Salut à tous ! Très content de vous retrouver une fois encore pour un nouveau chapitre de cette fanfiction. Comme à l'accoutumée, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, ça fait toujours super plaisir de vous lire x) Je voulais d'ailleurs adresser un immense merci à celles et ceux qui prennent le temps de laisser une review et de me donner leurs avis / impressions / théories. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ça me motive à laisser moins de place à mes obligations quotidiennes pour me consacrer davantage à l'écriture. Merci encore pour votre soutien !

Bonne lecture à tous !

Chapitre 11

À peine rentré au manoir familial, et alors que dehors la nuit exerçait toujours ses droits, Gajeel se dirigea immédiatement et sans détour vers le bar qui jouxtait les cuisines de l'immense bâtisse.

À l'origine, la pièce avait été aménagée afin de recevoir les plus proches partenaires du clan au cours de soirées plus ou moins arrosées. Les associés de Métallicana pouvaient discuter des affaires en buvant un verre de whisky de plusieurs décennies d'âge ou plusieurs shots de rhum hors de prix.

Pourtant, lorsqu'il pénétra dans le vaste espace, Gajeel ne trouva personne. Exactement ce qui lui convenait à cet instant.

Le fils Redfox s'assit sur l'un des tabourets du bar et s'empara agilement d'une carafe de scotch et d'un verre en cristal. Il fit ensuite tourner le liquide ambré en cercle quelques instants avant de prendre le goulot en verre avec ses dents et de verser l'alcool dans le récipient.

Il referma ensuite la bouteille et porta le verre à ses lèvres. Sans sourciller, il enquilla l'intégralité de la boisson. Le liquide lui brûla la gorge et laissa un arrière-goût âcre dans sa bouche mais le mafieux ne sourcilla même pas.

Il avait besoin de ça, besoin d'anesthésier son esprit au moins quelques minutes après ce qui s'était passé quelques heures plus tôt. Après qu'il ait fait couler le sang, après qu'il ait ôté la vie à un être humain.

Pourtant, ce n'était pas du remords qui animait à cet instant l'esprit du fils de Métallicana. Pas du tout. À ces yeux, l'enflure qu'il avait abattu avait amplement mérité son sort en infligeant toutes ces blessures à Levy. De son point de vue, il n'était que justice de faire en sorte qu'un monstre pareil ne puisse plus nuire à personne et surtout pas à l'un de ses proches.

En réalité, ce qui préoccupait Gajeel plus que tout était la possibilité que Levy apprenne un jour ce qu'il avait fait.

Galvanisé par la colère et la rage, il n'avait pas pensé une seule seconde à ce qu'il adviendrait après avoir pressé la détente, se contentant uniquement de laisser s'exprimer la part la plus bestiale de sa personnalité.

Neutraliser la menace et mettre en sourdine ses affects. Il l'avait fait des dizaines de fois et se savait parfaitement capable de le refaire.

Mais à présent que la tension était retombée et que sa vengeance était assouvie, Gajeel était beaucoup moins convaincu d'avoir fait le bon choix.

Il fallait à tout prix dissimuler la vérité à Levy. Elle ne devait pas savoir ce qui s'était déroulé dans ce sous-sol cette nuit-là.

Jamais.

Jamais il ne supporterait que la jeune femme ait peur de lui. Jamais il ne supporterait qu'elle s'en aille, terrifiée par le monstre qui lui faisait face.

Le mafieux se prit la tête entre ses mains. Pourquoi était-il comme ça, nom de Dieu ? Pourquoi le meurtre d'un homme lui était-il devenu aussi habituel, aussi banal ? Pourquoi la cruauté dont il avait fait preuve durant des années sous la houlette de son père lui semblait à présent si honteuse, si inacceptable ?

Les nerfs à vif, Gajeel reprit la bouteille d'alcool et se versa à nouveau un verre qu'il but aussi vite que le précédent. Dieu que c'était bon…

Alors que le mafieux s'apprêtait à continuer son enivrement jusqu'à se taper la pire cuite de sa vie, la porte de la pièce s'ouvrit et une masse de cheveux roses hirsutes fit son apparition.

Gajeel n'eut aucun mal à reconnaitre son propriétaire dans la pénombre du bar.

« Ah tu es là ! s'exclama Natsu, soulagé. Je te cherchais depuis des plombes. J'ai dû me taper toutes les pièces du manoir au moins deux fois.

- Tu dois être sacrément content de m'avoir trouvé alors… soupira Gajeel comme seule réponse.

Ignorant le sarcasme dont il était visiblement la cible, le fils d'Igneel se rapprocha, les mains dans les poches avec une démarche toujours aussi nonchalante. À cette vue, Gajeel fronça légèrement les sourcils.

« Tu voulais me parler à ce qu'il parait, rappela ce dernier.

Le fils d'Igneel acquiesça de la tête.

- Bixrow a repris connaissance il y a quelques heures.

- Comment va t-il ?

- Beaucoup mieux. D'après la vieille, il est complètement tiré d'affaire.

Gajeel hocha la tête, un peu plus apaisé. Malgré les obstacles qui s'étaient dressés sur son chemin, il avait réussi à tirer d'affaire deux de ses proches au cours de cette maudite journée. Même si la situation actuelle n'était pas glorieuse, le mafieux se sentait pourtant soulagé.

- Tu as pu lui parler ? demanda Gajeel.

- Oui, c'est la raison de ma venue. Il m'a donné une description précise de son agresseur. Rien de bien original, le type a l'air plutôt passe-partout. Mais surtout, Bixrow croit dur comme fer que les attaques que nous avons subi ces dernières semaines sont l'oeuvre de quelqu'un d'autre que les Eucliffe.

Gajeel reporta son attention sur son verre de scotch. Encore cette théorie farfelue du mystérieux ennemi invisible qui agirait dans l'ombre et qui frapperait à intervalles réguliers afin de les anéantir.

Le fils de Métallicana avait beaucoup de mal à concevoir qu'une telle hypothèse soit possible. Son père lui avait transmis une vision bien trop manichéenne des choses.

Dans l'esprit de Métallicana, il n'existait que deux catégories de personnes : les alliés et les ennemis. Et nul besoin de nuance lorsqu'il s'agissait du second groupe.

Pour autant, plus le temps passait et plus Gajeel sentait que son cousin et son conseiller avaient peut-être raison. L'organisation de ces attaques était bien trop dissimulée pour être uniquement l'oeuvre d'un clan comme celui d'Eucliffe. Dans le milieu mafieux, la haine des deux clans était notoire et ces attaques faisaient automatiquement de Sting Eucliffe le coupable idéal. Un camouflage facile pour quiconque aurait envie de mettre son grain de sel dans leurs affaires.

- Bixrow pense aussi que le salaud qui l'a agressé bosse aussi pour ceux qui sont derrière toutes ces attaques, ce qui est plausible étant donné qu'il lui est tombé dessus alors qu'il enquêtait sur leur origine.

Gajeel ne put qu'admettre la logique de son subordonné au tatouage facial. Au cours de leur petite escapade à l'herboristerie de Mad Drug, Gajeel et Laxus avaient réussi à obtenir un nom de la bouche du gérant.

Rogue.

- Est-ce que ce nom te dit quelque chose ? demanda Gajeel à Natsu.

- Rien du tout. Et toi ?

- Moi non plus. J'ai demandé à Fried de faire des recherches sur ce nom mais il n'a rien découvert pour l'instant. Quand je suis allé le voir, il avait l'air complètement à l'ouest.

