie ?
— Ses constantes sont bonnes. Les médecins préfèrent qu'il garde des lunettes à oxygène pour la nuit. Il est hors de danger.
— Parfait…
S'il allait si bien, pourquoi ressentait-elle cet énorme vide au fond d'elle ? Sans le voir de ses propres yeux, son cœur refusait d'admettre qu'il respirait encore. Sans cette certitude, l'embrasement l'engloutissait. Comment en était-elle arrivé là ? Si la fatigue ne l'accablait pas, elle l'aurait rejoint.
Promis, elle verrait Eddie demain.
— Je récupère Chris et j'y vais ! Bonne nuit, Cali. Repose-toi bien.
— A bientôt.
Il l'étreignit et ébouriffa sa crinière de lion, déjà bien emmêlée – elle allait s'amuser – et s'éclipsa par la porte. Sa seule compagnie devint le bip insupportable qui rendait vivant les hôpitaux.
La nuit ne fut pas bonne.
L'hôpital n'était jamais silencieux. Pourtant une grande dormeuse, Calipso n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Elle n'avait cessé de ressasser cette soirée. Coop avait senti l'accident arriver. Aurait-elle pu l'éviter si elle ne l'avait pas qualifié de « capricieux » ? Les tonneaux de la voiture l'avaient secouée dans une boucle infinie. Le crissement métallique de la voiture avant son plongeon dans le lac la hantait. Les yeux terrifiés de Christopher l'observaient. Et Eddie…
Eddie était presque mort devant elle.
La nuit ne fut pas bonne.
Après le petit-déjeuner, le médecin l'autorisa à sortir. Elle s'habilla des vêtements apportés par Ravi le matin même et elle profita qu'il soit parti chercher Coop pour faire un petit détour.
Devant la porte de la chambre d'Eddie, Calipso remarqua qu'il était réveillé. Il avait repris de ses couleurs. La noisette habitait de nouveau ses yeux, elle en était soulagée. Elle avait cru ne plus jamais avoir la chance de les admirer. Elle toqua doucement de son bras valide, il lui fit signe d'entrer.
— Eh ! le salua-t-elle, en masquant son émotion.
— Tu n'auras pas eu ta nuit dans ton lit, plaisanta-t-il.
— Non, répondit-elle dans un rire, mais j'y compte bien ce soir.
Elle s'approcha de lui et posa sa main sur son avant-bras. C'était un besoin vital. Elle devait réaliser qu'il était bien là en chair et en os. C'était le cas. L'air agressa ses poumons. Elle toussa pour mieux respirer. Des petits fourmillements parcourent ses doigts, elle les ignora.
— Nous voilà, les « Tamalou » de la 118, constata-t-elle.
— Les rejetés, les Tamalou, tu es vraiment de mauvaise influence, Cali.
— Ouais, ça doit être ça, bredouilla-t-elle.
Ce n'était qu'une plaisanterie. Pourquoi devait-elle le prendre à cœur ? Une seule, simple et bonne raison. Devait-elle toujours apporter malheur à chaque endroit où elle se déplaçait ? Elle resta silencieuse, elle devait partir de toute façon. Calipso regarda Eddie et il lui sourit, peiné.
— Je vais y aller, Ravi va m'attendre, annonça-t-elle. Buck m'a dit que tu restais toute la journée, bon courage.
— Merci. Prends soin de toi.
Elle hocha pour confirmer. Elle s'apprêta à partir, mais la main d'Eddie s'agrippa à son poignet. Il la retenait. Elle parcourut du regard leur contact puis Eddie. La bouche ouverte de surprise, elle attendit sa réaction.
— Comment tu vas ? s'enquit-il avec douceur.
Le pouce d'Eddie caressa le dos de sa main et la respiration de Calipso se fit plus haletante. Des frissons la saisirent. La dernière fois qu'il l'avait retenue, il… Il l'avait suppliée de partir. Ce fut comme un flash, lui rappelant toute la peur qu'elle avait ressentie. La peur de le perdre lui aussi.
