Hello ! :)
9-1-1 REVIENT LE 14 MARS ! sorry, eheh.
Bonne lecture !
CHAPITRE 14 – En eaux troubles
Une vingtaine de minutes plus tard, Coop se leva pour se coucher derrière la porte. Plus rien n'étonnait Calipso. Depuis leur arrivée à Los Angeles, il agissait de bien des manières qui ne lui ressemblaient pas. Elle se blottit entre ses coussins et remonta son plaid jusqu'au nez.
TOC ! TOC ! TOC !
Son cœur manqua un battement, surprise par les tambourinements à la porte qui brisèrent le silence de la maison et s'imposèrent sur les voix de la télévision. Il était tard, ce n'était pas normal. Elle s'avança vers la porte d'où Coop agitait la queue. Elle jeta un œil au judas.
Sérieusement ?
Eddie.
Que faisait-il là ? N'avait-il pas autre chose à faire ? Garder son fils par exemple ? Ou bien traîner avec une Femme-Au-Prénom-Banal. Déjà débordée d'émotions, Calipso refoula son envie de frapper dans le mur – ce n'était pas très intelligent, un sac de frappe aurait été plus intéressant.
— Pousse-toi un peu, demanda-t-elle à Coop.
Coop entre ses jambes, elle ouvrit la porte. Sa crainte d'être attaquée avait disparu.
— Tu sais quelle heure il est ? maugréa-t-elle, en preuve de détachement – ce qui était hypocrite. J'aurais pu être en train de dormir !
— Tu venais d'envoyer un message et il y avait de la lumière.
Il désigna la télévision. Le menton de Calipso toucha sa poitrine et elle souffla. Okay, elle n'était pas crédible.
— Entre, marmonna-t-elle.
Elle le regarda à peine. Elle ne comprenait pas sa présence ici, après leur dernier échange au collège, et tout le reste. Sa gorge se noua comme un étau, elle ne voulait plus y penser. Calipso lui laissa le soin de fermer la porte et elle retrouva sa place sur le canapé. Elle cacha, à moitié, les papiers présents sur la table basse et récupéra son pot de glace. Elle s'emmitoufla sous son plaid alors que Coop s'offrait une séance caresses.
Elle considéra qu'elle était finie quand Eddie passa devant elle et s'assit de l'autre côté du canapé. Comme s'il était chez lui, il enleva ses chaussures et posa ses pieds sur la table. Que cherchait-il ? Il ne lui dit rien et un nouvel invité les rejoignit : le silence. Elle détestait cela. Il n'était pas venu pour regarder la télévision, elle n'était pas idiote.
D'autres soirs, elle aurait été ravie de recevoir Eddie. N'importe quand d'ailleurs. Tout le temps, en fait. Aujourd'hui était une exception. Premièrement, elle désirait être seule. Deuxièmement, il venait dans l'objectif de discuter, ce dont elle n'avait pas envie.
Mais ce silence était insupportable. Sans quitter l'écran, elle l'interrogea :
— Tu n'es pas avec Christopher ?
— Il dormait. Buck est à la maison.
Evidemment. Elle était stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt. Calipso essuya du bout de sa manche une larme apparut. Ils avaient tous une personne et elle était seule, comme depuis toujours. Sa raison lui rappela que c'était pour le meilleur, son cœur lui cria qu'elle l'avait voulu. Après tout, c'était elle qui avait refusé l'invitation de Ravi, celle de Yasmine. C'était elle qui les rejetait.
— Comment vas-tu ?
La voix douce et rassurante d'Eddie la sortit de sa torpeur, comme s'il avait entendu ses pensées. Il avait mis un terme à son silence pour lui poser la question, celle pour laquelle il était venu. Calipso n'avait pas cette intention de révéler ses sentiments et encore moins ses projets. D'ailleurs, elle préférait qu'il parte enfin… elle s'en convainquait.
— Bien, répondit-elle le nez toujours vers la télévision.
Elle entendit les frottements du pantalon d'Eddie sur le canapé, il avait bougé. Si elle tenait compte de la logique de leur conversation, il se tournait pour être vers elle. Calipso baissa les yeux vers la table basse, les pieds d'Eddie avaient disparu. Elle avait vu juste.
— J'ai connu cette armure, déclara-t-il.
— Tu vas encore me raconter le jour de ton breakdown ? cracha-t-elle.
C'était méchant, ce qui n'était pas son intention. Elle agissait juste de manière que sa faiblesse ne transparaisse. Elle ne s'excusa pas, trop fière.
— Non. Je voulais juste te dire que je me suis senti plus léger et mieux quand je l'ai laissé tomber pour faire confiance aux personnes qui m'entourent.
— Je me suis toujours débrouillée seule.
— Tu n'es pas obligée de continuer.
Bien sûr. Chacune de ses paroles était aussi prévisible qu'un film Marvel. Calipso leva les yeux au ciel, tant de banalités. Elle planta sa cuillère dans la glace qui avait bien fondu et la porta à sa bouche.
— Tu en veux peut-être ? lui proposa-t-elle.
Sans attendre sa réponse, elle se rendit dans la cuisine. L'avait-il observée partir ? C'était cinquante-cinquante. Calipso s'accrocha au plan de travail pour reprendre sa respiration. Un gros poids s'implantait dans sa poitrine, l'angoisse montait. Inspire. Expire. Elle attrapa une cuillère dans le tiroir qu'elle claqua pour le refermer.
Au canapé, elle n'eut plus d'autres choix que de le regarder. Il avait les yeux rivés sur elle, et pas n'importe lesquels… Son regard était doux et… Non. Elle s'interdisait de tomber encore et encore sous son charme. Mais son cœur n'était pas indifférent, malheureusement. Elle lui tendit la cuillère pour éviter de se perdre.
— Merci.
Calipso posa le pot de glace entre eux deux et il en prit une bouchée. La diversion fonctionnait, parfait.
— Tu ne peux pas garder cela pour toi.
Ah. Ou pas. Eddie était tenace, elle le sous estimait.
Il utilisait cette voix dont elle était incapable de résister. Elle lui révélait ses plus profonds secrets à chaque fois. S'il continuait, elle craquerait. Il le savait.
— Je te l'ai dit, Cali. Nous ne laissons tomber personne.
Et voilà. Une larme lui échappa et elle s'empressa de l'essuyer. Il reprit une cuillère de glace, elle avait bien fait de lui apporter. Il lui proposa la cuillère qu'elle avait laissé planter dans le pot, un petit sourire et le front plissé l'air de dire : Essaie de refuser pour voir. Irrésistible. Elle l'accepta. Calipso apprécia le froid qui apaisa toutes les brûlures intérieures. Toutes ses émotions provoquaient une chaleur étouffante, un feu ardent.
Une seule manière pouvait éteindre ce type de feu.
Elle ferma ses yeux jusqu'à en avoir mal et laissa les larmes couler le long de ses joues. Elle prit une profonde inspiration et sur l'expiration :
— Ce n'était qu'un simple appel, murmura-t-elle.
— Je sais, dit doucement Eddie.
— Il y a eu les coups de feu. On a caché les personnes avec qui on était. Je devais suivre Hen, Chim et Ravi, mais j'ai vu un groupe d'élèves, je les ai cachés.
— C'est à ce moment que tu es allée te mettre à l'abri.
Elle hocha la tête. Non. Elle n'avait jamais eu cette intention.
— J'ai vu les escaliers.
— Les civils à l'étage.
— Oui. J'ai couru dans les escaliers. Et… Ce garçon, Leo, est tombé juste devant moi. Je n'ai rien pu faire, Eddie. Rien… Il avait l'âge de Chris !
Pour la première fois, Eddie ne répondit pas. Sa seule réponse fut une longue déglutition.
— J'ai vérifié que toutes les classes étaient fermées et je suis arrivée aux toilettes. Mary était là devant… Tu aurais vu toutes les armes… Ce sont des enfants ! Comment ont-ils pu avoir accès à tout cela ? Comment peut-on continuer comme cela ?
— Je ne sais pas, Cali…
— Et Mary… Quand je les ai entendus, je l'ai cachée dans la cabine la plus proche. Tu l'aurais vu Eddie… Elle était terrifiée et j'avais si peur qu'ils nous trouvent… Heureusement que vous avez compris. Je ne pouvais pas la laisser seule.
Eddie s'apprêta à commenter et elle en profita pour reprendre sa respiration.
— On l'a compris. Nous avons pu sortir Mary et tu t'es retrouvé face à lui ?
— J'ai cru que c'en était fini pour moi.
