Soundtrack : Yule de Lisa Thiel


La cour s'était réunie sous les toitures d'argent de Glitnir, la demeure de celui qui, malgré son jeune âge, présidait déjà les plus grands conflits entre Æsir : Forseti. Une foule dense s'agrégeait entre les colonnes d'or rouge. Les voiles blancs étaient nombreux et flottaient au-dessus des joues encore salées. Tous attendaient le verdict, ne comprenant pas pourquoi le jugement devait être renouvelé. La culpabilité du Dieu de la Malice avait déjà été reconnue, et il payerait pour son crime une fois retrouvé – s'il était retrouvé. Aucune âme n'envisageait la situation autrement, car aucun n'avait connu l'autre visage de Balder. Icône de l'Amour et de la Lumière, le semi-Alfe avait été un prince juste, un guerrier valeureux, un mari fidèle et un père affectueux ; comme l'avait rapporté Nanna, sa compagne, durant des heures entre ses larmes intarissables.

Un besoin de justice qui s'était transmis à leur fils, Forseti qui, ce jour-là, avait bien du mal à maintenir sa position objective sur son haut trône pour ne pas venir consoler le cœur maternel.

Balder avait aussi été un enchanteur de première catégorie ; il avait répandu sa lueur bienfaitrice sur les peuples des Neuf Royaumes et apporté la paix dans les foyers. Aimé et pleuré de tous. Une réputation déjà construite lorsque Thor était venu au monde ; un modèle sur lequel il s'était forgé les premières années de son existence, avant d'en comprendre les limites.

Car, à force de briller, la Lumière finissait par dévorer le reste. Omniprésente, elle ne laissait que très peu de place à ce qui était différent, aux ombres qui tentaient de survivre entre ses faisceaux. La gentillesse avait ses préférences, parfois la sincérité devenait une lame tranchante, et l'incompréhension face à un esprit divergent pouvait se métamorphoser en barrière douloureuse. En grandissant, Thor l'avait compris : la Lumière pouvait se montrer égocentrique en se pensant sans reproche, mais il en était autrement. Loki en avait fait les frais le premier. Différent, brillant à sa manière.

« Je ne comprends pas pourquoi nous sommes encore là à discuter de ce traitre ! » s'emporta Vali, le meilleur ami de son frère, en se relevant brusquement. Son siège grinça sur les dalles en cristal, et il manqua de retourner la table dans son geste. « Balder est mort, à cause de ce Jötunn ! »

Le prince héritier serra des dents en ressentant la haine mise dans l'origine de son cadet. Assise à côté de lui, Hela posa une main sur la sienne pour calmer le grondement en lui. Du coin de l'œil, il croisa son unique iris qui lui suppliait patience.

« Le juge a déjà révélé son verdict » poursuivit Vali, « vengeance doit être faite ! Pourquoi revenir là-dessus ?!

- Du calme Vali. » Depuis son trône, opposé à celui du juge, le Père de toutes choses parla d'une voix calme et grave qui imposait un respect immédiat. L'écharpe blanche était encore accrochée sur son épaule et ses doigts étaient entrelacés avec ceux de sa reine.

L'Ase vengeur, à la coiffure anarchique et au teint crasseux, ne reprit pas pour autant sa place ; il profita au contraire de sa hauteur nouvelle pour défier Thor du regard et lui adresser d'un ton cinglant : « Il était votre frère. Votre sang ! Il vous a sauvé la vie en sacrifiant la sienne. Pourtant, vous n'avez versé aucune larme à sa disparition. Et défendez même le coupable de ce complot ? »

Le prince héritier expira lentement, avant de prendre la parole : « Nous étions trois à Muspelheim. Pourquoi Loki serait-il le seul coupable ?

- Parc'que c'est un Thurse ! C'est ce qu'ils sont ! » Face à l'insulte, son poing se referma sur l'accoudoir dont le bois craqua entre ses phalanges. Le regard de sa sœur se fit lourd sur son côté. Inspirer, lentement. « Loki a toujours jalousé Balder, depuis des siècles ! Il- » Le reste de sa phrase fut engloutie dans un vacarme assourdissant. Des courtisanes émirent des glapissements de surprise face à la lourde table fendue en deux là où le poing du Dieu fertile s'était abattu.

« C'en est assez. » Une nouvelle fois, Hela tenta de le retenir, mais il ne voulait plus écouter. Il était épuisé. Tendu. Peut-être intérieurement dans le même état que cette pauvre table – brisé. Son cadet avait disparu depuis des mois, presque deux ans, rejeté à cause de toutes ces langues qui refusaient de comprendre ; qui croyaient tout savoir. « Vous n'étiez pas là. » Par miracle, sa voix demeurait calme, contrairement à la tempête qui menaçait d'éclater en lui. Les bordures de sa vision blanchissaient, le soufre emplissait ses narines. « Vous n'étiez pas là » répéta-t-il, « comment pourriez-vous juger qui est coupable de quoi ? » Vali ouvrit la bouche, déjà prêt à répliquer ; il le fit taire d'un regard noir : « La ferme Vali. »

Il fit trois pas en avant, passa par-dessus les décombres du meuble. La main de sa sœur s'attarda autour de son poignet, avant de le lâcher, en sachant sans doute l'émotion trop forte pour être maintenue plus longtemps. Il avait besoin que ça sorte, qu'ils comprennent, qu'ils cessent avec leurs mensonges grotesques.

