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Retour au manoir
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C'était con à dire, mais il lui manquait un peu. Enfin non, pas exactement. Disons plutôt qu'il s'était étonnamment rapidement… habitué à sa présence. Ses sarcasmes et ses insinuations, qui auraient autrefois été agaçants, semblaient désormais faire partie intégrante de son quotidien, et constater qu'il pensait à lui plus souvent qu'il ne l'aurait souhaité lui laissait un léger arrière-goût amer au fond de sa gorge.
Il se demandait si Tom ressentait la même chose. Il en était presque sûr, bien qu'il aurait aimé en avoir une confirmation directe. Or, depuis leur retour de Poudlard, l'homme jouait la fille de l'air, se tenant étonnamment à l'écart.
Cela commençait doucement à tourner à l'obsession : par deux fois déjà, Harry s'était surprit à déambuler dans le jardin, les mains enfoncées dans ses poches, jetant des regards furtifs autour de lui comme s'il espérait croiser Tom 'par hasard'. Il soupira. Totalement ridicule. Ou peut-être était-il tout simplement complètement cinglé, il n'arrivait pas encore à se décider.
Il se gratta machinalement le cuir chevelu du bout de sa baguette. Ah oui. Sa baguette. Il l'avait enfin récupérée, totalement réparée, comme neuve. Ollivander lui avait lancé un regard étrange, mais n'avait rien ajouté de plus. Ce n'était qu'en la tenant à nouveau qu'Harry avait pris conscience du vide qu'il avait ressenti sans elle jusqu'à présent. C'était comme retrouver l'usage d'un membre amputé. Il l'avait immédiatement testée en lançant quelques sorts basiques et avait été émerveillé de la voir réagir au quart de tour. Elle était tout simplement... parfaite.
Maintenant qu'il l'avait retrouvée, il se sentait à nouveau entier et se demandait comment il avait réussi à fonctionner correctement sans elle pendant tout ce temps. Il était allé la chercher dès leur retour de Poudlard et ne la quittait plus depuis.
Cela n'avait pas été simple de rentrer au manoir. Déjà parce que Dumbledore avait fortement insisté pour qu'Harry vienne boire un thé avec lui. Un thé probablement accompagné de bonbons au citron. Et Harry aurait adoré accepter. Pouvoir discuter avec un Albus au mieux de sa forme, après tout ce temps, il en avait rêvé des nuits et des nuits entières... il revoyait encore la scène de sa mort se dérouler sous ses yeux. Il avait été impuissant. Immobilisé. Pris par surprise. Il s'était senti trahi, en quelque sorte. Et puis, Severus... Ha.
Il ne s'y laisserait plus prendre. Il pouvait encore empêcher cela et changer l'avenir de tous ces gens.
Mais Tom, qui haïssait Albus, ne pouvait pas comprendre cela. Alors Harry avait dû jongler entre le refus poli qu'il devait apporter au futur directeur de l'école et la gestion de l'aura meurtrière qui émanait de son compagnon.
Le trajet de retour au manoir avait encore été plus chaotique.
Tout transplanage devrait se faire l'esprit serein mais se téléporter en traînant derrière soi le mage noir le plus récalcitrant de tous les temps (puisque voulant en découdre avec tout Poudlard) était les prémices d'un désartibulage assuré.
Harry était arrivé – en une seule pièce – mentalement épuisé, alors que Tom semblait encore et toujours râler intérieurement. Depuis, ce dernier n'avait pas décroché un mot et Harry s'était laissé envahir par une pointe d'agacement. Il avait parfois la fâcheuse impression (probablement plus que fondée) que Tom pensait être le seul à souffrir d'injustice, à être incompris ou Merlin seul sait quoi d'autre encore. Et quand le monde ne tournait pas autour de lui, alors il préférait tout détruire. Oui, c'était quelque chose dans ce goût-là : la solution à tous les problèmes était la destruction, la mort et les ténèbres. Un point de vue somme toute très enfantin pour un homme proche de la trentaine.
Mais Harry ne pouvait pas totalement le blâmer pour cela. Personne ne lui avait appris à faire autrement et le bouclier défensif que Tom s'était construit était complètement défaillant. Bien entendu, cela ne rendait pas les actions de Voldemort excusables : semer la mort, la terreur et la souffrance n'était - et ce dans aucun monde existant - une pratique valable et acceptable.
