Soundtrack : ending Loki saison 1 épisode 5 (Nathalie Holt)


Chapitre 19

Sif


Son cœur pulsait encore avec vigueur contre ses tempes lorsqu'ils vinrent les chercher, ou plutôt le chercher lui. Dix des plus valeureux hommes de la garde royale. Leur expression était neutre, de même que leur voix lorsqu'ils exigèrent sa coopération. Bien sûr, Loki coopéra, plus que son aîné qui tenta de le cacher dans son dos.

En chemin, le métamorphe captura les pièces manquantes à son puzzle disparate. Un incident avait eu lieu à Valaskjálf – l'incendie se rappela-t-il, la disparition d'Amora, la valériane, le pressentiment. Sa magie tentait à présent de s'échapper de son étau de somnolence, alertée par ce qu'il craignait comprendre. « Père a été attaqué » lui expliqua Thor à voix basse en marchant près de lui, dans le cercle d'armure qui les obligeait à maintenir un rythme de marche. Il avait refusé de le laisser seul, avait même menacé les guerriers d'un grondement intimidant. Loki l'en aurait certainement remercié, si l'amertume de son abandon la veille ne tailladait pas encore sa poitrine. « Une tentative d'assassinat » poursuivit-il, « des Jötnar ont réussi à s'infiltrer au sein du palais. » Leurs yeux se croisèrent. « L'Enchanteresse les a aidés.

- Comment peux-tu en être si sûr ? »

Une ombre passa dans le bleu oculaire déjà terni par la crainte. « Parce que c'est moi qui l'ai stoppée. Loki. » Il sentit une main chercher la sienne ; il s'éloigna aussitôt d'un pas sur le côté et admira la douleur de son rejet sur les traits fraternels. Un soupir retentit. « Je sais qu'elle était ton amie.

- Elle ne l'était pas. » Personne ; plus jamais. Peu importait pour l'heure. « Et donc ? Elle prône mon implication dans cette histoire ?

- Elle prétend qu'elle était avec toi cette nuit.

- Et tu crois qu'elle dit la vérité ? » Thor lui avait demandé de mentir, de se protéger. Peut-être les avait-il vus partir de la fête ensemble ? S'était-il alors rappelé sa promesse ? celle qu'il n'avait pas tenue ? Il chercha la réponse dans le regard de son aîné. Il avait l'air épuisé, vieillit de plusieurs siècles par l'ombre des torches et l'absence de sourire sur ses lèvres.

« Je crois en toi » dit-il simplement, telle une évidence sempiternelle.

Loki rit ; le son lui brûla la gorge. « La confiance est pour les enfants, mon frère.

- C'est ce que nous sommes, des enfants. » Une pointe de colère perça la voix familière de l'Ase, à peine perceptible pour la majorité des personnes, mais le sorcier connaissait parfaitement Thor pour repérer la différence. Pourquoi en colère cependant ? Cet honneur ne revenait qu'à lui-même qui s'était fait abandonner sous les branches des pommiers fertiles.

Cette question demeura sans réponse, car le plus âgé détourna son attention pour observer le long couloir dans lequel ils s'enfonçaient. Hlidskjalf, la salle du trône royale, se trouvait de l'autre côté.

Il y avait du monde réuni entre les colonnes d'argent pur, beaucoup de lances scintillantes dans l'aurore à peine naissante. Les voix, élevées avant leur arrivée, se turent dès qu'ils franchirent les portes de la grande salle. Les regards étaient tournés dans leur – sa – direction ; des regards acides pour la plupart, riches d'une hostilité à laquelle il avait été habitué toute son enfance. Loki reconnut les membres du conseil, étalés autour des marches menant à l'estrade et ses deux imposants trônes. Odin régnait sur l'assemblée, le visage droit et lugubre. Hugin et Munin, ses deux messagers volants, étaient perchés sur le dossier serti de diamants. À sa droite, la reine Frigga tenait la main de son époux ; des cernes violacés trahissaient son inquiétude. Une inquiétude qui ne fit que s'accroître lorsqu'il fut mené au bas des escaliers, tel un vulgaire criminel. Allongés aux pieds de leur maître, Geri et Freki grognèrent à voix basse : un avertissement. Les deux loups ne s'en étaient jamais pris à lui ; au contraire, il était parvenu jeune à les amadouer. Derrière lui, Thor émit un hoquet offusqué ; il ne devait pas être autorisé à l'accompagner plus loin. Du coin de l'œil, le métamorphe aperçut Hela et Balder au milieu des cheveux grisonnants du conseil. De la colère pulsait dans leur regard, d'une tout autre nature que celle des autres Asgardiens réunis. C'était une colère d'indignation, qui les poussait à avancer pour protester là où les lances les en empêchaient.

Oui, ils étaient bien d'accord, Odin allait trop loin en le convoquant ainsi, tel un criminel, sans preuve, en outrepassant ses droits de prince. Car si Loki n'était pas son fils, il demeurait néanmoins un prince d'Asgard.

« Je vous salue, Père de toutes choses. » Il lui offrit une référence, se retint d'en faire trop comme l'exigeait son besoin ironique. « Veuillez pardonner mon apparence » ajouta-t-il en se rappelant sa simple tunique de soie et ses cheveux en pagaille, « peu de temps m'a été accordé pour me rendre présentable.

- Et que faisais-tu au juste, alors que notre demeure se consumait sous les flammes ?

- Ce que je faisais ? » Loki étira un sourire calculé sur ses lèvres. « Eh bien, comme toute autre personne de votre peuple, mon roi » - l'appellation sonna fausse – « je dormais dans mon lit.

- Malgré l'agitation ?

- Les vitres de Bilskirnir sont étonnamment bien isolantes ; mes adelphes pourront vous le confirmer.

- Je confirme. » Thor s'exprima derrière lui ; leurs aînés approuvèrent d'un hochement de tête. Intervention inutile, mais qui lui donna la force de poursuivre, de conserver la tête haute.

« Je dormais » reprit-il donc, « mon frère ne m'a que vaguement rapporté les faits. Du moins, il a tenté, avant qu'une bande de soldats ne vienne troubler ma quiétude sans explications.

- Des explications ? » La main d'Odin se resserra sur son accoudoir. « Loki, tu es accusé de crime contre la couronne, pour aide envers l'ennemi et tentative de meurtre sur ton roi. Nous sommes à présent tous réunis ici pour écouter ta plaidoirie. »

Bien qu'attendus, les mots le giflèrent de plein fouet ; il demeura de marbre face à eux. Accusé ; crime ; tentative de meurtre. La balance n'était pas à l'équilibre, elle penchait déjà en sa défaveur. Avant même qu'il n'ait eu connaissance de la situation. Voué à devoir se défendre avant de savoir. À parler devant ces regards qui prônaient déjà un avis. Il ne s'agissait pas là d'un simple interrogatoire. Non. Un procès ; son procès. Sans preuve, sans fondement évoqué.

« Je suppose que mes aînés ont aussi eu le droit de se défendre. » Il retint avec difficulté l'amertume de ses mots. Son sourire était faux, retenait contre ses courbes l'injustice qu'il voulait hurler à ces oreilles sottes. « Je suppose qu'ils ont aussi été amenés tels des criminels devant toute l'assemblée. À moins qu'il s'agisse là d'une faveur que vous me faite, mon roi, et en ce cas, je devrais me sentir chanceux. »

Des murmures s'élevèrent entre les colonnes ; il en avait cure. Ils n'étaient rien, des bouches pleines d'aiguilles dont il s'était habitué aux morsures.

« Soit » reprit-il d'une voix la plus claire possible, « voici ce que j'ai à dire : j'ignore tout de cette histoire.

- Ce n'est pourtant pas ce que l'enchanteresse Amora nous a confié, lorsqu'elle a avoué avoir ouvert, avec ton assistance, un portail vers Jotünnheim.

- Sous-entendez-vous que la parole d'une criminelle avérée est plus fiable que celle de votre propre fils ? » Ces mots furent durs à prononcer ; il ne s'était jamais considéré comme un enfant d'Odin. Et inversement ; les traits du roi se crispèrent à l'entente de ses paroles, ses lèvres se pincèrent, comme s'il eut envie de réfuter leur appartenance à la même famille. Mais il ne le pouvait pas, pas en présence de la reine Frigga qui avait toujours considéré Loki comme son fils biologique. Et réciproquement.

« Vous étiez proches.