Le feu. La destruction. La souffrance. La mort. La lueur de Balder. Ils n'étaient pas là.

Ils n'avaient été que trois, car personne n'avait voulu les écouter.

« Je n'ai pas pleuré la perte de mon frère, comme tu le dis, parce qu'on ne m'en a pas laissé le temps. » Deux nouveaux pas en avant ; son regard voyagea sur l'audience. « Dois-je rappeler que j'ai été brûlé au troisième degré ? Que j'ai failli mourir ? Que sans Loki, que vous psalmodiez tous sans honte, je ne pourrais me tenir devant vous aujourd'hui ? Dois-je rappeler que, sitôt remis, j'ai dû me battre pour sauver la vie de mon cadet ?

- Ce tröll n'est p-

- Loki est MON frère. » Toute son attention revint vers Vali. « Troisième prince d'Asgard et plus grand enchanteur de sa génération. Lui manquer de respect, c'est s'en prendre directement à moi. » Les étincelles crépitaient au bout de ses doigts, le suppliaient de les laisser sortir. Il les calma en enfonçant vivement ses ongles dans ses paumes. « Vous n'étiez pas là. Aucun d'entre vous » ajouta-t-il en croisant le regard des plus grands guerriers venus défendre l'honneur de son aîné. « La décision de se rendre sur Muspelheim était commune à nous trois.

- Nous quatre » rectifia sa sœur derrière lui.

« Loki avait prévenu des dangers, mais personne n'a prêté oreille à ses paroles. Le temps nous était compté. Vous seriez tous morts ! Alors nous avions décidé d'agir, ensemble. » Car c'était ce qu'ils avaient toujours fait, petite pelote reliant quatre fils entre eux. Quatre enfants, quatre visions, harmonisés par les notes d'un même hardingfele.

« Mon oncle », la voix de Forseti résonna dans l'enceinte, attirant sur lui le regard de l'Ase blond et de toute l'assemblée. Sans aucun doute, il était bien le fils de Balder : les mêmes traits gracieux au milieu desquels luisaient des perles ambrées. Une vision devenue douloureuse, car elle lui rappelait ce qu'il avait perdu. « J'ai réuni toutes ces personnes car vous avez insisté pour ; mais je vous le redis une nouvelle fois : Loki a déjà avoué son crime devant l'assemblée, alors pourqu-

- Loki a avoué ce que vous avez bien voulu entendre » le coupa-t-il en s'avançant au milieu de la salle pour lui faire correctement face. La foule s'agita, des murmures s'élevèrent face à son comportement indigne d'un futur roi ; il en avait cure. « Il vous a donné ce que vous vouliez prendre. Mais, mon cher neveu, vous oubliez une chose. » Forseti leva un sourcil, intrigué. « Mon frère est le Dieu de la Ruse, du Mensonge et des Histoires ; comment pourriez-vous croire ce qu'il raconte aussi facilement ? » Des murmures s'élevèrent. « En d'autres mots » ; il chercha du regard celui de Vali – ce même guerrier qui, des siècles plus tôt, leur avait montré à son cadet et lui sa botte secrète - ; puis, retournant vers son neveu, compléta : « si Loki vous avait assuré son innocence, l'auriez-vous acceptée aussi facilement ? »

Une question, simple en apparence, qui suffit à faire exploser les voix dans la salle.


Chapitre 15

Yule


Thor s'éveilla avec une migraine lancinante. Sa langue était pâteuse de l'alcool répandue la veille, ses joues encore salées des larmes qu'il se souvenait à peine d'avoir versé. Einherjar. Les souvenirs s'étaient succédé dans son esprit, tableaux éveillés par les festivités peignant les joies et les peines de leur petite famille, détruite par le temps. Balder était mort. Après toutes ces années de politique, d'angoisse et de traque, Thor avait enfin pu dire au revoir à son aîné. Dans les bras de Loki qui, patient, l'avait laissé s'ouvrir. Avait tamponné son chagrin par sa présence. Il n'y avait pas eu de mots, seulement sa présence. Seulement eux, deux fragments du miroir brisé à nouveau assemblés.

Peut-être était-ce pathétique. Peut-être Vali avait raison. Peut-être aurait-il pu sauver Balder, comme ce dernier avait sacrifié sa vie pour eux. Peut-être aurait-il dû mourir à sa place. Peut-être était-il le coupable sur lequel tout le monde aurait dû rejeter la faute.

Peu importait. Regrets et remords n'avaient jamais ramené les morts. Balder avait rejoint l'autre rivage, en paix, revenant dans ses derniers instants le grand frère vénéré par le petit garçon qu'il fut autrefois. Celui qui lui demandait comment reconnaître la bonne personne. Celui qui venait le trouver pour apprendre à tirer à l'arc. Celui vers qui, en quête de sauver le royaume, il s'était automatiquement tourné. Vers Balder. Une lueur intarissable, qui s'était pourtant éteinte. Car Balder était mort.

« Tu es réveillé ? » Le timbre de Loki était calme au-dessus de lui.

Lorsqu'il ouvrit les paupières, laissant la douce lueur matinale chasser les ombres oniriques, il plongea directement dans le vert de ses yeux – une forêt profonde et pleine de mystères auréolés de fragments dorés. Ses traits étaient anguleux, les boucles sombres lâchées autour de son visage. Ainsi, il paraissait plus jeune que la veille, drapé de velours et de paillettes. Il se tenait assis sur le rebord du matelas, les jambes vers l'extérieur, comme s'il venait tout juste d'arriver – ou bien qu'il s'apprêtait à partir. Une ombre d'inquiétude planait sur ses lèvres, alerta aussitôt l'Ase. Avant qu'il ne comprenne qu'elle lui était destinée. Et qu'il ne devine la question muette flottant entre eux.