Les lèvres d'Eddie bougèrent, de sons inaudibles. Elle ne chercha pas à les deviner.
— Bref, j'aurais dû vous le laisser et y retourner.
— Certainement pas, répliqua-t-il.
— Tu ne comprends pas ! s'emporta-t-elle. J'ai fui ! J'ai été lâche ! On ne fuit pas !
— Tu t'es protégée. N'importe qui l'aurait fait, pompier ou non ! Tu ne pouvais rien faire d'autre.
— JE SUIS UNE LACHE, EDDIE !
Calipso n'avait plus aucun contrôle. Des sanglots la secouèrent. De brusques tremblements la parcoururent. A côté d'elle, Eddie enleva le pot de glace et le posa sur la table. Il la frôla et il la bascula pour la prendre dans ses bras. Elle n'eut pas la force de le rejeter.
Au contraire, Calipso se blottit contre lui. Il enroula ses bras autour d'elle et elle apprécia la chaleur de son corps. Toute sa vie, elle mourrait de chaud. La chaleur qu'Eddie dégageait était différente. Ce n'était pas celle qui vous déstabilisait jusqu'à vous détruire. C'était la douce, celle qui vous apaisait et vous berçait, comme un chocolat chaud. Calipso ne refoula pas ses larmes. Elle s'effondrait littéralement contre lui.
— Je les ai abandonnés, échappa-t-elle. J'ai abandonné mon équipe. Tous ces enfants. J'ai été lâche. Je suis lâche.
Sa crise de larmes s'intensifiait. Des années à les contenir pour qu'elle lui explose en pleine face – et celle d'Eddie. Sa toux s'incrusta à cette fête très joviale. Le pire, toujours le pire. La main d'Eddie se glissa dans sa crinière de lion et il la colla contre lui, peut-être fusionneraient-ils. C'était bête.
— Tu es montée t'assurer de la sécurité des classes. Tu as sauvé Mary. Tu as arrêté un coupable. Je n'appellerai pas ça lâche. J'appelle ça avoir fait tout ce que tu pouvais, chuchota-t-il.
— Je les ai abandonnés, répéta-t-elle.
— Tu as fait ce qu'il fallait, Calipso. Tout ce que tu pouvais.
Une nouvelle toux la secoua et les pleurs augmentèrent. Plus forts. Plus intenses. Plus douloureux.
— Ça va aller, Cali. Ça va aller.
Quelques minutes furent nécessaires pour l'apaiser, ce qui était un score raisonnable. Sans Eddie, cela aurait duré toute la nuit. Il avait été d'une patience inouïe. Ses bras avaient été une grande enveloppe, un lourd plaid réconfortant. Calipso s'était sentie protégée de tout, surtout quand il caressait ses cheveux ou quand il la rapprochait de lui. C'étaient des gestes simples, mais forts.
Quand elle toussa à en perdre un poumon – signifiant qu'elle se calmait — Eddie se décala sans la repousser. Il était toujours respectueux et attendait toujours ses signes à elle. Elle se releva et essuya son visage avec ses mains.
— Je vais devoir rentrer, l'informa-t-il et elle eut de nouveau envie de pleurer, mais je peux envoyer un message à Ravi pour qu'il reste avec toi. Pour être honnête, je préférerais ne pas te savoir seule.
— Laisse tomber, retint-elle ses larmes, il doit dormir à cette heure-ci. Je vais me débrouiller. Merci, Eddie.
— Il sait que je suis là, admit-il. Il doit attendre des nouvelles, j'imagine.
C'était donc un plan sauvetage bien ficelé. Elle se gratta la tête pour réfléchir, cela aurait été ridicule de mal le prendre. Pourquoi s'obstinaient-ils ? Peu importait, ils étaient là et Calipso l'était encore.
— Je veux bien, accepta-t-elle.
Ravi devait attendre le message d'Eddie car il arriva le nombre exact de minutes entre chez lui et elle. Dès qu'il arriva, Eddie posa sa main dans le cou de de Calipso. Elle se tourna vers lui, les yeux toujours humides. Elle voulait qu'il reste, elle ne pouvait pas lui demander.
— A plus tard, Cali. Repose-toi bien. Merci pour la glace.
Il caressa sa nuque du bout des doigts et se leva. Elle les entendit se prendre dans les bras puis la porte se referma. Ravi ne la rejoignit pas tout de suite. Il se dirigea vers la chambre et revint avec les deux oreillers et la couette. Elle ne put s'empêcher de sourire, il la connaissait vraiment bien.
Il tira sous le canapé pour le transformer en lit, lui donna oreillers et couette qu'elle plaça. Il prit la télécommande et eut un temps de pause les yeux rivés sur la table basse. Les yeux clos, Calipso craignit sa réaction. Ravi ne dit, il se contenta de la rejoindre sous la couette.
— Mamma Mia ! Cela te dit ? Je pense que tu as eu assez de glace par contre.
— Merci, Ravi.
Calipso posa sa tête sur la clavicule de Ravi. Mamma Mia ! était le meilleur remède. Avec Ravi. Même si Eddie n'était plus là.
Au matin, Calipso s'était réveillée bien avant Ravi. Habituellement, elle était une grosse dormeuse. Elle était imperturbable dans son sommeil et pouvait dormir des heures au matin. Cette nuit avait été différente. Les événements de la veille défilaient dans ses pensées. Et dans ses rêves.
Le premier œil ouvert, elle avait choisi de passer à l'action. Occupée, elle ne risquait pas d'être abattue par tous ces mauvais souvenirs. Elle avait d'abord répondu au message de May qui s'excusait de ne pas avoir été là hier soir. Puis elle s'était affairée au petit-déjeuner, le plus silencieusement possible. Elle était allée courir, en allant jusque chez Eddie. Elle ne l'avait pas croisé. A son retour, Ravi était réveillé et ils avaient déjeuné ensemble.
A son plus grand étonnement, ils n'avaient discuté que de sujets banaux. Il s'était assuré qu'elle allait bien et elle s'en était assuré aussi. Il avait vécu le même traumatisme qu'elle, enfermé dans la crainte d'être trouvé et tué. Ils étaient tombés d'accord sur le fait qu'un mauvais moment était à passer mais qu'ils s'en sortiraient toujours.
Sous la douche, Calipso avait pris le temps de réfléchir à la décision qu'elle avait pris la veille. Tant de données s'étaient rajoutées et les doutes étaient nés petit à petit. Elle n'hésitait pas d'habitude, elle savait ce qui était le mieux pour elle. Elle prenait les décisions pour son propre bien. Elle fonçait. Point.
Los Angeles avait tout chamboulé. Elle avait trouvé sa place dans une caserne. Elle s'était fait des amis. Elle avait trouvé une famille. Elle se mentirait à elle-même si elle prétendait le contraire. Cette nuit était l'exemple parfait du fait qu'elle avait besoin d'eux. Mais était-ce une raison de rester ? Non.
C'était tout le contraire.
Tous ces sentiments étaient réciproques. Ils tenaient à elle, bien qu'elle n'avait aucune idée du pourquoi. Tout cela la menait à une seule conclusion. Si elle restait, elle les blesserait. Si elle restait, elle finirait par les décevoir, comme toujours. Pire, quand la loi de Murphy la frapperait, ils finiraient par souffrir. Elle ne voulait pas cela pour eux.
Après le départ de Ravi, elle avait cru qu'elle alternerait sa journée entre télévision et sport. Les personnes qui toquèrent à la porte en avaient décidé autrement. Elle ne fut pas surprise. Bobby et Athena, la suite logique. Cela l'arrangeait, elle comptait appeler Bobby dans la journée.
— Bonjour, Cali ! la saluèrent-ils.
— Salut !
— J'ai apporté de quoi manger, énonça Bobby. On n'a plus qu'à réchauffer.
Elle récupéra le faitout et l'odeur du seul et unique chili – celui qui l'avait accueilli – de Bobby chatouilla ses narines. Ils s'invitaient et jouaient avec ses sentiments, ils savaient y faire. Calipso les laissa entrer et Bobby tendit même un os à Coop. Elle n'y prêta pas attention et posa le faitout sur le feu. Elle ne voulait pas tarder à manger.
Ils s'installèrent autour de l'îlot. Elle proposa une bière à Athena pendant qu'elle servait un verre de soda à Bobby.
— Nous nous demandions comment tu allais, dit Athena.
— Comme vous j'imagine, haussa-t-elle les épaules. Eddie et Ravi sont venus hier.
— Nous n'étions pas à l'intérieur, remarqua Bobby. Tu n'étais pas seule, c'est bien.