- Pas plus qu'avec Hela. » Sa sœur émit un hoquet de surprise lorsque les iris paternels se tournèrent dans sa direction. Oui, le métamorphe savait pour la relation qu'elle avait entretenue un temps avec l'Enchanteresse. Une relation courte et intense, mais dont personne ne pouvait nier l'existence, pas même Odin. « De plus, nous avons été amenés à nous rapprocher parce que Mère nous faisait suivre des leçons ensemble.

- C'est exact » déclara celle-ci d'une voix adoucie, ou rassurée – était-ce une pointe de fierté qu'il apercevait au fond de ses prunelles ?

« Donc » reprit le Père de toutes choses, la mâchoire crispée par un sentiment que Loki n'eut aucune peine à identifier – de l'agacement -, « tu prétends qu'Amora a menti ?

- Je ne prétends rien, je n'étais pas là lorsque les faits ont été énoncés. Comme je vous l'ai dit, j'ignore tout de cette histoire. Je dormais.

- Dans ta chambre. »

Il sentit Thor s'agiter dans son dos à ces mots. « Si on te pose la question, tu n'étais pas dans ta chambre. Tu étais avec moi, d'accord ? » Le prince héritier avait insisté sur ce point. Leur avait-il déjà dit ? Pouvait-il se fier au plan de son aîné ? Il sentit la colère gronder de nouveau dans ses veines : tout cela était de toute manière la faute de Thor. Thor qui n'avait pas tenu sa promesse, qui aurait dû danser avec lui, croquer dans la pomme cueillie de ses mains, avant de rentrer avec lui pour se peloter ensemble sous les draps. Thor qui n'avait jamais su mentir, un fait connu de tous.

« Oui » confirma-t-il donc, « dans ma chambre. » Il n'avait besoin de personne pour prendre sa défense.

« Seul ? »

Loki hésita un fragment de seconde – avait-il été vu en compagnie d'Amora la veille au soir ? Le mensonge valait-il mieux que la vérité face à cette question ? « Ta parole est du venin » lui avait un soir dit Balder, « Qui pourrait te faire confiance ? » Personne ; il n'avait besoin de la confiance de personne.

Il fit son choix. « Non, Amora m'a raccompagné. » Les chuchotements se firent plus insistants, baignés dans une joie écœurante de le voir échouer car, déjà, Odin en profita :

« Donc, tu avoues avoir été en compagnie de l'Enchanteresse, qui a reconnu ton implication ? »

Le sourire du métamorphe s'élargit davantage ; qu'il était tentant de rire de la situation. « J'ai seulement dit que j'étais avec elle au moment de me coucher. Plusieurs heures se sont écoulées entre. Par ailleurs, comment aurais-je pu l'aider dans un sortilège avec une magie scellée ? » Il présenta ses poignets en avant, sous la chair desquels les sifflements de seidr suppliaient pour être relâchés. « De la valériane m'a été administré à mon insu. J'aurais pu la prendre de moi-même, me direz-vous, mais un spécialiste de la posologie vous expliquera que cela ne corroborerait pas. Pour faire simple, si les effets commencent à peine à s'effacer, cela signifie que la solution a été prise il y a plus de six heures. Or, un portail de téléportation entre deux royaumes ne peut être maintenu suffisamment ouvert plus d'une heure.

- Sauf avec un cercle de runes » déclara une membre du conseil, connue pour ses manuscrits de futharks.

- Y avait-il un cercle runique sur place ? » demanda-t-il d'une voix faussement innocente.

Il connaissait déjà la réponse. « Non » confirma Odin. « Mais le roi Laufey en personne s'est déplacé.

- Et ? » Il savait où il voulait en venir. « Je suis le monstre dont les parents parlent à leurs enfants le soir. » Il était un Jötun, comme ces géants venus pour l'assassiner. Le peuple ennemi des Ases depuis des millénaires. Bien évidemment qu'il serait le premier suspect. Mais il était aussi un prince d'Asgard, un titre que personne ne pouvait lui retirer sans véritable preuve. Loki ne voulait que la paix – sa propre paix, qu'on le laisse tranquille dans son coin. Il ne demandait rien, n'avait jamais rien demandé si ce n'était un peu d'attention. Il avait abandonné celle d'Odin et de ses aînés très jeune, se contentant de celle de sa mère et de Thor. « Mon roi, je ne suis rien de plus qu'une autre relique volée. » Il sentit son entourage protester face à ces mots ; il ne leur laissa pas le temps de débattre sur ce sujet : « Si je désirais tant un trône, il serait plus simple de réclamer celui de Jotunheim, plutôt que de gravir la succession d'Asgard. » Car, dans tous les scénarios possibles, Thor serait roi. Un grand roi ; plus grand qu'Odin.

Un silence suivit sa déclaration, un silence durant lequel le Père de toutes choses l'étudia depuis sa hauteur. Les yeux posés sur lui, Geri et Freki remuaient joyeusement la queue, comme ravis de ne pas devoir lui sauter à la gorge. Peut-être qu'après sa mère, ils étaient les êtres dans la salle pour lesquels il avait le plus de respect.

« Donc » déclara Odin après une attente lourde, « tu maintiens tes mots. » Une formulation trompeuse, il le savait.

« Je maintiens que j'ignore tout de cette histoire. » Le sourire jouait toujours sur ses lèvres, car il savait déjà la victoire sienne. « À présent, dois-je m'ouvrir les veines pour vous prouver mes dires, ou bien pourrais-je retourner à mes appartements pour me changer ? »

L'irritation dans les prunelles royales fut un délice à observer. Toute relique volée n'avait pas forcément pour devoir d'attendre qu'on se lasse d'elle ; Loki ne le permettrait pas.

D'un geste de la main, Odin le libéra de sa présence. Il le gratifia d'une révérence, trop profonde pour être sincère. « Pas besoin de me raccompagner messieurs » dit-il ensuite en passant près des soldats qui l'avaient amené jusqu'ici, « je connais le chemin. » Lorsqu'il doubla Thor, il sentit la main de ce dernier chercher une nouvelle fois la sienne. Comme pour la première tentative, il ne le permit pas. La colère était toujours présente au fond de sa poitrine. Sa magie encore mutilée par la plante anesthésique, il ne se sentait pas capable de se contrôler. Or, il venait à peine de défendre son image face à une assemblée hostile à son encontre. Ils étaient tous méprisables.

« Loki » entendit-il à voix basse derrière lui, mais il ne s'arrêta pas.

Arrivé aux grandes portes d'Hlidskjalf, il croisa le regard d'une silhouette qui venait d'être amenée à son tour dans la salle du trône. Des iris sanglants, aussi gros que deux rubis. Un sourire carnassier ornait les lèvres bleues, des restes de parures de guerre soulignaient les courbures d'un corps gigantesque – près de trois fois sa taille. Il y avait des runes tracées en relief à la surface de l'épiderme colorée, des arabesques qu'il reconnut sans peine et qui lui donnèrent aussitôt l'identité du géant givré. « Il faut croire que la pitié des Ases nourrit bien, mon petit courant d'air. »

Le fils abandonné ne répondit pas, ne lui accorda pas plus d'attention qu'à un simple prisonnier. Tout ceci n'était plus son affaire. Il n'avait besoin de personne.

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Les mois qui suivirent furent délicats. Les regards poursuivaient de guetter ses moindres faits et gestes, en attente de le voir fauter pour le dénoncer à la couronne. Reconnue coupable, Amora fut renvoyée sur Vanaheim pour recevoir sa sentence. Les tensions s'accentuèrent entre les Ases et les Jötnar.

À plusieurs reprises, Thor vint toquer contre sa fenêtre ; il attendait parfois durant des heures, assis contre la rambarde de son balcon, sans jamais recevoir de réponse. Car Loki n'en avait aucune à lui offrir. Il ne voulait pas le voir, n'arrivait pas à effacer l'amertume que les festivités d'Idunn et les accusations de son peuple d'adoption avaient laissée sur sa langue. Ses paroles étaient blessantes envers quiconque osait l'approcher de trop près ; bon nombre de servantes repartirent les larmes aux yeux pour lui avoir simplement apporté son repas. Il était détestable, devenait ce monstre que chacun n'avait eu de cesse de voir en lui depuis son enfance.

Puis Thor cessa de venir, et le métamorphe espéra qu'il avait enfin compris la raison de sa colère. Se souvenait-il au moins de cette promesse qu'il n'avait jamais tenue ? Ou bien batifolait-il dans un coin avec sa guerrière enjôleuse ? Si parfaite que chacun ne pouvait que sourire en évoquant son prénom ?