« Je vais bien. » Mieux, il allait mieux ; car un grand chemin nécessitait encore d'être franchi pour l'affirmer totalement.

Des doigts se tendirent vers sa joue, avant de se rétracter. « Tu as l'air horrible. »

Thor rit. « C'est la poêle qui se moque du chaudron », parce que son cadet aussi avait l'air horrible. Les cernes s'étaient encore creusés sous ses yeux et, s'il appréciait de découvrir son frère au réveil sans artifices, il ne pouvait ignorer la boule craintive qui ne cessait de croître au fond de lui. « Encore un cauchemar ? » Loki ne répondit pas ; il n'en avait pas besoin.

Le prince blond se redressa dans le lit en grimaçant – sa tête tangua à peine sous l'effort - afin de se rapprocher de lui. L'ozone lui piquait le nez, et la distance maintenue par le plus jeune était frustrante. Mais il la devina très vite nécessaire.

« Tu veux un bisou ? » osa demander le plus jeune.

Sa main se referma sur le coussin. « Encore faudrait-il que tu sois là » se plaignit Thor avant de le soulever pour l'abattre sur l'image de son frère. Sa silhouette vacilla dans des éclats smaragdins, avant de reformer son illusion. L'Ase se laissa ensuite retomber parmi les draps en soupirant avec dépit, le nez à proximité des genoux factices. « Où est-c'que t'es encore passé ? » marmonna-t-il contre le coton imprégné de l'odeur fraternelle.

Loki retint un soupir, avant d'avouer : « Je ne trouvais pas le sommeil, alors je suis parti faire quelque chose de plus… », il hésita une seconde, « stimulant ? »

L'héritier d'Asgard lui adressa un regard par en dessous. « Tu veux dire quelque chose comme lire ? » Une passion qu'il n'avait jamais comprise, chose pertinemment sue par son cadet qui rit face à son commentaire.

« Quelque chose comme ça. Mais en moins intéressant.

- La lecture n'a rien d'intéressant.

- La lecture EST intéressante. Tu n'as seulement jamais su être suffisamment patient pour l'apprécier. » Les doigts revinrent près de son visage, rangèrent une mèche imaginaire derrière son oreille ; Thor pouvait presque le sentir. « Toujours à vouloir jouer.

- Est-ce un reproche ? » Il imagina sa fraîcheur.

Les yeux verdoyants l'observèrent en silence, une minute, avant de souffler avec une affection mal dissimulée : « Non. » Ses phalanges glissèrent ensuite vers le torse dénudé du blond, vers la cicatrice stylisée qui barrait son pectoral gauche – un souvenir laissé par Surtur, réarrangé ensuite par la magie du sorcier en cet amalgame runique. Sa jumelle était logée en bas de la colonne vertébrale du plus jeune, décentrée sur la gauche.

Thor suivit la main, referma la sienne dessus, avant de se rappeler trop tard de son inexistence. Il grogna, avant de répéter : « Où es-tu ? » ; ces mêmes mots qu'il n'avait eu de cesse de se répéter durant ces cent quatre-vingt-sept longues années.

Une lueur espiègle dansa sous les longs cils ébène du plus jeune. « Me chercheras-tu ?

- Toujours » répondit-il sans hésitation et, au fond de sa mémoire, un petit garçon se mit en quête, ne cessait d'appeler : « Loki ? Loki ! Allez, montre-toi ! Loookiiiii ! »

Les lèvres fraternelles dessinèrent un sourire, avant qu'il n'indique la porte de la tête. Le salon. « Couvres-toi, je n'ai pas allumé la cheminée. » Puis il s'approcha de son visage ; son vert oculaire emplit tout son univers, avant de s'évaporer à quelques millimètres de lui.

Sans attendre, Thor jeta les draps par-dessus lui. L'air était effectivement glacé en dehors du cocon de coton. Aussi enveloppa-t-il rapidement son corps, uniquement vêtu d'un short, dans une large et chaude cape en laine de mouton. Il ne prit pas la peine d'enfiler ses bottes et échappa au parquet froid en trouvant refuge sur les tapis duveteux. La porte indiquée n'était qu'à quelques enjambées du lit et donnait sur ledit salon, plus grand que l'étude de son cadet. Trois canapés étaient orientés en demi-cercle autour de la cheminée – en effet éteinte -, avec des coussins entassés entre pour permettre à Fenrir de s'y allonger convenablement. Les murs disparaissaient pour la plupart derrière des étagères pleines de livres et de parchemins en tous genres. Une table était positionnée près de la porte vitrée, celle donnant un accès au balcon et à sa vue imprenable sur le fjord. Le jour était timide, mais suffisant pour auréoler la pièce d'une douce lueur.

Loki était assis dans l'un des canapés, le coude appuyé sur l'accoudoir pour soutenir sa joue, une jambe étendue sur le côté et l'autre ramenée pour servir de pupitre à son carnet. Comme son illusion, il n'était pas apprêté, vêtu d'une simple tunique sombre par-dessus un pantalon beige, et les boucles grossièrement retenues vers l'arrière par une pince. Il ne ressemblait à rien, et pourtant c'était ainsi que Thor le préférait.