— Ouaip. Je dois me sentir comme Hen, Ravi et Chim alors.
Elle était incapable de les regarder. Ils liraient en elle comme un livre ouvert. Elle n'avait pas envie de parler d'hier, pas encore. Elle l'avait assez fait, elle ne pouvait pas passer la journée à cela. Elle tapota du doigt sur la table. Quand Athena lui apprit :
— J'ai interrogé le garçon que tu as arrêté et je sais comment ils se sont organisés pour avoir autant d'armes à l'école. Je me disais que répondre à tes questions te permettraient d'aller mieux.
— C'est gentil, Athena, mais je vais bien.
— Tu ne veux donc pas savoir ?
— Dis-moi.
— Pendant toutes les vacances, ils étaient en contact. Ils ont mis au point leur plan, ils ont pris les armes de leur famille et ont réussi à en acheter dans d'autres Etats avec l'aide de personnes plus âgées. Nous sommes en train de les chercher. A partir de la rentrée, ils s'arrangeaient pour ramener les armes progressivement. Le collège va demander un financement pour des portiques de sécurité.
Cela n'arrangeait pas son raisonnement. Un lieu éducatif ne devrait pas avoir un tel renforcement, ils devraient y aller sans se poser de questions. Les enfants et les professeurs devaient s'y sentir en sécurité. Ce n'étaient que des enfants, leur pays était complétement détraqué. Elle joua avec sa bouteille :
— Il risque quoi ?
— Des années de prison, répondit Athena. Il est jeune, il aura très certainement une remise de peine si bonne conduite.
— Et les deux autres ?
— Ils n'ont pas survécu.
Pendant un court instant, elle pensa bien. Mais ce n'était pas juste. Elle ne souhaitait pas leur mort. Encore une fois, ils n'étaient que des enfants en souffrance. Leur acte n'était en rien excusable, mais ils avaient besoin d'être aidés.
— Autre chose, prit le relais Bobby. Le collège nous a contactés, ils organisent une cérémonie demain. Ils aimeraient notre présence sur place.
— Vraiment ? s'assura-t-elle, le cœur battant.
— Ils y tiennent et c'est courant, l'éclaira Athena, pour nous remercier d'une certaine manière. Bien que ce soit notre travail, cela leur tient à cœur.
— Je t'en parle simplement. Ce n'est pas une obligation, si c'est trop difficile pour toi, ajouta Bobby.
— Des professeurs et des élèves y seront, des familles endeuillées. Si eux en sont capables, je le peux aussi. Par simple respect.
Il y eut un grand silence.
— C'était ta question, non ? Je serai là.
— Comme tu veux.
Elle n'en était pas très enchantée, mais elle devait être forte. Elle en avait été capable en 2001, elle en serait capable demain. C'était pareil. Un mauvais moment à vivre.
Bobby se leva pour vérifier la cuisson du chili et estima qu'ils pourraient manger d'ici une dizaine de minutes. Calipso mit la table puis récupéra les papiers sur la table du salon. Le moment était parfait.
— Vous tombez bien, je t'aurais appelé pour te donner cela.
Bobby parcourut les différentes feuilles. Elle s'était assurée que tout soit complet afin de ne rien retarder. Il la jugea de haut en bas, bouche bée. A côté de lui, Athena essayait de lire de quoi il s'agissait. Calipso préféra l'annoncer d'elle-même.
— C'est ma lettre de démission. Je ne reviendrai pas à la 118.
— Pardon ? s'outra Athena.
Son moment était mal choisi finalement. Calipso aurait dû rencontrer Bobby un autre jour. Elle se rassit à sa place face à Bobby et Athena. Cette dernière la foudroyait d'un regard noir et Bobby l'observait curieusement. Elle avait l'impression d'être la Calipso de dix ans qui allait recevoir une soufflante de ses parents. Sauf qu'ils n'étaient pas ses parents, Calipso n'était la fille de personne depuis années.
— J'y ai bien réfléchi, c'est la meilleure chose à faire. Pompière, ce n'est pas fait pour moi. Je vais changer de métier.
— Ah ! Tu n'es pas faite pour être pompière ? rit Athena, c'était un rire nerveux, n'importe qui n'aurait pas repéré l'humour. Tu entends cela, Bobby ? Calipso Rivera, pas faite pour être pompière. Il ne manquerait plus que Buck débarque à la maison avec une telle remarque et nous aurons tout vu !
— Tu restes à Los Angeles ? demanda Bobby en posant les documents sur la table.
— Non. Je vais partir.
Athena poussa une nouvelle exclamation qui réveilla Coop. Calipso commençait à se sentir gênée alors qu'elle n'en avait aucune raison. Ils ne pouvaient pas la juger. Son portable sonna et elle le prit comme une courte échappatoire.
Le visage d'Eddie apparut sur l'écran et elle sourit. Elle verrouilla son portable, ce serait impoli. Son portable sonna à nouveau. Bobby et Athena tentèrent d'apercevoir son écran au loin, elle se saisit du téléphone pour constater un message d'Eddie.
edmundo : Tu vas bien ?
yo : bobby et athena sont là
edmundo : Parfait.
— Désolée. C'était… elle hésita à quoi bon mentir dans moins d'une semaine, elle ne serait plus ici. Eddie. C'était Eddie. Il s'assurait que tout va bien.
Le visage d'Athena s'adoucit, elle avait bien fait de ne pas mentir. Bobby et Athena se regardèrent, Calipso conclut qu'ils devaient communiquer par télépathie afin de ne pas être entendus. Peu importait ce qu'ils se transmettaient, elle était certaine que cela avait avoir avec Eddie et elle. Après Ravi, ils n'allaient pas s'y mettre non plus.
— Tu es sûre de toi ? demanda Bobby.
— Bien sûr, je ne t'aurai pas donné les papiers sinon.
— C'est un peu précipité, tu ne trouves pas ? ajouta Athena.
— Cela ne sert à rien de retarder l'inévitable.
— Bon… D'accord, déclara Bobby peu convaincu.
— Tu ne vas rien dire ? s'outra Athena et Calipso aurait aimé remercier Bobby de respecter son choix.
— C'est chaud, on va manger.
Il quitta la table et récupéra le faitout sur le feu. Athena continuait de toiser Calipso d'un air suspicieux, les bras croisés. Quant à Calipso, elle s'estima heureuse de cette finalité. C'était une bonne chose de faite. Elle n'aurait plus qu'à récupérer ses affaires à la 118 un jour où son équipe n'était pas là, trouver un appartement dans n'importe quel Etat, faire ses cartons et partir. Un poids se libérait de sa poitrine et de son esprit, elle était plus légère.
L'écran de son téléphone s'alluma et le ding résonna dans la cuisine. Eddie. Encore. Elle se jeta sur son portable. A chaque message, elle avait la sensation de manquer une inspiration partagée entre rejet et envie.
edmundo : Je t'appelle tout à l'heure.
Elle scruta Bobby qui entamait le service, puis Athena qui la fixait, menaçante. Ils étaient les seuls au courant, elle ne les avait pas vus prendre leur portable. Elle se dépêcha de répondre avant le repas.
yo : pourquoi ?
edmundo : Pour demain. Buck vient de m'apprendre pour la cérémonie.
Ouf.
yo : ok. pas de problème. bon après-midi
Elle reposa son portable et souhaita un bon appétit à ses 'invités', si on pouvait les considérer ainsi car ils apportaient le repas. Athena ne l'entendait pas de cette oreille, elle posa ses coudes sur la table et désigna son portable.
— Tu comptes partir, donc dis-moi à quoi est-ce que tu joues avec Eddie ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles, soutint-elle son regard. Je réponds simplement à ses messages.
— Depuis des mois, tu ne fais que cela ? Je dois t'avouer que je suis particulièrement déçue de ta part, Calipso, l'attaqua Athena.
— Mais de quoi tu te m… s'énerva Calipso, elle n'acceptait pas d'être jugée.
— STOP, les interrompit Bobby. Est-il possible d'espérer manger dans le calme ?
Le repas se poursuivit avec moins de tensions verbales. Les échanges oculaires entre Athena et Calipso restaient sombres et provocants. Calipso se moquait de savoir si Athena avait raison ou non, elle n'avait tout pas à s'en mêler. Elle n'avait jamais joué avec les sentiments d'Eddie, au contraire, elle avait toujours gardé sa limite pour éviter cela. Elle le protégeait. Athena n'avait aucune idée de ce qu'elle ressentait, elle n'avait pas le droit de lui reprocher cela.