Une possibilité que Loki aurait au final peut-être préféré car, moins d'une semaine après la dernière visite de son aîné, il apprit de la bouche de sa mère la décision de son père : Asgard prendrait une nouvelle fois les armes contre Jotunheim.

Les négociations n'avaient pas fonctionné, et la rancune des deux rois était bien trop forte pour être contenue dans un simple bout de papier.

« Tes aînés vont se joindre aux troupes » lui expliqua la reine Frigga d'une voix beaucoup trop calme pour ne pas être contrôlée. « Ils se préparent depuis plusieurs jours. Hela, Balder et… » Elle marqua une pause, les yeux rivés dans les siens, un soupir contenu au bord de ses lèvres. « Loki, j'ignore ce qui s'est passé entre Thor et toi, mais je t'en prie. » Elle posa une main chaude contre sa joue. « Ne le laisse pas partir ainsi.

- Pourquoi ? » Il savait pourquoi. « Il reviendra. » Il ne pouvait que revenir. Thor était le guerrier le plus valeureux et le plus fort qu'il connaissait ; rien ne pouvait lui arriver.

Un sourire triste se dessina sur les lèvres maternelles. « Tu as raison. Mais ne reste pas fâché trop longtemps, d'accord ? Tu sais comment est ton frère.

- Il n'est pas mon frère. » Là était le vrai problème.

« Je sais. Mais nous demeurons une famille. Tu te souviens ? Cela n'a jamais eu d'importance. » Le soupir lui échappa finalement. Les bras s'enroulèrent autour de ses épaules ; le jeune prince se laissa attirer contre la poitrine qui l'avait nourri bambin. « Je vous aime tellement » déclara sa mère contre ses boucles sombres, « tous les quatre. Si malheur devait arriver à l'un d'entre vous…

- Je pourrais me joindre à-

- Non. » Elle le coupa aussitôt. « Pitié, non. Pas maintenant ; pas encore. J'ai besoin de te savoir, au moins toi, en sécurité. Et je suis persuadée que c'est aussi le cas de tes aînés. Tu es encore si jeune.

- Thor avait mon âge lors de sa première bataille.

- Mais Thor avait une raison bien à lui pour revenir sain et sauf » répondit-elle en s'éloignant pour l'observer directement. « Tu te souviens ? »

Un éclat d'espoir brillait dans le bleu de ses yeux ; des yeux bien trop semblables à ceux qu'elle avait transmis à son unique fils de sang. « Je te promets » murmura une voix ornée de cette même couleur, échappée de sa mémoire. Une époque où Thor tenait encore ses promesses, où ces dernières avaient encore du sens. Où tout était d'une complexité simple.

« Non » mentit le métamorphe. « Non, je ne me souviens pas. »

Son mensonge accentua alors le chagrin que sa mère avait vainement tenté de masquer depuis son arrivée. De même qu'il amplifia la douleur au fond de sa poitrine.

À l'aurore du jour suivant, Loki fut éveillé par un brouhaha à l'extérieur. Un vent léger s'invitait dans sa chambre par la fenêtre entrouverte ; il se souvenait parfaitement l'avoir fermé avant de s'endormir. Attrapant de quoi se couvrir - plus par réflexe que par nécessité -, il se laissa guider vers le balcon pour observer l'extérieur. Au loin, sur les couleurs chatoyantes du Bifröst, un demi-millier de soldats s'était rassemblé de manière ordonnée. Leurs armures étincelaient dans les premiers rayons solaires, et des notes de violon accompagnaient leurs pas réguliers. L'hardingfele d'Hela.

« Loki. » Il se figea à l'appel de son prénom. Il ne se tourna pas vers la personne qu'il savait debout derrière lui ; ne devait pas se tourner, au risque de voir les efforts de ces derniers mois réduits à néant. Il était en colère se rappela-t-il en entendant le claquement des bottes sur le sol en marbre ; en colère se répéta-t-il en sentant un corps se presser contre son dos, un bras s'enrouler autour de sa taille, un menton se poser sur son épaule, un souffle caresser sa gorge. « Loki. » Une gorge qui menaçait de trembler ; alors il se frappa mentalement : il était en colère, en colère ! Il n'avait besoin de personne. Il n'était plus un enfant. Il n'avait besoin. « Loki. » De personne.

« Je t'en prie, ne le laisse pas partir ainsi. »

Sa main se resserra d'elle-même autour de celle sur son ventre. « Je te déteste.

- Je sais. » Non, il ne savait pas. Il ne savait rien, n'avait jamais rien su. Car il était idiot.

« Vous partez longtemps ? » Un ton neutre imité à la perfection ; il avait besoin de savoir.

Le visage bougea contre sa gorge, des lèvres effleurèrent son pouls lorsqu'il prononça : « Je reviendrai.

- Ne promets rien, ou tu porteras malheur. » Car Thor ne tenait jamais ses promesses. Car il devait revenir, pour qu'il puisse lui en vouloir encore des décennies, voire peut-être même des siècles cette fois-ci.

Son aîné acquiesça ; des boucles blondes dansèrent dans son champ de vision. « Je reviendrais vite. J'ai juste besoin d'un peu plus... » Sa colère chavira ; comment était-elle censée perdurer face à cette détresse ? Il avait tenu jusque-là. « Loki. » Il pouvait encore tenir. « Je suis désolé. Quoi que j'ai-

- Tais-toi. » Ses ongles s'enfoncèrent dans la chair geôlière. « J'te jure, ferme-la. Ou je te donnerais une bonne raison de ne pas partir. » À moins que l'armée accepterait un prince estropié pour combattre à leurs côtés ?

Le rire de Thor résonna dans sa gorge. « Tu es déjà à toi seul une raison suffisante. »

La douleur changea de sens dans sa cage thoracique. « Pars. » Avant qu'il ne soit obligé de l'assommer pour l'enfermer quelque part. Le désaccord de sa bouche avec son esprit était difficile à maintenir. « Les hommes s'en vont. » Et c'était vrai : les premiers soldats venaient de disparaitre dans les moirures du portail ouvert par Heimdall.

« Encore un peu. » Un peu. Jamais suffisant.

Les notes d'Hela gagnèrent en puissance. Loki força un soupir ; Thor devait partir, ou il ne tiendrait pas plus longtemps. « Tu veux un bisou peut-être ? pour te porter chance ? »

De nouveau, son aîné rit. Un rire étouffé, qui caressa sa joue lorsqu'il remonta son visage le long du sien, avant de venir presser ses lèvres contre la tempe gauche du sorcier. Doux et chaud ; il regretta aussitôt sa plaisanterie. « Je reviendrais vite » répéta le prince héritier ; comment était-il censé le laisser partir à présent ?

« Ta colère » se répéta-t-il les yeux clos, pour ne pas agripper le bras qui le lâcha enfin. « Sif. Les pommes d'Idunn. Toutes les promesses non tenues. Thor. » Il était en colère ; son frère partait en guerre. Sa bouche était pleine d'amertume ; des mots sucrés se cachaient en dessous. Il voulait hurler pour se contenir de ne pas supplier. Il n'y avait rien à craindre, hormis le pressentiment fort au fond de son âme. Il n'avait besoin de personne ; il ne le voulait que lui. « Tu le détestes, tu le détestes. »

« Je t'aime » murmura-t-il dans le vent. Un vent qui avait déjà emmené son frère au loin, près du portail qu'il emprunta sans même se retourner. Hela acheva sa mélodie. La rambarde se brisa entre ses doigts.

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Il avançait d'un pas pressé, contenu pour ne pas courir, entre les tentes. Des feux de camp permettaient d'éloigner la pénombre nocturne ; il tâchait de ne pas leur prêter attention, car il ne voulait pas appeler de nouveau dans son esprit les images de la nuit passée.

Seize ans. Seize années s'étaient écoulées depuis le départ des armées asgardiennes pour Jotunheim. Le roi Laufey était mort l'an dernier ; ses deux fils, Helblindi et Bÿleistr tentaient de poursuivre le combat sans parvenir à se mettre d'accord sur le commandement – une erreur dont les Ases avaient su tirer parti. L'armistice n'était plus qu'une question de mois ; du moins aurait dû, si un événement récent n'avait pas reboosté les rangs adverses.

Sa cape voletait autour de sa silhouette ; très peu de regard se tournait dans sa direction, repéra sa présence. Sa mère elle-même ignorait qu'il avait quitté le royaume ; la punition l'attendrait plus tard. Oui, plus tard, car il n'avait pas le temps d'y penser pour l'heure.