Sans réfléchir, l'Ase vint le rejoindre en se laissant tomber contre le canapé occupé. Aussitôt, Fenrir tourna la tête pour la poser contre son mollet. Sa fraîcheur contre son épiderme le fit frissonner et il resserra par automatisme la cape autour de lui. Avant de laisse sa nuque reposer contre le rebord de l'assise et d'observer son frère étendu derrière. «Trouvé » déclara-t-il, en même temps que cette petite voix d'enfant qui jubilait dans sa tête « Trouvé, trouvé ! ». Les iris verts avaient déjà quitté les pages pour se poser sur lui, et il vit le sourire se dessiner derrière le poing supporteur.

« As-tu longtemps cherché ? »

« Cent quatre-vingt-sept ans » voulut-il répondre, mais il préféra garder le silence, surtout lorsque la main pâle quitta l'ouvrage pour se perdre dans ses boucles blondes, pour de vrai cette fois-ci. Car il était vraiment là.

Thor tendit à son tour sa main en direction du plus jeune pour jouer avec le lacet de son col. Une question chatouillait sa langue sans qu'il n'ose la prononcer ; Loki la comprit sans peine et, de la même manière que lui plus tôt, il répondit : « Je vais bien. » Était-ce un mensonge ? Était-ce la vérité ? Le guerrier avait appris à composer avec les deux : dans le doute, il se montrerait vigilant.

« Qu'est-ce que tu fais ? » demanda-t-il à la place de toutes les questions qui naissaient dans sa tête face aux cernes violacés. Son cadet n'évoquerait ce sujet que lorsqu'il serait prêt à le faire ; forcer n'aurait fait que retarder l'ouverture.

« De la gestion » souffla le sorcier et, effectivement, cela avait l'air moins intéressant que la lecture.

« Tu veux un coup de main ? » Un sourcil ébène s'éleva ; deux iris célestes l'imitèrent. « Je te rappelle que j'ai aussi suivi une formation pour gouverner un royaume.

- Que tu loupais volontairement pour aller t'entraîner dehors.

- Ce qui ne m'a pas empêché de recevoir les félicitations de mes professeurs. Allez, donne. » Sa main vagabonde attrapa le carnet posé sur la cuisse de son frère pour le rapatrier sur les siennes.

Sur les pages noires d'encre, deux calligraphies se partageaient les lignes et les entrelignes. Il reconnut sans peine celle ondulée de Loki, avec cette manière qu'il avait de courber les lignes, ses o en forme d'Othala inversée et ces grands espaces entre chaque mot. La seconde, plus petite et plus serrée, devait appartenir à Mobius. Il repéra très vite les mots-clefs au milieu du débat muet : hiver – provision – Yule ; et comprit sans peine ladite gestion mentionnée par son frère. Le solstice hivernal était dans un peu plus d'un mois.

« Vous fêtez aussi Yule ? » demanda-t-il en interceptant la main glissée hors des boucles pour récupérer le livre de comptes. Il la serra ensuite entre ses doigts en caressant l'éminence thénar de son pouce.

« Pourquoi ne le fêterions-nous pas ?

- De nos jours, les Midgardiens préfèrent Noël. » Quatre jours plus tard que Yule.

« Eh bien à Lamentis, nous préférons célébrer la venue du repos terrestre plutôt que la naissance d'un inconnu. » Sa remarque fit rire l'aîné.

Une nouvelle fête à préparer, de nouveaux souvenirs à se créer.

La main capturée trouva sa place contre sa gorge pour dénouer les nœuds de tension dont il ignorait l'existence. Thor se laissa faire, soupira d'aise lorsque les boucles anthracite vinrent chatouiller sa joue et que les bras s'enroulèrent autour de ses épaules. Il ferma les paupières au moment où un torse se colla dans son dos et se laissa aller. Ignora le carnet qui tomba. Oublia les heures de souvenirs sombres et le temps qui s'égrainait. N'écoutant plus que ces sifflements bas qui s'accordaient si bien à ses grondements internes.

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« Est-il fréquent pour mon frère de faire des cauchemars ? » La question sortit sans réflexion, brisant le silence studieux instauré.

Mobius leva à peine le nez de sa pile de parchemins pour l'interroger depuis son bureau. « Vous voulez dire des rêves prémonitoires ? » Les deux étaient vrais, car rien du futur entrevu par son cadet n'était heureux. L'intendant soupira en se redressant dans son siège. « Je pensais qu'il tenterait de vous le cacher.

- Il le fait. Depuis l'âge de raison. Depuis qu'il a commencé à en faire. » Adossé bras croisés contre la fenêtre, Thor laissa son regard se perdre dans la contemplation du temps maussade à l'extérieur. Il avait commencé à neiger en fin de matinée, le ciel chargé de nuage était gris, et peu de lueur solaire parvenait à passer au travers, plongeant le fjord dans une pénombre précoce. « Vous pensez bien qu'en près de deux millénaires, j'ai appris à contourner ses illusions.

- Dans ce cas, pourquoi ne pas lui demander directement ? » Revenant à lui, Thor leva un sourcil. « Évidemment » soupira de nouveau l'Alfe. « Vous deux, vous allez me rendre… » ; Mobius n'acheva jamais sa phrase, préféra à la place capituler face à sa demande : « Ils sont rares, ses rêves. Quoique de plus en plus fréquent » rajouta-t-il plus bas, telle une pensée échappée involontairement partagée. Il compléta ensuite en fixant son regard dans le sien : « Il me raconte rarement. Je sais néanmoins que ce n'est pas très… joyeux.