Les conversations se posèrent sur les études de May. Une nouvelle fois, Calipso dut affronter visuellement Athena qui avait sourcillé. Calipso l'avait interprété de cette manière : Athena pensait qu'elle avait profité de sa fille. Il semblait qu'elle profité de tout le monde. Ridicule.
La présence de Bobby et d'Athena avait toujours été un plaisir pour Calipso. Aujourd'hui, elle rêvait qu'ils s'en aillent. L'air était oppressant et une bonne course lui aurait été bénéfique pour évacuer toutes ces tensions.
Ce fut un soulagement quand il fut temps de laver la vaisselle. Elle proposa à Bobby et Athena de s'installer dans le canapé – elle évita de leur proposer de partir, ce n'était pas très poli – pendant qu'elle s'occupait de la tâche. L'eau s'écoula dans l'évier, elle s'amusa avec la mousse qui s'amplifiait au fur et à mesure. L'odeur citronnée piqua ses narines et elle passa sa main sur son nez. Elle sursauta quand Bobby prit le torchon à côté d'elle.
— Laisse, ça va sécher, lui dit-elle.
— Athena est partie promener Coop. J'aimerais bien discuter avec toi.
Elle plongea tous les verres dans l'eau moussante. Elle s'était fourvoyée, Bobby n'avait pas abandonné si rapidement. Il avait attendu le bon moment et il s'était arrangé pour être seul avec elle. C'était pire maintenant.
— Que vas-tu faire ? l'interrogea-t-il. Où vas-tu aller ?
— Aucune idée pour l'instant, répondit-elle avec honnêteté. Je verrai où je trouve un logement et puis je chercherai quoi faire après. J'ai assez d'argent de côté pour passer quelques mois sans salaire.
La malédiction lui avait apporté beaucoup d'argent. Elle évitait de l'utiliser dans la vie de tous les jours sauf lors de grands plaisirs. Mais il s'agissait d'une situation d'urgence, cela l'aiderait à surmonter la pente.
— Es-tu sûre de ton choix ?
— Je fais ce qu'il y a de mieux à faire.
— Quand vas-tu leur dire ?
L'estomac de Calipso tournoya, emporté à toute vitesse dans les loopings des plus grandes montagnes russes du monde. La question de Bobby n'était pas anodine. Il s'était adossé au meuble tout en continuant d'essuyer la vaisselle. Il avait déjà la réponse, elle le savait. Il voulait juste l'entendre de sa bouche pour mieux la contrer. Cela ne changerait rien.
— Je ne leur dirai pas, admit-elle en frottant plus fort dans la casserole alors qu'il n'y avait plus une trace.
— Tu ne peux pas partir sans les prévenir, constata Bobby. Ils ont le droit de savoir.
— Ils le sauront en temps voulu. Je fais cela pour eux, et pour moi.
— Non, tu le fais car tu sais que tu changerais d'avis. En partant sans un mot, tu leur feras plus mal qu'en leur adressant les au revoir qu'ils méritent. Ou mieux qu'en restant.
— Tu ne dois rien leur dire, déclara-t-elle, les yeux embués.
Il soupira et rangea le torchon. Elle vida l'évier et prit les papiers avant de le rejoindre. Elle les posa devant lui sur la table basse et il hocha la tête en la regardant.
— Je ne les prendrai pas.
— Tu es obligé.
— Non. Je te laisse jusqu'à la fin de la semaine pour y réfléchir. Lundi matin, je les prendrai si tu souhaites toujours partir. Maintenant, je les refuse.
— Pourquoi vous faites ça ?
Elle se prit la tête entre les mains, les migraines montaient. Elle ne savait plus où elle allait. Tout se bousculait. Tout avait été plus simple les autres fois. Peut-être car les rôles étaient inversés. Elle n'avait jamais été la bienvenue, on l'avait toujours poussée à partir. Calipso avait été une âme échouée, portée par un courant indomptable.
Aujourd'hui, c'était elle. Elle était son propre courant, sa propre boussole.
Bobby s'approcha d'elle et l'obligea à le regarder.
— Parce que nous voulons le meilleur pour toi et chaque personne de notre entourage, répondit-il. Tu es notre famille, Cali. Le problème n'est pas que tu partes. Le problème est le pourquoi et le comment. Tu n'as aucune raison de partir.
— J'en ai plusieurs, riposta-t-elle.
— Tout en ton honneur. As-tu pensé au fait que tu blesseras des tas de personnes si tu pars sans aucune explication ? Autre chose, je ne pense pas que ce soit une bonne décision. Tu as juste à prendre les bonnes en étant ici. C'est pour cela que je te laisse du temps. Je veux que tu aies le temps de réfléchir aux conséquences et que tu sois certaine de ce que tu fais.
Elle abandonna la contre-attaque, ils n'y étaient pas réceptifs. Au contraire, ils s'en nourrissaient et ils n'en étaient que plus forts. Elle n'avait qu'à jouer la carte de l'écoute :
— Que me conseilles-tu ?
— Je sais très bien que ce n'est pas moi qui te convaincrai, dit Bobby en souriant. Mon seul conseil est que tu devrais t'écouter, toi. Ecoute ce que tu ressens réellement au lieu de ce qui te semble être bien ou mal. Le bien et le mal n'ont jamais importé dans ces situations. Ce qui est important est ce que tu ressens. Tu devrais écouter ce que les autres ont à te dire et te disent, mais surtout tu devrais les croire. Trouve les réponses au lieu de te poser des questions.
— Et qu'as-tu à me dire alors ?
Être une oreille attentive n'était pas le plus simple. Calipso marmonnait, brusquée par les paroles de Bobby. Elle agrippa ses propres mains pour éviter le tumulte de son corps. Avait-elle envie d'entendre ? En était-elle prête ?
— Dès que j'ai lu ta candidature, j'ai su que ta place était parmi nous. Quand je t'ai rencontrée, j'ai su que je ne m'étais pas trompé. Tu étais la pièce manquante à notre équipe, avoua Bobby. Pour être honnête, tu me fais souvent penser à Buck. La seule différence est que Buck cherchait sa place et était déterminé à s'ancrer. Toi, tu la cherches, mais ne l'acceptes pas. Ton départ laisserait un grand vide à la caserne et en dehors. Tu fais partie de la famille et nous avons besoin de toi. Je pense aussi que tu as besoin de nous. Si tu souhaites partir, nous finirons par l'accepter. Nous avons juste besoin d'au revoir appropriés. Si tu pars, je te conseille de rester pompière. Nous échouons tous, moi le premier et tu le sais. Le tout est de rebondir. Nous t'aimons, Calipso.
Elle frotta ses mains entre elles. Ce n'était pas le genre de déclaration auquel elle s'était attendue. Son radar se brouillait, la direction devenait floue.
— Athena pensait vraiment ses mots ? s'inquiéta-t-elle.
— Je pense, oui. Elle serait d'accord avec moi sur tout. Elle t'aime énormément, c'est pour cette raison qu'elle agit ainsi. Je pense qu'elle n'apprécie pas que tu continues de donner de l'espoir à Eddie, mais aussi aux autres. Nous savons tous les deux que ce ne sont pas que des simples messages, n'est-ce pas ?
Calipso ne répondit et apprécia sa table basse. Elle était vraiment jolie, non ?
— N'en veux pas à Athena, ajouta Bobby. Elle cherche le meilleur pour tout le monde.
— Ouais…
— Réfléchis bien, termina Bobby. Tu sais où nous trouver. Lundi, d'accord ?
Pour lui faire plaisir, elle accepta.
Athena revint, elle avait perdu son visage froid, mais la méfiance ne la quittait pas. Bobby se retourna et ils s'usèrent à nouveau de leur télépathie. Athena s'approcha et la prit dans ses bras en frottant dans son dos. Ils quittèrent la maison et Calipso n'eut plus qu'à profiter de sa tranquillité.
Elle s'allongea dans le canapé, une petite sieste ne lui ferait pas de mal. Elle pinça son nez, les mots de Bobby résonnaient dans sa tête. Elle ne s'en défaisait pas. Il venait empiéter sur sa décision. Quel était le mieux ? Calipso ne savait plus.
TOC ! TOC ! TOC !
Du harcèlement, c'était du harcèlement.
Elle se releva en caressant Coop au passage. Elle traîna des pieds et ouvrit la porte sans grande volonté. Hen s'apprêtait à toquer à nouveau et lui sourit, lèvres rentrées. Calipso se contenta de reculer pour la laisser rentrer.
— Quel accueil, remarqua Hen.
