Chapitre 41 - La grande tapisserie des Black


La tension entre elle et Ron perdura les jours suivants, si bien qu'Hermione finit par s'isoler pendant le ménage. Même lorsqu'elle tricotait ses bonnets pour les elfes, elle préférait éviter la compagnie pesante de Ron et durant les réunions de l'Ordre du Phénix où le coup de colère d'Harry avait au moins eu l'avantage de les faire entrer, il s'appliquait à l'ignorer.

Assise face à la grande tapisserie de la famille Black, elle se rappela ce que Draco avait dit sur sa famille, posa ses aiguilles et approcha des noms et des visages. Parmi les noms se trouvait le frère de Sirius, Regulus Arcturus Black. Elle passa la main sur le trou brûlé qui avait effacé Sirius. Sa mère était la sœur de Cygnus Black, le grand-père de Draco. Hermione s'arrêta sur Bellatrix, une des sœurs de Narcissa, l'autre avait été effacée, elle aussi. Un grincement suivi d'une voix croassante l'arrachèrent à sa contemplation.

— La Sang-de-Bourbe ose mettre ses sales pattes sur la précieuse tapisserie de ma maîtresse… comme elle pleurerait de savoir l'héritage de sa famille sali par de la vermine.

— Bonjour, Kreattur, tenta Hermione d'une voix douce.

— La vermine parle à Kreattur maintenant, dit-il en forçant le passage entre la tapisserie et elle, pour l'obliger à reculer.

Alors qu'il continuait de l'insulter, le regard d'Hermione retomba sur le nom de Narcissa puis descendit sur celui de Draco. Avec un petit sourire, elle retourna s'asseoir, sauf qu'au lieu de reprendre ses aiguilles à tricoter, elle ramassa l'encrier sur le bureau et déplia le morceau de parchemin qu'elle gardait dans la poche de son jean. Plusieurs fois, elle y écrivit « Draco » et après une heure, un « Oui ? » lui répondit enfin.

« J'ai besoin de ton aide. Tu pourrais revenir ici ? »

Elle attendit avec impatience que son message s'efface, remplacé par une autre encre.

« Je croyais qu'il ne fallait surtout pas qu'on m'y trouve ? »

Elle trempa sa plume dans l'encrier. Molly entra soudain dans la pièce, son tablier autour de la taille.

— Tu étais là, viens, on t'attend pour dîner.

— J'arrive, merci, répondit-elle poliment, sa plume suspendue au-dessus du parchemin vierge.

Molly y jeta un coup d'œil et Hermione pria pour que rien n'y apparaisse. La porte se referma. Avec un soupir, elle écrit :

« Tout le monde te soupçonnerait si on découvrait que tu te balades ici, mais si tu viens ce soir, il y aura moins de risques. »

« Je vois. Un indice concernant ma mission ? »

« Attends juste que je te fasse signe. »

Elle replia le parchemin et le rangea dans sa poche pour descendre manger. Tout le repas, la culpabilité de déranger Dobby pour son projet l'empêcha de savourer les pommes de terre en sauce, mais les injures de Kreattur et celles que le pauvre elfe recevait en retour de Sirius et des autres la commandait d'agir. Ginny remonta avec elle jusqu'au troisième étage. Devant la chambre d'Aquila Black, Hermione s'arrêta.

— Oh, je devais voir Ron et Harry avant de dormir, dit-elle. À tout à l'heure, Ginny.

Lorsque la lumière disparut du palier, elle poursuivit sa montée dans les étages jusqu'à celui où Sirius gardait Buck, tout en haut. Personne ne se rendrait à ce palier sans raison. Elle ressortit le parchemin et Draco se matérialisa avec Dobby l'instant suivant. Elle remercia l'elfe avec profusion jusqu'à ce qu'il ne reparte pour Poudlard. Draco s'adossa à la rampe d'escalier avec un sourire en coin.

— Je savais que je te manquais depuis que le lien est rompu, mais je ne me doutais pas que tu irais jusqu'à inventer des missions pour m'attirer ici.

Elle pointa le parchemin vers lui d'un geste menaçant.

— C'est important.