- Ça ne l'est jamais » marmonna le blond. Il se rappelait des premières crises de vision de son cadet, avant qu'il n'apprenne à les contenir. Il y avait eu des cris, des larmes et des éclats de seidr. Puis, avec l'âge et le contrôle, il y avait eu un petit corps infiltré sous les draps de son lit, en quête de réconfort. Et, enfin, des sourires, faux ; si faux qu'ils étaient douloureux à supporter.

« Je vais bien. Serre-moi juste plus fort. » Thor avait toujours trouvé la magie de son cadet magnifique : les fleurs transformées en grenouille, les feux d'artifice au-dessus du lac, les moirures sur les écailles de sa forme reptilienne, les éclats dorés animés dans le vert de ses yeux. Pourtant, il n'avait jamais aimé cette face-là de son pouvoir, celle qui lui montrait ce que personne ne voulait voir. Le mauvais, le pire. La fissure sur le miroir familial. Le nœud dans la pelote de laine. « Je t'ai vu brûler. Je t'ai vu mourir. Je- » Sa main broyant la sienne avec douleur, pour se raccrocher au vrai, jusqu'à les mutiler mutuellement. « Thor, je t'en supplie… » Loki ne suppliait jamais. Ne pleurait jamais. Ne montrait que très rarement ses faiblesses.

Trois choses dont étaient capables ces visions nocturnes.

Il avait vu la Flamme Éternelle vaciller. Il avait vu le réveil de Surtur, l'attaque de ce dernier. Les voiles blancs flottant au-dessus d'Asgard. « Je t'ai vu, toi. »

Et personne, pas même leur père, n'avait voulu les écouter. Hela avait perdu une moitié de vie ; Balder avait rejoint l'autre rivage ; Loki avait été condamné à la peine capitale. Et Thor luttait pour recoller tous ces morceaux.

« Comment faisait-il ? » Dans quels bras avait-il trouvé refuge lorsque lui n'avait pas été disponible ? Une émotion mordit son cœur. S'était-il servi de cet homme-poisson volant ? Ou peut-être que Fenrir, ou Sylvie, ou quelqu'un d'autre à Lamentis avait joué ce rôle ?

« Vous ne voulez pas savoir. » Le voulait-il ? Pas réellement, anxieux de ce qui aurait pu être révélé. Mais le secret dans la voix de l'intendant le poussait à creuser ; il avait besoin de savoir. Il voulait savoir. « En tout cas, vous n'obtiendrez pas cette information de ma part.

- Pourquoi ? Vous avez peur de ce que mon frère pourrait vous faire ?

- Oh non, loin de moi cette idée. J'ai plutôt peur pour ces ouvrages, certains sont très anciens. » Un sourire secret dansa à l'ombre de la moustache grisonnante. « Vous êtes puissant. Et fougueux. Et imprévisible. Trois traits qui, réunis, peuvent créer des étincelles ; sans vouloir faire de jeux de mots.

- Je pourrais incendier cette pièce sans raison valable. » La menace assombrit son timbre, sans pour autant masquer l'étrange amusement sur les traits de son interlocuteur.

« Je sais. » Puis, changeant totalement de sujet, Mobius lui demanda : « Comment vous êtes-vous contenus, vous, durant toutes ces années ? Votre pouvoir » ajouta-t-il face à la perplexité de l'Ase. « Vous êtes un catalyseur, vos émotions forgent votre force. Pourtant, après tant d'années pleines de désespoir, de solitude, de difficulté. Comment avez-vous fait ? »

Le prince héritier ouvrit la bouche pour répondre, pensant posséder la réponse à cette question simple. Avant de réaliser qu'il ne la possédait pas. Qu'il ne se l'était jamais posée.

Durant ces cent quatre-vingt-sept ans, son pouvoir s'était montré stable, malléable, et il avait joui de son contrôle sans problème. Les grondements avaient dormi au fond de son esprit, comme attendant leur heure. Comme bercés par quelque chose de plus fort que ses émotions négatives.

« Pour l'amour de Freyr, ne réfléchissez pas trop, la neige est préférable à la pluie » rit l'intendant. Et, avant que l'Ase ne puisse l'interroger davantage – au sujet de son frère ou bien du mystère que l'autre homme venait de lui mettre en tête -, ce dernier se replongea dans ses nombreuses notes. Rendant au salon son silence. Contrairement au brouhaha d'incompréhension qui s'instaura dans l'esprit asgardien.

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Plus il s'éloignait de la grande salle de bal, et plus les murs étouffaient les enivrantes notes musicales pour le plonger dans l'intimité de la nuit. Des gardes étaient postés à chaque croisement de couloirs, et ils l'observaient passer d'un regard interrogateur, ignorant la lueur de seidr verdoyante qu'il tentait de rattraper. Elle voletait plusieurs mètres devant, suivant une course improbable qui éclairait les tableaux et tapisseries sur son passage ; elle l'attendait à chaque tournant pour être certaine d'être suivie, avant de filer à nouveau dans la pénombre. Elle s'était montrée à lui après qu'il eut fait danser Sif et sa mère. Loki ne s'était pas montré de la soirée, craintif depuis qu'il avait atteint l'adolescence, et le prince héritier s'était presque persuadé qu'il n'aurait aucun signe de lui avant qu'il ne rejoigne sa chambre en fin de soirée. Pourtant, l'effluve d'ozone avait chatouillé ses narines, et l'éclat de seidr lui avait siffloté une promesse après laquelle il n'avait pu que courir.