— Je me sens assiégée, admit-elle. Eddie hier, Ravi cette nuit, Bobby et Athena ce matin et maintenant toi. Qui est le suivant ? Chim ? Buck ? May ? Ah non, elle m'a envoyé un message ce matin.
— Promis, nous ne nous sommes pas passé le mot.
Vrai ou non, cette parfaite synchronisation laissait planer le doute. Il ne manquait plus que Yasmine et elle croirait au complot. Calipso invita Hen à se servir dans le frigidaire pendant qu'elle se rasseyait. Comme tous les autres, Hen vint simplement lui tenir compagnie. Elles se moquèrent de leurs collègues masculins. Hen raconta certaines de leurs aventures avant qu'elle n'arrive un an plus tôt.
Il y avait tant d'histoires à raconter et tant d'autres à écrire.
Les quelques chapitres dont Calipso avaient fait partie avaient été incroyables. Elle avait laissé sa trace, mais les récits d'Hen la convainquaient que son départ était bénéfique. Ils avaient tant de fois frôlé la mort. Elle ne pouvait souffrir. Ils ne pouvaient souffrir.
La page devait se tourner. La page d'un tout nouveau livre. Seule Calipso avait le pouvoir de l'initier.
Malgré tous ses sourires et ses rires, malgré tous ses commentaires, malgré toute sa complicité avec Hen, elle cachait la vérité.
Ce n'était pas simple de lui mentir et la sonnerie de son portable la secourut. Elle aurait quelques instants de répit. Elle l'attrapa et montra l'écran à Hen.
— Eddie. Je décroche. Il n'y en a pas pour longtemps, je pense.
— Non, ne t'en fais pas. Je vais y aller. Passe-lui le bonjour.
A peine Hen levée, Calipso décrocha. Elle adressa un signe de la main à Hen qui ferma la porte derrière elle.
— Salut, énonça-t-elle.
— Hey, Cali. Je ne te dérange pas ?
— Hen vient de partir.
— Je croyais que Bobby et Athena étaient là ? demanda-t-il, ce n'était donc pas un plan.
— Ils étaient à peine partis qu'elle était là. Bref, que voulais-tu ?
Elle se laissa tomber en arrière, cognant sa tête contre le dossier au passage et commença à jouer avec une de ses boucles. Elle ferma les yeux pour mieux apprécier sa voix et l'imagina ici, avec elle.
— Tu comptes te rendre à la cérémonie ?
— Ouais… marmonna-t-elle. C'est la meilleure chose à faire.
— Je peux venir te chercher si tu veux, lui proposa-t-il. Cela t'évitera la route. Il faudra juste que je récupère Chris à l'école avant de te ramener. Ça te va ?
— Oui, parfait. Merci.
— Je passerai vers 14h. A demain, Cali.
— A demain.
Bon, sa journée seule pouvait enfin commencer.
DING !
yasmine : Tu pourrais garder Ellie demain, s'il te plaît ?
Dommage. Les distances avec Yasmine et Ellie débutaient maintenant. Elle ne résisterait jamais si elle croisait la bouille d'Ellie.
yo : désolée. cérémonie hommage au collège
yasmine : Outch ! Bon courage
Si elle savait…
Calipso s'affala au fond du canapé et réalisa que les heures jusque demain risquaient d'être longues, très longues. Elle appuya sur la télécommande, après Mamma Mia !, il était temps de regarder Ghostbusters.
Devant le miroir, Calipso s'appliqua à coiffer sa crinière de lion. Elle était en tenue protocolaire aujourd'hui et la coiffure n'était, malheureusement, pas une exception. Pour que ses cheveux soient plus simples à dompter, elle les avait mouillés et elle tentait de les aplatir malgré elle. Elle réussit à en faire une queue de cheval basse et le pire restait à venir. Elle les enroula pour former un chignon, tirant quelques cheveux de sa nuque. Elle grimaça, quelle horreur.
Mais voilà, terminé.
C'était un cauchemar. Cette journée. La cérémonie. La dernière fois qu'elle voyait leurs visages. Cette coiffure. Son crâne la démangeait. Elle inspira un bon coup, ce soir tout serait terminé.
TOC ! TOC ! TOC !
Elle prit la casquette posée sur le rebord du lavabo et la plaça sur sa tête. Elle était prête.
Quelques pas et elle ouvrit à Eddie, habillé de la même manière, comme chaque pompier aux cérémonies. Sa raison pouvait lui donner tous les meilleurs arguments pour partir, son cœur réagissait toujours, plein d'espoir sur le dénouement.
Sa journée s'illuminait à présent.
— C'est parti ? s'assura-t-il.
Elle vérifia que Coop avait bien tout le nécessaire pour l'après-midi, elle lui demanda d'être sage. Une dernière caresse de sa part et de celle d'Eddie et ils montèrent en voiture.
Le trajet fut silencieux. De furtives œillades. Des discrets sourires. Pas un mot.
Eddie gara sa voiture derrière le camion de la 118. Toute l'équipe était déjà là, les parents et les habitants arrivaient progressivement. Il y aurait du monde. Tout le monde souhaitait rendre un hommage à ses personnes mortes tragiquement, trop tôt.
C'était toujours trop tôt.
Elle colla sa tête à l'appui-tête, tournée vers Eddie. Il l'imita.
Devait-elle vraiment partir ? C'était trop tôt. Cela ne faisait qu'un an. Athena et Bobby avaient raison, peut-être pouvait-elle rester pour Eddie. Ils avaient assez joué. Était-il temps de perdre ou de gagner ?
D'un sourire, il tenta de la rassurer sur la cérémonie à venir. Il était loin de se douter que le tumulte ne prendrait pas fin après cela. Il ne s'agissait que la partie visible de l'iceberg. Le problème se prolongeait sur une profondeur invisible à la surface.
Calipso détailla le visage d'Eddie, cherchant un quelconque défaut. Elle n'en trouva pas. Il était parfait. Si elle restait plus longtemps, elle trouverait certainement l'imperfection. Il était trop tôt.
Il était trop tôt pour tant de raisons. Il était déjà trop tard pour tant d'autres.
— Tu peux changer d'avis, chuchota Eddie alors qu'ils étaient seuls. Notre présence n'est pas indispensable.
Il baissa les yeux vers le siège. Enfin c'était ce qu'elle croyait, car il prit sa main dans la sienne. Elle ne put sentir sa peau, leurs gants l'en empêchaient. Calipso se figea, les yeux écarquillés et sourcils levés. Le feu regagna son corps et sa lèvre tremblota.
Ils étaient allés trop loin. Ils avaient poussé les règles du jeu à un niveau trop dangereux. Si elle restait plus longtemps, il serait trop tard pour partir. Elle devait partir, ainsi elle pourrait toujours imaginer qu'il allait bien. Elle ne pouvait pas prendre le risque de le perdre, les perdre, réellement/ Elle voulait leur épargner la souffrance le jour où la loi de Murphy s'abattrait sur elle.
Il était trop tard.
— Non. On y va.
Elle baissa les yeux et détourna le regard. Elle arracha sa main et ouvrit la portière. Sans l'attendre, elle rejoignit leur caserne. Athena était aussi présente, évidemment. Calipso se réfugia près de Ravi. Toute la 118 communiquait non-verbalement, elle évita de les interpréter. Elle ne prit même pas garde à Eddie.
— T'es sûre que ça va, Cali ? lui demanda Ravi avec discrétion.
— Parfaitement bien, débita-t-elle.
C'était un mensonge et il le discerna. Ravi aurait été capable de l'isoler pour discuter, mais ils furent interrompus par des civils. En tant que capitaine, Bobby s'occupa de les prendre à distance pour échanger avec eux.
— Calipso, l'appela Bobby.
Elle se retourna. Elle comprit. Avec lui était présente une fille de douze ans, coiffée de deux tresses africaines et aux yeux scarabées. Mary. Elle était entourée de deux adultes qui devaient être ses parents. Elle s'approcha et se força à prendre un air aimable et souriant.
— Messieurs Haaris-Brown, Calipso Rivera, les présenta Bobby.
— Enchanté, dit le premier homme. Nous tenions à vous remercier d'avoir mis en sécurité notre fille. Nous vous sommes tellement reconnaissants.
— Je n'ai fait que mon travail, répliqua-t-elle.
— Merci, madame Rivera, reprit le deuxième père de Mary auquel elle était accrochée.
Bobby se racla la gorge, les Haaris-Brown attendaient plus d'elle.
— C'était avec plaisir, répondit-elle. Mary a été très courageuse.
