Se retrouver dans le bureau du docteur Brenner n'était pas ce qu'elle avait imaginé pour son programme de la journée. La rouquine avait laissé toutes ses affaires comme son repas et ses livres à la cafétéria ne sachant pas l'urgence de la situation. Le langage corporel de Brenner ne lui indiquait rien à ce qui devait se passer.
Peter n'avait pas été invité. Juste elle. Cela pourrait donner des indices. Peut-être que c'était l'infirmière qui était venue l'avertir. Après tout, elle semblait vraiment troublée de ne pas avoir été comprise par Annabelle et elle s'était montrée insistante. Quand elle y repensa, Walker serra légèrement les dents. Comment pouvait-on être si stupide de critiquer Peter?
En ce moment même, Martin parcourait son dossier qui contenait seulement quelques feuilles, dont sa lettre d'embauche, son curriculum vitae, son test de pré-embauche, son examen médical et quelques rapports de son comportement exemplaire. Elle ne put s'empêcher d'explorer son bureau.
D'ailleurs, la pièce était bien rangée. Il n'y avait pas un seul papier sur son bureau qui n'était pas classé. Les classeurs étaient verrouillés et une caméra observait les deux personnes. Des photographies en noir et blanc étaient encadrées sur les classeurs près du mur à sa gauche. L'une d'entre elles représentait l'équipe du laboratoire sans doute et la seconde semblait être une photo de famille. La troisième photo montrait une image d'un bateau à l'arrière-plan et au premier plan, Brenner plus jeune et un autre homme dans un habit de capitaine de l'armée. Le même bateau était représenté sur l'autre classeur en format de modèle réduit.
-Vous êtes passionné des bateaux, mademoiselle Walker? Demanda-t-il quand il remarqua son attention sur la maquette et en la faisant légèrement sursauter. Celui-ci est un USS Eldridge. Un modèle que mon père a navigué dans l'armée.
-J'ignorais que votre père travaillait dans l'armée, répondit-elle en détournant le regard et en regardant Martin.
-Malheureusement, il est mort, répondit-il en déposant son dossier sur son bureau.
-Toutes mes condoléances.
-Tout va bien. Ça fait des années maintenant...J'aime bien revoir mes nouveaux employés de temps en temps pour savoir si tout va bien et comment ils aiment leur travail, lui dit-il en reprenant son sourire et en changeant de sujet. Après tout, ça fait déjà plusieurs semaines que vous travaillez pour moi. C'est une des rares fois où je vois un dossier aussi mince, ce qui est bien.
L'assistante du Dr. Ellis se détendit légèrement et elle sentit Peter qui vint scruter leur conversation, juste derrière sa nuque et un frisson l'envahit comme un invité indésirable. Elle se demandait s'il pouvait vraiment espionner ce qu'ils se disaient, s'ils pouvaient voir ce qu'elle voyait...Et surtout, pourquoi venait-il espionner?
-La docteure Ellis apprécie vraiment votre travail et votre collaboration avec elle. Vous n'êtes jamais en retard et malade à ce jour. Vous ne provoquez pas d'incident et aucun problème de comportement. Je dois dire que si elle est satisfaite, alors, je le suis autant.
-Merci. J'apprécie toujours mon travail, répondit-elle alors qu'il braqua son regard sur elle. J'apprécie l'ajout des nouvelles taches à mon emploi du temps. Si je n'aime pas mon travail, j'aurais donné ma lettre de démission.
Il approuva de la tête avec un sourire plus grand. Il semblait en accord avec elle.
-En effet. Il faut dire que travailler avec des individus dotés de capacité qui dépasse l'entendement n'est pas facile. Cependant, vous aviez vu qu'il n'y avait aucun problème et aucun incident depuis votre arrivée. Vous êtes resté fidèle au poste. C'est très apprécié de votre part.
-Oui, merci. Mon père à travailler pour vous.
-Oui, je me souviens du Dr. Walker. Dommage qu'il ne travaille plus pour le laboratoire depuis... Si vous voulez que je vous rajoute du travail, je le ferai. D'ailleurs, il se peut que la Dr. Ellis parte en vacances une semaine. Alors, vous me suivrez lorsque ce sera le cas. Est-ce que cela vous convient?
Ce fut à son tour de hocher la tête. Peter continuait à espionner leur conversation. Il restait accroché et elle ne put s'empêcher de remarquer qu'il n'éprouva aucune difficulté à le faire.