La lueur le mena jusque dans les jardins, où l'obscurité se fit plus dense et les gardes plus rares. Son père l'aurait sévèrement réprimandé en le sachant autant à découvert, inconscient de ce qui pouvait se tapir dans les recoins. Mais il y avait plus important ; il y avait Loki à retrouver.

Au tournant d'un arbre, l'Ase comprit rapidement où voulait l'emmener son guide lumineux. Un recoin secret des jardins nord, à l'ombre du petit kiosque abandonné sur lequel la chambre de son cadet offrait une vue dégagée. Leur petit coin à eux, car jamais personne ne s'aventurait jusqu'ici. La végétation y était laissée en autonomie, indisciplinée et sauvage. Avec la venue de l'hiver, seuls les conifères conservaient encore des teintes colorées – un vert sombre presque noir dans la nuit -, mais il était possible d'y admirer au printemps une collection impressionnante de fleurs atypiques, allant des pensées sauvages aux anémones timides.

Lorsqu'il arriva enfin sur place, Thor était essoufflé et la cape autour de ses épaules l'étouffait de chaleur. Les colonnes du kiosque délabré se dressaient au milieu de la clairière. Du lierre courait le long des fissures, et des lueurs de seidr, identiques à celle l'ayant guidé jusqu'ici, flottaient au-dessus des dalles pour éclairer l'endroit. Et ainsi souligner de leur aura éthérée la silhouette tournoyant sous le dôme en verre. Une demoiselle, dont les longues boucles ébène cascadaient dans son dos. Elle portait une ravissante robe vert sapin brodée de dentelles dorées qui révélait son cou et ses épaules. Une couronne de gui était tressée dans ses cheveux ; les boules blanches ressemblaient à des perles enfilées sur de la soie noire. Le vert des feuilles s'harmonisait avec le reste de sa tenue, et l'éclat des prunelles qui se tournèrent dans sa direction au détour d'une ronde.

Loki. Au sourire éclatant, qui picora de sa présence les terminaisons nerveuses de l'Ase.

Il ignorait ce que c'était. À la fois effrayant et fascinant. Grandir était une expérience étrange, complexe. Pourtant, il voulait s'y raccrocher.

Son frère présentait tant de facettes. Pourtant, il voulait tous les découvrir, les comprendre, les amadouer. Car, pourquoi choisir ? Qu'il valsait dans une robe au milieu d'un kiosque abandonné, qu'il s'enroulait autour de sa gorge sous la forme d'un serpent, ou qu'il lisait avec calme un livre près d'une fenêtre. Loki était, demeurait – demeurerait toujours – son frère.

Celui qu'il voulait.

o

Peut-être était-ce ce jour-là que Thor l'avait compris. Peut-être était-ce avant ? Peut-être était-ce après. Il n'avait jamais su le quand réel. La certitude semblait avoir toujours existé en lui. Loki, son frère, son petit frère. Plus important que tout.

Enter the night and you'll find the light

[Entrez dans la nuit et vous trouverez la lumière]

That will carry you to your dreams

[Cela vous mènera à vos rêves]

Les notes étaient douces, portées par la voix d'une jeune chanteuse. Le métamorphe tournoyait au milieu de la piste ; ses jupons se déployèrent autour de ses hanches pour former une rose d'or aux vertes feuilles représentées par son bustier. Ses cheveux étaient plus courts que dans son souvenir, ses traits plus androgynes. La couronne de gui entrelacée dans ses boucles sombres conservait le lien avec le passé, mêlant la demoiselle qui s'était révélée à lui ce jour-là à l'incroyable personne qu'il était devenu. Son petit frère.

Enter the night, let your spirit take flight

[Entrez dans la nuit, laissez votre esprit prendre son envol]

In the field of infinite possibilities

[Dans le domaine des possibilités infinies]

Moins de trois mois. Non, moins de deux.

Moins d'une saison.

Les mots d'Heimdall résonnaient encore dans son esprit. « Je suis désolé. » La décision avait été prise, plus rapide qu'ils ne l'auraient cru tous les deux. Son père le pressait, car il voulait le voir revenir au royaume. Pour reprendre sa place, pour endosser ce rôle qu'il ne voulait plus depuis longtemps. Le miroir était encore fracturé ; il ne pouvait pas juste rentrer ainsi. Loki avait besoin de lui.

Non, il avait besoin de Loki. Ce sens avait toujours été plus juste.

Ses ongles se plantèrent dans la paume de ses mains. Il n'y avait plus le temps pour les hésitations ; il n'y avait plus le temps pour les questions. Il n'y avait plus de temps.

Alors il dévorerait chaque minute, chaque seconde restante.

On the longest night we search for the light

[Durant la nuit la plus longue, nous cherchons la lumière]

And we find it deep within

[Et nous la trouvons au plus profond de nous-même]

Thor quitta l'ombre de la grande porte pour rejoindre le centre de la salle, décorée de bougies et de gui en l'honneur du solstice hivernal. La nuit la plus longue de l'année. L'odeur du cerf rôti flottait au-dessus des tables. Contrairement à la célébration des Einherjahr, les enfants avaient été autorisé à veiller plus tard pour recevoir les cadeaux gratifiant leur bonne conduite. Certains se dandinaient avec maladresse parmi les danseurs, leurs rires innocents couvrant par moments les paroles de la chanteuse.