Il trouva la bonne tente sans difficulté. Hela et Balder patientaient à son entrée, l'une faisant les cent pas en torturant ses doigts et l'autre tentant d'écouter le rapport de deux éclaireurs. Odin n'était pas là, sans doute occupé avec les premières lignes de défense. Une aubaine.

Mais il déchanta vite lorsqu'une épée tinta en sortant de son fourreau pour être pointée dans sa direction. Une troisième personne, qui fit dériver les regards sur la sienne. « Je vous ai vus arriver » déclara la voix grave d'Heimdall, « mais j'ignore d'où vous êtes partis. »

Un sourire se dessina malgré lui sur ses lèvres. « C'est le problème de l'obscurité » révéla-t-il en croisant les orbes d'or du gardien, « elle se meut différemment de la lumière. » Il posa sa main sur la lame, invita son interlocuteur à la baisser. « Elle doit être plus rapide, plus astucieuse, et plus discrète.

- Comme un assassin envoyé par le camp adverse ? » proposa Balder, les sourcils froncés et les éclaireurs oubliés.

Ses lèvres s'étirèrent davantage, surtout lorsqu'une autre voix, calme et solide, s'éleva pour les réprimander : « Ou peut-être comme une apprentie venue en renfort ? » Eir maugréa en refermant la toile de tente derrière elle. « Rangez vos griffes messieurs, et laissez donc cette pauvre enfant approcher. »

Heimdall obéit sans ciller. L'or de ses iris sondait son apparence, en quête d'un voile illusoire qui aurait pu dissimuler un adversaire. Mais là était la différence entre une illusion et une métamorphose : l'une supposait là où l'autre modifiait.

« Je crois que nous n'avons jamais eu la chance d'être présentés » déclara Balder lorsque le sorcier fit glisser son capuchon sur sa longue tresse rousse.

« Suis-je ici pour répondre à des questions ou pour aider le prince ? » demanda-t-il d'une voix douce où ne transperçait pas même un brin de cette profonde angoisse tailladant ses viscères. Il avait besoin de le voir, de rassurer ce pressentiment insupportable. Le message d'Eir avait été vague, beaucoup trop pour que son esprit ne s'imagine pas les pires scénarios. Son ancien mentor était l'une des meilleurs dans le domaine de la médecine ; peu de personnes dans les Neuf Royaumes ne pouvaient rivaliser avec ses connaissances et ses pouvoirs.

Hela s'interposa entre son frère et l'apparence empruntée à une disciple de l'Asyne. « Aidez-le, j'vous en prie. » Son timbre était bouleversé, suffisant pour alimenter à nouveau son pressentiment.

Il força le sourire à se maintenir sur ses lèvres. « Je ferais de mon mieux. » Il ferait tout. Tout.

La minute d'après, Eir écartait la devanture de la tente pour lui permettre de pénétrer à l'intérieur, avant de refermer derrière eux. L'endroit n'était éclairé que par une boule de sort enfermée dans une lanterne, posée près du chevet. Plusieurs couches de linge avaient été réunis pour former un matelas épais et confortable. Une odeur âpre – mélange de sang, de gel et de décomposition - saturait l'air ; il se retint de porter une main à son nez.

« À nous, jeune fille » déclara la médecin en l'accompagnant jusqu'au lit. Elle poursuivit ses paroles, mais le métamorphe ne l'écoutait déjà plus. La vue du patient allongé au milieu des draps lui piqua les yeux, lui mordit les paupières d'aiguilles aqueuses. Les boucles blondes étaient éparpillées sur un linge rehaussant la tête ; des bandes s'entrecroisaient sur le torse dévêtu, leur blancheur ternie par des fleurs sanglantes. Il respirait avec difficulté, le mouvement de sa poitrine était irrégulier et de grosses gouttes de sueur accrochaient son front et ses joues couvertes de cicatrices – comme s'il avait dérapé sur plusieurs kilomètres de gravier.

Thor. « Ne promets rien, ou tu porteras malheur. »

« Une lame du prince Helblindi a percé ses défenses ; le froid se répand dans ses poumons. » Loki s'assit sur le bord de la couche improvisée avec prudence. Du bout des doigts, il vint ensuite dégager une mèche du visage souffrant. « C'est de la magie Jötunn. Malheureusement, la mienne ne peut rien contre.

- Une brûlure de givre ? » proposa-t-il en laissant sa main glisser vers les bandages pour observer en dessous. La peau était noircie sur sa poitrine, là où une cicatrice circulaire avait presque fini de se résorber. Le corps soignait la blessure, mais était incapable de lutter contre le poison.

« Pouvez-vous faire quelque chose ? » Sa tête bougea de bas en haut avant même qu'elle ait achevé ses mots. Tout, il ferait tout. Il n'abandonnerait pas Thor. Un soupir. « Je vais faire en sorte que vous ne soyez pas dérangés. » Il ne prit pas le temps de la remercier, se concentrant déjà sur la blessure à soigner.

Après le pouvoir des runes, sa mère avait tenu à ce qu'il apprenne celui de son peuple biologique. Contrairement au seidr qui faisait appel à l'énergie des photons, la magie Jötunn provenait de la nature. Ils étaient des êtres primaires, qui empruntaient le froid de l'air et la force de la terre pour avancer, bâtir, combattre et protéger. Une magie qui pouvait facilement devenir infinie. Du moins autrefois, lorsque l'Écrin des Hivers d'Antan reposait encore dans leur sanctuaire.

Expirant lentement, Loki apposa sa paume contre la plaie. Aussitôt, la pâleur de son épiderme vira vers le bleu de sa forme originelle ; des runes différentes de celles maternelles serpentèrent sur son avant-bras ; une mélodie supplémentaire s'ajouta aux sifflements habituels ; l'ozone se para de glace. Isaz s'imprégna dans son esprit. Deux pouvoirs étaient trop compliqués à faire cohabiter, alors le né Jötunn avait très vite appris à les fusionner. Une force effrayante, dont personne ne devrait jamais supposer la profondeur.

Mais Thor avait besoin de lui.

« Idiot » marmonna-t-il en laissant le froid dévorant couler vers son propre corps. Il sentit ses ganglions se gonfler de ce pouvoir naturel, similaire, familier – Helblindi était son frère biologique. La mélodie hivernale tambourina plus fort contre ses tympans, dévora complètement son enveloppe d'emprunt pour lui rendre sa véritable apparence, celle d'un monstre aux yeux sanglants. Ressemblait-il à l'être qui avait osé blesser Thor ? Le monstre sous le lit qui l'avait terrifié toute son enfance, avant que Loki ne lui révèle cette part de lui – cette part qu'il détestait tant, car il ne pourrait jamais être un authentique Ase.

« J'ai décidé » fanfaronna la voix juvénile du blond dans sa mémoire, « j'aime le rouge.

- Tu disais pourtant que le sang et les tomates c'était berk ? » Il se remémora son rire face au visage froissé d'indignation de son aîné.

« Non, mais pas ce rouge-là ! Loki, fais un p'tit effort ! »

« J'en fais toujours quand il s'agit de toi » soupira-t-il, en chœur avec sa version plus jeune. Lui qui avait traversé les branches d'Yggdrasil pour venir jusqu'à son chevet, afin de lui faire tenir sa promesse de revenir. Car Thor ne tenait jamais ses promesses ; il était beaucoup trop volage et idiot pour ça.

Sous ses doigts, la poitrine commençait à s'alléger, à retrouver un rythme lent et régulier. Ses doigts reprirent une apparence plus noble, un blanc laiteux sur lequel se reflétaient encore quelques nuances bleutées. Il se concentra pour convertir ce surplus énergétique ; Laguz se dessina dans son esprit et sur la chair de son frère. Le vert habituel de son seidr avait viré au turquoise. « Alors je choisis le bleu.

- Comme mes yeux ?! » s'enjoua la petite tête blonde de son enfance.

Une pointe d'espièglerie, une envie de torturer son frère. « Tu aimerais bien, hein ? Mais non.

- Lokiiiiii ! » Et il avait de nouveau ri. Avant de se faire poursuivre par les bras ardents de son aîné.

Les jeux d'enfants étaient loin à présent – quoi que. Thor n'avait jamais eu de cesse de lui courir après, et lui n'avait jamais eu de cesse de le faire languir. Un jeu de chat et souris, dans lequel la souris suppliait le chat de la croquer. Un jeu complexe, pour lequel aucun participant ne s'était mis d'accord sur les règles.

« Tu réfléchis trop vite » lui avait un jour reproché le blond.