À voix basse, elle lui résuma tout ce qu'elle savait de Kreattur ; sa dévotion pour la famille Black, sa peine d'avoir perdu ses anciens maîtres, la haine réciproque entre Sirius et lui, et ainsi de suite. Draco l'écouta sans l'interrompre, parfois pensif.

— Je suis sûre qu'il ne serait pas aussi virulent si on lui témoignait un peu de respect, conclut-elle. J'ai essayé, mais je ne suis pas la bonne personne pour ça.

Draco posa la main sur son épaule.

— Laisse-moi faire. Il est où ton elfe ?

— Ne bouge pas, dit-elle avant de redescendre.

Kreattur se trouvait dans la cuisine déserte, à aligner des casseroles en marmonnant sa litanie habituelle. Elle approcha doucement pour ne pas le surprendre et se baissa à son niveau.

— Kreattur ? Est-ce que tu peux me suivre ?

Toujours dos à elle, ses insultes se firent bien plus spécifiques et beaucoup plus ciblées pendant qu'il redressait une poêle cabossée.

— Il y a quelqu'un qui est venu spécialement pour te voir, insista-t-elle. Un descendant de la famille Black qui se trouve encore sur votre tapisserie.

Cette fois, Kreattur daigna se retourner. Hermione n'en demanda pas plus. Dans les escaliers, elle entendait ses pieds nus la suivre d'un pas hésitant, comme partagé entre le dégoût et la peur de faire attendre un maître qu'il considérait légitime. Avec une pointe d'impatience et un léger point de côté, elle franchit les dernières marches jusqu'au palier où attendait Draco. Ils échangèrent un regard et elle redescendit derrière Kreattur sur la pointe des pieds. L'elfe inspecta Draco sans la moindre discrétion, s'arrêtant sur le col parfaitement repassé de sa chemise et sur la chevalière argentée.

— Donc c'est toi l'elfe qui tient ce manoir en ordre… enfin, en ordre… dit-il en passant deux doigts sur la rampe.

Il pinça la poussière, le nez plissé, et Hermione bondit. Elle l'avait amené pour apporter un peu de bienveillance à Kreattur, pas pour le critiquer plus ! Le regard de Draco l'arrêta net et il frotta ses doigts pour se débarrasser de la saleté. Kreattur s'inclina si bas que son nez frôla le sol.

— Kreattur nettoie tous les jours, mais il ne peut rien contre la vermine qui a envahi la maison de ma pauvre maîtresse…

— Moi je me demande ce qu'aurait dit Walburga en entendant tes excuses, répliqua sèchement Draco.

Kreattur touchait déjà le sol, mais il réussit à s'incliner un peu plus.

— Je suis d'accord, cependant, concernant la vermine, concéda Draco. Ils n'en partiront pas tout de suite, mais de ce que mes parents m'ont raconté, Sirius n'a jamais aimé être ici. Si je lui fais une offre, il me le cédera sûrement. Tout ce que nous avons à faire, c'est attendre qu'ils déménagent leur quartier général ou que leur organisation se dissolve. D'ici là, prends soin de cet héritage, je n'achèterai pas une ruine.

— Kreattur y veillera monsieur, répondit Kreattur d'un ton rempli d'espoir.

— Bien. Ah et avant de retourner à tes tâches, tu peux manquer de respect à tous les traîtres à leur sang et les parasites qui infestent ce manoir si ça te chante, mais tu vas faire une exception pour elle.

Hermione entrouvrit la bouche, sans voix, alors que les gros yeux de Kreattur se posaient sur elle avec répulsion.

— C'est à elle que tu le dois, si je suis ici. Et elle l'a fait pour toi.

Lentement, par à-coups, Kreattur se courba, s'inclinant de lui-même devant elle.

— Oh non, tu n'as pas besoin de faire ça Kreattur.

Sans répondre, il la dépassa dans l'escalier et retourna vaquer à ses occupations. Du silence plutôt que des insultes, l'amélioration était agréable. Le bruit de ses pas disparu bientôt, les laissant seuls tous les deux.

— Merci, Draco.

Il sortit un mouchoir de sa poche, le déplia d'un coup de poignet avant d'y jeter un charme d'Agrandissement. Puis il le déposa sur les dernières marches et s'y assit, l'invitant sur la place à côté de lui d'un geste. Envahie par une douce chaleur, Hermione s'y installa, face aux marches en bois qui se perdaient dans l'obscurité.