Loki dansait avec Sylvie, qui riait presque autant que les plus jeunes. Leurs doigts s'entrelaçaient pour les faire mutuellement tournoyer. Des gestes marqués par l'habitude, par toutes ces fêtes que Thor avait manquées. Yule avait toujours été la célébration préférée de son cadet. Chaque année durant plus d'un millénaire, l'Ase s'était assuré de rendre chacun de ces longs soirs mémorables. Car ce qui était important pour Loki l'était également pour lui. La première danse officielle du métamorphe s'était faite avec une couronne de gui sur la tête ; cette jolie demoiselle qui avait valsé sous un clair de lune timide, au milieu d'un kiosque vétuste. Une danse tout aussi maladroite que celle de ces enfants : des pieds écrasés, des fronts cognés, des cœurs réchauffés par une euphorie contagieuse. « Tu devrais abandonner » avait suggéré son cadet en riant, alors qu'il manquait de perdre l'équilibre pour la seconde fois.

La valse n'avait jamais été son truc ; ses professeurs s'en étaient suffisamment plaints par le passé. « En tirerais-tu satisfaction ?

- La satisfaction n'est pas dans ma nature, Thor. » Le vert pétillant de ses iris avait indiqué le contraire. Si magnifique, comme toujours. Loin de tout, près de lui. Toujours.

Le prince héritier l'avait serré plus fort, plus près encore, persuadé de laisser des traces écarlates sous les volants de soie. « Et la reddition n'est pas dans la mienne. » Jamais.

Thor avança encore et se faufila entre les binômes de danse. Par-dessus l'épaule de sa mère adoptive, Sylvie fut la première à le voir arriver. Elle aussi arborait une couronne aux fleurs nacrées. D'un mouvement de tête, elle l'invita à les rejoindre, un secret enfoui dans ses prunelles. Il comprit sans peine ce qu'elle complotait. Et, sans un mot, déroba la place de la blonde pour achever la ronde de son frère et le cueillir entre ses bras.

So when you find that spark

[Alors quand tu trouves cette étincelle]

Si celui-ci en fut étonné, il ne montra rien, conserva son sourire détendu. Ses doigts trouvèrent naturellement leur place sur le corps du guerrier qui prit le contrôle de la danse. Comme il avait fini par apprendre après des siècles de rondes communes. Ils étaient proches. Loki n'arborait pas ses hauts talons, et devait fléchir l'échine vers l'arrière pour l'observer correctement dans les yeux. « Où étais-tu ? » murmura le métamorphe, comme effrayé de briser la mélodie.

Thor sentit la vérité lacérer sa langue. Il ne pouvait pas. « Besoin de prendre l'air. » Le mensonge brûla ses lèvres.

Un sourcil se leva ; une bouche s'entrouvrit. Il ignora la question muette de l'un, et empêcha la seconde de parler en l'attrapant brusquement par les épaules pour le serrer contre son torse. Il l'enlaça, si fort, avec ce besoin de s'assurer de sa présence. « Loki, Loki », le nom de son frère se répétait en boucle dans son esprit.

When you dream in the dark

[Quand tu rêves dans le noir]

« Imbolc » avait dit Heimdall. Moins de deux mois. « Vous devrez être rentré avant. » Plus qu'un seul. Trop peu de temps.

Son nez se nicha dans le cou du plus jeune ; il respira le familier mélange de givre et d'ozone.

« Écoute » avait dit Hela, et il avait écouté.

Moins de deux mois. Il serra plus fort.

Hold it to close to your heart and know

[Tenez-le près de votre cœur et sachez]

« Thor ? » appela Loki – son Loki, son petit frère. Une pointe d'anxiété frôlait son ton ; alors l'Ase l'enlaça plus fort encore. Il avait besoin que son frère – SON frère – le ressente. Pour qu'il puisse plus tard lui pardonner. Car dans moins de deux mois. Car bientôt. Car beaucoup trop tôt.

Il avait besoin de Loki. « Je t'aime petit frère. »

Il avait besoin que Loki croie en lui.


Notes de l'auteur

Bonsoir, bonjour ! J'espère que vous allez bien ! Nous voici officiellement à la moitié de Kom hjem ! Ce chapitre est surtout un chapitre de transition, comme le précédent, et comme le prochain dans une moindre mesure ; les problèmes de la seconde partie de cette histoire commencent à se profiler. Car, oui, comme vous l'aurez compris, le départ de notre héros est imminent. Maaah, ça risque de ne pas plaire !

Note 1 : La chanson utilisée dans ce chapitre est Yule de Lisa Thiel. Je trouvais que les paroles s'harmonisaient bien avec le message du passage.

Note 2 : Le jour de Yule, qui se célèbre le 21 décembre, correspond au solstice d'hiver. On y célèbre la fertilité et la fécondité en faisant des sacrifices aux dieux. Les couronnes de gui étaient utilisées pour orner les têtes. Heimdall descendait de son trône pour venir à la rencontre des enfants et récompenser les plus sages (ce qui fait un joli parallèle avec ce chapitre où Heimdall vient sur Midgard le jour de Yule). Othala, la rune du foyer, était tracée à la craie blanche sur une bûche qui était ensuite brûlée.