- Rien d'étonnant après ce qui est arrivé à Bixrow, répondit Natsu. Tu sais bien que ces deux-là sont inséparables.

Gajeel acquiesça, se replongeant dans ses souvenirs lorsque Bixrow venait à peine d'intégrer le clan.

À cette époque, le fils du parrain avait pu constater, comme le reste du clan, les importantes lacunes du jeune homme en matière de lecture et d'orthographe, résultat désastreux de parents abusifs et d'un système éducatif défaillant.

Conscient de ses difficultés, Fried avait pris Bixrow sous son aile durant son temps libre et l'avait aidé dans l'apprentissage de la grammaire, de la conjugaison et de l'orthographe avec toute la pugnacité qui le caractérisait.

Petit à petit, le mafieux au tatouage facial avait rattrapé son retard et il éprouvait aujourd'hui encore une grande reconnaissance envers son professeur.

- Au fait… j'ai entendu dire que ton père rentrait à Magnolia, reprit prudemment Natsu.

La mine de Gajeel s'assombrit immédiatement. Il avait presque réussi à oublier le retour du patriarche au bercail.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que le chef du clan s'était absenté pour partir conclure des affaires fructueuses dans les régions voisines. Et Gajeel savait très bien que ce n'était pas l'achèvement de ces marchandages qui était à l'origine du retour imminent de son père.

Métallicana revenait pour faire le bilan de la gestion du clan par son fils. Et au vu de son empressement, nul doute qu'il devait la trouver désastreuse.

Le coeur lourd, Gajeel leva la bouteille pour se verser un troisième verre mais son mouvement fut arrêté net par Natsu.

D'ordinaire, aucun membre du clan n'aurait eu l'audace de stopper le moindre geste d'un homme du statut de Gajeel. Mais Natsu et lui partageaient des liens du sang. Il n'était pas qu'un simple subalterne. Il était de la famille.

S'emparant de la bouteille pour la reposer, le garçon à l'éternel air jovial se rapprocha de son cousin et lui tapota l'épaule pour le réconforter. Même si les deux jeunes hommes n'avaient jamais été très proches et que leurs caractères respectifs différaient radicalement l'un de l'autre, ils s'étaient toujours soutenu dans les épreuves inhérentes à leur famille.

Durant toute leur enfance, le mafieux aux cheveux roses avait été aux premières loges pour assister aux réprimandes et à l'insatisfaction perpétuelle de Métallicana à l'encontre de son fils. Alors que Natsu faisait la fierté de son père en toutes circonstances, Gajeel quant à lui n'était jamais assez fort, jamais assez intelligent, jamais assez puissant aux yeux de son géniteur.

Le fils du parrain adressa un regard empreint de reconnaissance à son cousin avant de se lever du tabouret sur lequel il était assis.

Ce n'était pas la peine de sortir les violons. Gajeel saurait comment gérer son père. Il se l'était promis et mettait toujours un point d'honneur à respecter ses engagements, même ceux passés avec lui-même.

À cet instant, la porte du bar s'ouvrit à nouveau, laissant apparaitre le visage de Gray dans l'entrebâillure. Toujours vêtu de son éternelle chemise bleu nuit, il tenait à la main l'un de ses nombreux téléphones prépayés qui ne le quittaient jamais.

« J'ai les infos que tu m'as demandé, annonça Gray à son supérieur en entrant dans la pièce.

- Quelles infos ? demanda subitement Natsu. Vous m'expliquez ?

Gajeel replaça la bouteille d'alcool derrière le bar avant de s'expliquer.

- Il y a quelques heures, je suis allé en centre-ville pour… disons une affaire à régler. Nous avons appris sur le chemin du retour qu'une explosion s'était produite au Crocus Garden, le boui-boui infâme de cet enflure d'Eucliffe. J'ai alors demandé à Gray de récolter les premières infos sur ce qui s'est passé.

- Selon ma source chez les flics, le bilan provisoire fait état de dix-sept morts parmi lesquels quatorze employés, annonça le concerné. Un grand nombre de blessés sont également à déplorer et les dégâts matériels sont apparemment considérables.

- C'est bon ça ! s'enthousiasma Natsu. Si ces enfoirés ont mordu la poussière, c'est bien fait pour leur gu…

- Ferme-là un peu bon sang, grogna Gajeel. L'explosion serait due à quoi selon eux ?

- À une fuite de gaz qui se serait produite au niveau des cuisines de l'établissement. Mais pour être honnête, compte tenu du contexte actuel, je n'y crois pas trop…

Gajeel approuva du regard la remarque de son subordonné.

- Aucune chance pour que ce carnage soit un banal accident. Dans notre milieu, les coïncidences n'arrivent quasiment jamais. Ce qui s'est passé ce soir accrédite encore plus la théorie de Bixrow. J'ignore pourquoi mais quelqu'un s'en prend aux différents clans mafieux de la ville. Et il semblerait que ces enfoirés qui en avaient après nous, en ont maintenant également après les Eucliffe.

- Qu'est-ce qu'on fait alors ? demanda Gray. Sting est en mauvaise posture à présent. Il a perdu ce qu'il considérait comme son bien le plus précieux dans tout Magnolia. On pourrait peut-être en profiter pour lui porter le coup de grâce, non ?

Natsu acquiesça vivement de la tête. Cela faisait bien trop longtemps qu'il n'avait plus été dans le feu de l'action et la perspective d'en découdre définitivement avec les Eucliffe le faisait vibrer d'excitation. Cependant les espoirs du fils d'Igneel furent rapidement douchés par le refus exprimé par son cousin.

- Pour le moment, on ne fait rien contre Eucliffe, décida Gajeel. Le chien blond est en train de lécher ses plaies. Ça nous laisse le champ libre pour enquêter sur cette nouvelle menace. Alors on concentre tous nos efforts sur la protection de nos affaires et sur la recherche du nom que nous a donné ce foutu herboriste. Si celui qui est derrière tout ça est capable de rayer de la carte le quartier général d'un clan similaire au nôtre sans laisser de trace, on a clairement du souci à se faire…

Les deux lieutenants de Gajeel considérèrent la position de leur supérieur. Il était vrai que Sting Eucliffe n'était plus une menace immédiate pour eux, contrairement à leurs nouveaux ennemis qui venaient de sortir de l'ombre dans laquelle ils étaient tapis.

Croisant les bras, Gajeel reprit le ton autoritaire qui le caractérisait.

- Gray, je veux que tu montes plusieurs équipes et que tu les envoies surveiller les alentours de nos business les plus exposés dans la ville. Natsu, je veux que tu ailles avec lui et que tu contactes ton père pour qu'il mette des bagnoles à la disposition des gars. Nous devons parer à toute éventualité. Il est hors de question que nous subissions une attaque comme celle que viennent d'encaisser Sting et sa clique.

Les deux garçons acquiescèrent aux ordres de leur chef. Ils reconnaissaient l'éclat caractéristique qui animait ses prunelles rougeoyantes à cet instant. La volonté du futur chef du clan était toujours intacte, aussi résistante que les écailles d'un véritable dragon d'acier.

