Buck

Bobby ne put se sortir le bébé de la tête pour le reste de sa garde.

Il avait beau être épuisé, il se rendit directement à l'hôpital dès la fin de son quart. Il se présenta à l'accueil de la maternité avec le chien en peluche à la main.

– Je peux vous aider ? demanda l'infirmière de service.

– Pompier Bobby Nash, mon unité vous a amené un bébé retrouvé dans une benne à ordure ce matin, je voulais savoir s'il allait bien.

L'infirmière eut un petit soupire que Bobby interpréta comme de la pitié.

– Il est avec les médecins, admit-elle.

– Mais il va… bien ?

– Si on veut, admit-elle. En fait, il refuse de manger et pleure beaucoup. Le médecin essaie de déterminer s'il pourrait avoir des lésions internes que nous aurions raté.

– Est-ce que… ? Je veux dire ses parents…

– La police les recherches toujours.

– Donc, on n'a toujours pas son identité.

– Non, mais nous prendrons bien soin de lui, lui promit-elle.

Bobby était conscient qu'elle essayait gentiment de lui dire de partir, de ne pas s'attacher mais de son point de vue, c'était trop tard. Ce petit ange avait littéralement repris vie entre ses bras et Bobby se sentait responsable de lui.

Il voulait le savoir heureux et en bonne santé.

Néanmoins, il acquiesça et fit un pas en arrière prêt à partir mais il releva soudain la tête, déterminé.

– Est-ce que je peux le voir ?

– Monsieur, je ne crois pas que…

– Il n'a pas pleuré, pas une fois, quand je le tenais contre moi. Il s'est accroché à moi pour sa vie alors si je peux aider à le calmer pendant que les médecins l'auscultent… S'il vous plait, insista-t-il en la voyant hésiter.

– Très bien, souffla-t-elle. C'est une mauvaise idée de s'accrocher à cet enfant mais si vous pouvez lui apporter un peu de calme.

– Il pleure tant que ça ? s'inquiéta-t-il en la suivant dans le couloir.

– Sans discontinuer depuis que vous l'avez amené, admit-elle. Il refuse les biberons. Il en a besoin, il n'a pas plus d'un mois. Nous sommes très inquiets pour lui.

– D'accord, je…, commença-t-il avant de se rappeler qu'il tenait toujours son animal en peluche dans la main. J'ai son doudou.

– Ça peut peut-être aider, lui sourit-elle. Il est là-dedans.

Bobby pouvait entendre ses cris à travers la porte et ça lui fendait le cœur. Il avait envie de se précipiter à l'intérieur mais il savait que ça rendrait l'enfant encore plus sur les nerfs.

Il inspira profondément pour se calmer.

– Vous êtes prêt ?

– Oui, et merci… euh…

– Marcy, lui sourit-elle.

– Merci Marcy, répondit-il alors qu'elle ouvrait la porte.

Il la suivit à l'intérieur et découvrit une infirmière faisant les cents pas, tentant de calmer le bébé qui s'époumonait de toutes ses forces.

– Hey Baby Doe, lâcha Marcy. Regarde qui j'ai trouvé dans le couloir. C'est le pompier qui l'a sauvé, lâcha-t-elle à l'infirmière. Tu as besoin d'une pause.

– Il refuse toujours de manger ou de dormir, il ne fait que pleurer, admit-elle en le lui remettant. Les médecins n'ont rien trouvé d'anormal.

– D'accord, on s'en occupe, lui assura-t-elle encore en la regardant partir. Alors Baby Doe ? Tu ne veux vraiment pas te calmer ?

Le bébé pleurait toujours et Bobby se sentait démuni, impuissant à le faire se calmer alors que Marcy tentait toujours de l'apaiser. Il avait l'air terrorisé de se retrouver dans cet endroit inconnu, entouré d'étrangers.

– Vous devriez vous asseoir, lui dit-elle alors qu'il obtempérait.

Elle le réarrangea et le déposa contre sa poitrine. Baby Doe continuait de pleurer pris de hoquets incontrôlables et Bobby posa sa main sur son dos pour l'apaiser.

– Est-ce que les médecins sont sûr ? demanda-t-il à Marcy. Je veux dire, il n'a pas l'air bien, il ne devrait pas pleurer autant.

– Il a vécu un traumatisme, il est très petit et il a besoin de se sentir en sécurité.

– Mais il l'est, argumenta-t-il. Il a plein de monde pour s'occuper de lui.

