Hello ! :)
Je vous souhaite une bonne lecture !
CHAPITRE 11 – Ebullition
— Ah, Cali.
Interpellée, Calipso glissa le tabouret dans un crissement désagréable pour faire face à Athena. Cette dernière l'enlaça pour la saluer. L'air d'Athena était grave, un brin soucieux.
— Tout va bien ? s'inquiéta Calipso.
— Oui. Est-ce que tu pourrais passer à la station après ta garde ? J'ai vu avec Bobby pour que vous terminiez plus tôt.
— Pourquoi ? Et comment ça « vous » ?
C'était étrange. Très étrange.
Quelques minutes plus tôt, Calipso était arrivée à la caserne – avec Ravi, son chauffeur attitré – d'un pas sautillant. Elle s'était levée de très bon pied ce matin et les sifflotements avaient rythmé chacun de ses mouvements. Elle avait ri aux éclats quand Chris lui avait envoyé ce TikTok où un corgi glissait sur un toboggan aquatique et vivait sa meilleure vie, suivi d'un golden retriever, non serein. Elle retint un rire, rien qu'à mobiliser ce souvenir.
Rien n'aurait pu aggraver cette journée.
— Ce serait bien qu'Eddie soit là aussi, déclara Athena et l'amusement de Calipso disparut d'un claquement de doigts. A 18 h ?
— Ça a un rapport avec l'accident ?
— Sois là à 18h, avec Eddie.
Par ses iris noirs orageux, Athena lui somma de ne pas insister. Calipso ne broncha pas. Athena Grant-Nash la terrifiait depuis ses premiers pas à la 118. Cela ne changerait jamais. Athena s'échappa par les escaliers et Calipso bascula son tabouret pour jeter un œil au bureau de Bobby. Peut-être pouvait-elle lui tirer les lances du nez… Athena lui en avait touché un mot, sans aucun doute. Mmhhh. Il ne comptait pas sortir. Elle se pencha pour l'apercevoir et…
— Ah !
Elle se rattrapa de justesse à sa table. Ouf. Un mauvais réflexe et Calipso se fracassait le crâne. Un arrêt de travail était suffisant, elle n'avait aucune intention de réitérer. Depuis trois semaines, sa vie récupérait de son sens.
L'annonce d'Athena l'intriguait. Pourquoi ne souhaitait-elle pas lui en apprendre plus ? Le rapport était l'accident, évidemment. Pourquoi Athena était-elle restée si succincte ? La réponse ne plairait pas à Calipso. Le seul aspect positif que Calipso trouvait était son assurance. Si des preuves apportées allaient dans leur sens, son assurance accepterait d'être plus généreuse. Calipso ne refuserait pas des dollars supplémentaires pour s'acheter une nouvelle voiture. Ravi était un amour, mais l'indépendance lui manquait.
Tiens, en parlant du loup, Ravi montait les escaliers deux par deux, suivi d'Eddie et Buck. D'un signe de la main, elle les invita à la rejoindre. Coop marcha d'un pas fier dans leur direction et reçut des grosses papouilles. Un chien heureux, donc.
Ravi claqua un bisou sur la joue de Calipso et s'appropria le siège à côté d'elle. Buck et elle s'adressèrent un check. Quand Eddie s'approcha, elle repéra une petite araignée qui se baladait sur une de ses mèches brunes. Elle plissa les yeux et il s'immobilisa devant elle :
— Ne bouge pas.
Sa phrase sonnait comme une mission périlleuse et secrète. Elle aurait pu être un protagoniste de taille dans le clip I can see you (tv) de Taylor Swift. Ses doigts en pince, elle attrapa la petite bête. Calipso secoua sa main et s'assura que l'araignée était bien tombée avant de sourire à pleines dents vers Eddie.
— Voilà, cowboy. Je t'évite la transformation en Spider-Man.
— Et si j'avais envie de devenir Spider-Man ? plaisanta-t-il.
— Un Spider-Man à Los Angeles et puis quoi encore ? N'oublie pas « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », remercie-moi de t'épargner cette terrible fatalité.
— Merci, Calipso.
Le sourire d'Eddie la fit fondre sur place. Comme un pot de glace en plein soleil à Los Angeles, elle n'était rien. Elle évita l'accès à son visage, il faisait assez de ravages ainsi. Calipso devait reprendre ses esprits pour garder la limite de « bons amis qui s'entendent bien », qui fonctionnait à merveille depuis son instauration.
Deux semaines qu'Eddie était revenu à la caserne. Aussi bête que cela puisse paraître, Calipso se trouvait plus proche de lui alors qu'elle gardait toute sa distance. Il lui manquait. Enormément. Toujours. C'était un risque, mais tout se passait mieux ainsi. C'était donc la meilleure décision.
— On ne vous dérange pas trop ? se moquèrent Ravi et Buck.
Calipso, sur ses grands chevaux, était prête à répliquer. Elle était à une vibration de cordes vocales de les envoyer balader. C'était sans compter sur le bruit lourd qui tomba au sol. Tous les quatre s'intéressèrent au sac qui venait de chuter. A côté de lui, Chimney pianotait à une vitesse affolante sur son portable.
— Un problème, Chim ? demanda Buck.
— Nahh, répondit-il en mâchouillant son chewing-gum – quelle habitude. J'ai un message de la plus haute importance à envoyer à Hen.
— Tu la vois dans maximum dix minutes, constata Calipso.
— Que ne comprends-tu pas dans « plus haute importance », Cali ?
Il adressa un clin d'œil dans leur direction. Derrière elle, Buck et Ravi gloussaient comme des adolescents. La caserne 118 était parfois incompréhensible.
Bref. Elle aussi avait une information ultra importante à transmettre.
— Athena nous demande d'être à la station à 18h, annonça-t-elle à Eddie. Bobby est au courant.
— Qui ? Nous ? l'interrogea Buck en les montrant du doigt dans un cercle parfait.
— Eddie et moi.
— L'enquête sur l'accident avance ? demanda Eddie.