Mais il était là. Elle l'entendait. Elle le sentait. Elle le voyait. Alors elle répondit :
— Mieux maintenant. Repose-toi.
Elle quitta la chambre d'un pas décidé. Des larmes la submergèrent, elle ne les refoula pas. Au coin d'un couloir, elle glissa le long d'un mur. Calipso étouffa son sanglot dans la main. Cet incident n'était pas anodin. C'était un rappel de la vie. La vie lui rappelait qu'il n'y avait que deux options : la mort de ceux qu'elle aimait ou sa mort précoce, blessant tous ceux qu'elle aimait.
Calipso était désormais fixée : se jeter à l'eau provoquerait la noyade.
L'amour qu'elle lui portait n'était plus important. Ils n'iraient pas plus loin. Ses sentiments pour Eddie étaient scellés, elle les enfermait à double tour dans un coffre qu'elle commandait à son feu de réduire en cendres.
Une semaine plus tard
Le temps était long. Selon Calipso, une éternité s'était écoulée. Pourtant, elle avait l'impression que l'accident était hier.
Ses pensées divaguaient sur cette femme, introuvable, comme si elle n'avait jamais existé. Pourtant elle l'avait vue, Eddie l'avait vue. Ce mystère tracassait Calipso. Ses pensées lui rappelaient les tonneaux de la voiture, le trou noir, son épaule, la chute de Christopher.
Chaque jour, ses pensées n'oubliaient pas de projeter les quelques minutes où Eddie était mort. Les mots qu'il lui avait adressés crapahutaient dans sa tête. Calipso se souvenait des battements du cœur d'Eddie, quand il était revenu. C'étaient eux qui la gardaient ici. Les battements du cœur d'Eddie.
Ses journées étaient monotones. Elle était déjà dans une routine insupportable. Calipso se levait, petit-déjeunait, donnait à manger à Coop, le sortait, regardait un film ou une série, mangeait, sortait Coop, regardait un film ou une série, un semblant de ménage, sortait Coop, mangeait, regardait un film ou une série.
Quand elle avait un peu de chance, on venait lui tenir compagnie. Malheureusement, tout le monde avait son travail. Elle désespérait de ne pouvoir se rendre à la caserne, cela lui manquait. Eddie et elle s'échangeaient des messages au moins une fois par jour. Cela illuminait sa journée – malgré la distance qu'elle gardait — mais ne la comblait pas. D'autant plus qu'elle ne pouvait même pas occuper ses pensées par le sport. Elle effectuait quelques squats quand elle s'ennuyait, ce n'était pas suffisant. Elle avait bien tenté les pompes à une main, mauvaise idée, elle avait préféré éviter de se casser son dernier bras.
Après une énième journée à se tourner les pouces, enfin le seul pouce dans son cas, elle se décida en fin d'après-midi à effectuer une petite visite.
yo : t'es dispo ? j'peux passer ?
edmundo : Si tu trouves un moyen pour venir, pas de problème. Je ne bouge pas.
— Coop ! On sort !
Le chemin était bien plus long à la marche qu'à la course. Calipso s'en délecta, tout de même, elle sortait vraiment pour la première fois depuis une semaine. L'air été bien plus agréable à respirer à l'extérieur qu'à l'intérieur. Elle songea à proposer une soirée plage à Ravi et May, ou même à toute la 118.
Arrivée chez Eddie, elle alla toquer joyeusement. Son poing s'arrêta à quelques centimètres de la porte. Il pouvait à peine se déplacer à cause de sa jambe et elle allait l'embêter à venir lui ouvrir. Ou alors, elle pouvait toquer puis entrer, peut-être qu'il ne lui en voudrait pas. Mais qui savait ce qu'elle pourrait découvrir avec cette indiscrétion. Non, mauvaise idée.
yo : je suis devant. je peux rentrer ? je ne voudrais pas risquer un traumatisme
yo : ne te déplace pas ! contente-toi de répondre
Sa rapidité à écrire le message ne fit pas l'affaire. La porte s'ouvrit à l'instant même où elle appuya sur le bouton envoyer. Ses lèvres s'étirèrent de joie et elle s'apprêta à le réprimander de s'être levé. Son sourire disparut dès qu'une dame d'un certain âge l'accueillit. Calipso resta bête et muette, ce qui n'arrivait que rarement maintenant, jusqu'à ce que la dame l'invite à rentrer :
— La famosa Calipso Rivera. Soy Josephina.