Harry ne pouvait s'empêcher de comparer sa vie à celle de Tom : tous deux avaient grandi dans des familles dysfonctionnelles. Tom avait même fini par être placé en orphelinat. Lorsque Albus était venu le chercher, il n'avait pas trouvé l'amour et le soutien qui avaient été offerts, plus tard, à Harry. Alors que ce dernier avait connu la chaleur de ses amis, de la famille Weasley, du corps professoral et d'Hagrid, Tom avait dû se débrouiller seul, de A à Z. Comment tout cela aurait-il bien pu finir autrement qu'en massacre ? À quel moment les adultes s'étaient-ils convaincus que tout cela était acceptable ?
Harry se disait parfois qu'il était déjà trop tard. Qu'il aurait dû être envoyé dans le passé bien avant pour réellement pouvoir faire la différence. Que Tom était irrémédiablement perdu.
Jusqu'à présent, il n'avait pas pu faire grand-chose : Riddle avait créé un nouvel Horcruxe, connaissait l'emplacement du suivant, avait maudit le poste de professeur de Défense contre les Forces du Mal à l'école... Tout semblait se dérouler exactement comme dans le futur.
Le seul caillou dans l'engrenage était Harry. Un tout petit minuscule caillou que Tom avait pourtant remarqué, comme une gêne dans sa chaussure probablement, mais dont il ne semblait pas encore décidé à se débarrasser. Oui, Tom l'avait remarqué. Reconnu même. Et c'était assez incompréhensible d'ailleurs, car il n'était pas du genre à s'intéresser à quiconque.
Harry n'avait jamais cru au destin ni aux vies pré-écrites. Il était pourtant l'enfant d'une prophétie qui avait ruiné toute son existence et dont tout le monde semblait faire grand cas. Il était difficile de croire que trois pauvres petits mots avaient pu influencer à ce point toute une génération de sorciers (Tom le premier). Peut-être que le côté moldu d'Harry se manifestait à ce moment-là, comme une forme de scepticisme ou de rejet envers toute forme de prédestination ?
Mais sans cette prophétie, jamais Voldemort n'aurait attaqué ses parents. Jamais il n'aurait été considéré comme l'élu de tout un peuple. Encore une fois, comment des adultes responsables pouvaient-ils faire porter le poids de tout leur avenir sur un enfant de 11 ans ? C'était une solution de facilité, un choix lâche et méprisable.
Tom n'était pas mieux. À quel moment s'était-il dit qu'un enfant de 1 an pouvait être une menace pour lui ? Cette société était parfois plus opaque pour lui que de l'obsidienne, et il n'était pas certain de vouloir en faire partie.
D'ailleurs, après la fin de la guerre, Harry avait lentement sombré. Lui qui avait consacré toute sa vie à vaincre Voldemort, se retrouvait soudainement sans réelle raison de vivre une fois la tâche accomplie. Il avait fallu qu'une déité le renvoie dans le passé pour qu'il arrive enfin à mettre des mots sur ce qu'il ressentait : une dépression, sans doute. Sûrement même. Il s'était accroché à ce qu'il pouvait, principalement à l'alcool, car c'était cela qui lui permettait d'oublier qu'il n'avait plus d'utilité, qu'il avait définitivement rempli son rôle et que plus personne n'avait besoin de lui.
Ce n'était pas qu'il n'était pas entouré. Ron et Hermione, en particulier, avaient essayé de le faire sortir de sa léthargie, de le secouer. Mais il n'était pas certain d'avoir besoin de leurs leçons de morale. Alors, il s'était enfermé dans son cocon de solitude. Il avait coupé les ponts, s'était dissocié du monde, pour rester avec Severus, Albus, Remus ou Sirius. Les morts étaient devenus sa seule compagnie. Et ça le bouffait, putain. Ça le dévorait de ne rien avoir pu faire pour eux, de ne pas tous les avoir sauvés, de ne pas avoir pu leur offrir cet avenir qu'ils avaient tant attendu de lui.
Alors, quand il avait été envoyé ici, il avait eu l'impression de revivre. Dans ce monde, Voldemort n'était pas encore né et Tom n'était qu'une bête en devenir. Plus tout à fait humain, mais pas encore un monstre. Juste de quoi le réveiller. Juste de quoi lui permettre de trouver une excuse pour vivre un peu plus longtemps. Juste de quoi lui offrir un renouveau.
C'était peut-être un peu idiot à dire, mais Tom était devenu son phénix. Le dernier souffle qui arrivait à sortir de sa gorge serrée. Parce qu'ici, Harry avait enfin une utilité. Parce qu'ici, il savait qu'il pouvait mener à bien sa mission : sauver tous ceux qui en avaient besoin.
Et tant pis s'il devait se perdre lui-même pour y arriver.
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