— Je ne sais pas. Athena ne…
— BONJOUR LA 118 !
Buck et Calipso se bousculèrent pour apercevoir la source de la voix. Une femme de leur âge marchait dans leur direction. Son sourire était radieux.
— Oh non… soupira Eddie.
Intrigant. Pourquoi une telle réaction de la part d'Eddie ? Calipso s'affaissa sur la table afin de mieux observer la femme, alors qu'Eddie n'avait pas cette curiosité. D'un mouvement de la main, la femme cacha une de ses mèches noires derrière son oreille. Un geste banal, Calipso le trouva agaçant. Non, prétentieux. Cette femme était prétentieuse.
Son pas était pressé. La femme tenait une boîte dans ses mains, Calipso y devina du brownie. Hors de question, elle ne toucherait pas à la nourriture d'une inconnue. Les risques d'empoisonnement étaient élevés, elle ne souhaitait pas prendre le risque. Cette femme ne l'inspirait vraiment pas.
Et où se permettait-elle d'entre dans leur caserne sans permission ?
Et pourquoi Eddie s'était-il pris le visage dans les mains avant de se retourner, un sourire hypocrite dessiné sur ses lèvres ?
Calipso scruta Eddie. Il s'accrochait à la table, pianotant sur le rebord. Pourquoi alternait-il son regard entre elle et cette femme ? L'estomac de Calipso effectua un looping, digne du meilleur grand huit au monde. Calipso eut un mouvement de recul. Non, non, non. Elle n'aimait pas les proportions que prenait cette journée, elle était censée être bonne !
A leur hauteur, la femme posa la boîte sur la table ronde devant eux. Toute son attention se concentra sur Eddie et la femme l'embrassa sur la joue.
PARDON ? QUOI ? QU'AVAIT-ELLE MANQUE ?
Un coup de coude cogna contre ses côtes. Elle en sortit de ses pensées. Oh… Pire… Elle réalisa qu'elle fixait de manière socialement incorrecte cette femme et Eddie. Ravi lui donna un nouveau coup et elle se tourna vers lui :
— C'est qui ? lut-elle sur ses lèvres.
Aucune idée. C'était bien le problème. La femme ne cessait de sourire. Pathétique, pensa Calipso. Eddie était sans aucun doute gêné, il était incapable de fixer une cible. Calipso interrogea Buck du regard, mais il était aussi perdu qu'eux. Au loin, Hen tapotait sur l'épaule de Chimney dont la mâchoire frôlait le sol, comme dans les vieux cartoons.
Calipso ne comprenait RIEN. Avait-elle déjà dit que cette journée étrange ?
Un blanc s'ensuivit. La femme les observait un à un. Eddie se frottait l'arrière du crâne. Ravi regardait Calipso avec préoccupation. Buck plissait les yeux. Calipso… Calipso était perdue. La nervosité titillait tous ses membres, l'impulsivité surgit.
— Bonjour ! s'exclama Calipso, avec beaucoup de maladresse. Eddie, tu ne nous présentes pas ?
Les yeux prêts à sortir de leurs orbites, Eddie la jugea. S'il croyait s'en sortir sans une explication, il rêvait. Enfin… Elle tentait surtout de masquer son agacement par de l'intérêt. Elle haussa un sourcil et Buck les coupa :
— Buck, tendit-il sa main à la femme.
— Susan, la présenta Eddie, mes amis de la 118. Buck, Ravi, Cali, c'est… Susan.
AH ! Si Calipso n'avait pas envie de se jeter sous un camion de pompier en pleine course vers une intervention, elle aurait pouffé de rire à en rendre jalouse les mouettes de la plage.
Quelle originalité ! Calipso aurait pu deviner que cette femme portait un prénom banal.
— Je suis tellement contente de vous rencontrer, dit Susan d'une voix aiguë, à faire saigner des oreilles. Eddie m'a parlé de vous.
COMMENT CA ? Et… Depuis quand la fréquentait-il pour être aussi… présente ? Une bouffée de chaleur étrangla Calipso. Elle bouillonnait. Elle était cette théière sur le feu, à l'eau trop chaude. Ses oreilles sifflaient, la fumée s'en échappait. Ses membres fourmillèrent.
Calipso mourrait d'envie d'une course pour extérioriser toute cette sensation. Ou d'une intervention. Ou d'une série de tractions. Ou de Mamma Mia ! Ou n'importe quoi.
Les iris noisette d'Eddie croisèrent les siens. Il était… Elle ne savait même plus. Mais elle, elle…
Please don't be in love with someone else
Please don't have somebody waiting on you
Tout le corps de Calipso hurlait ces phrases. Ses yeux l'ordonnaient à Eddie. Était-il capable de le lire ? De l'entendre ? En choisissant de s'écouter, elle n'avait pas pensé à ce terrible scénario. Et maintenant ? Son cœur tambourinait, il commandait ses mains d'attraper Eddie et de l'emmener loin, très loin d'ici. Ou juste de cette Femme-Au-Prénom Banal. Il commandait ses cordes vocales et ses organes phonatoires de prononcer ces phrases à voix haute.
Please don't be in love with someone else
Please don't have somebody waiting on you
Hulk s'imprégnait d'elle. Bientôt, elle renverserait la table. Argh. Elle était d'un niveau de ridicule impitoyable. C'était son choix. Sa fierté de ne pas admettre l'évidence. C'était son choix de ne pas souffrir et faire souffrir. Ridicule. Elle n'avait le droit que de se taire, sourire, accepter. Point. A la ligne.
Bobby, Hen et Chimney s'approchaient d'eux. Chimney passa un œil par-dessus l'épaule de Buck :
— Oh ! Du brownie, c'est pour nous ?
— Oui, vous le méritez ! Être pompier, que c'est admirable. La population ne vous remerciera jamais assez pour…
Calipso roula des yeux. Pathétique, très pathétique, ultra pathétique. C'était à vomir. La voix stridente de Susan l'horripilait. Ses cheveux noirs passés au lisseur narguaient sa crinière de lion indomptable. Son sourire jusqu'aux oreilles l'exaspérait.