Ce à quoi il lui avait répondu : « C'est toi qui es trop lent. »

Penché en avant, le sorcier pressa son front contre celui de son frère. Le flot énergétique coula plus fort. Il aurait pu tout lui donner, s'il n'avait pas été certain que ce surplus énergétique aurait tué l'Ase. « Tu dois vivre. Pour que je puisse t'en vouloir encore longtemps. » Il devait vivre ; Loki ne permettrait jamais l'inverse. Qu'importait s'il devait sacrifier le monde. « Sache que j'aime Thor plus qu'aucun d'entre vous.

- Je sais. Au point de devenir dangereux » Une douleur commença à attaquer ses terminaisons nerveuses. Les sifflements vacillèrent ; une migraine enserra son esprit. La terre gronda, le vent mugit ; des cris s'élevèrent en dehors de la tente. Il devait tenir, encore un peu. Son corps tremblait : pour la première fois de sa vie, il avait froid. Mais il s'en fichait ; Thor devait vivre. Thor vivrait. Thor.

« Loki. » L'appel de son nom lui fit rouvrir ses paupières – il n'avait pas souvenir de les avoir fermés. Sous lui, le teint du prince héritier avait repris des couleurs. Avec un effort dantesque, le métamorphe se redressa sur son bras pour observer la blessure sous son autre main. Complètement guérie, si ce n'était la cicatrice laissée par Laguz, qui poursuivrait d'apporter assistance après son départ. La respiration avait retrouvé un rythme normal, le corps était chaud de plusieurs degrés supplémentaires.

Un soupir s'échappa de ses lèvres souriantes. Exténué, le sorcier se laissa tomber près du convalescent, à peine une minute, le temps d'atténuer le vertige qui prenait déjà d'assaut ses nerfs. Peut-être en avait-il trop fait ; sa magie lui ferait regretter les prochaines semaines. En quête de réconfort, il lia ses doigts à ceux fraternels et pressa sa joue contre l'épaule musclée. Trop dur. Il n'avait de toute manière pas le temps de faire une sieste. Et sa colère était encore trop grande pour offrir la faveur de sa présence à son aîné. Il devait repartir – encore une minute. Seize années, une brindille dans la vie d'un immortel. Mais seize ans sans Thor, ce n'était pas pareil. Définitivement pas. Pourquoi seize ans ? Pourquoi cette guerre ? Pourquoi Loki n'avait pas eu le droit de se joindre à eux ? « Thor a une raison bien à lui pour revenir sain et sauf » rappela sa mère.

Il devait partir.

« Tu es déjà à toi seul une raison suffisante » avait ri Thor dans son cou.

Thor qui allait bien à présent ; il pouvait partir. Il devait.

Le vertige était encore présent, mais il devait. Plus il s'attarderait, et plus il serait difficile de rentrer, de ne pas le prendre avec lui. Son aîné serait roi, il devait participer à la bataille. Remporter la victoire. Offrir la paix aux peuples. Loki trouva donc la force de se redresser, d'abandonner sa chaleur, de quitter la couche. Cependant, au moment où il voulut lâcher la main, il sentit la prise se refermer sur ses doigts, attirant son regard dans celui qui se révéla à peine derrière les paupières bordées de cils blonds. Bleu ; ce bleu – sa couleur préférée.

« Loki », de nouveau – la fatigue ne l'avait pas fait imaginer le premier.

Ses lèvres hésitèrent sur quoi répondre ; aucun mot ne fut libéré. Il se contenta de serrer à son tour la poigne de son frère, avant de la lâcher et de s'éloigner du matelas. Le capuchon fut remis sur ses boucles qui roussirent avec le peu de magie restante. Au-dehors, tout le monde attendait, les yeux braqués sur l'entrée de la tente. Et tous se précipitèrent à l'intérieur pour retrouver le miraculé. Tous, sauf Eir qui demeura près de lui, une main sur son épaule et l'autre pinçant une joue dans un geste affectueux. « Il ira bien. »

Le sorcier ignora s'il s'agissait d'une question ou d'une affirmation, alors il répondit : « Oui. » Ses doigts tremblaient, encore chauds de l'étreinte précédente. « Pourriez-vous me faire ouvrir un portail ? Je crains d'avoir trop forcé. »

Eir acquiesça, l'observa un instant en silence, avant de finalement enrouler ses bras autour de ses épaules pour l'étreindre avec force. « Il ira bien. Vous avez réussi. Vous avez sauvé votre frère. »

Et alors, l'adolescent laissa finalement éclater la boule qui pesait au fond de sa poitrine. Oui, Thor allait bien.

o

Thor était un salop. Et, sitôt son aîné de retour en sécurité à Asgard, le métamorphe se rappela pourquoi il le détestait autant. Comment pouvait-on être aussi stupide, aussi aveugle, aussi… lent ?!

La guerre se termina en vingt-et-une années. Helblindi mourut sur le champ de bataille, et son décès força Bÿleistr à rendre les armes. Les pertes étaient importantes des deux côtés. Les voiles blancs flottaient au-dessus des ruelles d'Asgard et sur les épaules des endeuillés. La musique et les rires résonnaient pour accompagner les défunts dans leur dernière demeure, de l'autre côté du rivage. Les cœurs étaient lourds ; les festivités servaient à ne pas retenir les âmes sur terre. Chaque valeureux guerrier méritait de rejoindre le Valhalla pour se reposer.

Assise sur un banc, la tête appuyée sur l'épaule de Thor, Sif tentait de contenir ses larmes. Son père avait donné sa vie pour préserver celles de tout un escadron de jeunes soldats. Un homme valeureux, dont l'honneur faisait lever plus d'un verre dans la grande salle. Debout dans l'ombre d'une colonne, à l'autre bout de la salle, Loki les observait en silence. Son aîné n'était pas encore venu le saluer, lui qui serait mort des années plus tôt sans son intervention. Le métamorphe avait tenté de contenir sa colère ; il était évident que panser les cœurs était plus important – il avait lui-même mille fois remercié les Nornes pour avoir permis à ses aînés de revenir indemnes. Thor serait roi ; le bien de son peuple se devait de passer avant tout autre chose. Thor serait roi, un très grand roi. « Pas sans toi. »

Pourtant, ce fut vers une autre qu'il se tourna. Une autre qu'il laissa se pencher sur lui pour l'embrasser. Une autre qu'il laissa l'étreindre. Une autre.

Une autre.

« Pourquoi ai-je l'impression que tu prépares un mauvais coup ? » l'interrogea Balder lorsqu'il le croisa en quittant la soirée – le demi Alfe ignorait encore qui se pendait au coup de l'héritier, n'avait pas encore pu se réjouir du choix de Thor. Son regard était suspicieux, mais il souriait de manière sincère. L'âge n'avait pas refermé toutes les blessures passées, mais ils étaient sur le bon chemin.

« Un mauvais coup ? » demanda à son tour Hela en les rejoignant sur les marches qui menait à la grande salle. Elle était si belle ; les robes somptueuses lui allaient beaucoup mieux que les armures de guerre. « Ne me dis pas que tu t'es déjà disputé avec Thor ? Nornes, nous venons à peine de rentrer.

- Non. » Il leur offrit à son tour un sourire ; il devenait fort dans ce domaine. « Je suis seulement fatigué. » Écœuré. « Je rentre. » Avant de laisser sa rage tout détruire.

Ou un mauvais coup ? Oui, peut-être. Peut-être était-ce mieux ? Peut-être que la colère n'était finalement pas la meilleure option pour ouvrir les yeux à son idiot de frère ? Peut-être, peut-être.

o

« Pourquoi tu as fait ça ?! » Le monde gronda à l'extérieur ; les murs tremblèrent à l'instant où des éclairs déchirèrent le ciel de lumière glacée. L'odeur de soufre devenait dangereuse. Mais il en avait cure, car sa propre rage demandait à s'exprimer.

Il était adolescent, presque adulte ; il n'avait plus à recevoir les serments colériques de quiconque, et encore moins de lui, sans le droit d'élever la voix à son tour. Ni à supporter sa surprotection, ou ses avis stupides, ou quoi que ce fut d'autre venant de lui. Loki n'avait besoin de personne, et surtout pas d'un idiot aveugle qui ne comprenait rien, jamais rien.

Pourquoi ne voyait-il pas ? Pourquoi ne comprenait-il pas ?!

Oui, il avait couché avec Sif. Oui, il lui avait tranché les cheveux. Oui, il y avait pris beaucoup de plaisir. Et oui, il était prêt à recevoir sa punition. Mais, comme il ne cessait de le lui répéter depuis une demi-heure : « Cela ne te concerne en rien !

