.
Diner.
.
Quelle ne fut pas sa surprise, ce soir-là, lorsque Harry rentra de son expédition dans les cieux, de trouver la table du Grand Salon dressée pour cinq convives. Tom siégeait au bout de la table, l'air indifférent, plongé dans le journal national. Maddy, Anton et Rud se tenaient debout, dans leur tenue de travail, tortillant leur corps d'inconfort. Alors qu'Harry s'avançait dans la pièce, interloqué, Tom, sans lever les yeux de son journal, laissa claquer sa langue d'agacement : « Assis. »
Harry soupira avant de marmonner : « Bonjour, comment allez-vous ? Pourriez-vous vous asseoir avec moi, merci. »
Tom releva ses yeux noirs sur lui mais n'ajouta rien en voyant Harry prendre place sur la chaise à ses côtés. Puis, il détourna son regard vers les trois autres employés et sa voix claqua à nouveau : « J'ai dit : assis. »
Rud fut le premier à s'avancer pour trouver une chaise, le plus loin possible de Tom. Anton grimaça en voyant le choix des places se restreindre et se hâta de s'asseoir à côté d'Harry. Enfin, Maddy resta seule, en retrait, les bras ballants.
Cela devait être rare que Tom dine avec ses employés et elle ne devait pas savoir quoi faire. Harry la prit en pitié et, avec un sourire, désigna la chaise libre en face de lui : « Maddy, je crois que ce que Lord Riddle veut dire, c'est qu'il aurait grand plaisir à dîner avec nous ce soir, plutôt que tout seul dans sa chambre. Venez prendre place avant qu'il ne se dessèche de soif et de faim. »
Tom replia brutalement son journal et un grognement menaçant coula de sa gorge. Anton se raidit sur sa chaise. Maddy, quant à elle, hésitait toujours. Harry planta son regard dans celui de Tom pendant quelques secondes avant de tourner son attention vers la petite femme : « C'est bien ça. Il manque un peu de vocabulaire, mais il nous invite à partager son repas. » Anton semblait au bord de l'arrêt cardiaque. Maddy lança, hésitante : « Mais... qui va servir le repas ? »
Harry se redressa doucement : « Je vais m'en charger. Asseyez-vous, pour une fois, et profitez de la générosité du Lord... »
Le sarcasme ne passa pas inaperçu, une toux grinçante (probablement un rire) résonna du côté du cuisinier et Tom fusilla Harry du regard. Ce dernier lui rendit un sourire éclatant jusqu'à ce qu'il finisse par détourner les yeux.
Anton lança un regard paniqué à Harry, le suppliant silencieusement de ne pas quitter la table et de continuer à le protéger des yeux de Tom. Mais Harry, d'humeur taquine, s'éclipsa dans la cuisine pour chercher l'entrée que Rud avait préparé un peu plus tôt dans la journée.
Quand il revint, l'ambiance était glaciale. Personne n'osait engager la conversation et seul Tom semblait à l'aise dans ce malaise général.
Par pure provocation, Harry se dirigea en premier vers Maddy. Quand cette dernière faillit tourner de l'œil à cause du non-respect du protocole hiérarchique, Harry lui offrit un sourire courtois : « Je suis certain que le Lord ne verra aucun inconvénient à ce que les femmes de la maison soient servies les premières. » Tom ne fit aucune remarque, ce qui sembla confirmer son indifférence quant au respect de l'étiquette dans sa propre demeure.
Harry n'avait pas grandi dans une famille noble. Il regretta un instant de ne jamais avoir écouté Drago monologuer des heures durant sur la place et l'ordre des couverts dans les tablées mondaines, mais finit par se dire qu'il s'en fichait pas mal. Il posa le plat à salade devant Tom, sous le regard horrifié des trois autres.
Tom ne sembla pas s'en offusquer et se contenta de lever un sourcil interrogateur vers Harry : « Je vois que ces quelques mois passés ici n'ont pas corrigé vos manières rustres. Peut-être devrais-je moi-même vous éduquer ? »
Harry lui sourit mielleusement : « Mais mon Lord, demandez-moi et je vous servirais. Je peux même vous nourrir si vous le souhaitez. »
Harry observa du coin de l'œil, un sourire malicieux au coin des lèvres, Maddy pâlir et Anton se laisser lentement glisser sous la table. Il remarqua que personne ne semblait saisir l'atmosphère réelle de la pièce : Tom n'était ni en colère ni offensé par les remarques impertinentes d'Harry ; il semblait plutôt s'en amuser. D'ailleurs sa réplique fusa sans tarder : « Et bien puisque vous vous proposez, Monsieur Potter, faites donc cela. »
Harry resta interdit. Tom voulait vraiment qu'il le nourrisse ? Ici ? Devant tous ses employés ? Un fou rire menaça de s'emparer de lui, mais il se reprit de justesse, se contentant de hocher gravement la tête et de rapprocher sa chaise de celle de Tom. Tous les convives retinrent leur souffle quand Harry le servit avant de piquer quelques feuilles de salade de la pointe de sa fourchette et de l'avancer vers la bouche de Tom. La scène devait être mémorable et il regretta de ne pas pouvoir en être spectateur.
Sans broncher, Tom accepta la becquée provocatrice avant d'essuyer ses lèvres avec sa serviette. Puis, il avança la main vers Harry et retira un brin de paille doré de ses cheveux : « Vous avez reçu mon cadeau ? »
Harry se recula pour s'appuyer contre le dossier de sa chaise : « Oui, merci. J'ai aussi bien reçu vos menaces. »
Tom lança un regard méprisant à Anton : « Ce n'était en aucun cas une menace. (Il afficha un sourire carnassier) Juste une simple précaution. Le jour où je souhaiterai vous menacer, vous saurez faire la différence. »
Harry grommela : « Oui, merci, je pense que je vois déjà. »
Tom fixait Harry, semblant attendre une réponse qui ne venait pas et un silence pesant se réinstalla dans le Grand Salon, seulement troublé par le bruit des couverts sur les assiettes.
« Et donc ? » finit-il par demander, après plusieurs longues secondes.
« Et donc quoi ? » demanda Harry, nonchalant.
« Qu'en avez-vous pensé ? » réitéra Tom.
Harry observa un long moment Tom. C'était donc la raison de tout cela : du cadeau, du dîner avec les employés... il voulait être loué, remercié pour sa générosité devant tout le monde. Il attendait qu'Harry flatte son ego et le reconnaisse devant les autres. Bien. Il n'allait pas être déçu : « Il est magnifique. »
Harry sentit la jambe de Tom se presser contre la sienne : « Evidemment. Je le sais déjà. Il m'a coûté une petite fortune. Mais vous n'avez pas compris ma question. Qu'en avez-vous pensé VOUS ? »
« J'en ai pensé que vous étiez sacrément gonflé. »
Ce n'était clairement pas la réponse attendue. L'atmosphère dans la pièce sembla se rafraîchir de quelques degrés. Rud se leva brusquement en marmonnant qu'il allait chercher le plat principal, et Anton renchérit en disant qu'il allait l'aider. Mais la voix cinglante de Tom claqua, glaciale : « Assis ! » et les deux hommes obéirent lentement, se rasseyant dans un silence tendu.
Mais Harry n'avait jamais été impressionné par les élans de mauvaise humeur de Tom. De plus, il sentait encore la jambe de l'homme contre la sienne, signe qu'il avait encore de la marge avant qu'il n'explose de colère. Aussi, il piqua un quartier de tomate avec sa fourchette qu'il porta à sa bouche dans la plus grande tranquillité, sous les regards appuyés de toute la tablée.
.