Il faisait beaucoup trop chaud, ici. Calipso devait s'occuper les esprits. Tout son corps brûlait, d'une douleur qui lui aurait valu un aller sans retour au service des grands brûlés.
— La dernière fois qu'on a accepté du brownie, murmura Hen à l'oreille de Ravi, toute la caserne était sur une autre planète si tu vois ce que je veux dire.
— Pas moi, corrigea Chimney en bombant son torse avec fierté.
Voilà. Calipso avait toutes les raisons de ne pas faire confiance à cette Femme-Au-Prénom-Banal. Elle sauta de son tabouret et tendit la main à Susan. Bien sûr, la Femme-Au-Prénom-Banal, trop polie – et agaçante – ne la refusa pas.
— Calipso Rivera, ravie de t'avoir rencontrée, dit-elle d'une voix tremblotante. Je… Je suis d'inventaire, mais j'espère te revoir bientôt !
Mensonge. Calipso souhaitait la voir disparaître, ou bien qu'elle-même disparaisse.
— Enchantée, aussi ! Bonne journée.
Ouais… Bien sûr…
Calipso passa si près d'Eddie qu'elle le bouscula. Peu importait, elle dévala les escaliers et attrapa une tablette pour simuler être affairée dans l'inventaire. Elle monta dans la première ambulance et s'assit sur le siège. Plus qu'à attendre que la Femme-Au-Prénom-Banal s'en aille.
Qu'elle était ridicule. Elle était sans aucun doute jalouse. Pourquoi ? Calipso était responsable. Elle ne pouvait en vouloir à Eddie, ni à cette Femme-Au-Prénom-Banal. Mais pourquoi ? Jamais, elle n'avait été jalouse. Jamais. Pourquoi traitait-elle Susan comme une menace ? Eddie vivait sa vie, avec Susan s'il le fallait.
Brrr… Des frissons la parcoururent. Non, elle n'espérait pas revoir la Femme-Au-Prénom-Banal. Et certainement pas au bras d'Eddie, elle en serait incapable. Calipso n'avait jamais été forte, elle ne commencerait pas aujourd'hui.
Des griffes glissèrent sur les marches en métal de l'ambulance, Coop, bien pataud, se coucha à ses pieds, suivi de Ravi qui trouva place en face de Calipso. Il n'eut pas à prononcer un mot, elle n'eut pas à émettre un son. La télépathie s'en chargeait pour eux.
Ravi tendit sa main qu'elle attrapa. Son soutien indéfectible ne faillait jamais. Que serait sa vie à Los Angeles sans son chaton ?
— Tu n'as plus à te cacher, il la raccompagnait.
— Je ne me cachais pas, nia-t-elle.
— Pas à moi, Cali, répliqua-t-il, désespéré. Pas à moi.
Elle aurait essayé.
Le pouce de Ravi caressa le dos de sa main. Une larme glaciale coula sur la joue enflammée de Calipso. Si son corps s'enflammait, la boîte qui renfermait ses sentiments brûlerait avec lui, non ? N'était-ce pas ce qu'elle avait ordonné ? Pourquoi étaient-ils toujours là ?
Ces dernières semaines, elle s'était convaincue que cette distance la gardait proche d'Eddie. Calipso s'était fourvoyée. Toujours aussi idiote. Tout était plus puissant. Des coups de poing violents.
Sa raison se moquait d'elle. Son cœur se débattait. Aucune échappatoire…
Sauf si… Non… Il était encore trop tôt.
— J'étais presque sûr que vous étiez ensemble, murmura Ravi.
Un rire nerveux la secoua. Calipso essuya la larme du dos de sa main, en haussant les épaules. Comment auraient-ils pu être ensemble ? Peut-être auraient-ils pu. Elle avait cru être importante aux yeux d'Eddie, elle avait cru aux derniers signes. Il était passé si vite à autre chose. Elle s'était trompée.
Ils n'étaient rien. Ils ne l'avaient jamais été. Ils ne le seraient jamais.
— Un passage au sac de frappe ? proposa Ravi. Mamma Mia ! n'est pas disponible.
Calipso grogna. Une course aurait été bien plus efficace. Elle accepta la main que Ravi lui tendait. Lorsqu'ils traversèrent la caserne, elle évita de regarder la sortie. Et si elle les surprenait en train de s'embrasser ? Oh non… Elle allait faire un malaise.
Ravi lui lança les gants qu'elle se dépêcha d'enfiler. Tel un taureau en furie, elle expira par le nez. Ses poings cognèrent contre le sac.
Un, deux, trois. Un, deux, trois.
Avec toute sa volonté, elle était incapable de mobiliser le visage de la Femme-Au-Prénom-Banal ou même celle d'Eddie. Le visage de Calipso s'y reflétait. Elle se vouait une haine indéfinissable. Chaque moment de sa vie était gâché par les mauvaises décisions. A chaque chemin, elle choisissait le mauvais.
Undeuxtrois. Undeuxtrois.
Calipso Murphy ou Calipso Rivera. Rien n'avait changé.
Undeuxtroisundeuxtrois.
Son enchaînement cessa quand Ravi relâcha le sac de frappe, sans un mot. Que lui arrivait-il ? Quelqu'un frôla Calipso et elle serra les lèvres. Elle n'avait pas besoin de le voir pour le reconnaître. Son odeur qu'elle ne pouvait qualifier, l'énergie qu'il dégageait, la sensation de respirer. Eddie prit la place de Ravi. Calipso reprit son enchaînement.
UNDEUXTROISUNDEUXTROIS
— C'est… commença Eddie.
— Susan. J'ai compris, compléta-t-elle.
UNDTROIUNDTROI..
La tête d'Eddie toucha le haut de son torse. Le cœur de Calipso se fissura. Et si elle lui avait fait de mal ? Était-elle en train de le blesser ? Malgré tout, elle était son amie. Elle devait le soutenir. N'était-ce pas cela le but des amis ?