- Nous sommes les Redfox, affirma Gajeel avec conviction. Nous veillons les uns sur les autres et nous protégeons ce que nous avons construit. Croyez-moi, celui ou celle qui nous mettra à terre n'est pas encore né…


De nouveau ces bruits de pas dans des escaliers que quelqu'un monte très rapidement. Une porte en bois sculpté que l'on ouvre à coups de pieds. Trois silhouettes pénètrent à l'intérieur. Levy ne les avait encore jamais aperçues mais elle les voit à présent. Ces gens portent des cagoules et sont entièrement vêtus de noir. Elle entend de nouveaux bruits. Un corps tombe à terre à nouveau mais cette fois, contrairement aux rêves précédents, d'autres coups se font entendre. Des coups de pied. La victime gémit sur le sol. Une femme aux longs cheveux. De la même couleur que les siens. Des cheveux maculés de sang. Elle entend de nouveau des bruits de pas, plus légers cette fois. Puis les flammes arrivent, destructrices et impitoyables. Levy est prise au piège dans un lit d'enfant, entourée de barreaux en bois. La fumée commence à se répandre dans sa chambre. Elle aperçoit plus nettement ce qui l'entoure. Des peluches qu'elle ne se souvient pas avoir tenu dans ses bras. Des dessins accrochés aux murs qu'elle ne se rappelle pas avoir fait. Tout cela prend feu autour d'elle. Le feu ravage tout, absolument tout. Il ne reste que son lit entouré par les flammes. Elle tente de bondir par dessus mais ne parvient qu'à apercevoir la fenêtre donnant sur la nuit noire. À l'extérieur, il neige. À l'intérieur, le diable a planté son décor. Pour la première fois, elle entend un cri de pure douleur à côté de son lit. Elle n'a jamais entendu un cri pareil. Ce son la terrifie encore plus. Une silhouette parvient à se frayer un chemin à travers le brasier. Elle se penche par dessus le berceau. Levy se concentre de toutes ses forces pour apercevoir le visage de cette personne mais elle n'y parvient pas. Elle sait seulement qu'elle est blessée. Elle le sent. Ses bras la hissent hors de son lit et l'encerclent en un geste protecteur. Une voix douce s'élève dans la pièce envahie par les flammes.

« Ne t'inquiète pas ma puce, je vais te protéger. Aujourd'hui et pour toujours… Aujourd'hui et pour toujours ».

- Mademoiselle ?!…Mademoiselle, réveillez-vous !

D'un bond, Levy se redressa brusquement sur le lit qu'elle occupait, manquant de percuter la personne qui se trouvait penchée au dessus d'elle.

L'étudiante tourna frénétiquement la tête sur le côté, complètement désorientée.

Un visage apparut dans son champ de vision et Levy le reconnut instantanément. Il s'agissait de la femme qui l'avait fouillée sous les instructions de Fried la première fois qu'elle était venue au manoir. Mme Wilson, si elle se souvenait bien.

- Est-ce que vous allez bien mademoiselle ? demanda la domestique, inquiète.

Reprenant ancrage dans la réalité, Levy acquiesça de la tête. Du revers de la main, elle épongea la sueur qui perlait sur son front et tâcha tant bien que mal de reprendre ses esprits.

Encore ce fichu cauchemar. Cela faisait la troisième fois à présent. Toujours le même scénario, toujours la même terreur qui l'habitait et qui la faisait se réveiller en sursaut. Pourtant cette fois-là, le songe lui avait paru beaucoup plus détaillé, beaucoup plus clair, sans qu'elle ne sache exactement pourquoi.

Pourquoi faisait-elle sans cesse ce rêve épouvantable ? Et pourquoi uniquement depuis son arrivée à Magnolia ?

Regardant tout autour d'elle, Levy s'aperçut qu'elle avait envoyé valsé au sol une bonne partie des coussins ainsi que la moitié des draps durant son sommeil.

- Pardonnez-moi pour cette intrusion mademoiselle, s'excusa l'employée. J'étais venue voir si vous étiez réveillée pour vous apporter votre petit-déjeuner. J'ai entendu des cris à travers la porte et je suis donc rentrée. Souhaitez-vous que je fasse appeler le médecin ?

- Non… non ce n'est pas nécessaire, affirma Levy en secouant la tête. Ce n'était rien du tout. Je vous remercie.

La domestique lui adressa un sourire bienveillant et s'employa sans un mot à ramasser les coussins tombés au sol avant même que Levy n'ait pu lui indiquer qu'elle pouvait le faire toute seule.

- Je vais vous laisser vous rafraichir et vous habiller, annonça t-elle. Je reviendrai ensuite avec votre petit-déjeuner, si cela vous convient.

Levy remercia une nouvelle fois la domestique qui s'éclipsa ensuite d'un pas de velours.

Le corps encore engourdi par le sommeil, la jeune femme aux cheveux bleus se leva tant bien que mal, ses orteils s'enfonçant dans la moquette duveteuse qui recouvrait le sol de la suite. Elle se rapprocha ensuite de la fenêtre pour observer l'extérieur du bâtiment.

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel et elle pouvait apercevoir au loin plusieurs jardiniers s'affairant dans le parc entourant l'imposante bâtisse.

Après avoir pris une nouvelle douche et s'être habillée avec une jolie robe orangée, Levy retourna dans la pièce principale de la suite et remarqua un petit sac posé sur l'un des fauteuils et la pochette cartonnée qui l'accompagnait. Mme Wilson les avait certainement déposés lorsqu'elle était entrée.

À l'intérieur du sac, Levy trouva plusieurs de ses vêtements, ainsi que son ordinateur portable et son téléphone.

Elle décacheta ensuite la pochette et en examina le contenu. Elle contenait l'intégralité des cours que l'étudiante avait manqué au cours de sa captivité, parfaitement recopiés.

La jeune femme esquissa un sourire en comprenant qui était derrière toutes ces attentions.

Elle s'empara ensuite de son téléphone pour consulter ses messages. Rien à signaler, hormis un texto de Droy datant de la veille que Levy ouvrit directement :

« Salut petite soeur. Les parents nous ont appelé tout à l'heure pour nous dire qu'ils sont chez des fournisseurs qui habitent assez loin de l'exploitation et qu'ils rentreront dans les prochains jours. Prends soin de toi. Droy. »

Levy fronça les sourcils à la lecture du message. Ce que son frère venait de lui dire l'étonnait un peu. Ses parents ne s'étaient jamais déplacés pour leur travail plus d'une demie-journée par le passé… Avaient-ils des problèmes qu'ils préféraient cacher à ses frères et à elle ?

Poussant un soupir, l'étudiante de Fairy Tail tâcha de relativiser. Elle ne devait pas s'inquiéter. Ses parents géraient l'exploitation depuis des années, il était normal que les choses évoluent de temps en temps. L'essentiel était qu'ils aillent bien, quelles que soit les raisons de leur soudaine escapade.

Ragaillardie par cette pensée optimiste, Levy rangea son téléphone dans son sac au moment où l'on toqua à la porte de la suite.

Mme Wilson entra à nouveau dans la pièce, les bras chargés d'un immense plateau en argent sur lequel était installé tout un assortiment d'assiettes, de couverts et de mets odorants qu'elle posa sur une table.

Levy écarquilla les yeux, impressionnée. Ce petit-déjeuner devait valoir à lui seul son budget de nourriture pour une semaine entière.

Le ventre de la jeune femme se mit à gargouiller. Après tout, cela faisait plus de vingt quatre heures qu'elle n'avait rien mangé et son corps semblait plus qu'enclin à le lui rappeler face à ce petit-déjeuner gargantuesque.

« Ne vous faites pas prier mademoiselle, conseilla l'employée de maison. Il est important de s'alimenter pour être en bonne santé.

Levy approuva intérieurement la maxime et toute trace de gêne disparut instantanément de son esprit.

Prenant ses couverts en main, l'étudiante partit à l'assaut du repas qui lui avait été préparé.

