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Sombral.

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Le mois de juillet avait pris fin dans la tranquillité et Harry s'était discrètement souhaité un joyeux anniversaire à lui-même, sans en parler à personne. En fait, il se demandait même s'il devait vraiment marquer cette occasion, car dans cette réalité, il n'était pas encore né. Pour lui, c'était plus une habitude qu'un véritable besoin, un rappel de sa vie chez les Dursley, à ceci près qu'il était mille fois plus heureux ici que là-bas.

Le temps avait filé plus rapidement que prévu. En septembre, Rud l'avait emmené dans les vignes du Manoir pour lui apprendre à faire les vendanges. Le cuisinier était un vieil homme un peu bourru, un peu ours, mais il n'en était pas moins un excellent professeur. Grâce à la magie, cela avait pris beaucoup moins de temps que prévu et Harry avait pu aider à presser et à stocker les fruits dans de gros tonneaux en chêne. Il appréciait l'odeur du bois chauffé, du raisin pressé, de la fermentation. Dans ces moments-là, il n'avait plus l'impression d'être Harry Potter, le sauveur du monde sorcier, mais simplement Harry, l'aide du domaine. Il avait l'impression de se redécouvrir.

Parfois encore - bien que de moins en moins -, il pensait à ses amis restés en 2010. Puis son esprit déviait rapidement vers le Manoir : sur le travail qu'il lui restait à accomplir avant la fin de la journée, sur le repas que Rud allait préparer pour le dîner... et il oubliait vite son ancienne vie. Ce n'était pas une malédiction qu'il avait trouvée ici, mais une famille.

En octobre, Anton avait présenté à Harry un magnifique Sombral, dont le pelage noir brillait sous le soleil avec des reflets irisés. Harry avait été impressionné : la bête était vraiment sublime. Il avait caressé longuement son encolure et la créature avait doucement posé son museau tout contre lui. Harry avait senti son cœur s'accélérer. C'était la même sensation qu'il avait éprouvée auprès de Buck. Il se demanda s'il n'aurait pas dû s'incliner comme il l'aurait fait face à un hippogriffe, mais le Sombral semblait plus doux et moins fier que son cousin.

« C'est un cadeau de Lord Gaunt, Monsieur Harry. » avait murmuré le garçon et Harry avait ouvert de grands yeux : « Alors prends en soin, Anton. Il t'a fait un beau présent. Cela n'a pas dû être facile pour lui de trouver une si belle bête. »

Anton avait regardé Harry comme s'il était un peu idiot : « Monsieur Harry... il n'est pas pour moi... C'est un cadeau pour vous. »

À ces mots, l'esprit d'Harry s'était vidé, blanc. Puis l'information avait doucement remonté à son cerveau et il avait soudainement senti une vague de chaleur l'envahir. « Pour le Manoir, tu veux dire ? » avait-il demandé, incrédule.

Anton avait secoué la tête. « Non, non, le Lord a bien dit que c'était pour vous. Il m'a aussi demandé de vous préciser que si vous refusiez son cadeau, il me trancherait les bras un à un avant de s'attaquer à mes jambes pour ne laisser de moi plus qu'un tronc. Monsieur Harry, ne le prenez pas mal, mais je n'ai aucune envie de devenir un homme tronc à 17 ans. Alors que vous le vouliez ou pas, ce Sombral, il est pour vous. »

Et, sans attendre de réponse, Anton avait enfoncé les rênes du cheval entre les mains d'Harry, qui contemplait le présent de Tom sans trop savoir quoi en faire.

Tom n'avait jamais dû être habitué à offrir quoi que ce soit à qui que ce soit, si bien qu'Harry se sentait pris entre plusieurs émotions : d'une part, il avait l'impression d'être l'amante favorite d'un roi français, d'autre part, c'était clairement un présent offert sous la menace et Harry avait la forte envie de coller à Tom cet animal là où il le pensait - et c'était vraiment trop vulgaire pour le décrire anatomiquement parlant.

C'était un peu gonflé de la part du maître de maison de s'imposer ainsi, surtout quand on savait que, depuis leur retour de Poudlard, il n'était pas réapparu une seule fois. Et là, il offrait un Sombral à Harry, à la vue de tous, prouvant ainsi à toute la maison qu'il ne le considérait pas (ou plus) comme un simple domestique. C'était affreusement gênant.

La tentation fut plus forte que l'agacement et, quand le cheval s'agenouilla devant Harry, ce dernier ne put s'empêcher d'agripper sa crinière pour le chevaucher, à cru. Comme si la créature n'avait attendu que cela, dès qu'Harry fut correctement positionné sur son dos, elle s'élança au triple galop à travers les champs et Harry ne ressentit aucunement le besoin de l'arrêter ou de la freiner. Il sentait le vent fouetter son visage et avait l'impression d'être plongé dans un bain de jouvence.

C'était la première fois qu'il montait un Sombral et la sensation était très différente de celle ressentie sur un hippogriffe. Ceux qui pouvaient avoir l'honneur de les voir étaient souvent rebutés par leur aspect squelettique ou famélique, mais ces créatures étaient loin d'être chétives, bien au contraire. Harry pouvait sentir tous les muscles de l'animal rouler sous ses cuisses et il se hasarda à glisser sa main sur la membrane des ailes, douce comme le velours, du cheval.

Comme s'il venait d'actionner un signal silencieux, le Sombral déplia lentement ses ailes et accéléra le rythme de sa course. Harry comprit ce qui allait se passer et s'accrocha plus fermement. Quelques instants plus tard, les sabots quittaient la terre ferme et lui et sa monture s'élevaient dans les airs.

Les nuages cotonneux s'étendaient à perte de vue, semblant flotter paisiblement dans le ciel infini. Harry, perché sur le dos du Sombral, laissa échapper un rire clair qui se mêla au sifflement du vent. Sous eux, la terre s'étirait dans un patchwork de couleurs éclatantes : des champs verdoyants ondulant comme des vagues sous la brise, des forêts denses où le soleil filtrait à travers les feuilles et des rivières étincelantes serpentant à travers la campagne.

Le battement puissant des ailes du Sombral résonnait dans l'air, vibrant à travers tout son être, et Harry se sentait en parfaite symbiose avec sa monture.

Le vent fouettait son visage, lui procurant une sensation de fraîcheur et de liberté. Ses cheveux ébouriffés flottaient derrière lui, emportés par la brise, tandis que ses yeux buvaient avidement la vue grandiose qui s'offrait à lui.

Alors que le Sombral fendait l'air avec grâce et qu'il se laissait griser par l'expérience, il réalisa soudainement qu'il n'en voulait plus du tout à Tom.

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