— Très jolie, lança-t-elle.
De toutes ses forces, Calipso donna un gros coup de pied dans le sac de frappe. Pourquoi était-ce si difficile de faire-semblant ?
— Je n'aurais pas dit ça, répliqua Eddie.
— Ah bon, s'étonna-t-elle avec sarcasme.
— Belle, pourquoi pas, mais pas très jolie.
— Commesic'étaitdifférent, maugréa-t-elle.
— Ça fait toute la différence, Calipso.
Calipso arracha le scratch des gants d'une violence à faire pâlir le plus grand méchant de la plus terrible histoire au monde. Comment osait-il ? Le sac de frappe n'avait eu aucun effet, hormis augmenter son niveau d'agressivité. Le tiroir des gants claqua. Calipso fit volte-face et se cogna contre Eddie.
— Aïe, lâcha-t-elle en se frottant le nez.
— Ecoute…
— AI… AIDEZ-MOI.
A l'entrée de la caserne, une femme au ventre plus qu'arrondi gémissait de douleurs. Calipso sautilla et donna un coup dans l'épaule d'Eddie.
— Une autre fois, Edmundo.
Merci Madame-Au-Nom-Inconnu de lui permettre d'éviter Eddie Diaz et de la sauver par la même occasion.
Au pas de course, Calipso gagna la femme – aucun doute elle était enceinte. La dame s'accrocha à son épaule, le visage terrifié et boursouflé de larmes. Ses iris bleus se noyaient dans des vagues de douleur.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Eddie à leur hauteur.
— Il est évident qu'elle est en train d'accoucher, roula-t-elle des yeux avant de s'adresser à la femme. Nous allons vous conduire dans une ambulance pour vous transporter à l'hôpital le plus proche.
— Non, non, s'étrangla la femme. Il est là, le bébé arrive.
— Il est évident qu'elle est en train d'accoucher, appuya Eddie.
Calipso le menaça d'un regard foudroyant, que même Thor n'aurait pas été capable de mobiliser. Était-ce vraiment le moment ?
— Au lieu de discuter, va chercher Bobby et… quelqu'un !
Tout en accompagnant la femme enceinte jusqu'au cou vers les tapis de sport. Calipso fixa Eddie courir vers la mezzanine tout en tâchant de ne pas regarder trop bas. Depuis la remarque de Ravi, des mois plus tôt, Calipso s'appliquait à rester derrière lorsqu'Eddie et elle couraient ensemble. Son sport favori l'était d'autant plus… La vue était…
— AHHH !
D'accord, elle était à la caserne avec une femme sur le point de donner la vie. Elle devait se ressaisir. Calipso lâcha la dame et fonça jusqu'au dortoir pour récupérer oreiller et couverture. Elle s'appliqua à créer un lieu confortable et installa la femme.
— Voilà, doucement, chuchota-t-elle. Je suis Calipso, comment vous appelez-vous ?
— Yasmine, couina-t-elle. Je… Je vais perdre mon bébé ? Ce n'était pas prévu comme cela… Je préparais ma valise… Je…
— Votre bébé ira très bien, Yasmine. Je vous le promets. Mes coéquipiers sont les meilleurs.
Un vacarme éclata. Un troupeau d'éléphants parcourait les escaliers pour les rejoindre. Bobby accourut auprès d'elle et Calipso se décala. La main de Yasmine la rattrapa. Son visage lui priait de rester près d'elle. Calipso s'accroupit et lui sourit, rassurante.
Derrière Bobby, Hen et Eddie suivaient. Ce dernier contourna Calipso et s'abaissa en posant une main sur son épaule. Était-il vraiment en train de prendre appui sur elle ? Elle le fusilla du regard, sa prunelle devenait plus efficace qu'un revolver. Eddie déjouait les règles de leur jeu – inexistantes. Il inventait ses règles, il embrouillait Calipso.
Aucun ordre ne sortit de la bouche de Bobby. Hen n'eut pas le temps d'examiner Yasmine. L'alarme de la caserne brisa leurs oreilles – et le cri de Yasmine. A tour de rôle, ils s'observèrent. Un incendie était en cours dans un salon de coiffure. Ils devaient agir, mais ils ne pouvaient pas abandonner Yasmine.
— Vous restez ici, commanda Bobby. Hen, tu as la charge de l'intervention. Le bébé né et la mère stable, Eddie, tu contactes la centrale. Vous prenez l'ambulance et les emmenez à l'hôpital. Compris ?
— Et moi ? demanda Calipso
— Tu sais exactement ce que tu dois faire, répondit-il d'un clin d'œil.
Les doigts de Yasmine serrèrent sa main. Calipso approuva de la tête. Elle savait ce qu'elle avait à faire, en effet.
— Est-ce qu'on peut contacter quelqu'un ? proposa Calipso à Yasmine alors que les sirènes ambiançaient la caserne. L'autre parent, peut-être ?
— Il n'y a que moi, dit Yasmine. J'ai choisi de faire cet enfant seule. Ma famille a coupé les ponts quand je leur ai appris.
— Je vais mesurer votre col, annonça chaque acte Hen.
— C'est idiot ? jugea Calipso.
— C'est leur génération. Il faut trouver un travail, se marier avec le sexe opposé, avoir un enfant… « Yaz, il serait temps de trouver un homme », « Yaz, tu ne peux pas élever un enfant seul », « Yaz, les enfants ne se font pas de cette manière ». Je vais m'arrêter là, vous ne trouvez pas ?
Une grimace dévisagea Calipso, pas qu'elle d'ailleurs. La lèvre d'Eddie remonta et son nez se plissa, tandis qu'Hen exprimait le dégoût. Comment le monde pouvait-il encore tourner avec de telles idées arrêtées en 2024 ?
— Je vais vérifier la position du bébé, dit Hen.
— Votre enfant sera bien avec vous, conclut Calipso.
— Vous croyez ?
— Evidemment, confirma Eddie.