- En rien ? En rien ?! Loki, Sif est mon amie, et tu es-

- Je n'suis pas ton frère ! » le coupa-t-il d'une voix menaçante, les dents dévoilées dans une grimace sans doute peu élégante. Il se lassait de ce jeu, de l'esprit lent de son aîné. Il avait tout tenté dans ce tour, en vain. « Jamais. Alors cesse avec cette hypocrisie puérile et grandis un peu Thor ! Car nous ne sommes PLUS des enfants. » Il fallait que ça sorte : cette rage, cette rancœur, accumulée depuis des décennies – peut-être même des siècles ! -, depuis qu'il avait compris le sens des regards jetés par la jolie guerrière en direction de son aîné. Lorsqu'il avait accepté sa main pour danser. Lorsqu'il l'avait laissé se pencher vers lui pour l'embrasser. Thor et Sif, le couple des rumeurs joyeuses ; le futur roi et celle qui ferait une épouse parfaite. Car elle cochait toutes les cases, car elle était comme eux.

Loki la détestait.

La séduire fut facile pour sa langue habile, tout comme la satisfaire. Ses cris dégoutants résonnaient encore à ses oreilles, d'abord passionnels, puis horrifiques – et il avait préféré cette partie. Si facile car, contrairement à ce que toutes ces personnes ne cessaient de répéter, elle n'était pas parfaite ; elle ne serait jamais à la hauteur du bras de son aîné. « Qui le serait ? » chuchota une petite voix dans sa tête. Personne, jamais. Pas tant qu'il serait là. Pas tant que Thor voudrait de lui à ses côtés.

Voudrait-il toujours de lui après ça ? Après ce mauvais tour parti beaucoup trop loin ?

La respiration saccadée par ses émotions trop fortes, Loki interrogea du regard le guerrier blond, debout plusieurs mètres devant lui. Ses poings étaient serrés, à en faire blanchir ses phalanges. Il se contenait. Thor était capable de détruire le royaume par la seule force de leur lien, « Parce qu'Asgard n'est pas prêt à une telle catastrophe » les avait toujours mis en garde leur mère. Leurs pouvoirs se mariaient si biens, un chaos fertile si magnifique à admirer. Ils s'accordaient, se compléter, à la fois capables de se refreiner et de s'amplifier.

Voudrait-il toujours de lui ?

Lorsque Thor reprit enfin la parole, sa voix était roque, comme fragilisé par tous ces cris qu'ils avaient échangés, incapables de s'entendre. « Pourquoi tu as fait ça ?

- Ce ne sont que des cheveux » répondit-il en haussant les épaules, « ça repoussera.

- Pas ça ! Loki… » Sa voix devenait pathétique ; le métamorphe sentit son cœur se serrer. Devait-il s'en vouloir d'avoir brisé la romance de son aîné ? Ce qui aurait pu constituer son bonheur ? Son avenir ?

Peut-être était-il, lui aussi, hypocrite. Égoïste. Ce vilain décrit par ses pairs – peut-être aurait-il dû écouter Balder ce soir-là ?

Non.

Thor fit un pas dans sa direction, avant d'en faire deux vers l'arrière. « Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu aimais Sif ?

- Je ne l'aime pas.

- Alors pourquoi ?! »

Le cadet retint un soupir. « Tu ne peux pas comprendre.

- Alors aide-moi ! Loki. » L'Ase fit de nouveau un pas vers l'avant. « Nous avons toujours été ensemble. Nous avons grandi, appris, expérimentés. Ensemble. Mais tu as toujours conservé ce mur entre nous. Nous sommes frères.

- Je n'veux pas de toi comme frère » souffla-t-il à voix basse pour lui-même.

Peut-être que Thor l'entendit, peut-être pas. Car il poursuivit sa tirade nostalgique : « Cela a toujours été toi et moi. Jamais sans toi ; tu te souviens ? »

« Toi ou personne d'autre » avait-il dit près d'un millénaire plus tôt dans une chambre voisine. Contrairement à Hela et Balder, qui avaient quitté le manoir des enfants pour leur propre demeure, ils étaient tous les deux restés à Bilskirnir. Une idée dangereuse selon certain, vu les catastrophes qu'ils pouvaient engendrer ensemble, mais leur mère avait fait pression et le conseil avait accepté. Car Thor était le seul à pouvoir apaiser ses cauchemars ; et Loki le seul à pouvoir canaliser les débordements de son aîné. Opposés, mais complémentaires. Un duo parfait pour les combats, parfait pour les bêtises, parfait pour la danse. Parfait.

« Loki. » Ce dernier ferma ses paupières, retint un énième soupir.

« Un jour, tu seras roi. Avec ou sans moi » ajouta-t-il avant que son frère ne puisse compléter ses paroles, comme il le faisait si souvent. « Je ne suis pas un Ase ; je ne suis pas ton frère.

- Ce que tu es n'a jamais eu d'importance. » La voix était plus proche ; pourquoi avait-il l'impression d'avoir changé de sujet ? La raison de la colère fraternelle ?

« Elle en a pour les autres.

- Mais pas pour moi. Pourquoi devrions-nous nous en soucier ?

« Parce que tu ne comprends rien ! » rugit-il en rouvrant ses paupières.

« Alors dis-moi ! » crièrent à leur tour les deux iris azurés dans lesquels il plongea aussitôt. Car Thor s'était rapproché, avait comblé les mètres qu'il avait lui instaurés à sa venue dans sa chambre. Car son esprit aurait facilement pu choisir sur la balance fragile, entre le frapper et l'enlacer à mort. « Parle-moi ! » Pourquoi la dispute avait dévié ? « Comment pourrais-je deviner ?!

- Tu devrais ! » Les sifflements de seidr devinrent menaçants à ses oreilles. « C'est toi qui es trop lent » rouspéta une voix – sa voix - d'enfant par-dessus. Sa magie résonnait fort, si fort, gravant douloureusement Fehu sur la surface de son âme. Il pouvait sentir l'énergie grimper en lui, s'accumuler au bout de ses doigts, quémander la libération pour réduire le monde en lambeau. « En près d'un millénaire, tu aurais dû ! Es-tu si idiot, si aveugle pour ne pas comprendre ? Trop égoïste pour ne pas l'envisager ?! Trop amouraché de cette gourgandine pour ne pas comprendre qu- » Il ne termina jamais sa phrase, la fin avalée par une bouche pressée contre la sienne ; si brusquement qu'il fut projeté dans l'étreinte contre la fenêtre derrière. Sa vision se brouilla sous le choc ; la chaleur qui se répandit en lui brûla ses terminaisons nerveuses. Ses pensées se perdirent ; il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre, juste assez pour que les lèvres belliqueuses quittent les siennes. Juste assez pour qu'il puisse admirer ce même choc dans le bleu oculaire adverse.

« J-je… » Thor s'éloigna, à peine. La surprise agrandissait ses yeux, lui donnait l'air d'une carpe molle – comme ce jour-là. « Loki, je- »

La colère gronda aussitôt dans les veines du métamorphe qui bloqua la suite de ses excuses en agrippant la nuque blonde pour venir une nouvelle fois à la rencontre de la bouche idiote. Thor répondit sans hésitation, prêt à refaire l'erreur, poussé par ce même instinct primitif qui l'avait amené à l'embrasser en premier. L'échange était brusque, chaotique, irréel ; mais tellement bon. « Ferme-la » menaça-t-il contre sa bouche, avant qu'elle ne soit de nouveau happée. Le goût de son aîné – le goût de Thor – qu'il avait découvert enfant en ignorant à quel point il lui serait vital.

Les grondements avides répondaient à ses propres sifflements internes, les nourrissaient de puissance. « Toi, la ferme. » Il en voulait plus ; il le voulait lui. Qu'importait la prise douloureuse sur sa hanche, les coups de dents inexpérimentées, Bilskirnir qui menaçait de s'effondrer. « Loki. » Le monde qui menaçait de s'embraser.

« Ferme-la. » Ses doigts qui s'emmêlèrent dans les boucles blondes pour l'empêcher de s'éloigner, de fuir, de rebrousser chemin. Car c'était trop tard ; le chat avait attrapé la souris, et il ne la lâcherait pas, la lâcherait plus. « Reste.

- Jamais sans toi. » Des mots qu'il avait lui-même temps de fois voulu lui confier. Une promesse puérile, idiote, mais à laquelle il s'était toujours rattaché. Car il n'avait besoin de personne, mais il avait besoin de lui, de Thor.