-Très bien. J'aimerais vous parler de d'autres détails si vous me le permettez. Il s'agit de Stanley Johnson.
-Oui. Le gardien que tout le monde parle. C'était le sujet de conversation de ce midi.
-Je ne peux pas empêcher les autres employés de discuter entre eux sur des sujets comme celui-ci. Après tout, monsieur Johnson est très apprécié ici. Il est un peu comme vous toujours à son affaire et il réussit à faire rire ses collègues. Cependant, il lui est arrivé quelque chose ce dimanche à la bibliothèque municipale.
Tout en disant cela, il avait sorti un carnet et un stylo pour prendre des notes comme si c'était un interrogatoire.
-Il pleuvait beaucoup, cette journée-là, continua-t-il. Vous vous en souvenez?
Un autre hochement de tête. Franchement, cette journée devenait de plus en plus bizarre. La révélation que Peter était le premier sujet de test la rendait nerveuse. Maintenant, elle avait l'impression d'être interrogé comme si elle en avait été responsable...Pourquoi avait-elle cette impression?
-Vous étiez à la bibliothèque cette journée-là?
Pourquoi mentir? Elle avait l'impression qu'il connaissait déjà la réponse.
«Dis-lui la vérité. Cela lui donnera un os à ronger.»
Et Peter qui mettait son grain de sel. Peut-être pourrait-il l'aider encore une fois.
-Bien sûr.
-Avez-vous vu ou entendu quelque chose d'inhabituelle, voire surnaturelle? Continua-t-il en écrivant sur son papier, concentré.
-Qu'est-ce que vous voulez dire exactement par là?
Il leva son regard vers elle et il avait l'impression qu'il pouvait lire à travers elle.
-N'importe quoi qui pourrait sortir de l'ordinaire à vos yeux. Après tout, toutes les personnes qui s'y trouvaient ont oublié pourquoi monsieur Johnson criait et qu'il s'est retrouvé dans cet état de terreur. Il s'en remet tranquillement, mais il répète un seul mot en continu depuis.
C'était impossible. Il y avait bien certaines personnes qui avaient vu les araignées tombées du plafond. Elle ne pouvait pas être la seule avec Stanley d'avoir vu les arachnides. Il avait fermé la bibliothèque tout de même pour une infestation!
«Dis-lui simplement ce que tu faisais.»
-J'étais entrain de choisir des livres lorsque c'est arrivé. Je me rappelle que des araignées sont tombées sur lui...Je n'ai pas fait plus attention...Je suis resté paralyser par la peur, je crois.
-Exactement. C'est le mot qu'il dit tout le temps...Araignées.
La rouquine repensa aux veuves noires et aux autres espèces d'araignées qui s'étaient précipitées sur le visage de Stanley comme sur leurs vies en dépendant.
-Stanley est arachnophobe. C'est-à-dire qu'il a une peur atroce des araignées. Au point qu'il ne reviendra pas travailler et je doute qu'il le puisse un jour. Il est presque mort sur le coup. Mort de peur...Bien, au moins, j'ai des suppositions…
-Des suppositions? Il me semble que les employés ont fermé l'accès à la bibliothèque pour une infestation d'araignée. Je ne vois pas…
-Ce n'est pas grave, coupa le docteur en se redressant. Il n'y a rien à craindre de ce côté-là.
Il continua de noter son carnet et Annabelle observa son geste avec de la frustration, mais aussi un certain doute dans son geste comme s'il était inquiet de quelque chose qu'elle n'était pas au courant.
-Avez-vous discuté avec lui avant que ça n'arrive?
-Oui. Nous avons parlé de livres.
-Vous n'avez rien évoqué d'autres?
-Non.
Il n'en rajouta pas. La force de Peter se resserra un peu sur son esprit. Elle avait l'impression qu'une autre force l'accompagnait pour l'enlacer et s'ancrer davantage. Annabelle avait l'impression de marcher sur des œufs avec son supérieur, mais aussi avec l'infirmier amical comme si les deux en savaient plus qu'ils ne le disaient.
-Madame Thomas est venue me voir concernant un incident à la cafétéria, lui dit-il en levant les yeux vers elle et en changeant de sujet. Elle a dit que vous ne l'avez pas…
-Sauf votre respect, elle dénigrait un employé sans le moindre remords. Je lui ai seulement fait valoir les règles et le code de conduite à appliquer en ce qui concernait son comportement.