Calipso aurait cru d'Hen une affirmation, il n'en fut rien. Ce silence l'attira, tel un aimant. Le dégoût laissait place à la préoccupation. Hen mesurait ses mots, Calipso se retint de lui demander d'accoucher, le moment n'était pas opportun. Yasmine poussa un soufflement qui aurait détruit la maison du troisième petit cochon.
Les secondes s'écoulèrent. Hen, Eddie et elle communiquèrent par télépathie, Calipso ne recevait rien. L'information ne passait pas. Elle n'était pas la seule :
— Quoi ? paniqua Yasmine. Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Le bébé se présente en siège, déclara Hen.
— Oh Dios Mio ! s'exclama Calipso en détournant la tête, cela ne s'annonçait pas bon.
— N'écoutez pas, Cali, soupira Hen. Elle dramatise souvent. Je vais devoir manipuler le bébé pour lui offrir le meilleur passage. Eddie, va m'aider en appuyant à deux mains sur votre ventre. Ça risque d'être douloureux, mais on va y arriver ensemble, d'accord ?
— Je n'ai pas le choix ? sanglota Yasmine. AHHH.
A priori, elle ne l'avait pas, songea Calipso. Hen donna des consignes à Eddie. Calipso le suivit à chacun de ses mouvements. Il paraissait si sûr de lui, comme Hen. Comment pouvaient-ils l'être ? Calipso adorait les montées d'adrénaline, elle adorait les interventions risquées, elle adorait se mettre en danger. A cet instant, elle était mal à l'aise.
La vie d'un enfant qui n'avait pris sa première bouffée d'oxygène était en jeu. Le cœur d'une mère en péril.
— Vous avez des enfants ? lâcha Yasmine en écrasant la main de Calipso, elle se contenta de serrer les dents.
Hen et Eddie s'interrompirent dans leurs préparations. Si Yasmine lançait le sujet Christopher et Denny, son enfant n'était pas près d'être en place. Pourtant, Calipso adora la lumière que dégagèrent Eddie et Hen à la possibilité de parler de leurs fils.
— Denny, il a quatorze ans, commença Hen en souriant. Il adore le base-ball, il prend soin des autres. Nous n'aurions pas pu rêver mieux. Ma femme et moi aimerions adopter un autre enfant.
— C'EST VRAI ? s'étonnèrent Calipso et Eddie.
— Karen et moi y réfléchissons. Yasmine, je vais avoir créer un passage pour votre bébé. Eddie, va appuyer avec ses deux mains sur votre ventre. Préparez-vous.
Plus fort qu'elle, Yasmine poussa. Calipso ne sut pas si cela était bénéfique ou non. Elle échappa aux échanges de regards entre Eddie et Hen, et à cette scène. Son rôle était d'être le soutien de Yasmine. Rien de plus. Calipso glissa une mèche de cheveux de Yasmine sur le côté, comme si elle allait l'empêcher de mettre au monde son enfant.
— Un garçon aussi, dit Eddie en plaçant ses mains sur le ventre de Yasmine et Calipso se décala un court instant pour sourire à Eddie, elle aimait l'entendre parler de son fils. Christopher, il a treize ans. C'est le garçon le plus malin que je connaisse.
— Ah bah ça… commenta Calipso, ce qui provoqua un rire chez Yasmine avant son cri de douleur.
— Il aimerait être architecte, je ne doute pas de lui. Christopher ne supporte pas l'injustice et il aime plus que quiconque.
— Leurs fils sont des amours, ajouta Calipso.
— QUOI ? cria Yasmine et ce n'était pas de douleur. Vous n'êtes pas ensemble ?
Pourquoi le Destin s'en prenait-il à elle de cette manière ? Satan contrôlait sa vie, ce n'était pas possible autrement. Elle évita la réaction d'Eddie, c'était bien assez gênant. Calipso ne put pas en faire autant de celle d'Hen car elle explosa de rire, encore plus fort que les sirènes. Hilarant, vraiment.
— Nous sommes des amis qui s'entendent bien.
— N'est-ce pas le principe d'amis ? demanda Yasmine
— Je ne cesse de lui dire, plaisanta Eddie.
Calipso leva les yeux au ciel. Premièrement, il fréquentait une Femme-Au-Prénom-Banal. Deuxièmement, il se permettait de se moquer d'elle. Elle le détestait. Son amour se transformait en haine. Argh. Pourquoi pensait-elle à l'amour ? C'était fini alors que rien n'avait commencé.
— Tous les cœurs ne savent pas aimer, dit Calipso. Certains ne savent que battre.
Le flottement dans l'air fut le calme avant la tempête. Elle apportait un malentendu. Tout était clair dans la sienne, c'était d'elle dont on parlait. Il était plutôt évident qu'Eddie savait aimer. Elle le voyait quand il mentionnait Christopher, elle le voyait quand il interagissait avec la 118, elle le voyait quand il papouillait Coop. Elle le voyait.
— Yasmine, il est temps. On y va.
— Vous êtes une championne, l'encouragea Calipso. Je suis là. Brisez ma main s'il le faut.
Encore une fois, elle avait manqué l'occasion de se taire. Yasmine l'avait pris au mot. Des hurlements de douleur se répercutèrent dans la caserne, cela faisait un moment que Coop s'était réfugié à l'étage. La poigne de Yasmine s'intensifia. Calipso fuyait toute la scène. Elle se contentait d'encourager Yasmine.
Calipso ne s'était jamais penché sur la question accouchement. Si un jour, cela lui arrivait. Elle souhaitait être dans une salle – avec péridurale, sans aucun doute, elle souffrirait – bien sûr, mais elle serait accompagnée par son compagnon – si elle en trouvait un, ou si elle faisait le même choix que Yasmine, elle serait accompagnée de Ravi ou de May. Oui, Ravi ou May étaient les accompagnants parfaits pour accueillir son enfant.
L'idée idée était utopique. Elle n'était pas sûre que Yasmine s'était imaginée donner naissance à son enfant sur le sol d'une caserne de pompiers, entourée de trois inconnus et avec un bébé en siège. Ou alors, elle était une psychopathe.