Après avoir bien entamé les toasts au saumon et au fromage frais, Levy s'attaqua aux viennoiseries encore chaudes qui embaumaient la pièce et se retint de gémir de plaisir. Les croissants étaient moelleux à souhait et fondaient littéralement en bouche. Les brioches étaient plus aériennes qu'un nuage et le sucre perlé qui les recouvraient créait une harmonie parfaite de saveurs. Après les viennoiseries, la jeune femme parvint à engloutir trois tartines recouvertes de marmelade et un petit pain aux raisins et aux noix. Elle savoura ensuite un jus d'oranges pressé et termina son festin par le meilleur thé au citron qu'elle n'eut jamais goûté.

« Quel appétit, commenta poliment Mme Wilson. Cela fait plaisir à voir.

- C'était vraiment délicieux, affirma Levy en s'essuyant les lèvres. Merci à vous pour ce repas.

La domestique afficha un sourire aussi large que sincère. Elle n'avait visiblement pas l'habitude d'être complimentée aussi directement sur la qualité de sa cuisine.

Alors que Mme Wilson s'empressait de débarrasser la table, une voix grave se fit soudainement entendre dans son dos :

« Je vois que j'arrive pile au bon moment »

Levy releva les yeux et son rythme cardiaque s'accéléra en un quart de seconde.

Gajeel était accoudé à l'entrebâillement de la porte, les bras croisés. Il portait un polo noir avec deux boutons ouverts, un pantalon chino beige et des baskets noires et blanches.

Surprise, la domestique manqua lâcher la théière qu'elle tenait entre ses mains. Elle se redressa ensuite presque au garde-à-vous et épousseta nerveusement son uniforme déjà impeccablement repassé.

- Mon… monsieur Redfox ? bafouilla l'employée. Je… j'étais en train de servir le petit-déjeuner de mademoiselle et je…

- J'ai vu cela, interrompit Gajeel. Et je vous en remercie Mme Wilson. Si la demoiselle a fini, je vais maintenant prendre le relais. Vous pouvez disposer.

La domestique resta pantoise, comme si elle venait d'entendre la suggestion la plus saugrenue qui soit.

- Mais… monsieur, je n'ai pas encore fini de nettoyer la table et il reste les draps à changer, le lit à faire, les meubles à dépoussiérer, la moquette à nettoyer et…

Lassé de cette énumération interminable de tâches ménagères, Gajeel se racla la gorge pour signifier son mécontentement. Immédiatement, l'employée abandonna le plateau en argent sur la table et sortit en trombe de la chambre, comme si elle avait le diable aux trousses.

Levy resta littéralement bouche bée face à cette scène.

- Non mais... c'était quoi ça ? s'exclama l'étudiante. Tu n'as pas honte d'avoir rabroué cette pauvre femme comme ça ?

Avec un air toujours aussi sérieux, le mafieux franchit le seuil de la porte.

- Pas le moins du monde. Elle s'en remettra. Et puis, elle l'a bien cherché. Elle empiétait un peu trop sur mon territoire.

Levy écarquilla les yeux en comprenant la métaphore.

- Attends une seconde… protesta t-elle. C'est moi que tu traites de territ…

La jeune femme n'eut pas le loisir de s'indigner davantage car en quelques secondes, Gajeel avait déjà franchi les quelques mètres qui les séparaient et pris son visage en coupe pour initier un baiser. Les lèvres du couple se scellèrent à nouveau avec aisance, comme si elles venaient de retrouver la place qui leur était due.

Les papillons présents dans le coeur de Levy reprirent immédiatement leur envol et l'étudiante sentit de nouveau de puissants sentiments l'envahir. Une envie irrésistible de ne jamais rompre ce contact, de sentir pendant des heures entières ces lèvres enrober les siennes et de se galvaniser pour toujours de cette odeur qu'elle pourrait reconnaitre entre mille.

Les mains de Levy glissèrent derrière le dos du mafieux. Elle sentit sous ses doigts la fermeté de ses muscles dorsaux certainement due à un entrainement physique intensif.

Elle devait le reconnaitre, le physique Gajeel lui plaisait énormément. Grand, fort, et diablement sexy.

Le baiser dura de longues secondes. Le mafieux colla ensuite son front contre celui de la jeune femme, ses iris rougeoyants la fixant comme s'il la voyait pour la première fois.

« Tu peux pas savoir combien j'en avais besoin… murmura Gajeel.

- J'en avais besoin aussi… répondit Levy.

Le mafieux se décolla ensuite de sa protégée et sa main se posa doucement sur sa joue. Délicatement, ses doigts vinrent se perdre dans la chevelure bleutée à l'exception de son pouce qui effleura doucement la pommette gauche de Levy, faisant de petits arcs de cercle sur l'épiderme frissonnant.

Il rapprocha ensuite légèrement son visage pour examiner la lèvre blessée. Un air satisfait apparut sur son visage.

- Ça a bien dégonflé, commenta t-il. Dans quelques jours, tu n'auras plus rien du tout.

- J'espère… souffla Levy. Je te fais confiance, j'imagine que tu es plus habitué que moi aux blessures de ce genre.

Le mafieux haussa un sourcil et en deux secondes, Levy ne savait plus où se mettre.

- Enfin… bafouilla t-elle. Je… euh… je ne voulais pas dire que… que tu n'es qu'une…

- Que je ne suis qu'une brute épaisse ? compléta Gajeel avec un sourire en coin.

Levy se mordit la joue, penaude. Même si elle était une fille réfléchie, il lui arrivait comme tout le monde d'oublier de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

- Désolée, s'excusa l'étudiante.

- Y a pas de mal. En un sens, tu n'as pas tort. Avec l'univers dans lequel je vis, j'ai eu mon lot de blessures et de cicatrices, il serait inutile de le nier. Je pourrais te les montrer un de ces quatre.

À l'entente de la dernière phrase du mafieux, Levy ne put empêcher son esprit d'imaginer Gajeel dans un tout autre contexte, se livrant totalement à elle pour lui permettre d'explorer à loisir les marques présentes sur son corps.

Heureusement pour elle, le mafieux ne sembla pas remarquer son égarement et passa ses mains dans ses longs cheveux pour les discipliner.

- Bref… soupira t-il, assez parlé de mes faits de guerre. J'étais venu te proposer de venir avec moi. Une promenade dans le parc du manoir, ça te dirait ?

Levy approuva immédiatement l'idée. Même si le manoir Redfox était un endroit où la place ne manquait pas, rien ne valait le plaisir de se retrouver en plein air, surtout après l'enfermement que l'étudiante en lettres avait vécu.

Quittant le confort de la suite, la jeune femme suivit le mafieux à travers le dédale de couloirs de son immense demeure. Toujours animé par la même curiosité, le regard de Levy se déplaçait sans arrêt, admirant les sculptures, gravures et décorations anciennes qui faisaient tout le cachet du lieu.

Durant leur périple, le couple croisa de nombreux domestiques occupés à épousseter les rideaux des fenêtres et à traquer la moindre trace disgracieuse sur les imposantes vitres entourant le bâtiment. À la seule vue de la sueur qui maculait leurs fronts, Levy devina que les employés devaient sûrement être à la tâche depuis l'aube.

« Pourquoi tant d'agitation ? demanda Levy à Gajeel au détour d'un couloir. Il se passe quelque chose de spécial ?

- En quelque sorte… déclara le mafieux. Mon père sera bientôt de retour ici.

Le coeur de Levy rata un battement. Elle ne s'attendait pas du tout à ce que Gajeel lui annonce une chose pareille.

- Ton père ? Dans combien de temps ?

