Extérieurement, Sebas Arryn donne l'impression d'un jouvenceau plutôt serein, à peine intrigué par le mystère du chevalier d'aubier rieur ayant plongé l'intégralité de Harrenhal, rejetons de noble souche autant que petites gens, dans le plus grand émoi de la semaine jusque là écoulée. Ah, les avantages d'apprendre l'étiquette dès le plus jeune âge, au même moment que les premiers pas.

Car intérieurement, le futur suzerain du Val n'en mène pas large. En matière de gaffe malencontreuse, c'est probablement bien pire que son escapade forestière du côté de la tente de Maggy la grenouille, puisque cette aventure-là ne lui avait attiré que les foudres de son père. Dans le cas présent, c'est l'ire de sa Grâce qui menace de s'abattre sur son imprudente personne. Et celle de lady Lyanna, et de leur complice Bolton. Voire leurs familles respectives, ce qui n'est pas exactement une crainte raisonnable mais la mine actuelle du Roi, sa conduite depuis le début du tournoi, est tout sauf raisonnable, alors…

Cette crainte ne se dissipe guère au retour du Prince dragon et de ser Arthur Dayne, Rhaegar prétendant n'avoir pu retrouver que le bouclier peint d'un barral hilare accroché à la branche d'un arbre et produisant l'objet afin d'étayer ses dires, en plus d'être secondé par le témoignage de l'Épée du Matin. Parce que Sebas sait que le Prince et son protecteur mentent outrageusement.

Il sait cela à cause de Rihan Bolton, lequel est parvenu à se faufiler dans l'entourage amené du Val par Jon Arryn sous un prétexte vaguement nébuleux, pour informer le jouvenceau blond que lady Lyanna a été surprise par le Targaryen avant de pouvoir se débarrasser des preuves accablantes de sa participation illicite à la joute et contrainte de demeurer en arrière afin de plaider sa cause.

Malgré son attitude nonchalante avant le méfait, le puîné Bolton tremblait de la tête aux pieds alors qu'il résumait à voix basse le désastre droit dans l'oreille de Sebas, si bien que l'Héritier des Eyrié lui a enjoint de trouver un lit dans lequel s'effondrer pour le restant de la journée et lui a glissé une poignée de dragons pour qu'il puisse se payer à boire au cas où ses nerfs réclameraient cette mesure de réconfort, et le jeune homme arborant un teint presque aussi blême que ses yeux s'était empressé de décamper avant que Robert et Ned ne puissent se ramener, frémissant de curiosité et impatients de débattre de l'affaire.

Robert n'a aucunement prêté attention à la grêle silhouette brune modestement vêtue fuyant les lieux, tandis que Ned a haussé un sourcil un brin perplexe seulement pour s'abstenir d'un interrogatoire – une chance, vu que sa sœur était l'instigatrice du désordre auquel les trois quarts de la noblesse de Westeros venaient d'assister, si le puîné de lord Stark avait été d'humeur plus curieuse Sebas aurait vraisemblablement craqué et confessé les moindres détails de son crime, car c'est un crime de ne pas décourager quelqu'un de s'engager sur la route menant à la perdition.

Oui, Sebas désespère en son for intérieur. Il pressent déjà que la nuit sera blanche, passée en prière dans la chapelle des Sept, aux pieds de la statue représentant la Mère pour son indulgence infinie regardant ses enfants turbulents qui ne cessent de pécher et de s'en mordre copieusement les doigts.

Gente Mère, fontaine de miséricorde, suspends les épées et suspends les flèches, permets-nous de connaître un jour meilleur, daigne apaiser la rage et calmer la furie…

En dépit d'avoir bredouillé cette prière des dizaines de fois depuis sa plus tendre enfance, le nobliau blond s'embrouille dans les syllabes, confond les termes et recommence à cinq reprises avant de se décourager pour de bon. Peut-être que les phrases correctes lui reviendront seulement entre les murs du lieu de culte, mais en attendant qu'il puisse échapper à la vigilance de ses quasi-frères et de son père pour entamer sa pénitence, que le temps est long !

Le dîner ce soir est ni plus ni moins qu'un supplice. Sebas déchiquette le quignon de pain dans sa main au lieu d'y planter les dents, tandis que Ned se sauve afin de voir si l'ambiance est moins pesante du côté de ses frères et sœur. Le jouvenceau blond n'a pu obtenir qu'un bref aperçu de lady Lyanna, et à bonne distance, et cela ne promet guère, la donzelle arborant une moue qui frôle la grimace contrariée.

Quelles paroles a bien pu énoncer le Prince dragon ? A-t-il proféré des menaces à l'encontre des Stark ? A-t-il réprimandé la louve indomptée du Nord pour avoir ainsi hardiment défié les conventions de son sexe, pour avoir voulu l'espace d'une joute se montrer égale à un homme, meilleure qu'un homme puisqu'elle est parvenue à renverser trois adversaires ?

Surtout, pourquoi n'a-t-il rien dit à son père ? Certes, vu que le Roi a pris entièrement congé de sa raison, il se pourrait que le Prince dragon cherche à étouffer l'affaire simplement pour empêcher la crise de paranoïa de prendre de l'ampleur et de réduire Harrenhal à un nouveau Sombreval, tant pis si les Whent n'ont aucune velléité de rébellion à l'encontre du Trône de Fer, quiconque a été témoin de cette humiliante perte de contrôle où sa Grâce s'est laissée aller à suivre les murmures enfiévrés des tréfonds de son crâne doit le payer dans des flots de sang et de flamme.

Ceci est l'hypothèse la plus optimiste. Sebas a beau être un jeune naïf encore dépourvu de l'expérience et de la sagesse dont peut se targuer l'auteur de ses jours, il n'y croit guère. Non, il est nettement plus plausible que le Prince dragon a réclamé un prix en échange de son silence, un prix que lady Lyanna se devra d'endurer à moins de chercher la dénonciation et la honte publique. Mais de quoi peut-il s'agir ? En quoi consiste-il ?

Apparemment, la rose bleue d'hiver insiste pour endurer seule les conséquences de son plan revanchard visant à défendre l'honneur de son petit paludier de banneret. Sebas a écouté le compte-rendu de Rihan Bolton, et il semble que Rhaegar et ser Arthur ont présumé que le jouvenceau brun n'était qu'un misérable palefrenier ou valet embringué dans le caprice d'une noble demoiselle, pas du tout une raison de s'inquiéter quand on sait que la parole d'un roturier vaut moins que la boue dans laquelle traîne l'ourlet de votre habit. Quand à Sebas, et bien, il n'était pas présent dans le bosquet avec lady Lyanna lorsqu'elle a été surprise, et si elle ne dit rien de sa participation, personne n'imaginera que l'honorable, le chevaleresque rejeton de lord Arryn a été mêlé à pareille inconduite.

La honte gonfle dans les tripes et le ventre de Sebas, à tel point que palper son nombril renvoie l'impression d'une désagréable bouffissure. Comment ose-t-il prétendre à la dignité de chevalier, lui qui se cache derrière une femme au lieu de la protéger, qui n'ose pas admettre sa faute, qui a manqué du bon jugement nécessaire pour ne pas fauter et pour détourner autrui de la faute ? Comment peut-il espérer devenir un bon suzerain pour le Val et les Eyrié quand il vient de trahir abjectement les principes ardemment défendus par la province de sa naissance ?

La nuit ne saurait tomber assez tôt, pour que le nobliau blond puisse traîner sa carcasse percluse de remords jusqu'au septuaire et se repentir jusqu'à ce que la première lueur de l'aube devienne le plein soleil à son zénith.