La vie prenait souvent de drôles de décisions à notre place.
Une idée utopique qui lui permit d'éclipser cet accouchement. Le cri de la vie la ramena à la réalité. Dans ses mains, Hen portait un bébé en parfaite santé. La main de Yasmine quitta celle de Calipso pour la tendre vers son enfant.
— Une belle petite fille, dit Hen.
— Ellie, murmura Yasmine. Elle s'appelle Ellie.
— Bienvenue, Ellie, chuchota Calipso.
Du bout de son index, elle caressa la toute petite main d'Ellie. Elle était si minuscule. La petite main d'Ellie s'accrocha à son doigt. Une larme chatouilla le coin de l'œil de Calipso. Elle leva les yeux vers Eddie et aussi incontrôlable que l'envie de danser sur ABBA, les lèvres de Calipso dessinèrent un grand sourire, celles d'Eddie se mouvèrent de la même manière.
Le bonheur surgissait en un claquement de doigts, ou bien avec une naissance.
Le bonheur disparaissait en un claquement de doigts, ou bien avec la peur.
Hen, Eddie et Calipso avaient dit au revoir à Yasmine et Ellie aux portes de l'hôpital. Toutes ces minutes avec elles avaient occulté la Femme-Au-Prénom-Banal et le rendez-vous d'Athena. Calipso avait oublié à quel point sa journée avait pris une tournure aux antipodes.
L'équilibre ne se trouvait pas. La naissance ou la mort. Le bien ou le mal. La joie ou la tristesse. La sérénité ou l'angoisse. Le bonheur ou le malheur. La balance de Calipso basculait sans cesse, instable et perturbée.
Leur garde écourtée, ils étaient trois dans la voiture d'Eddie. Eddie, Calipso et la boule dans son ventre. Le poids pesait. Lourd. Imposant. Il grossissait au fil des minutes, chargé de la présence de la Femme-Au-Prénom-Banal dans la vie d'Eddie. Et… Etait-elle présente dans celle de Chris aussi ? Le poids gonflait, comme un ballon de baudruche rempli d'eau. Chargé du questionnement face à l'accident. Même la vidéo des chiens, ou Yasmine et Ellie n'avaient plus d'effet sur son humeur.
De plus en plus gênée par cette masse, Calipso s'agita sur le siège passager. Elle se tritura de gauche à droite, d'avant en arrière. Elle percevait les coups d'œil d'Eddie. Il restait silencieux. Elle s'était cru plus proche de lui. C'était le cas ce matin. Ce soir, un gouffre les séparait.
Le poids était un éléphant dans cet espace trop petit qu'était son corps d'humaine. Ses grosses pattes la dérangeaient. Calipso avait envie de vomir. Coop n'était pas là pour aspirer son énergie négative. Pourquoi avait-elle demandé à Ravi de le ramener chez elle après la garde ?
Coup de frein. Moteur éteint. La station de police était à la droite de Calipso. Que les attendait-il ?
Calipso ouvrit la portière. Un pas. C'était injuste de sa part de ne pas l'attendre.
— Ça va ? s'enquit-elle en remuant sa crinière de lion.
Eddie gardait ses mains dans les poches. Ils se retrouvèrent côte à côte. Eddie sourit. Calipso fondit.
— Je suis inquiet, mais si Athena n'a pas donné d'explications, cela ne doit pas être si grave. Et toi ?
— Je pense que si Athena nous a convoqués, à nous faire quitter la caserne plus tôt, cela doit être grave.
— D'accord. Et comment te sens-tu ?
— Mal. J'étais persuadée que ma journée serait bonne.
— Et bien… Tant que nous ne savons pas pourquoi nous sommes ici, ta journée est encore bonne, non ?
D'accord. Calipso allait mourir aujourd'hui, étouffée par des flammes et par son vomi qui ne tarderait pas à remonter. Elle se cacha de la vision d'Eddie pour expirer. Oh Dios mio, sauvez-la pria-t-elle. Le visage de la Femme-Au-Prénom-Banal s'afficha dans son esprit, le baiser qu'elle avait déposé sur la joue d'Eddie. AH ! Elle allait s'arracher les cheveux. Calipso ne pouvait en parler à Eddie, il saurait qu'elle était jalouse. Elle aurait été pathétique, ou ridicule, ou les deux à la fois.
— Disons que la journée ne s'est pas passé comme je l'imaginais, tourna-t-elle autour du pot. Et cette convocation a embrouillé mes esprits toute la journée.
Finir par un mensonge n'était pas prévu.
— Alors, allons-y.
Le bras d'Eddie se déposa sur ses épaules et il appuya une légère pression pour l'inviter à avancer. Son éléphant se transforma en hippopotame. La main d'Eddie serra son avant-bras. Son hippopotame devint un cheval. Le feu s'épuisait. Un pas, elle se colla à Eddie. Elle avait un chien désormais – un autre que Coop.
La porte vitrée de la station révéla Athena, qui leur ouvrit. Son visage était fermé, ses lèvres s'étendirent pour l'adoucir. Athena les jugea, ses iris noires les passant aux rayons X. Calipso aurait dû fuir l'étreinte d'Eddie. Elle ne le fit pas.
— Suivez-moi, leur demanda Athena.
Calipso et Eddie s'observèrent.
— Ca va aller, hein ? chuchota-t-elle.
Il hocha la tête. Il n'était pas confiant.
La pièce vers laquelle Athena les attendait n'était qu'à quelques mètres, Calipso eut l'impression de parcourir des kilomètres. La main d'Eddie quitta son bras. Calipso l'attrapa. Son cerveau était un vrai écrasé de pommes de terre. C'était idiot, tout comme son besoin d'être en contact avec la peau d'Eddie. Etonnamment, il referma ses doigts autour des siens. Calipso s'y accrocha, il était sa bouée de sauvetage.