- Peut-être aujourd'hui. Certainement demain. C'est pour ça que les domestiques triment comme des bagnards. Mon père ne tolère pas la moindre imperfection lorsqu'il rentre chez lui.

Levy ne put s'empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis son arrivée au manoir.

- Tu penses qu'il va être contrarié par… ce que tu as dû faire pour moi ?

- Mon père est contrarié par tout ce qu'il ne décide pas et qui ne va pas dans son sens, répondit le mafieux en haussant les épaules. Mais ne t'inquiète pas, il ne s'en prendra pas à toi.

Levy haussa les sourcils, surprise.

- Comment tu peux le savoir ?

- Il ne te fera rien, affirma à nouveau Gajeel d'un ton catégorique. Tu dois me faire confiance. Je sais comment je vais pouvoir le gérer.

- D'accord… tu m'expliques ?

- En temps voulu, je te le promets. Là, j'aimerais seulement profiter de ce moment avec toi.

Même si elle souhaitait que Gajeel lui explique comment il pensait réussir à canaliser la colère quasi-légendaire de son père, Levy se sentit flattée par la requête du mafieux. Gajeel avait raison. Le parrain ne serait pas de retour avant de nombreuses heures. Ils pouvaient bien profiter un peu de leurs retrouvailles avant de se lancer à nouveau dans des intrigues mafieuses.

Quelques minutes plus tard, ils atteignirent enfin l'extérieur du manoir où ils empruntèrent le sentier de graviers que Levy avait aperçu depuis sa chambre. Le gazon tout autour avait été impeccablement tondu et les bosquets bordant le sentier étaient si réguliers qu'ils paraissaient avoir été taillés à la pince à épiler.

Après plusieurs minutes de marche silencieuse, le couple parvint jusqu'à une partie dissimulée du parc où les jardiniers semblaient avoir laissé libre cours à la majestuosité de la nature.

Toutes sortes d'arbres aux différents feuillages se déployaient avec grâce le long de l'herbe fraîche. Leurs feuilles oscillaient doucement sous l'effet du vent créant sur le sol des ombres en formes d'arabesques paraissant comme animées de leur propre volonté.

De tous côtés, des parterres de fleurs avaient également été disposés avec goût, créant un véritable nuancier aux couleurs changeantes au fur et à mesure que l'on avançait sur le parcours.

Levy était véritablement émerveillée par le spectacle qu'elle avait sous les yeux. Jamais elle n'aurait jamais pu imaginer trouver un tableau aussi féerique dans la demeure d'une famille de mafieux.

« Pas mal, hein ? s'exclama Gajeel en désignant les alentours.

- C'est vraiment… magnifique, murmura Levy, ébahie.

- Je ne t'ai pas emmené ici que pour la beauté du paysage tu sais. Je voulais te parler de certaines choses et je voulais être au calme pour le faire.

Levy jeta un regard empreint de curiosité à l'homme qui l'accompagnait.

Après avoir mis de l'ordre dans ses pensées, Gajeel raconta à Levy l'attaque subie par la famille Eucliffe la nuit précédente. Il n'omit aucun détail. L'ampleur de l'explosion, la soudaineté de l'attaque, les victimes que l'on dénombrait et surtout l'anonymat des personnes derrière tout cela.

De son côté, Levy n'en crut pas ses oreilles. Quelques heures après avoir été séquestrée par Sting, sa famille et lui subissaient une attaque cuisante aux répercussions colossales. Même si elle n'était arrivée à Magnolia qu'il y a peu, Levy savait comme tout le monde que le Crocus Garden était une source de revenus considérable pour le mafieux. Priver les Eucliffe de ce business revenait à leur porter un coup d'estoc considérable.

Mais plus que toute autre chose, c'était le timing de l'attaque qui perturbait le plus la jeune femme aux cheveux bleus. Pourquoi un tel évènement s'était-il produit ce soir-là en particulier ? Pourquoi pas plusieurs jours, semaines ou mois plus tard ? Quelle était la logique ?

« Et tu penses que ceux qui ont causé cette explosion sont les mêmes que ceux qui s'en sont pris à Bixrow et à vos affaires ? demanda Levy.

- Je le pense oui. La coïncidence serait bien trop énorme pour que ça en soit une.

- Alors… qu'est-ce que vous allez faire ?

- On va essayer de retrouver celui qui a blessé Bixrow, annonça Gajeel. Quel qu'il soit, ce mec a forcément un lien avec tout ça. Il pourra certainement nous mener aux responsables.

Levy approuva intérieurement la logique déployée par Gajeel. Cependant, elle connaissait aussi la superficie tentaculaire de Magnolia et de ses différents arrondissements. Retrouver une personne seule parmi autant de gens et de lieux différents relevait véritablement du défi, en particulier lorsque la personne en question était du genre à agir dans l'ombre.

- Vous auriez eu certainement plus de chances de le retrouver si vous n'étiez pas intervenus pour me tirer des griffes de Sting, soupira Levy.

Étrangement, la jeune femme ressentait encore un sentiment de culpabilité à l'idée d'avoir été séquestrée par les hommes de Sting et d'avoir eu besoin d'être secourue comme une princesse en détresse. Et elle n'en revenait toujours pas que Gajeel ait déployé autant de moyens pour la retrouver. Le geste l'avait touchée bien sûr, mais Levy n'en éprouvait pas moins la sensation persistante d'être faible et elle détestait cela. Sur ce point, Gajeel et elle paraissaient très semblables.

Ce dernier, percevant le trouble qui animait la jeune femme, stoppa sa marche et se rapprocha d'elle.

- Cesse de te flageller, commanda t-il. Je te l'ai déjà dit, tout ça n'est pas de ta faute. Tu n'as absolument rien à te reprocher.

Du bout des doigts, Gajeel dégagea délicatement une mèche de cheveux bleutée et la replaça derrière l'oreille de Levy. La délicatesse du geste arracha un sourire à la jeune femme.

Le mafieux désigna ensuite un banc en bois situé à quelques mètres.

- Viens, on va s'asseoir un peu. L'endroit est tranquille et la vue est plutôt sympa.

Levy jeta un regard circulaire au décor qui les entourait et elle ne put qu'être d'accord avec Gajeel. Cette partie du parc donnait sur un vaste étang bordé par des roseaux d'un vert intense et par de jolis nénuphars à la rondeur parfaite. Partiellement dissimulés dans cet enchevêtrement de végétaux aquatiques, un couple de cygnes flottait doucement, semblant eux aussi profiter de la quiétude de cette parcelle de verdure.

Lorsqu'elle eut fini d'examiner les alentours, Levy s'aperçut que Gajeel s'était déjà assis et qu'il semblait la détailler de haut en bas, avec toujours la même intensité dans le regard.

- Ce que tu vois te plait ? taquina la jeune femme.

- Tu peux pas imaginer à quel point… répondit le mafieux d'une voix plus grave qu'à l'accoutumée.

À peine était-elle assise que Gajeel passait son bras autour de ses épaules et la rapprochait de lui en un geste à la fois possessif et protecteur. Levy ne fit rien pour se soustraire à l'enlacement du fils du parrain. Elle pouvait sentir la force de ses bras reposant légèrement sur sa nuque, la chaleur de son corps proche du sien, ainsi que son parfum à l'odeur enivrante.

Le couple resta dans cette position pendant de longues minutes, profitant simplement de la présence de l'autre et laissant leurs pensées vagabonder aussi librement que les feuilles mortes sur la surface de l'étang situé en face d'eux.

« Gajeel ?

- Hmm ?