Les vitres se brisèrent ; le vent, gorgé de pluie, s'invita dans la chambre et les trempa d'eau glacée. Pourtant, son corps demeurait ardent. Les lattes du plancher grincèrent ; l'agitation résonna au loin dans les couloirs.

À bout de souffle, ils concédèrent enfin à se détacher l'un de l'autre, front contre front, regard plongé dans celui de l'autre.

« Asgard n'est pas prêt à une telle catastrophe. »

Un rire leur échappa finalement, en chœur. Comme ils ne l'avaient pas été depuis longtemps.

Puis, portant une main contre sa joue, Thor grogna : « Ne refais plus jamais ça.

- T'embrasser ? » demanda-t-il en arquant un sourcil. « C'est toi qui-

- Pas ça. » L'Ase soupira. « Loki, tu es mon frère, à personne d'autre.

- Je n'suis p-

- Peu importe » le coupa-t-il de nouveau. Son nez frotta contre le sien. « Je suis lent, mais tu es trop rapide. Je ne comprends peut-être pas tout, mais tu conclus beaucoup trop de choses. Loki. » La seconde main vint prendre son visage en coupe. « Je ne sais peut-être pas tout, mais je suis au moins sûr d'une chose : tu es à moi. MON frère. »

Un sourire joua sur les lèvres du cadet ; il avait besoin de le dire, juste pour l'agacer : « Adopté. »

Thor rit de sa plaisanterie. « Et c'est parfait ainsi. »

Le métamorphe céda ; la joie se répandit sur ses traits. Avant qu'il ne se rappelle le vrai sujet de la conversation : « Mais, et Sif ? »

L'Ase fronça les sourcils. « Quoi, tu l'aimes réellement ?

- Mais non » soupira-t-il en levant les yeux au ciel, « je parle de toi, là, idiot. »

Son frère ouvrit la bouche, puis la referma, avant de la rouvrir pour laisser un éclat résonner près de son oreille. « Loki, Loki, Loki. » Simultanément, il embrassa son œil, sa joue et ses lèvres. « Je te l'ai toujours dit : tu réfléchis trop vite.

- Suis-je… censé me sentir offensé ? » C'était à son tour de ne pas comprendre.

« Non, les idiots attirent seulement les idiots. » Et il l'embrassa de nouveau, avant qu'il ne puisse poursuivre ses questions, en quête de savoir. Car il avait besoin de savoir, il avait besoin-

« Prince Loki ? » Des coups furent frappés contre la porte de sa chambre ; ils sursautèrent tous les deux, tels deux enfants pris en flagrant délit. Ils échangèrent un regard, avant de tourner mutuellement la tête en direction du chaos météorologique et du jardin ravagé.

Oups. Leur mère avait peut-être raison.

o

« Tu réfléchis trop vite »

- C'est toi qui es trop lent. »


Notes de l'auteur

Coucou tout le monde ! J'espère que vous allez bien. De retour pour vous proposer la suite des aventures de nos dieux nordiques préférés. Nous sommes toujours dans les souvenirs rapportés par le point de vue de Loki avec la révélation ici de leur premier échange amoureux (si on se dit que leur bisou enfant ne compte pas). En espérant que cela vous a plu :3

Note 1 : La musique proposée au début du chapitre, qui s'insère au moment du départ pour le champ de bataille et jouée par Hela dans l'histoire, correspond à l'ending de l'épisode 5 de la saison 1 de Loki (composée par Nathalie Holt).

Note 2 : Comme à chaque fois, je vous mets la correspondance des manoirs : Bilskirnir est celui de Thor, ou des enfants de la couronne dans cette histoire, et Valaskjálf est celui d'Odin dans lequel on retrouve Hlidskjalf qui est le nom donné à la fois à la salle du trône et à ce dernier. Pour poursuivre dans les noms de la mythologie nordique, Hugin et Munin sont les deux corbeaux qui servent de messager volant à Odin. Quant à Geri et Freki, ils sont les deux loups d'Odin.

Note 3 : Toujours dans la mythologue nordique, Sif est présentée comme la femme de Thor, ce qui faisait d'elle la candidate idéale pour créer une rivale. D'autant qu'une scène de la mythologie décrit comment Loki a coupé les cheveux de Sif. Scène par la suite reprise dans le MCU où Thor et Sif ont aussi une relation amoureuse dans leur jeunesse et où, jaloux de son frère, Loki décide également de couper les cheveux de la jeune femme durant son sommeil. Certains sous-entendus laissent aussi supposer que Sif et Loki auraient eu une relation ensemble.

Note 4 : Les futharks désignent les runes de la mythologie nordique. Fehu est la rune de la richesse. Cependant, au-delà de sa notion de prospérité, elle projette aussi de la puissance et est associée au feu destructeur et incontrôlable. Laguz, la rune de l'eau, déjà présentée dans cette histoire, est ici utilisée comme une rune de soin. Quant à Isaz, la rune de la glace, elle représente la résistance statique pour bloquer ce qui est en mouvement, mais aussi – ce qui va nous intéresser ici – elle permet de se refocaliser sur sa personne. Elle est par conséquent employée dans cette histoire comme un moyen pour Loki de stabiliser ensemble ses deux pouvoirs.

Note 5 : « L'obscurité se meut d'une façon différente de la lumière… » est une citation de Loki tirée du roman Les racines du Mal de Lee Mackenzi.

Note 6 : Toujours dans les citations, on peut noter « Tu veux un bisou ? », « Sache que j'aime Thor plus qu'aucun d'entre vous », « Je ne suis rien de plus qu'une autre relique volée » et « Je suis le monstre dont les parents parlent à leurs enfants le soir » sont tirés de Thor 1. « La confiance est pour les enfants » et « « Grandis un peu Sylvie ! » viennent de la saison 1 de Loki.

Note 7 : Et, dernière référence, la tentative de meurtre d'Odin orchestrée par Laufey est directement inspirée de Thor 1, lorsque des Jötunn s'infiltrent dans le palais. D'ailleurs, vous noterez au passage que Laufey surnomme Loki « mon petit courant d'air », surnom qui vient de son autre nom Loptr qui signifie « vent » en vieux norrois.

Un énorme merci pour avoir lu. À la revoyure !

Chu


La main posée sur l'épaule d'Heimdall, Hela profitait de ses yeux omniscients pour offrir la vue à sa projection. Le sort n'était pas encore parfait, le seidr s'écoulait à grosses gouttes de son organisme, mais elle se débrouillait déjà mieux qu'à sa première tentative pour joindre Thor. La vision était néanmoins brouillée pour une autre raison que son manque de contrôle, « à cause des boucliers » avait expliqué le gardien céleste ; cela restait suffisant pour deviner les traits manquants au paysage : un petit salon, comme il en existait dans les manoirs d'Asgard, et deux silhouettes se faisant face autour d'un bureau. Des brides de discours lui parvinrent, des éclats de seidr colériques perturbaient par moments la connexion. Une magie dont elle reconnut l'empreinte plus rapidement que la voix de son propriétaire :

« Grandis un peu Sylvie ! »

Loki, son petit frère disparu. Retrouvé. Enfin.

Elle était parvenue à le rejoindre du premier coup. La trace laissée par Thor sur son existence était encore forte, il lui avait seulement suffi de remonter la piste. Un gain de temps pour lequel elle se montra reconnaissance, parce qu'ils risqueraient d'en manquer – du temps.

Le temps, une notion qui pouvait devenir difficile à calculer lorsque Loki entrait dans l'équation.

Inspirant avec lenteur, Hela se concentra et tendit l'oreille pour écouter les paroles échangées entre son frère et l'interlocutrice – la prénommée Sylvie elle supposait – et ainsi mieux jauger l'irritation du métamorphe. Seul Thor était capable de l'agacer facilement, c'était un fait connu depuis toujours. Thor qui, si elle avait en partie compris le discours, était au cœur même de cette dispute.

« Je n'ai besoin de personne.

- Vous vous trompez » répliqua la demoiselle. « Vous avez besoin de lui.

- Vous avez toujours eu besoin l'un de l'autre » compléta l'Asyne à voix haute pour elle-même ; une pointe de nostalgie enserra son cœur. Mais elle n'eut le temps de s'attarder dessus car, aussitôt ses mots prononcés, des iris onyx se tournèrent dans sa direction avec un grognement. Une troisième silhouette à laquelle elle n'avait pas prêté attention jusque-là, celle d'un Vargr polaire à l'étrange coloration noire, précédemment dissimulé dans l'ombre de la jeune femme.