En effet, cette réponse les contenta. Après un dernier merci et un salut, ils firent demi-tour. Mary se retourna à multiples reprises. D'un seul coup, la petite fille se détacha de son père pour courir vers Calipso. Mary se jeta sur elle et lui entoura la taille.
— Merci ! s'exclama Mary à deux doigts de crier, aucun contrôle sur ces émotions.
La petite fille éclata en sanglots. Le cœur de Calipso se serra, fort, privé de ses battements. Elle dut se mordre la lèvre pour éviter de rejoindre Mary. Ses parents s'approchèrent, Calipso les arrêta.
Elle s'agenouilla pour être à la hauteur de Mary et elle posa sa main sur ses épaules. Mary était possédée par une crise de larmes. Elle avait besoin de mots plus réconfortants. C'était important. Calipso savait ce qu'elle ressentait, elle était à peine plus âgée que Mary quand le drame avait touché sa famille.
— Tu as été très forte, Mary. Je t'ai trouvée très courageuse et mes collègues aussi. Ce n'était pas un moment facile et il va durer encore quelques temps. Mais tu n'es pas seule. Tu as tes parents pour t'accompagner, d'accord ? Tu dois leu faire confiance. Ce sera difficile, mais tu t'en sortiras, je te le promets.
— Tu crois ? trembla Mary. Je fais des cauchemars.
— Je sais, je sais, Calipso lui caressa la joue en lui souriant. Je suis sûre que tu les vaincras. Tu vas prendre le temps qu'il faudra, mais tu gagneras. Je ne doute pas de toi.
— Merci, Mary se jeta à nouveau à son cou et Calipso la serra dans ses bras. Vous êtes la meilleure pompière du monde.
Mary se détacha d'elle, les larmes toujours dégoulinantes sur son visage. Ses parents s'approchèrent pour lui prendre la main et ils repartirent, un dernier signe de la main. Calipso sourit. Elle se releva, évitant le regard de Bobby. Son estomac pesa un énorme poids. Calipso n'eut pas la force de retenir ce qui s'abattit elle. Elle n'échappa pas plus aux larmes qu'elle retenait devant Mary. Elle les essuya, humidiant ses gants qui lui collèrent aux doigts. Son équipe avança, elle recula :
— C'EST BON ! elle tendit les bras pour les repousser. Je vais bien. J'ai… J'ai juste besoin d'air.
— La cérémonie va bientôt commencer, on devrait aller se positionner, recommanda Bobby.
— Parfait, répliqua-t-elle.
En effet. Elle se dégagea et se plaça au lieu désigné, proche du pupitre d'où s'exprimeraient le procureur et le directeur de l'école. Inspire. Expire. Bien sûr, sa toux l'accompagna lors de sa marche. Calipso releva la tête, elle devait reprendre ses esprits.
Elle cligna des yeux à plusieurs reprises. Calipso ne fit pas attention auquel de ses collègues avait choisi d'être à côté d'elle. Son odorat s'en occupa pour elle, le boisé citronné. Ce parfum n'appartenait qu'à une seule personne.
Peu importait. Sa décision était prise. Los Angeles ne serait qu'un lointain souvenir.
Tout le long des discours, elle n'avait écouté que d'une oreille, les yeux rivés sur le vide. Elle avait salué le procureur et le directeur. La 118 était retournée au camion pour discuter, Calipso était restée en retrait. Quand Eddie lui avait proposé de partir, elle avait immédiatement accepté. Elle avait regardé un à un ses collègues et Athena.
C'était le moment même si, eux, ne le savaient pas encore.
Elle les avait pris un par un dans les bras, prétendant le soutien alors qu'il s'agissait d'au revoir.
Etrangement, ils l'avaient tous serrée contre eux. Elle avait même cru voir leurs yeux humides. Elle devait se faire des idées… Elle s'attarda sur Ravi, c'était le plus dur. Ses yeux noirs de chaton lui faisaient passer un message qu'elle était incapable de déchiffrer. Quand elle se détacha, il lui attrapa le bras pour l'envelopper à nouveau de ses bras.
— Appelle-moi si tu as besoin, dit-il la voix tremblante.
— Bien sûr. Tu vas bien ? demanda-t-elle.
— Oui.
Les derniers furent Athena et Bobby. Ils s'éloignèrent des autres, elle les remercia pour cela.
— Réfléchis bien, Cali, lui répéta Bobby. Tu n'es pas seule. Tu nous manqueras. Fais attention à toi.
— Tu es sûre de toi ? lui demanda Athena en lui tenant les joues. Si c'est le cas, bien. Si ce n'est pas le cas, ne commets pas cette erreur. Peu importe ce que tu combats, tu peux les vaincre autrement. Nous sommes là pour t'aider. Nous serons là, quoi qu'il arrive. D'accord ?
— Oui. Au revoir, Bobby, au revoir, Athena. Merci pour tout.
— Au revoir, Calipso, lui répondirent-ils et Bobby passa ses bras autour d'Athena.
La peine l'envahit, mais elle ne pouvait plus se laisser attendrir de la sorte. Elle retrouva la voiture d'Eddie. Elle se débarrassa de sa casquette et de ses gants qu'elle balança au sol. Calipso relâcha ses cheveux et les secoua. Libérée. Eddie démarra la voiture et ils passèrent devant la 118. Aucun ne les quitta des yeux. Elle préféra l'autre côté de la route quand elle vit Ravi s'essuyer les yeux et Buck qui lui donnait de petites tapes dans le dos.
C'était un mal pour un bien.
Comme un pansement. Enfant, Calipso avait peur d'enlever les pansements. Elle savait qu'elle aurait mal. Le pansement arraché, elle grimaçait et ses yeux s'humidifiaient. Le pansement enlevé, tout était oublié. Les blessures passées et la souffrance du moment. Plus rien.
Tout était pareil. Elle avait mal. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Demain, tout irait mieux.
Comme à l'aller, ils entendirent les mouches voler. La différence était qu'il n'y avait eu aucun regard et aucun sourire. L'ambiance était glaçante et pesante. La distance s'installait, tout ce qui était nécessaire.
Au passage, ils avaient récupéré Christopher qui avait le sourire jusqu'aux oreilles. Calipso avait récupéré de sa bonne humeur. Ce garçon avait un pouvoir époustouflant sur son entourage. Il leur avait raconté joyeusement sa journée et ils n'avaient qu'une oreille attentive.
Arrivées chez elle, le cœur de Calipso accéléra et ses mains devinrent moites. Elle ne devait pas réfléchir. Elle glissa ses mains dans le dos. Ce n'était rien. Elle inspira et expira avant de sortir de la voiture. Christopher sortit sa main de la fenêtre et Calipso tapa dedans. Elle déclara ses dernières paroles :
— Bonne soirée, Chris.
— A toi aussi, Cali. A bientôt ! s'exclama-t-il d'un geste de la main.
Elle n'eut pas le cœur – il s'était renfermé – à lui prononcer les deux mots. Elle ne le ferait avec personne d'autre que Bobby et Athena. C'était bien assez. Elle s'attarda sur le sourire du garçon, il les méritait pourtant. Elle était égoïste. Si elle lui répondait, elle reviendrait sur ses pas. Alors elle lui retourna ce geste de la main et lui tourna le dos définitivement. Eddie était sur ses pas.
Quand elle ouvrit la porte, Coop leur fit la fête. Il tournoya autour d'eux et réclama des caresses de chacun, caresses qu'il reçut. Calipso jeta ses clés sur l'îlot de la cuisine puis ses gants et sa casquette.
— Tu pars quand ?
Calipso s'immobilisa, figée, les mots d'Eddie étaient aussi efficaces que les yeux de Médusa.
— Quoi ? répondit-elle bêtement.
Sa respiration devint haletante, en proie à une panique dévorante. Eddie ne pouvait pas savoir, il ne pouvait pas engager cette conversation. Non. Ce n'était pas prévu, cela ne devait pas se passer de cette manière. Non. Eddie donna une dernière caresse à Coop.
— Il paraitrait que tu souhaites démissionner, je suppose que tu serais partie sans un au revoir, déclara-t-il les bras croisés et le sourcil levé.
— Bobby te l'a dit ? s'insurgea-t-elle.
— Il nous en a parlé, avoua-t-il et elle tomba des nues, comme trahie. Mais j'avais déjà vu les papiers sur la table, ainsi qu'Hen et Ravi. Je trouve que pour quelqu'un qui veut faire cela en douce, tu n'es pas très discrète.
— Je n'ai pas besoin de ton jugement.
— Je constate.