- Hier soir, lorsque tu es venu me voir, tu as dit que les conflits allaient monter en intensité et que cela avait commencé comme ça la dernière fois. Tu parlais de quoi exactement ? D'un précédent conflit entre ta famille et celle de Sting ?

Le regard du mafieux auparavant fixé sur Levy se perdit dans le lointain.

- Il y a une vingtaine d'année, une guerre de clans d'une importance jamais vue jusqu'à alors a éclaté dans Magnolia. Mon père venait tout juste d'obtenir le contrôle du clan après la mort de mon grand-père. Pour être honnête, je connais assez peu de choses sur ce qui s'est passé à cette époque. Tout ce que je sais me vient de ce que ma mère m'a raconté et de quelques anecdotes que j'ai glané auprès de mon oncle Igneel. Pour ma part, je n'étais encore un mioche et je n'ai presque aucun souvenir de cette période.

Levy effectua un rapide calcul dans sa tête. Si cette guerre remontait à une vingtaine d'années, elle devait à peine être née lorsqu'elle débuta.

- Je ne sais pas exactement ce qui a mis le feu aux poudres, reconnut Gajeel. Mais en l'espace de quelques mois, les tensions entre les différents clans de Magnolia se sont intensifiées. Les business les plus lucratifs de chaque clan se faisaient régulièrement attaquer. Des hommes de confiance des pontes de la pègre se faisaient liquider en pleine rue, criblés de balles ou défoncés à coups de barre de fer. Des bâtiments étaient détruits à coups d'explosifs et des familles entières ont été décimées. Il y a eu une vraie escalade de violence qui a fait des dizaines de victimes de part et d'autre.

Sans qu'elle ne le veuille, l'esprit de l'étudiante imposa à sa vue des images de corps sanguinolents étendus sur le bitume et de voitures incendiées enveloppées de vapeur d'essence. Savoir que cette ville, d'apparence si tranquille, avait été le théâtre d'un tel chaos lui semblait surréaliste et véritablement terrifiant.

- Bien sûr, à mesure que le temps s'écoulait, les groupes les plus faibles ont progressivement été vaincus et absorbés par les clans les plus forts.

- Puisque vous êtes toujours là, j'imagine que vous faisiez partie des vainqueurs, devina Levy.

Gajeel acquiesça à la remarque de la jeune femme.

- Pour être exact, il y avait nous, les Eucliffe et plusieurs autres clans venus de régions voisines de l'agglomération de Magnolia. À cette époque, ma famille jouissait déjà d'une assise territoriale importante et notre ancienneté dans cette ville a largement joué en notre faveur. Finalement, au terme de cette guerre qui a duré plusieurs années, chaque clan s'est accaparé une ou plusieurs parties de la ville pour en faire son territoire.

- C'est étonnant que ton père ne t'ait jamais parlé de tout ça, commenta Levy.

- Mon père n'a jamais vraiment été du genre à s'épancher auprès de moi, répondit Gajeel. C'est pas vraiment le genre à s'asseoir sur un rocking chair au coin du feu un soir d'hiver et à raconter des histoires venues d'un lointain passé. En plus de ça, ma mère avait coutume de dire que cette guerre avait changé mon père et en avait fait un autre homme.

Levy hocha doucement la tête. Elle savait mieux que quiconque les dégâts que pouvait occasionner une guerre, elle qui avait réalisé son oral de fin d'études au lycée sur les répercussions civiles des Première et Seconde guerres du commerce.

- D'après elle, mon père avait formé à l'époque un groupe de personnes en qui il avait toute confiance pour l'assister dans sa gestion du clan. Un cercle d'initiés en quelque sorte. Il en avait connu la plupart des membres, y compris ma mère, lorsqu'il était encore adolescent.

- Je vois. Et… que s'est-il passé ? demanda Levy.

- De ce que je sais, presque tous les membres de ce groupe ont été décimés d'une façon ou d'une autre par cette guerre. Une grande partie a été tuée au cours des différentes attaques. D'autres ont choisi de rester envers et contre tout auprès de ma famille, comme mon oncle Igneel qui s'est marié avec ma tante peu de temps après la fin des hostilités. D'autres encore ont choisi de prendre le large et ont disparu sans laisser de trace, probablement effrayés par l'ampleur que prenait le conflit.

Levy ne pouvait qu'imaginer le choc et la désolation de voir presque tous ses proches décimés par un tel conflit.

- Et tu crains qu'avec tout ce qui se passe en ce moment, ce qui s'est passé à l'époque se reproduise aujourd'hui… conclut la jeune femme.

- C'est une possibilité, reconnut le fils du parrain. Mais même si le contexte ressemble étrangement à ce qui s'est passé il y a vingt ans, la manière d'opérer n'est pas la même. Cette fois, on a affaire à un ennemi qui a choisi de frapper dans l'ombre en profitant de la rivalité qui existe depuis toujours entre la famille Eucliffe et la mienne.

À cet instant, Levy sentit le bras du mafieux se resserrer sur ces épaules.

- Pour être honnête, la seule et unique chose dont j'ai peur, c'est que tu fasses les frais du conflit qui se prépare… avoua Gajeel. Je ne voudrais pas… qu'il t'arrive à nouveau quelque chose.

- Il ne m'arrivera rien, répondit Levy avec conviction. De ce que tu m'as dit, Sting semble avoir mordu la poussière hier soir. Je doute qu'il ait encore le temps de s'intéresser encore à mon cas dans les jours à venir.

Gajeel se retint de contredire celle qu'il tenait à présent fermement contre lui. Levy ne connaissait pas Sting comme lui le connaissait. Il savait de quoi l'autre était capable pour faire du mal à ses concurrents.

- Espérons-le. En tout cas, je ferai tout pour que cette ordure ne s'approche plus de toi et qu'il ne t'arrive plus rien.

Joignant le geste à la parole, Gajeel déposa un baiser sur le haut du crâne de la jeune femme et en profita pour respirer allègrement son parfum. Levy quant à elle s'abandonna à l'étreinte du mafieux et se cala confortablement contre sa poitrine.

Petit à petit, une douce quiétude se réinstalla à nouveau entre les deux êtres, bien loin des terribles évènements qu'ils avaient abordé quelques instants plus tôt.

Plus tard, Levy et Gajeel reprirent le chemin du sentier qu'ils avaient emprunté et approchèrent rapidement d'une nouvelle section du jardin, composée de plusieurs bassins d'eau douce où pullulaient de nombreux poissons colorés venus des régions orientales d'Ishgar. Un pont en bois permettait de passer au dessus des bassins et de prendre un peu de hauteur sur le jardin et ses environs.

Sans se concerter, les deux promeneurs empruntèrent l'édifice pour gagner l'autre rive.

Alors qu'ils atteignaient le point culminant du pont, Levy vit Gajeel se rapprocher davantage. Sans prononcer un mot, le mafieux tendit le bras et saisit délicatement sa main. Doucement, ses doigts commencèrent par lui effleurer le poignet avant de finalement glisser contre sa paume et envelopper sa main.

La sensation de leurs mains liées donna un frisson délicieusement agréable à Levy. Elle scruta le visage de Gajeel. Ce dernier avait légèrement écarquillé les yeux, paraissant lui-même surpris d'avoir initié un tel geste.

La jeune femme ne perdit pas de temps et resserra la prise de ses doigts sur ceux de Gajeel. Et sans se lâcher, sans briser ce contact qu'ils attendaient autant l'un que l'autre, ils continuèrent leur promenade.

La balade dura près d'une demi-heure, ponctuée de quelques discussions sur des sujets divers et variés.