La salle était petite, seules cinq-six personnes pouvaient y tenir. Elle donnait sur une autre salle, vide, mais lumineuse. Calipso devina qu'un miroir sans tain les séparait. Ils verraient sans être vus.
— Sergent Grays, Eddie Diaz et Calipso Rivera.
La voix d'Athena attira Calipso. Elle leur présentait un immense homme à la peau noire, dont la carrure de rugbyman ne donnait pas envie de s'y frotter. Il portait le même insigne qu'Athena, un collègue, donc. L'homme leur tendit la main pour les saluer.
— Bonsoir, je suis le sergent chargé d'une autre enquête sur un accident similaire au vôtre. Nous avons de nouveaux éléments.
— Vous l'avez retrouvée ? dirent Eddie et Calipso en chœur.
Leur poigne se referma, plus fort, plus intense. Ils comptaient sur l'autre. Le sergent Grays marmonna quelques paroles au téléphone accroché à un mur. Il leur désigna la salle d'à côté. Le cœur de Calipso palpita. Sa tête tourna.
Une femme entra. Une autre. Une troisième. Une quatrième. Une…
— C'est elle ! s'écria Calipso en pointant du doigt la cinquième femme. C'est la femme qui était au milieu de la route !
Calipso chercha la confirmation d'Eddie qui suivit aussitôt. Il prononça les mêmes mots qu'elle. Il en était sûr, comme elle. Calipso ne l'avait aperçue que quelques secondes. Elle ne s'était jamais remémoré les traits physiques, ils ne l'avaient pas frappée ce soir-là. Seule la crainte de la percuter l'avait saisie, puis toute la peur de la soirée.
Ce soir, elle la voyait. Des cheveux courts de la même couleur que les châtaignes d'automne. Des yeux en amandes couleur sauge. Un menton pointu. Des joues creuses. C'était elle. C'était la femme de l'accident.
Athena et le sergent Grays s'échangèrent un mouvement de tête assuré. Les femmes disparurent. Un courant électrique traversa l'échine de Calipso, ses jambes flanchèrent. Eddie serra ses doigts. Il était là. Athena s'approcha d'eux, elle cherchait ses mots.
— Cassidy Ross, annonça-t-elle. Nous l'avons retrouvée avec son mari, Enzo Donovan. Le sergent Grays et moi avions repéré des coïncidences entre nos deux enquêtes, ainsi que des vols. Pour faire court, Ross et Donovan simulaient des faux accidents ou des fausses pannes pour arrêter des véhicules. En général, ils profitaient de la préoccupation des conducteurs pour voler de l'argent dans les voitures arrêtées.
— Donc… Elle cherchait à nous arrêter pour nous voler ? comprit Eddie alors que Calipso demeurait sidérée.
— C'était l'idée. Nous avons confirmation de victimes comme vous, ainsi que ceux qui ont subi les vols. Il s'agit bien de Cassidy Ross et Enzo Donovan. Nous allons procéder à l'arrestation.
— J'aimerais la voir, prononça Eddie d'un ton ferme.
Calipso leva les yeux vers lui. Depuis combien de temps n'avait-elle pas eu accès à ce masque dur qu'il arborait ? Un moment. Ce n'était pas ce visage qu'elle aimait le plus, cependant, c'était celui qui lui apportait détermination.
— Moi aussi, déclara-t-elle.
— Non, répliqua Athena.
— Nous méritons d'avoir des comptes et des excuses, argumenta Eddie. J'aimerais lui parler.
— N'insistez pas. Vous n'êtes pas en droit de l'affronter.
Comment cela n'étaient-ils pas en droit ? N'étaient-ils pas les plus légitimes ? C'était de trop pour Calipso. C'était son histoire, leur histoire. Ils méritaient d'extérioriser et porter coupable les responsables. Ils méritaient de l'affronter pour panser les dernières blessures.
— Laisse-nous la voir ! C'est à nous qu'elle a fait du mal ! A NOUS !
— Calme-toi, la pria Athena.
— QUE JE ME CALME ? s'étrangla Calipso. QUE JE ME CALME ? Elle a failli nous tuer ! Eddie est… Elle a failli nous tuer, Athena ! Et tu voudrais que je me calme ? JE DOIS LA VOIR.
— Tu ne la verras pas, Cali. Vous ne la verrez pas, décréta Athena en lançant des éclairs à Eddie. Notre enquête va se terminer et ils seront jugés. Votre rôle s'arrête ici. Venez manger à la maison jeudi soir, d'accord ?
Calipso l'entendit comme une question, pourtant Athena les guida vers la sortie sans leur réponse. Eddie lâcha sa main et quitta la station sans l'attendre. Calipso se sentit seule, idiote, comme une plante verte oubliée dans le coin de la pièce la moins utilisée de la maison. Elle s'enveloppa dans ses propres bras, seul réconfort. Toute cette attente, tout ce questionnement, pour cela. Une personne à travers un miroir sans tain et une explication. C'était tout.
On appelait cela la frustration.
Ses chaussures frottèrent sur le carrelage par son pas traînant. D'un coup d'épaule, elle s'ouvrit la porte. Calipso repéra Eddie, adossé à la voiture. Quand il leva les yeux vers elle, il se redressa. Face à lui, Calipso se libéra de ses bras et lâcha :
— Tu ne dis rien ?
— Athena ne nous laissera pas faire, répliqua-t-il.
— Chris aurait pu être gravement blessé.
— Je sais et je suis très en colère. C'est pour cette raison que nous ne devons pas y aller, Cali.
— Tu es presque mort, rappela-t-elle et sa voix flancha.
— Je sais.
Il y eut le vrombissement des voitures. Il y eut les mains d'Eddie qui se posèrent sur ses joues. Il y eut l'écho de sirènes au loin. Il y eut des voix, prises dans une discussion amusante autour d'eux. Il y eut le sourire sincère d'Eddie. Il y eut le cœur de Calipso qui explosa.
— Christopher va bien. Tu vas bien. Je vais bien. Ils vont payer, d'accord ? la voix d'Eddie sonnait comme une promesse, elle hocha la tête. Et tu pourras t'acheter une nouvelle voiture.