Ce n'était pas qu'un simple constat. Il la provoquait, délibérément. Le visage d'Eddie se fermait au fil de leur conversation. Il attendait une quelconque réaction de sa part. Alors Calipso l'imita et croisa les bras. Bobby lui avait conseillé d'écouter, c'était parti, qu'Eddie se fasse plaisir.
— Qu'as-tu à dire ? s'agaça-t-elle.
— Je pense que tu n'es pas obligée de rester seule. La journée a été dure.
— J'ai compris, mais j'en ai besoin. J'ai besoin de souffler. Seule, insista-t-elle.
— Je le respecte, répondit-il d'une voix si calme, sacré contraste avec son expression.
— Bonne soirée, Eddie. Merci.
Elle s'avança pour ouvrir la porte. A peine entrebâillée, Eddie la referma. Calipso l'appréciait, beaucoup, énormément, trop pour son propre bien. Elle l'aimait tellement que son attitude était d'autant plus irritante Elle l'avait sous-estimé, ainsi que toute la 118.
— Tu ne dis pas au revoir alors ?
Le voici. Le moment qu'elle redoutait. Ils y étaient. Calipso avait tout mis en œuvre pour l'éviter. Eddie ne réalisait pas à quel point c'était douloureux. Il ne savait pas à quel point son cœur serait brisé une fois qu'il aurait quitté la maison. Il ne savait pas le combat qui la tiraillait au plus profond d'elle, aujourd'hui, hier, depuis des années. Il ne savait pas qu'elle suffoquait quand il n'était pas dans la pièce. Il ne savait pas qu'elle faisait ce choix pour eux, pour leur bien.
— Ne rends pas cela difficile, murmura-t-elle en fuyant son regard.
— Je n'ai pas terminé, Calipso.
— Je t'écoute.
La déglutition de sa salive força le passage dans sa gorge. Calipso retrouva sa position, elle ne devait pas craquer. Contrairement à elle, Eddie perdit toute défensive. Il s'approcha d'un pas, elle recula. Il voulait parler, qu'il le fasse.
— Tu as envie de partir et je l'entends. Mais ce n'est pas la bonne idée. Là, ce serait fuir.
Ses bras lui tombèrent, était-il vraiment en train de faire cela ?
— Tu fuis, appuya-t-il. Tu n'acceptes pas d'être aidée et tu sais très bien que nous ne lâcherons pas. Tu fuis, car tu t'es mise en tête que tu étais maudite, que tes jours sont comptés plus que n'importe qui. Tu as peur d'aimer et d'être aimée. Tu as peur de faire souffrir les autres, comme tu as souffert, toi. Ce ne sont que des excuses, Calipso. La malédiction n'est qu'une excuse.
— Tais-toi, le menaça-t-elle, doigt pointé sur lui, il n'avait pas le droit. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
— Et tu te trompes, poursuivit-il sans tenir compte de sa remarque. Tu n'es pas maudite, tu as juste eu beaucoup de malchance. Cela, tu ne l'acceptes pas. Tu fuis, car tu sais qu'on ne te laissera pas garder cette idée en tête. Tu nous fuis.
— Je t'interdis de…
Tout le corps de Calipso s'enflammait, nourri de l'essence de sa rage. Elle avait l'impression que ses membres se déchiraient. Elle était blessée. Chacun de ses mots étaient une brûlure qui lui rappelait ce qu'elle n'avait pas le courage d'admettre.
— Tu as bien trop peur de ce que les autres peuvent ressentir à ton égard. C'est évident. Alors, je te demande juste de ne pas partir. Laisse-nous une chance. Accepte d'être aidée. Nous aurions dû… il leva les yeux au ciel en souriant. J'aurais dû te donner une raison de rester plus tôt au lieu de t'attendre. Ne fuis pas, Cali.
Pendant de longues secondes ou minutes – elle ne comptait – ils se fixèrent. Le discours d'Eddie était à la fois le plus sensé et le plus insensé. Comment pouvait-il avoir si raison à son sujet et si faux sur le sien ? Pourquoi lui mentait-il ? Il lui envoyait toujours de faux signes. Et… Voulait-elle les voir ou les entendre ? Non. Eddie avait fait assez de dégâts. Alors, elle interrompit leur défi car elle était la plus arrogante :
— C'est bon ? rétorqua-t-elle, les larmes aux yeux. La porte est derrière toi.
Elle désigna la porte. Eddie se tourna bien qu'il savait très bien où elle se situait. Il reporta son attention vers elle en hochant la tête. Son visage avait changé. Il n'était plus fermé, ni menaçant. Bien au contraire. Il avait ces fameux yeux et la douleur possédait son visage.
— Je n'ai pas fini. Tu as besoin d'une raison de rester, alors je vais t'en donner une.
— Ah oui ? rit-elle, nerveuse. Pourquoi, hein ? Pourquoi me cherches-tu toujours ?
— Te chercher ? Je ne t'ai jamais cherchée ! Toi, tu ne cherches pas à comprendre, tu ne veux jamais voir l'évidence !
— PARDON ?
— Oui, tu vois seulement ce que TU veux voir !
Le corps de Calipso la quittait. Elle avait la sensation qu'une partie d'elle s'envolait. Elle s'essoufflait. Si elle n'avait pas envie d'une chose, c'était s'essouffler. Les mots d'Eddie la percutaient si fort qu'elle déployait son plus grand bouclier, pour se défendre dans cette bataille finale.
— Voir quoi, Eddie ? Ta Femme-Au-Prénom-Banal ! Pourquoi n'es-tu pas avec elle ?
— La quoi ? Tu parles de Susan ? s'étonna-t-il. Susan n'a jamais compté ! J'ai… J'ai commis une erreur.
— Bien sûr…
— Tu le sais, Cali, qu'elle n'était rien pour moi.
— Viens-en aux faits, j'aimerais être SEULE !
— Ouvre les yeux ! il porta ses mains à ses tempes, énervé. Susan n'a jamais compté ! J'ai… J'ai commis une erreur.
Le corps de Calipso trembla, comme un jour d'hiver à Seattle, emprisonnée dans un blizzard, une tempête de neige interminable. Pourtant, elle mourrait de chaud, comme une forte journée de chaleur à Los Angeles. Un paradoxe ultime.
—Calipso… Tu sais très bien pourquoi je suis là !
Pourquoi repoussait-il les limites ? Pourquoi cherchait-il à la pousser à bout ? Il ne s'était jamais battu pour elle, et elle ne s'était jamais battue pour lui. Pourquoi ? Pourquoi n'avait-elle pas les réponses ? Pourquoi l'avait-il suivi dans son jeu ? Pourquoi n'avait-elle pas déclaré forfait ? Pourquoi en étaient-ils là ?
— JE T'AI VU ! JE T'AI TOUJOURS VU ! cria-t-elle et Coop couina. Je ne peux juste pas !
Eddie était plus proche d'elle, Calipso n'avait plus la force de le repousser. C'était la dernière fois, la toute dernière fois. Elle huma cette odeur boisée, relevée par le citron. Depuis qu'elle l'avait devinée, elle ne pouvait s'en détacher. Une dernière fois. Il n'était qu'à quelques centimètres.
— Arrête… demanda-t-elle. Tu rends tout difficile.
— Reste. Si tu me le demandes, je serai là.
Le voulait-elle ? Bien sûr. Depuis des mois, elle souhaitait qu'il soit sien. Le pouvait-elle ? Stop. Les questions devaient cesser. Il était temps. Il était l'heure.
Les lèvres d'Eddie étaient si proches. A défaut de lui dire au revoir, elle pouvait accepter un baiser.
Le premier et le dernier. Son plus beau souvenir.
— Je peux ? l'interrogea-t-il.
Sa voix resta bloquée. Il n'y eut aucune vibration de ses cordes vocales. Ce n'était pas grave… Il… Elle… Calipso hocha la tête. Sa bouche frôla celle d'Eddie. Leurs nez se touchèrent. Calipso vit la noisette dans les yeux d'Eddie, un fond plus foncé l'intrigua. Sa curiosité s'estompa quand Eddie ferma ses yeux, Calipso l'imita.
La ventilation du frigo paraissait accélérée, ou bien était-ce les bourdonnements dans son oreille ? Un concert de rock se déchaînait dans sa poitrine, ou bien était-ce son cœur ? Ils s'embrassèrent doucement, une découverte inattendue. Plus fort, l'impatience. Plus intense, l'exploration. Plus vif, le plaisir.