– Être soigné et se sentir en sécurité sont deux choses différentes, affirma-t-elle. Il a besoin de temps pour se sentir pleinement en sécurité. Il est déjà plus calme.

Bobby baissa les yeux sur le petit qui hoquetait toujours mais l'intensité des cris avait baissé. Il grognait plus qu'il ne pleurait réellement, en fouinant contre son torse. Bobby n'osait pas vraiment bouger, ne sachant pas ce que le bébé voulait exactement.

– Attendez, lâcha soudain Marcy en redressant l'enfant pour caler sa petite tête contre son cou. Voilà, on dirait qu'il vous aime bien.

Bobby le sentit venir blottir son visage contre la peau de son cou en reniflant. Il hoquetait toujours mais ne pleurait plus. Bobby en profita pour lui rendre son doudou auquel il s'agrippa.

– On va le laisser se calmer, souffla Marcy. Et peut-être qu'ensuite, on pourrait essayer de le faire manger un peu.

Bobby se contenta d'acquiescer.

Il caressait le dos du bébé lentement pour l'apaiser. Il ne se rendit pas compte que celui-ci s'était endormi. Curieusement, il se sentait lui-même apaisé de l'avoir contre lui, c'était comme si quelque chose se mettait en place, comme si la dernière pièce du puzzle de sa vie, lui permettait enfin d'apprécier le rendu de sa propre existence.

Marcy revint le voir près d'une heure plus tard avec un biberon et Bobby se redressa.

– Il faut qu'il mange, lui assura-t-elle. On ignore quand a été son dernier repas.

Bobby acquiesça et la laissa le réveiller.

– Allez Baby Doe, c'est l'heure de manger.

– Pourquoi vous l'appelez comme ça ? s'enquit-il. Baby Doe, je veux dire.

– Parce qu'on ignore son nom et que c'est comme ça qu'on appelle les bébés inconnus, Baby Doe.

– Oh, je… n'y avais pas pensé.

– Comment voudriez-vous qu'on l'appelle ?

– Je ne sais pas vraiment, admit-il alors qu'il ouvrait enfin les yeux en le regardant.

Il n'y avait même pas pensé, en réalité. Cet enfant avait forcément un nom, une famille… Pourtant Bobby ne pouvait s'empêcher de vouloir le protéger de ces personnes qui l'avaient abandonné, de le garder en sécurité, de ne plus jamais le lâcher.

Le bébé serra sa peluche contre lui tout en le regardant et Bobby lui sourit attendri.

– Je ne comprends même pas ce que je ressens à son contact, admit-il alors qu'elle l'aidait à le basculer sur son bras pour qu'il soit confortablement installé.

Il referma ses doigts sur le biberon et le lui présenta.

Le bébé refusa d'abord la bouteille mais Bobby insista tendrement en l'encourageant doucement. Puis, il ouvrit la bouche et commença à téter prudemment, avant d'avaler goulument le lait.

– Oh, alors tu avais faim finalement, s'amusa-t-il.

Pour seul réponse, il continua à téter en le regardant dans les yeux, comme absorbé par lui. Bobby avait du mal à détacher les siens des deux magnifiques topazes qui l'observaient. Il le vit resserrer son petit poing dans la peluche et ne put retenir son sourire.

– Peu importe son nom, affirma-t-il soudain. Je crois que pour moi, il est seulement Buck.

Marcy lui sourit attendrie.

– Qu'est-ce qui va se passer pour lui ? s'enquit-il après une minute de silence. Je veux dire même si on retrouve ses parents, on ne va pas le leur rendre ?

– Je ne sais pas. Mais s'ils ont vraiment quelque chose à voir avec ce qui lui est arrivé, je ne pense pas qu'il leur sera rendu. Je pense que malheureusement, il va devoir aller en foyer.

Bobby sentit l'air lui manquer.

Il n'avait pas vécu cette vie mais il ne la souhaitait à personne. Bébé Buck avait le droit d'être heureux et d'avoir une famille qui l'aimait, d'avoir de vrais parents et pas seulement des tuteurs.

– Il pourrait être adopté, argumenta-t-il.

– Oui, il pourrait. Il va être proposé à l'adoption mais rien n'est certain. Une fois que les enfants sont dans le système, on ne sait pas quand ils vont en sortir.

– Je ne veux pas ça pour lui, affirma-t-il.

– Ce n'est pas à vous de décider.

– Alors, je vais devoir changer ça, car je refuse qu'il passe sa vie, balloté de foyer en foyer.