Note 3 : En parlant de la rune Othala, elle est ici utilisée pour décrire les « o » de Loki qui ressemblent donc à des gamma inversés. Cette particularité est directement inspirée de la signature de Loki inventée par Tom Hiddelston. D'ailleurs, la description générale est inspirée de l'écriture de l'acteur (du moins, de ce que j'ai pu en voir).

Note 4 : Imbolc est quant à elle une fête célébrée le 1 février pour symboliser la fin de l'hiver et le retour du printemps et de la vie.

Note 5 : Dans la mythologie nordique, Nanna est la compagne du Dieu Balder. Ensemble, ils eurent Forseti, le Dieu de la Justice et de la Réconciliation. Son prénom signifie littéralement « celui qui préside » ; il préside en effet le tribunal des dieux dans sa demeure, Glitnir, et règle les conflits entre les dieux par la médiation. Glitnir est décrit comme un manoir dans les cieux possédant des piliers d'or rouge et un toit d'argent, ce que j'ai repris ici pour le décrire. Quant à Vali, Dieu de la Vengeance né après la mort de Balder, il est dit de lui qu'il ne se coiffa ni ne se lava avant d'avoir accompli sa vengeance de la mort de Balder causée par Loki.

Note 6 : « Thurse » et « Tröll » sont deux mots péjoratifs pour désigner les Jötnar.

Note 7 : Enfin, au niveau des citations, « les fleurs transformées en grenouille, les feux d'artifice au-dessus du lac » vient de l'épisode 3 de la saison 1 de Loki, lorsque ce dernier parle de sa mère à Sylvie. L'échange « Tu devrais abandonner. - En tirerais-tu satisfaction ? - La satisfaction n'est pas dans ma nature. - Et la reddition n'est pas dans la mienne. » vient quant à lui de Thor 2.

Un grand merci pour avoir lu et pour suivre cette histoire. À la revoyure !

Chu


« Combien de temps ? »

Il faisait froid. Présent sans l'être vraiment, le gardien ne pouvait le ressentir directement, mais le panache pâle qui s'échappait des lèvres de son futur souverain à chacune de ses expirations était assez pour le deviner. Il s'était présenté à lui sans qu'Heimdall n'ait besoin de l'appeler. Comme s'il avait prédit sa venue, Thor l'avait attendu assis sur les marches menant à cet étrange manoir en bois. Il ressemblait à ce qui se faisait en Asgard, tout en conservant un aspect atypique. L'endroit était imprégné de magie, un îlot de seidr perdu au milieu de Midgard. Pourtant, ses yeux étaient demeurés aveugles de son existence durant ces nombreuses années. Il ne l'avait trouvé qu'en se connectant à l'esprit du prince héritier. Les barrières érigées autour des terres étaient puissantes, suffisantes pour brouiller sa vision. Une magie lumineuse, différente de la signature du jeune Jötunn.

Un Alfe.

Durant ces presque deux cents ans de traque, Heimdall avait été incapable de voir. Sa promesse d'aide n'avait été que futile. Mensonge involontaire. Pourtant, il était temps pour son jeune ami d'endosser la part de son contrat.

« La cérémonie se tiendra pour Imbolc, lorsque les premiers perce-neiges auront annoncé la venue proche du printemps. Il vous faudra rentrer un peu avant. » Il marqua une pause, inspira, avant d'ajouter : « Vous rencontrerez votre promise le jour des noces. »

Le prince Thor approuva d'un hochement de tête, calme. Trop calme. Le gardien du Bifröst s'était attendu à une émotion contenue ; l'absence totale de réaction le fit frémir. La foudre répondait à ses émotions. Calme. Avant que la tempête n'explose ?

« Merci pour l'information mon ami. Nous nous reverrons donc bientôt. » Un sourire faux barra le bas de son visage. Le guerrier lui adressa ensuite une inclinaison de tête respectueuse, qu'Heimdall répéta aussitôt de manière plus profonde afin de marquer son respect. Grand, si grand pour celui qu'il espérait voir un jour régne sur Asgard. Thor était né pour le trône, un cadeau du ciel offert au ventre infécond de la Mère de toutes choses. Sa naissance avait tant été glorifiée, était célébrée chaque année vers la fin de l'hiver. Ce petit enfant solaire sur lequel il avait veillé depuis son entrée en fonction, et même avant. Le roi auquel il voulait obéir.

Le prince héritier finit par le quitter pour gravir les marches et retourner à l'intérieur de la bâtisse. L'image se brouilla ; la barrière était plus dense autour du manoir, comme pour protéger le secret qu'elle renfermait. Tirant sur son pouvoir, Heimdall parvint à lui arracher des éclats.

Une grande bûche brûlait dans l'âtre ; Othala était dessinée à la craie blanche sur son écorce peu à peu dévorée.

La silhouette du Dieu doré se faufila entre les danseurs.

Une jeune femme chantait.

All that you see is all that can be

[Tout ce que tu vois est tout ce qui peut être]

Des pétales en velours doré se déployèrent entre deux ombres.

Thor attrapa l'une d'elles.

Heimdall plissa ses paupières ; la marque de l'Alfe était puissante sur cette personne. Il devina sans peine son identité, à la simple manière qu'eut le guerrier de le prendre dans ses bras, de rechercher sa présence. Après cent quatre-vingt-sept ans.

When you give birth to the dreams of your soul

[Quand tu donnes naissance aux rêves de ton âme]

Le prince Loki.