Calipso fit un pas, suivie de Coop. Elle avait manqué quelque chose. Elle fut soulagée quand elle entendit la voix d'Eddie :
— Ma Tia Pepa!
— Ah ! La famosa Pepa. Mucho gusto !
— Je sortais faire 2-3 courses, je vous laisse. ¡Hasta luego !
Apparemment, elle ferait connaissance de Pepa un autre jour. La porte claqua derrière la tante d'Eddie et Calipso le retrouva, assis sur le canapé, la jambe posée sur la table basse. Il avait bien meilleure mine que la dernière fois où elle l'avait vu à l'hôpital. Coop sauta sur le canapé pour faire la fête à Eddie et descendit aussitôt pour s'asseoir devant lui et recevoir des gratouilles sur le museau.
— Tu es venue comment ? demanda Eddie.
— A pied, répliqua-t-elle en désignant ses jambes. Contrairement à toi, il ne me manque qu'un bras. Cela ne m'empêche pas de me déplacer.
— Tu as été plus la chanceuse, plaisanta-t-il. Si tu veux, il y a des bières au frigidaire.
C'était si gentiment proposé… Elle trouva la cuisine et sourit devant la photo d'Eddie et Christopher sur le frigo. Elle attrapa deux bières par le haut des bouteilles et les coinça entre ses doigts, puis elle donna un coup d'épaule à la porte pour la refermer. Elle s'assit en tailleur à l'opposé d'Eddie et lui tendit les bouteilles :
— Je veux bien être les jambes, mais tu vas devoir être les mains.
— Je ne t'ai pas remer… commença-t-il en lui rendant sa bouteille.
— Rien de plus normal, l'interrompit-elle, je ne faisais que mon devoir. Et… Tu aurais fait de même pour moi.
— Ton devoir ou non, cela n'a pas d'importance. Tu devrais accepter les remerciements, c'est beaucoup pour les personnes qui te les apportent. Donc je tiens à te remercier pour moi, mais surtout pour Christopher.
— Si c'était à refaire, je le referai sans hésiter.
Elle baissa les yeux en balançant la bouteille. Le regard fixe, elle pressa ses lèvres.
— Je regrette de ne pas avoir conduit ce soir-là. Qui sait ce qui aurait pu t'arriver ?
— Et donc ? recula-t-il la tête. Tu aurais été à ma place, c'est tout.
— Tu as Chris et… elle hésita à poursuivre. Personne ne m'attend.
Elle se blottit contre le coin du canapé pour trouver un refuge, se sentant stupide. Pourquoi devait-elle toujours s'ouvrir à lui ? Même Ravi et May n'avaient pas autant connaissance de ce qui la traversait, pourtant elle tenait à eux. Les Super Trouper passaient souvent des journées et soirées ensemble, ils connaissaient ses goûts mieux que personne. Mais elle restait une coquille fermée en termes de sentiments. Avec Eddie, cela avait été différent.
Une réponse traversa son esprit, elle refusait de l'accepter. Plus maintenant.
— Tu te trompes, déclara-t-il.
Il la fixait de ce regard si pénétrant. Ses iris lui apportaient une confiance inimaginable. Toute sa peine s'effaça. C'en était déroutant, ce vacillement d'émotions sans un mot. Inconsciemment, c'était ce dont elle avait été à la recherche par cette visite. S'assurer qu'il allait bien, mais surtout trouver le réconfort que seul lui était capable de lui apporter.