Au cours de leur périple, Levy apprit que Gajeel jouait de la guitare à ses heures perdues, qu'il était un grand amateur de basketball et que son plat préféré était le steak tartare avec une bonne dose de piment extra-fort.

De son côté, Gajeel s'étonna de découvrir que Levy avait pratiqué la natation synchronisée durant toutes ses années de lycée, qu'elle était une fan de la première heure du groupe arakitacien Funkist et que son dessert favori était incontestablement la tarte au citron meringuée « avec un tout petit peu de zeste de citron vert sur le dessus ».

Marchant à bonne allure, le duo parvint finalement jusqu'à une intersection du sentier qu'ils parcouraient. Le chemin situé sur leur droite semblait conduire à une partie du parc plus sauvage à la végétation bien plus dense et au cadre bien plus intimiste.

« Qu'est-ce qu'il y a par là ? demanda Levy en désignant le sentier adjacent.

Gajeel observa du coin de l'oeil le chemin désigné. D'ordinaire, il ne lui serait jamais venu à l'esprit d'emmener quelqu'un d'autre qu'un membre de sa famille dans l'endroit qui se trouvait au bout de ce sentier.

Pourtant, il n'hésita pas une seule seconde à faire une exception pour celle qui se tenait en ce moment à ses côtés.

Levy avait cet effet sur lui. Elle le conduisait à se montrer plus ouvert et moins secret qu'il ne l'était en temps normal. Petit à petit, méthodiquement, elle brisait une à une les carapaces que le mafieux s'était forgé au cours de toutes ces années, créant une vulnérabilité à laquelle le mafieux adorait de plus en plus s'abandonner.

- Viens avec moi, invita Gajeel en reprenant la main de Levy. J'aimerais te montrer quelque chose.

Sans plus de cérémonie, le fils de Métallicana entraina l'étudiante de Fairy Tail à sa suite. Tout comme il l'avait entrainé malgré elle dans son univers si particulier, le jour de leur première rencontre…


En un éclair, le flash émergea de l'objectif de l'appareil photo installé sur trépied, illuminant la silhouette qui se trouvait devant son objectif. Rapidement, un deuxième flash suivit le premier… puis un autre… et encore un autre.

Derrière l'appareil, un homme vêtu d'une chemise hawaïenne et d'un pantalon en toile semblait gesticuler dans tous les sens, visiblement insatisfait du résultat obtenu.

« Allez, on en refait quelques-unes ma chérie ! lança le photographe. Tu me regardes, tu souris en pensant à ton chihuahua, ta garde-robe ou ta prochaine manucure et tu fais semblant d'être contente d'être là.

Installée dans une position lascive au centre d'un fond blanc cassé et entourée de projecteurs, Mirajane essayait par tous les moyens de ne pas montrer à quel point elle était exaspérée par le comportement de ce mufle à la tenue grotesque.

Pour ajouter à son malheur, la robe dont on l'avait affublé se révélait particulièrement inconfortable, en dépit du fait qu'elle vienne des ateliers d'un grand couturier de Crocus. Impossible de passer plus de cinq minutes sans être obligée de remonter l'une des deux bretelles qui glissait sur ses épaules tant le tissu utilisé était fin. Si seulement elle avait pu travailler sur cette robe… Elle aurait choisi d'autres matières bien plus adaptées que celles-ci. Comme du lin, de la soie, de la dentelle…

Sans qu'elle ne le veuille, plusieurs modèles de tenues s'imprimèrent dans l'esprit de la barmaid. Le mouvement des robes, la texture du tissu, la coupe du décolleté, elle pouvait presque tout imagi…

« Eh oh ! s'exclama le photographe en claquant plusieurs fois des doigts. On se réveille ? Qu'est-ce que tu me fais là ? Tu poses pour moi ou tu t'es perdue ? Tu sais combien de pauvres filles rêveraient de prendre ta place ? Alors maintenant on redescend sur terre et on se concentre, chérie.

Mirajane obtempéra aussitôt en serrant les dents, dissimulant ses poings serrés jusqu'au sang dans les plis de cette fichue robe. En plus de la coupe des tenues, c'était à présent une liste de méthodes d'exécution qui défilait dans son esprit…

La séance de torture s'acheva vingt minutes plus tard. La jeune femme rejoignit rapidement le staff installé derrière les appareils photos et les projecteurs. Tant de personnes s'activaient en coulisses pour ce genre de shooting… Des stylistes portant une montagne de vêtements placés sur cintres, des techniciens pour gérer le décor et les lumières, des maquilleuses à l'affût de la moindre imperfection sur le visage des égéries…

Parmi tout ce petit monde, une silhouette se détacha des autres. Une jeune fille avec des cheveux blancs coupés court, des yeux bleus profonds et un nez en pointe lui donnant un air à la fois espiègle et jovial. Elle tenait dans les bras un dossier duquel dépassaient des dizaines de clichés développés en chambre noire.

« Tu as été parfaite Mira, assura Lisanna à sa soeur aînée. Les photos sont vraiment très réussies.

- Ce n'est pas vraiment ce qu'avait l'air de penser le tyran qui te sert de patron, souligna la concernée.

Prenant sa soeur par la main, Lisanna l'entraîna dans un coin du studio, hors de portée des oreilles indiscrètes.

- Je suis désolée, je sais qu'Alberto peut-être un peu exaspérant avec les mannequins et qu'il veut en permanence atteindre la perfection. Il a cette réputation dans le milieu et j'ai pu constater qu'elle était malheureusement fondée. Mais c'est un des photographes les plus influents du pays et il a accepté de m'embaucher dans son studio…

- Petite soeur, je ne te faisais aucun reproche, la rassura Mirajane. Je sais que ton poste ici est important pour ta carrière et c'est pour cette raison que j'ai accepté de passer devant l'objectif de l'affreux Alberto. Mais ce type aurait besoin qu'on le remette à sa place de temps en temps.

- Je ne te contredirai pas sur ce point.

La serveuse du Dragon d'acier offrit un sourire sincère à sa soeur qui le lui rendit. Cela faisait quelques jours que les soeurs Strauss s'étaient à nouveau retrouvées.

Dès son arrivée à Crocus, Mirajane avait raconté à Lisanna ce qui s'était passé à Magnolia les jours précédents : les nombreuses attaques essuyées par le clan Redfox, l'assaut mené par les vandales au Dragon d'acier et la rénovation du night-club qui devait suivre. Elle avait en revanche omis de mentionner l'agression dont elle avait été directement victime. La jeune femme savait déjà que sa cadette désapprouvait depuis toujours son lien avec la pègre magnolienne et rapporter un tel incident n'aurait fait que renforcer son aversion.

Lorsqu'elle plus jeune, Lisanna avait appris, tout comme Elfman, les sombres manoeuvres auxquelles se livrait leur soeur aînée pour financer son traitement. Elle avait alors fait de nombreux efforts pour se remettre rapidement de sa maladie et permettre à Mirajane de cesser ses activités criminelles.

Au terme de plusieurs années de traitement, la cadette des Strauss était finalement parvenue à guérir mais le mal était déjà fait : sa soeur avait tissé un lien si ténu avec le milieu obscur de la mafia qu'elle n'était pas sûre qu'il puisse se défaire un jour.

Alors qu'elle allait inviter sa soeur à lui confier sa tenue pour la débarrasser, la voix d'Alberto retentit dans le studio tout entier :

« Lisanna ! Où es-tu donc mon poussin ? Ne m'oblige pas à te chercher partout, que diable ! »

La photographe en herbe poussa un long soupir et adressa un regard convenu à sa soeur. Elles se retrouveraient dès que tous les détails du shooting auraient été réglés et le bourreau expédié.