Ils rirent en chœur, d'une même harmonie. Ils échangèrent des éclats de rire, nerveux. Calipso flottait sur un nuage, comme une bulle dans les airs. Comme les bulles, cet instant éclata avec légèreté, mais définitif.
Leurs rires s'éteignirent. Les mains d'Eddie la quittèrent. Tout s'arrêtait ici, car elle n'était que Calipso. Elle n'était pas cette Femme-Au-Prénom-Banal.
— Tu veux manger à la maison ce soir ? proposa Eddie.
Oui, cria son cœur. Non, ordonna sa raison.
— Ravi et Coop m'attendent. Une autre fois, refusa-t-elle et son cœur pleura.
Eddie n'insista pas, Calipso l'en remercia. Quelques secondes, elle le regarda. Pourquoi était-il si proche d'elle ? Pourquoi lui permettait-il tant alors qu'il en avait choisi une autre ?
Please don't be in love with someone else
Taylor Swift chantait dans son esprit, mais ce n'était pas sa voix. C'était celle de Calipso. Cette chanson lui avait porté malheur une fois, elle ne pouvait l'accepter une deuxième fois.
Please don't have somebody waiting on you
Elle mourrait de lui dire qu'elle ne supportait pas de le voir au bras d'une autre, de lui dire qu'elle était trop fière, de lui dire qu'elle était incapable d'être honnête, de lui dire qu'elle était brisée, de lui dire qu'elle était effrayée, de lui dire qu'elle le voyait. Elle mourrait d'envie de lui dire qu'elle ne voyait que lui. Elle mourrait d'envie de lui dire. Ses lèvres se mouvèrent, d'autres mots s'en échappèrent :
— Est-ce que je… tu peux me serrer quelques secondes dans tes bras ?
Après tout… Y aurait-il d'autres moments où l'occasion se présenterait ? Non. Devait-elle en profiter ? Oui. Son corps était le meilleur maître, les mots étaient parfaits. La réaction d'Eddie, merveilleuse.
Les bras d'Eddie s'étendirent, à rendre jaloux le Chris Rédempteur. Calipso trouva sa place, enfin… elle se comprenait... Eddie la blottit contre lui. C'était comme être enroulée dans son plaid, en mieux, mille fois mieux.
Calipso baissa la tête pour la nicher dans le cou d'Eddie. Pour la première fois, elle était capable de distinguer l'odeur boisé et citronné qu'il dégageait. Elle l'adorait. Ses yeux se fermèrent pour s'imprégner de ce parfum. Enivrant. Ensorcelant. Un tel pouvoir qu'elle s'autorisa à glisser ses mains dans le dos d'Eddie, à enrouler ses bras autour de sa taille. D'une vraie étreinte, celle dont on ne voulait jamais se défaire.
— Nous allons bien, susurra Eddie à son oreille.
Son souffle chaud hérissa les poils de Calipso. Oui, elle mourrait d'envie de lui dire des mots, des plus courts aux plus longs, des plus drôles aux plus sincères, des plus banaux aux plus sensibles, des plus amicaux aux plus amoureux, d'un seul mot à un nombre infini. Elle resta silencieuse.
Car les quelques secondes se transformèrent en des minutes.
Rien ne comptait, pas le fait qu'elle s'était embourbée dans une situation misérable, pas le fait qu'elle ne serait jamais sienne, même la Femme-Au-Prénom- Banal lui importait peu. Tout ce qui comptait était qu'elle était dans ses bras et qu'ils allaient bien.
Et autre chose…
Pour la première fois depuis le 11 septembre 2001, son feu était éteint.
Je ne sais pas si je dois mettre un bonhomme triste ou un bonhomme content.
Ce chapitre vous a-t-il plu ?
Bon, Cali et Eddie nous font du grand Edipso, applaudissons-les. Que pensez-vous de Susan (aka la Femme-Au-Prénom-Banal, vous avez une idée de la maturité de Calipso ahah) ? Que pensez-vous de la réaction de Cali (légitime ? extrême?) ? Que pensez-vous d'Eddie ? Il faut bien qu'il continue de vivre, le pauvre...
On dit bonjour à Yaz et Ellie, ahah. J'ai eu beaucoup de mal à écrire cette scène d'intervention. J'ai déjà beaucoup de mal avec les interventions en général, mais celle-ci d'autant plus. J'espère que cela n'a pas trop cassé le rythme du chapitre. La scène passera sous un bon coup de réécriture, quand j'aurai revu certains épisodes de série (dont un de Station 19) pour mieux gérer ce type d'intervention.
Et la réponse de l'origine de l'accident ! Qui veut aussi leur rendre des comptes ?
Et cette fin de chapitre ? Je pense que cette question suffit ?
Bref, j'ai écrit ce chapitre en deux semaines. Je ne fais pas partie de ces auteur-ices qui publient dans la foulée où iels écrivent. Réécrire oui, mais pas écrire. Je préfère avoir tout un tome de près ou des parties, afin d'y voir plus clair et leur apporter un peu plus de qualité. Cependant, maintenant que le chapitre est écrit, je me dis qu'il était plus que nécessaire... Cela permet d'avoir un meilleur ensemble des sentiments et des ressentis de Calipso, cela vous permettra de mieux comprendre les deux prochains chapitres... Je l'espère en tout cas.
Sinon... Je viens de réaliser qu'il ne restait que trois chapitres (peut-être quatre, j'hésite à couper le dernier). C'est passé si vite ! Je suis en train de bien préparer la partie 2 pour profiter du NaNoWriMo et vous évitez de trop attendre entre les deux parties. Bref...
Au prochain chapitre : Alors qu'ils interviennent dans un collège, Hen, Chimney, Cali et Ravi se retrouvent piégés dans une fusillade. Entre prises de risque et terreurs, cet événement bousculera... Tout.
Vous vous doutez bien que ce chapitre sera fort en CW. Donc prenez soin de vous.
A bientôt. Coeur sur vous.