— Et… Tu crois vraiment que cela aurait changé l'issue ? s'étonna-t-il. Tu l'as dit, j'aurais sauté aussi. Je ne serais pas sorti de l'eau sans toi, Calipso. Les rôles auraient simplement été échangés. Je t'aurais apporté les bières et tu les aurais ouvertes.
Aussi ridicule était cette réflexion, Calipso pouffa de rire. C'était l'effet escompté car il releva le menton de fierté. D'ailleurs, elle aussi pouvait éprouver ce sentiment.
— Tu te moquais de ma caisse de secours, mais elle t'a sauvée la vie ! remarqua-t-elle.
— Et j'ai bien fait de t'obliger à enlever tes pieds de la boîte à gants.
— Mhh, grommela-t-elle, on est quittes alors.
D'une même idée, leurs deux poings se dirigèrent vers l'autre d'un check complice. Calipso mima l'explosion quand leurs poings se touchèrent. Elle ne quitta pas Eddie des yeux quand il laissa sa tête tomber contre le dossier du canapé, elle fut vite dissuadée de poursuivre. Elle détestait la manière dont il la contemplait – enfin… elle s'en convainquait.
Un filet de bière glissa le long de son œsophage alors qu'elle se mordait la lèvre. Qu'était-elle censée lui dire maintenant ? Bon, je vais partir maintenant. Je voulais juste être certaine que tu allais bien et me sentir bien quelques minutes. Nop. Trop brut. Je voulais te dire que tu éteins mon feu, que je n'aurais jamais pu retrouver de l'air si je t'avais perdu, mais je ne peux pas prendre le risque de te perdre. Ah ah ah. Hilarant. Jamais de la vie. Je t'apprécie beaucoup, Edmundo Diaz, mais je vais rentrer chez moi avant d'avoir des pensées plus farfelues. Non, mais vraiment ? Comment pouvait-on être aussi idiote ?
— Cali ?
— Mhh ? tendit-elle l'oreille.
— Je te disais que je te rendais ton bracelet, si je veux éviter d'avoir une énième réprimande de mon fils.
Quand lui avait-il parler ? C'était définitif. Même un cageot de bulots cuits n'avait pas son QI.
— Ah. Euh. Oui. Merci, bafouilla-t-elle.
Elle se débattit avec sa bouteille, ne sachant quoi en faire. Calipso trouva l'ingénieuse solution de la caler entre ses chevilles en tailleur. Elle devait vite récupérer le bracelet avant d'inonder le canapé d'Eddie. Elle tendit la main pour le récupérer, Eddie ne l'entendait pas de cette oreille.
Il enroula ses doigts autour de son poignet et glissa lui-même le bracelet du bout de ses doigts jusqu'à son poignet. Le cœur de Calipso s'emballa et ses joues s'empourprèrent. Oh Dios, sa peau contre la sienne était bien trop plaisante.
Le poids du poignet retomba, les doigts d'Eddie ne la quittèrent. Ils entreprirent le chemin inverse d'une délicate caresse que ses poils s'hérissèrent. Calipso jeta un rapide coup d'œil vers Eddie, il observait sa réaction. Que cherchait-il ? Attendait-il un accord ? Se faisait-il de faux espoirs ? Oh non… Elle lui avait envoyé de trop mauvais signaux dans ce lac.
Leurs mains s'entremêlèrent. Calipso n'avait pas la force de s'en dégager, sûrement car l'envie ne se pointait pas. Son cœur lui criait de se lover dans les bras d'Eddie, elle s'y serait sentie si bien. Sa raison lui ordonnait de ne pas bouger d'un millimètre.
Le cœur et la raison : cette guerre interminable.
La raison ricana à son oreille. Imposante. Puissante. Elle ne l'avait pas écouté la dernière fois, regardez où cela l'avait menée ?
— Cali...
— Non, le coupa-t-elle. Je… Ecoute. Peu importe tout l'am… L'affection que je ressens pour toi, il vaut mieux qu'on en reste là.
— Je peux te dire ce que j'en pense ? répondit-il, moins enjoué presque déçu.