— Comment va Weasley ? demanda Draco d'un ton moqueur.

Elle lui donna un coup de coude, ce qui la rendit consciente de son épaule près de la sienne.

— Il m'adresse à peine la parole.

Draco éclata de rire et elle pressa un doigt sur ses lèvres en l'assassinant du regard.

— Tu ne lui as pas dit que je faisais semblant ?

— J'ai eu beau lui expliquer, il s'en fiche. Il s'attendait à ce qu'on ne se voie plus une fois le lien rompu, et comme il t'a vu ici…

Ron n'était pas le seul qui s'attendait à voir Draco disparaître. Pourquoi était-il resté ? Elle pinça son jean. S'il n'en parlait pas de lui-même, elle n'insisterait pas. Elle avait la sensation que le lui demander le ferait bel et bien disparaître.

— Est-ce que tu as des informations concernant Tu-Sais-Qui et ce qu'il projette ?

— Tout ce que je peux te dire, c'est que mon père est presque tout le temps au ministère ou en déplacement. Ils ne sont pas restés inactifs.

— Et à ton avis, pourquoi aucun journal ne parle d'eux ?

— Ça me semble évident. Le Seigneur des Ténèbres prépare juste son jeu sous l'échiquier, répondit-il. Quand il se montrera à la surface, il aura placé tous ses pions et ce sera trop tard pour le contrer.

Hermione frissonna.

— C'est aussi ce qu'on dit les membres de l'Ordre. On a déjà perdu les Détraqueurs. Dans un monde contrôlé par lui…

Les horreurs des guerres moldues et sorcières sur lesquelles elle avait lu dans les livres d'histoires lui tordirent l'estomac. Si l'Ordre du Phénix ne parvenait pas à prévenir ce futur, que deviendrait Harry ? Quel sort réserveraient-ils aux nés-moldus comme elle ?

— D'un autre côté, le Seigneur des Ténèbres dont mon père me parlait quand j'étais petit ne s'abaissait pas à agir dans l'ombre comme un elfe de maison, reprit Draco. C'est bien la preuve qu'il est loin d'avoir retrouvé sa puissance.

Hermione tourna la tête vers lui. Il observait sa chevalière d'un air ennuyé. Maintenant qu'il n'avait plus de lien avec elle, qu'est-ce qui le retenait de soutenir le mage noir ?

— Je n'ai pas l'impression qu'il a ton soutien.

— L'influence et la richesse de ma famille sont déjà amplement satisfaisantes. Son retour ne nous apporte que des contraintes, aucun bénéfice.

Elle esquissa un sourire.

— Très bien alors. Si tu entends quelque chose susceptible d'aider l'Ordre, je peux le leur transmettre.

— Ils ne se fieront jamais à une information qui vient de moi.

Il y eut un silence. Bien sûr, il avait raison. Le visage méfiant et balafré de Maugrey la fit grimacer. Une information sans provenance claire et de confiance ne serait jamais prise en considération. Y avait-il un autre moyen ? Elle entrouvrit la bouche.

— Harry a une connexion avec Tu-Sais-Qui. L'année dernière elle lui a permis de le voir en rêve. S'il y a une information grave à leur transmettre, on pourrait tenter cette couverture.

— Il faudrait mettre le balafré dans la confidence.

— Je suis sûre qu'il acceptera.

— Dans ce cas…

Draco se releva, ajusta les plis de ses vêtements et elle l'observa faire. Comptait-il réellement aider l'Ordre du Phénix ? Dans la guerre qui se profilait, allait-il choisir le même camp que le sien ?

— Une dernière chose, dit-il en récupérant un paquet dans sa poche arrière et en lui tendant.

Le paquet ne dépassait pas la taille de sa main et était aussi fin que deux de ses doigts, dans un carton sans fioritures. Elle tira sur le ruban bleu et ouvrit le couvercle pour découvrir une plume miniature.

— C'est un modèle réduit de plume autoencreur. J'ai aussi demandé à ce qu'on y ajoute un sort de renforcement. Tu n'as qu'à la ranger dans le parchemin, elle ne se cassera pas.