Leurs lèvres dansaient une valse qu'elles auraient révisé des années. Elles effectuaient leur pas avec précision, invitant leurs amis avec elles. Les mains d'Eddie s'accrochèrent à ses joues, peut-être ne la lâcherait-il jamais. Calipso accepta l'invitation. Une fois, la première et la dernière. Elle posa sa main sur la hanche d'E…
La danse se termina. Le visage d'Eddie recula de quelques centimètres. Un torrent de lave s'écoula sur Calipso. La réalité était violente. Elle réalisa que son feu s'était éteint et qu'il comptait se venger de cette trêve. Tout était combustion.
— Je t'aime, Calipso.
BOUM !
L'explosion ravagea tout son cœur et tout son corps. La paralysie la saisit. Eddie l'observa, Calipso demeura silencieuse. Il lui avait dit, elle était incapable de répondre. Ce n'était pas le moment. Non, non, non…
— J'aime ta manière de t'endormir lors des gardes, comme si nous ne serions jamais réveillés. J'aime ta manière de fredonner un air quand tu mets la table à la caserne. J'aime ta passion pour ABBA, Taylor Swift, Stephen Sanchez et Bon Jovi. J'aime comment un pot de glace te remonte le moral. J'aime ta spontanéité, celle que tu es quand tu ne te caches pas. J'aime ton sourire, celui quand tu parles avec Ravi et May, celui quand tu caresses Coop, celui quand tu joues avec Buck et Chim, celui quand tu es gênée, celui que tu n'offres qu'à Chris, celui que tu as quand tu me regardes et que tu crois que je ne t'ai pas vue. J'aime le fait que tu aimes de tout ton être et que tu aimes l'être. Je le sais Je te vois. Je t'aime, Calipso.
Elle paniquait. Tout partait en vrille. Calipso devait lui expliquer. Elle devait lui expliquer qu'elle ne partait pas pour le plaisir. Il devait comprendre. Elle devait lui dire qu'elle entendait. Elle devait lui dire qu'elle l'aimait aussi, mais qu'elle avait besoin de temps. Elle devait lui dire qu'il avait raison, qu'elle avait peur. Il devait savoir qu'il comptait. Il devait savoir qu'elle le voyait.
Rien ne sortait pas.
Sa voix s'était envolée. Encore.
— Reste à la 118, avec nous. Avec moi. Reste.
Calipso ne pouvait pas lui dire non, ni lui dire oui.
Ses os se fissurèrent tel un mur qui menaçait de s'effondrer. Sa peau craqua telle la terre en pleine sécheresse. Son cœur se brisa, dans les mêmes éclats qu'un verre qui tombe sur le carrelage froid.
Sa voix l'avait abandonnée. Calipso subissait, une nouvelle fois. Sa voix contrôlait sa vie et gâchait tout. Le visage d'Eddie perdit son enthousiasme, ses lèvres formèrent un long trait. Une larme glissa le long de la joue de Calipso.
Tout était fini.
Eddie se prit le visage entre les mains et soupira. Calipso essaya de crier, de hurler. Rien. Pas de son. Sa bouche resta close. Elle était prisonnière. Son corps lui rappelait que la décision était prise. Sa raison la protégeait, comme toujours.
— J'espère que cette raison sera suffisante. Sinon… Au revoir, Calipso. Don't waste your emotion.
Une deuxième larme. Eddie disparut derrière la porte d'entrée. Calipso resta plantée comme une plante verte. Elle porta ses doigts et les glissa le long de sa gorge. Rien. Sa voix était partie et l'abandonnait au pire des moments.
Eddie l'aimait, vraiment, pour de vrai. Il l'avait vu. Calipso l'avait vu, mais elle n'avait pas su l'aimer, pour de vrai.
Calipso ne vivrait plus qu'avec le souvenir de ce seul et unique baiser, et l'idée de tout ce qui aurait pu exister.
Elle resta paralysée jusqu'au hurlement de loup de Coop. Calipso le gronda d'un regard, incapable de mieux. Ce n'était pas suffisant, Coop manifestait son mécontentement, ou sa tristesse…
D'un haut mouvement de jambe, Calipso évita Coop et se cacha derrière la fenêtre de la cuisine pour observer la rue. Eddie ouvrait la portière de la voiture et s'installait à son poste. Christopher était déjà devant, tête baissée. Une main invisible empoigna le cœur de Calipso et le pressa. Le père et le fils échangèrent une discussion que Calipso ne connaîtrait jamais. Eddie jetait des coups d'œil furtifs, mais réguliers vers la maison. Derrière elle, Coop entamait une tirade de couinements à lui percer les tympans.
Sa peine s'étendait à Coop. Elle savait à quel point il aimait cette vie à Los Angeles et toutes ces personnes qui les avaient entourés. Elle aussi. Elle aimait tout ce que Los Angeles lui avait apporté. Les mots d'Eddie étaient si sincères. Il y avait eu tant d'avenir dans ses paroles.
Mais Calipso avait tout gâché, comme toujours. L'inactivité de ses cordes vocales lui avaient rappelé qu'elle ne connaîtrait jamais le bonheur et qu'elle était mieux à le vivre seule.
Non. Ils ne pouvaient pas rester. Calipso n'était plus faite pour cette vie. Elle venait de vivre le plus cuisant de ses échecs et elle n'était ici que depuis un an. Dommage.
Les meutes de loup auraient été jaloux du hurlement qu'exprima Coop, la goutte de trop pour Calipso. Les joues pleines de larmes, le corps en flammes, elle se dirigea vers la porte de la chambre, déterminée à s'enfermer pour se projeter vers le futur.
Dans une semaine, Coop et elle quitteraient Los Angeles.
— WOUF ! aboya Coop.
Arghhh ! Il l'horripilait. Calipso fit volte-face, prête à le menacer des yeux de se taire s'il ne voulait pas passer aux croquettes au poulet.
Son élan pilla, pétrifié. Calipso se décomposa. Coop n'était pas seul.
Elle était là. Elle était revenue.
Ses yeux, aussi marron que le fruit tombé de l'arbre. Ses cheveux fins et noirs. Son air aussi sage que fougueux. Elle n'avait pas vieilli, elle était toujours la même. Calipso la vit esquisser un sourire fier alors qu'elle caressait Coop.
Calipso était privée de tout. Incapable de réagir. Toutes ses émotions se bousculaient : la colère, la peur, la tristesse, la surprise, l'angoisse, la joie. Que ressentait-elle exactement ? Elle se liquéfiait et elle crut tomber du dixième étage quand elle l'entendit prononcer ces mots.
Ces mots qu'elle refusait toujours d'admettre.
— Hola, hermana mayor.
Et voilà :)))
C'était un chapitre bien sympathique et très joyeux... Il vous a plu ?
Je suppose que c'est le moment où vous détestez Calipso ? Noooon. Bref.
Qui s'était attendu-e à voir Eddie ? Cela me paraissait évident, du coup j'ai peur que vous soyez déçu-es :(( Qu'avez-vous pensé de ce moment ? Ne jamais sous-estimer la 118 ! Je dis ça comme ça ;)
La petite visite d'Athena et Bobby, mother and father. Comprenez-vous les points de vue de chacun ? Un qui vous semble plus juste que les autres ?
Ah... La cérémonie d'hommage, je n'avais pas envie de m'étendre car ce n'était pas le sujet. De toute façon, Calipso était bien trop inattentive. Mais le moment entre Mary et Cali était important, pour l'une comme pour l'autre. Et puis... C'étaient les "au revoir" de Cali.
Bon... Eddie et Cali. On a frôlé le Edipso, du bout du doigt ahah... Non, c'est pas drôle, sorry. J'ai le coeur brisé pour les deux, pour des raisons différentes. :(
Et la voix de Cali ? Cette dernière phrase du chapitre ? eheh.
Sinon, le prochain chapitre sera DEJA le dernier de cette partie ! :O (il arrivera plus tôt en plus, je vous laisse la surprise sauf si vous avez une petite idée). J'espérais avoir fini la partie 2 assez rapidement pour ne pas trop vous faire attendre, mais... euh... Bon, je fais de mon mieux. J'ai bien avancé les deux premiers chapitres. Le trois et le quatre sont quasiment écrits, donc... J'essaie de vous la donner vite car j'ai TROP TROP hâte de vous la faire découvrir !
Je pense faire une petite F.A.Q. pour la fin de cette première partie. Vous avez le temps d'y réfléchir, surtout que j'y répondrai quelques semaines après ce dernier chapitre. Mais, bref, c'était pour vous prévenir.
Au prochain chapitre : De l'annonce de son entrée à Yale à son départ de Seattle, un chemin bien sinueux qu'a suivi Calipso jusqu'à devenir la pompière qu'elle est aujourd'hui.