— Je préfère ne pas savoir, refusa-t-elle, un nœud dans la gorge. Je suis désolée, Eddie. Est-ce qu'on peut rester des amis qui s'entendent bien, s'il te plaît ?
— Je me sens déjà privilégié d'être ton ami.
Calipso approuvait le sarcasme, elle en était une fervente admiratrice et s'appliquait à l'utiliser. Elle avait toujours remarqué qu'il était toujours plus simple de le manier, plutôt que le repérer. A cet instant, elle analysait Eddie. Elle était certaine de percevoir une pointe de sarcasme, peut-être par le vocabulaire employé, ou par le ton, ou bien même par son attitude désinvolte.
Ce doute l'empêcha de répondre.
Leurs mains ne s'étaient pas quittées, liées, à leur place. La poigne d'Eddie se renforça, elle l'accompagna. Toute son énergie négative se dissipait. Et après tout, des amis se tenaient la main, non ? C'était un acte de soutien. Calipso s'en persuadait.
— Les amis ne s'abandonnent pas, ajouta Eddie. Je suis là, même si tu ne le vois pas.
— Qu'est-ce que tu racontes ? ne comprit-elle pas. Je t'ai toujours vu.
— Non, Cali… il sourit, lèvres pincées et caressa sa main.
— Explique-moi, alors.
— Je croyais que tu ne préférais pas savoir ?
Il la fixa, sourcils froncés. D'accord. Il maîtrisait le sarcasme d'une main de maître. Aussi joueuse qu'elle était, Calipso ne pouvait rien contre lui.
— Je t'ai toujours vu, bredouilla-t-elle pour se convaincre qu'elle avait raison.
— Si tu le dis.
La porte s'ouvrit. Leurs mains se détachèrent. Calipso eut l'impression de recevoir une claque, celle qui laisse la marque des cinq doigts sur la joue. Celle qui nous pousse à fuir, par honte.
— Holà ! Estoy de vuelta ! Calipso, tu restes manger avec nous ? Je vais cuisiner un pollo.
— Je te conseille d'accepter si tu ne veux pas faire mauvaise impression auprès de Pepa, chuchota Eddie.
Pourquoi tiendrait-elle à faire bonne impression, d'abord ?
— Si, gracias ! s'exclama-t-elle avant d'ajouter à voix basse. Je te rappelle que tout le monde m'adore, Edmundo. Je vais même l'aider !
— Avec une main ?
— C'est mieux que rien !
Sa main tapota l'épaule d'Eddie et elle s'empressa de rejoindre la cuisine d'où Pepa s'affairait au repas du soir. Derrière elle, Calipso perçut le tintement des béquilles. La tante d'Eddie la toisa du clin de l'œil et lui désigna un pot de glace sur la table :
— J'ai cru comprendre qu'il s'agissait de ton dessert préféré, remarqua-t-elle.
— Son repas préféré, corrigea Eddie.
— Vous n'étiez pas obligée, répliqua-t-elle en donnant un coup d'épaule à Eddie.
— Tu n'as pas à être si polie, cela me fait plaisir. Alors, Calipso, dit Pepa en coupant l'oignon et les yeux de Calipso commencèrent à la piquer, j'ai appris que tu étais mexicaine.
Calipso se retourna vers Eddie, qui lui sourit, avait-elle le droit à une once de vie privée ? Jamais, elle n'avait envisagé qu'il parle tant d'elle.
— Ma mère, informa-t-elle. Sa sœur et elle ont quitté le Mexique après leurs études.
— Tu n'y es jamais allée ?
— Non… Elles n'ont pas quitté leurs parents dans de très bons termes. Mamà et Tia Helena n'évoquaient que très peu leur passé. Je sais juste qu'elles habitaient au sud de Matamoros, à la frontière américaine.
— C'est le cas de beaucoup d'entre nous, lui apprit Pepa. Nous sommes de Puerto Palomas. Matamoros, n'est-ce pas d'où vient Teri Castillo ?
Pendant que Calipso frottait ses yeux, brûlants comme si on venait d'y couler des gouttes de piment, Pepa leva le menton vers Eddie.