-Vous avez tout à fait raison. Il n'est pas dans les règles de rabaisser ou de lancer des rumeurs sur un employé. Ici, il s'agissait plutôt de Peter. Comment le trouvez-vous? Demanda-t-il soudainement très curieux.
D'innombrables mots lui venaient à l'esprit : beau, introvertie, curieux, délicat, calme…
Mais elle n'en prononça qu'un seul :
-Gentil.
Il haussa un sourcil, s'attendant à ce qu'elle continue, mais elle ne le fit pas. Annabelle resta silencieuse après le simple mot que représentait Peter, l'infirmier.
-C'est tout? Gentil?
-Oui. Est-ce qu'il y a un problème?
-Il ne vous a jamais importuné ou dit quelque chose de travers? Il est resté gentil avec vous, c'est ce que vous me confirmez?
-Bien sûr. Il y a quelques semaines, il est venu m'aider avec un saignement de nez, vous vous en souvenez? Peter a simplement fait son travail.
-Vous en êtes sûr? Questionna-t-il, troublé.
-Oui.
-Vous a-t-il demandé assistance pour quoi que ce soit?
-Non.
La main de Martin se leva pour attraper une télécommande. Celle-ci fit ouvrir la petite télévision dotée d'un lecteur VHS. Un enregistrement démarra et Annabelle reconnut l'événement ou elle et Peter s'étaient rentrés dedans.
-Qu'est-ce qui s'est passé ici?
-Je suis sorti de l'ascenseur rapidement. Je n'ai pas regardé ou j'allais. Peter m'a aidé à ramasser mes affaires et je l'ai remercié.
-J'ai plutôt l'impression que c'est lui qui vous a bousculé exprès.
-Que voulez-vous dire exactement par là? Pourquoi l'aurait-il fait?
«Ne l'écoute pas. Il ne fait que jouer avec ta perception de ce qui s'est passée. Je n'avais pas fait exprès cette journée-là, mais ce fut très agréable de pouvoir te parler.»
-Une simple intuition. Et ça?
Un autre enregistrement montra Peter à la cafétéria qui lui donna quelque chose. Le fameux dessin. On ne voyait pas très bien, mais il y avait eu un geste vers elle et la caméra eut un problème d'enregistrement. On ne vit rien pendant quelques secondes et la vidéo reprit avec elle, seule à la table comme si de rien ne s'était passé.
-Nous parlons de lecture. Je lui ai dit que j'allais lui prêter Shining de Stephen King.
«Et tu me l'as prêté ce midi. Je l'ai pris. Merci.»
-Je lui ai passé sur l'heure du dîner juste avant que vous arrivez.
-Très bien.
Il termina de prendre ses notes toujours sous les yeux verts de la jeune femme et il la regarda de nouveau comme s'il la jugeait. Martin se montrait méfiant, mais il n'avait pas de preuve sur quoi que ce soit. Simplement des hypothèses. Il se montra méfiant envers Peter, pas vraiment envers Annabelle. Celle-ci resta une femme et la plupart étaient innocentes. Mieux valait qu'elle ne sache rien sur Peter pour le moment. Sinon, elle risquait de partir en courant et il perdrait une employée exemplaire. Il ne pouvait se permettre de perdre une employée modèle et il n'avait pas le temps de gérer ça.
Il devait vérifier Soteria dans le cou d'Henry. C'était la seule explication.
De plus, elle se montrait honnête, n'est-ce pas? Il en était presque persuadé.
-La conversation est terminée. Merci d'avoir répondu à mes questions, mademoiselle Walker.
Elle se leva rapidement comme si une abeille l'avait piquée, mais elle resta calme et lorsqu'elle posa sa main sur la poignée, la voix de Brenner se fit de nouveau entendre :
-S'il y a quoi que ce soit, dites-le moi. Je suis ici pour m'assurer que votre sécurité soit la priorité numéro un. Donc, n'hésitez pas à venir me voir, d'accord?
La jeune femme se tourna et approuva de la tête. Puis, elle sortit, troublée. Une fois la porte refermée, elle se dirigea vers la cafétéria avec la tête chargée de question.
L'esprit de Peter était toujours accroché au sien, s'assurant qu'elle revienne en sécurité. Brenner pouvait se contenter d'os avec elle, car elle n'était pas à lui.
Elle appartenait à Peter.