Le regard de Loki, rapide à son tour, suivit celui de la bête. Aucune émotion ne traversa ses traits, pas même lorsque sa voix énonça son prénom : « Hela ? »

Elle sourit en réponse ; le geste devait manquer de grâce sur son visage à moitié décomposé, mais elle ne pouvait le cacher, ni même le contenir. « Bonjour petit frère. »

Sa salutation fut suivie d'un long silence, durant lequel les deux Asgardiens s'observèrent sans un mot. Les paroles affluaient sur la langue de la magicienne ; tant de chose devait être dites. Pourtant, elle ne parvenait pas à les mettre en ordre, persuadée que chacune braquerait son cadet et mettrait fin à la discussion avant même qu'elle ait commencé. Thor l'avait prévenu qu'il serait en colère, et elle s'y était préparée ; il n'y avait pas d'être dans les Neuf Royaumes plus rancunier que Loki.

Ce fut une jolie voix chantante qui la sortie de ses pensées : « Petit frère ? », avant qu'elle ne se rappelle la seconde silhouette, celle avec laquelle son cadet se disputait avant son entrée en scène. Hela tourna son regard dans sa direction, avant de plisser ses paupières. L'apparence de la jeune femme lui était familière : ses cheveux blonds ondulaient au-dessus de ses épaules, un demi-chignon permettait de dégager son visage pâle au milieu duquel deux grands yeux bleus brillaient de surprise et d'admiration. « Vous êtes la grande sœur de Mère ? »

Surprise qui se propagea sur les traits de l'Æsir. Sa bouche s'ouvrit enfin, mais aucun mot ne put en sortir. Mère ? La demoiselle ne présentait pourtant aucune ressemblance avec le métamorphe. Au contraire, elle ressemblait davantage à-

Loki soupira. « Enlève-toi cette idée de la tête. Dis-moi plutôt qu'est-ce qui t'amène ici ? » Il arqua un sourcil, un sourire mauvais en coin : « Est-ce que Thor aurait oublié quelque chose ? »

« Oui » voulait-elle répondre, « toi », mais elle savait que cela n'aurait fait qu'aiguiser le sarcasme déjà riche de son cadet. Aussi, elle préféra une autre approche : « Thor ne m'envoie pas ; il ne sait même pas que je suis là. Je suis venue de ma propre initiative.

- Tiens donc. Et dans quel but ? Les visites de courtoisie n'ont pourtant jamais été ton fort. » Hela sentit son sourire se crisper ; c'était dur et glacial. Mais elle savait ce qu'il essayait de faire : la provocation avait toujours été l'une des armes préférées de Loki pour défendre son cœur de l'extérieur. Et il se sentait actuellement attaqué par sa soudaine présence.

Fallait-il se montrer délicat ? Non, il deviendrait suspicieux.

Une approche plus frontale alors ? « Je suis venue te voir parce que j'ai besoin de ton aide. » Son aveu jeta un nouveau froid dans la salle. Peut-être n'était-ce pas non plus la meilleure solution ?

Avec des gestes lents et calculés, le métamorphe prit place dans son fauteuil, puis répéta : « Mon aide ?

- Oui. Pour Thor.

- Pour Thor ? » Un sourire extatique explosa sur ses lèvres ; il était austère et sanglant, n'avait rien de ceux que lui offrait autrefois sa bouille d'enfant. Un sourire plus douloureux que toutes les dagues qu'il aurait plus lui planter. « Tu dois être sacrément désespérée, ou culottée, pour venir demander mon aide.

- Je le suis. » Elle l'était, les deux.

Il posa son coude sur l'accoudoir du fauteuil afin d'appuyer sa joue contre son poing, dans un geste nonchalant à l'encontre de l'inquiétude qu'aurait dû éveiller sa requête. « Thor est rentré. Ne me dis pas qu'il s'est perdu en chemin ? Remarque » ria-t-il pour lui-même, « il en serait bien capable » ; il n'y avait aucune chaleur dans sa plaisanterie.

« Thor est rentré, oui. Il se prépare actuellement pour la cérémonie. » Les paupières se plissèrent à peine à l'entente du dernier mot ; une faible réaction, mais bien réelle. Un début, elle espérait.

Ce fut la demoiselle qui demanda à voix haute : « La… cérémonie ? » Son regard oscilla entre les deux divinités. « Quelle cérémonie ?

- La cérémonie de noces. Celles de Thor.

- Dony va s'marier ?! M-mais ! » Elle se tourna vers le métamorphe, en quête de réponses. Une réaction qui fit comprendre à Hela qu'elle savait pour la véritable relation liant ses deux cadets. Par un exploit inconnu, peu de personnes en Asgard étaient dans le même cas, car tel avait été le choix de ce duo intenable – combien de fois avait-elle dû les couvrir auprès des aînés ? Des petits frères ingrats, pour lesquels elle se faisait beaucoup trop de soucis. « C'est pour ça qu'il est parti ? » Ces mots lui étaient directement adressés ; une pointe de déception commençait à naitre dans son timbre.

« Entre autres, oui. Il n'avait pas le choix.

- On a toujours le choix. » Loki venait de reprendre ses notes sur le parchemin déjà noir d'encre, comme si cette conversation ne le concernait plus. Pourtant, c'était tout l'inverse.

« Thor a passé un marché avec père pour te retrouver. En échange de son aide, il a accepté d'épouser la personne de son choix, pour la couronne. » La plume poursuivit sa course sans être perturbée par sa voix devenue tremblante. « Loki » elle appela, désespérée face à son manque de réaction. « Il a fait ça pour toi. » Son poignet se stoppa finalement. « Il voulait te retrouver. Tu t'étais caché de mes pouvoirs et il demeurait sans nouvelles. C'est pourquoi, après avoir gagné le procès pour permettre ton retour à Asgard, il est parti sur tes traces, plusieurs fois. Sans succès. À chaque tentative, Père le faisait enfermer ; et à chaque libération, il récidivait. Mais tu étais introuvable. Alors il a accepté. Loki » appela-t-elle de nouveau, et les iris lui accordèrent enfin l'attention que son ton suppliait de recevoir, « il a fait ça pour toi. Ce mariage, il-

- Je ne lui ai jamais rien demandé. » Sa voix était calme, posée, aussi dure qu'un glacier d'un millier de tonnes. Un timbre qui éveilla quelque chose chez le Vargr qui retroussa les babines pour montrer les crocs.

Hela ne lui prêta pas attention ; elle n'avait de toute manière rien à craindre derrière sa projection. « C'est justement parce que tu ne demandes jamais rien que nous en sommes là. Tu as toujours tout fait tout seul, pris les décisions sans consulter autrui.

- Parce que je N'AI besoin de personne !

- Vraiment ? Sans personne, tu serais déjà mort depuis longtemps dans ce vieux sanctuaire délabré !

- Je n't'ai jamais demandé de me sauver !

- Et pourtant je l'ai fait ! » Elle criait ; le souffle commençait à lui manquer. Elle sentit le regard d'Heimdall glisser sur son apparence charnelle. Du coin de l'œil, elle vit les couleurs du Bifröst trembler sous sa puissante vague émotionnelle. Elle devait se calmer ; crier ne ferait qu'aggraver les choses. Loki n'avait jamais obéi aux ordres, seulement aux demandes. « Je l'ai fait, parce que j'avais de la compassion pour ce petit être sans défense. Lorsque je t'ai ramené, Mère t'a immédiatement accepté, parce que son cœur de mère ne pouvait te rejeter. Père a accepté que tu restes parce qu'il voyait la joie que tu lui apportais. Quant à Thor… » Elle soupira. « Thor t'a juste accepté, parce que tu étais toi.

- Thor n'est-

- Qu'un idiot » elle compléta, « oui. Mais un idiot qui t'aime. Loki. » Par réflexe, elle fit un pas en avant pour se rapprocher de lui ; oublia bien vite qu'elle n'était qu'une projection. Détail qui lui revint au moment où sa main quitta l'épaule d'Heimdall, et que la vue lui fut retirée. Toutefois, elle pouvait encore le sentir, imaginer son regard posé sur la place qu'elle occupait précédemment. Elle aurait pu y retourner, mais le sort consommait bien trop d'énergie pour le peu de différence qu'elle en aurait tiré. Elle se contenta donc de compléter : « Personne ne t'a jamais aimé comme lui l'a fait. » La nostalgie se transforma en chagrin autour de son cœur ; sa poitrine devint presque douloureuse. « Et personne ne t'aimera jamais autant qu'il t'aime. Alors, s'il te plaît petit frère, fais le bon choix. »