— Qui ?
— Teri Castillo, la femme de Pedro Castillo ! Ton père et moi étions à l'école avec lui, ils habitent au coin du quartier. Tu n'es pas retourné à El Paso depuis bien trop longtemps !
— Je ne vois pas tous les habitants à chacun de mes passages, se défendit-il.
— Bref… Quand ta mère a-t-elle décidé de quitter le Mexique ?
La porte d'entrée s'ouvrit. Coop manqua de faire tomber Eddie quand il traversa ses jambes dans une glissade. Calipso le retint de son bras libre. Décidément, elle était sa grande sauveuse. Un rire joyeux amusa leurs oreilles.
— Coop ! Tu es là ! s'enthousiasma la voix de Christopher.
— Oui, bon chien ! perça la voix de Carla.
Rapidement, Christopher et Carla les rejoignirent dans la cuisine, un Coop euphorique devant eux. L'effusion de joie traversa Calipso d'un agréable courant d'air, une légère fraîcheur qui traversait la peau pour imprégner tout le corps.
— Il y en a du monde par ici ! Bonjour, Calipso ! s'exclama Carla.
— CALI ! Tu m'as manquée ! dit Christopher.
— Tu m'as envoyé un TikTok tous les matins, rigola-t-elle.
Il s'approcha et elle l'entoura de ses bras pour le serrer contre elle. Elle se moquait. Beaucoup. Mais Christopher lui avait manqué aussi. Ce n'était qu'une semaine. A croire que les événements semi-dramatiques rapprochaient les gens.
Coop tournoyait autour d'Eddie, Christopher et elle. Il n'avait pas été si heureux depuis le week-end camping. Qui en était étonné ? Elle aussi devenait folle enfermée à la maison. En relevant la tête, Calipso surprit l'échange de regards entre Carla et Pepa.
— Perfecto, dit Pepa.
This night is flawless. La voix de Taylor Swift s'incrusta dans son esprit, éclipsant les mauvais souvenirs pour celui-ci. Calipso n'avait aucune idée de la signification du Perfecto de Pepa. Qui pouvait deviner ? Calipso était certaine d'une chose.
La dernière soirée n'était pas parfaite, mais celle-ci l'était.
Et voilà !
Tout est bien qui finit bien, ou presque ! ^^
Ce chapitre vous a-t-il plu ?
Comment avez-vous trouvé le passage dans la voiture et la sortie de l'eau ? Je crois qu'il va passer un long moment en réécriture, j'ai l'impression de ne pas avoir réussi à transmettre toutes les émotions que je souhaitais... N'hésitez pas à partager votre ressenti. Est-ce que vous avez tout de même apprécié ? Même si on a failli perdre notre très cher Edmundo :'(
Et alors, à l'hôpital ? Chris n'est-il pas le garçon le plus mignon de la Terre ? Sauf quand il fait son ado, mais Cali n'a pas accès à cet aspect.
En parlant de Cali, qui veut la secouer ? Qui la comprend ? Qui... ? Je suis curieuse d'avoir votre avis sur la question.
Et Tia Pepa ! J'avais si hâte qu'elle fasse un petit coucou, comme Carla ! J'ai juste l'impression de ne pas réussir à la rendre marquante. Je suppose que je ne me suis pas imprégnée de son personnage. Il faudrait que j'écrive au brouillon, la scène de son POV pour que ce soit plus "simple". Et puis... bon... On est du POV de Cali, hein, elle est trop bousculée par ce qu'il se passe dans sa tête ahah.
Bref...
Au prochain chapitre (qui n'est pas encore écrit, car j'ai réalisé que je devais l'ajouter pour que ce soit plus cohérent avec la suite, plutôt qu'un rapide paragraphe. Donc je m'excuse d'avance si j'ai du retard) : La 118 reçoit une charmante visite, ce qui n'est pas au goût de Calipso. Une urgence entre dans la caserne. Athena donne rendez-vous à Eddie et Calipso pour leur apprendre la vérité sur la nuit de l'accident.