Tandis que Lisanna s'éloignait déjà pour retrouver son infâme patron, Mirajane, quant à elle, se dirigea vers la partie du studio où s'étaient regroupés tous les autres mannequins, bien loin du personnel. Aujourd'hui encore, c'était une chose qui la surprenait beaucoup lorsqu'elle se rendait sur un shooting.

Dans le milieu de la mode, les gens ne se mélangeaient pas en dehors du travail. Les mannequins restaient avec les mannequins et le staff avec le staff. Chacun son rôle, chacun son statut. Tant de condescendance et si peu d'ouverture d'esprit confortait grandement Mirajane dans son choix de travailler un jour de l'autre côté de la barrière en tant que styliste.

L'aînée des Strauss se rapprocha du buffet installé afin de rassasier et désaltérer les reines de beauté. Parmi la foule d'aliments dépourvus de tout calorie superflu, son choix se porta sur une part de cake aromatisé au thé matcha et sur un smoothie pomme-céleri-kiwi.

Portant la boisson vitaminée à ses lèvres, Mirajane aperçut du coin de l'oeil deux autres mannequins se rapprocher du buffet. Elles étaient très jolies, il fallait bien le reconnaitre. Mais leur évidente beauté était obscurcie par la condescendance toute aussi évidente avec laquelle elles se mouvaient et s'exprimaient. Ces filles paraissaient enclines à critiquer tout ce qui passait dans leur champ de vision. À croire qu'elles n'avaient que ça à faire de leur journée.

Malgré tout, la serveuse ne put s'empêcher de tendre l'oreille lorsque la conversation des deux filles dériva sur un certain sujet.

« Attends… tu as été obligée d'annuler ton week-end en thalasso ? s'étonna la première.

- Mais oui ! s'exclama la seconde. Figure toi que le Crocus Garden a fermé boutique après qu'un abruti ait laissé le gaz ouvert et que toute la bâtisse ait littéralement explosé.

- C'est dingue… Un établissement de ce standing, c'est un véritable gâchis…

- M'en parle pas… Tu te rends compte, ça faisait des mois que je planifiais ce week end ! Gommage, massage, bain bouillonnant… Tout ça me passe sous le nez ! Ces incapables ont vraiment intérêt à me rembourser les économies que j'ai dépensé…

La conversation des deux filles se poursuivit mais Mirajane n'écoutait déjà plus.

Son sang s'était figé lorsqu'elle avait entendu le nom du Crocus Garden. Elle connaissait cet établissement à Magnolia et elle savait à qui il appartenait.

Sortant son téléphone, la jeune femme se mit à consulter les publications en ligne des journaux magnoliens. Tous parlaient de la fameuse explosion dans leur dernier numéro.

Comme les deux pimbêches l'avaient précisé, la déflagration était attribuée par les journalistes à une soit-disant fuite de gaz qui aurait détruit la majorité du bâtiment. Mais Mirajane n'était pas dupe. Pas après ce que lui avait dit Laxus avant qu'elle ne quitte Magnolia.

Inquiète, le regard de la jeune femme restait figé sur la photo du bâtiment dévasté. Si une telle chose s'était produite, si un tel acte avait été planifié, cela signifiait qu'une nouvelle guerre avait sûrement commencé.

- Laxus… murmura Mirajane, la voix surchargée par l'émotion. Tu as intérêt à honorer la promesse que tu m'as faite. Fais attention à toi…


Le sentier que Levy et Gajeel avaient emprunté au fil de leur promenade les conduisit devant une ravissante petite maison à l'allure ancienne dont le toit paraissait fabriqué en chaume, comme cela se faisait autrefois dans la région. De couleur blanche, la façade de la maison était partiellement recouverte de rosiers grimpants. Tout autour du bâtiment s'étendait une haie faite de lauriers parfaitement taillée dont la seule ouverture était un petit portillon en acier trempé.

Levy leva les yeux. Le bâtiment disposait d'un étage dont l'unique fenêtre était entourée de jardinières débordant de fleurs rougeoyantes.

Cette maison lui faisait penser aux cottages que l'on pouvait trouver dans son village natal de Clover, en bien plus élégant et bien mieux entretenu.

« C'est incroyable… murmura Levy, sous le charme. Cette maison a un cachet fou.

Reprenant sa marche, Gajeel passa le portillon et se dirigea vers l'entrée. Il en ouvrit la porte et invita Levy à pénétrer à l'intérieur.

Dès qu'elle eut franchi le seuil, l'étudiante en lettres sentit une agréable odeur de bois ciré lui emplir les narines.

L'entrée donnait directement sur un large escalier en bois qui semblait mener à l'étage. Sur la droite, une porte était entrouverte et Levy vit qu'elle débouchait sur une grande cuisine aménagée à l'ancienne. Même si elle ne s'attarda pas dessus, la jeune femme aperçut malgré tout un grand four à bois et plusieurs ustensiles de cuisine en bronze scintillant.

Gajeel guida ensuite Levy sur la gauche en posant sa main sur sa hanche. Passant sous une grande arche, ils débouchèrent tous deux sur un immense salon dont presque tout l'ornement était fait de bois. Une immense cheminée trônait au centre de la pièce entourée de plusieurs fauteuils moelleux. Dans un coin du salon, une grande bibliothèque avait été aménagée ainsi qu'un petit bureau qui paraissait avoir beaucoup vécu.

Toujours animée d'une curiosité maladive lorsqu'il s'agissait de livres, Levy se dirigea sans une hésitation vers la bibliothèque. Ses rayonnages débordaient littéralement de livres, dossiers et documents en tous genres.

Levy pencha la tête pour lire les titres des multiples ouvrages desquels dépassaient encore des marque-pages. Il y avait principalement des livres sur l'art, mais aussi sur la botanique, l'histoire de Fiore et ce qui paraissait ressembler à des albums photos. Sur d'autres rayonnages, Levy lut en diagonale les noms figurant sur d'épais dossiers réunis en chemises de couleur mais évidemment aucun ne lui évoqua quoi que ce soit.

En retrait, Gajeel l'observait avec attention. Il ne savait pas ce qui l'avait pris d'emmener Levy ici. Lui-même n'y était pas retourné depuis très longtemps. Même s'il avait passé de bons moments ici, la mort qui y était survenue paraissait occulter tout le reste.

« Quelqu'un a habité dans cette maison ? demanda Levy.

Le fils de Métallicana hocha la tête.

- Cet endroit appartenait à ma mère. Après son mariage avec mon père, elle a insisté pour que cette bicoque soit construite. Elle avait du mal à supporter le gigantisme du manoir. C'était… son refuge en quelque sorte. Elle y venait pour lire, peindre et faire sa propre cuisine loin des domestiques…

- Je la comprends. Cette maison est très… inspirante. Elle devait avoir plaisir à y venir.

Levy voulut rejoindre le mafieux pour continuer la visite mais un meuble du salon attira immédiatement son attention lorsqu'elle passa devant. Une large armoire vitrée dans laquelle trônait toute une collection de dés à coudre venant des différentes villes du pays, mais aussi de nombreux cadres photos magnifiquement ouvragés.

La jeune femme se rapprocha d'un cadre en particulier. Sur la photo qu'il contenait, une femme tenait dans ses bras un petit garçon aux cheveux courts coiffés en épis, un air bougon sur le visage. Tous les deux semblaient se trouver dans un parc, près d'un bosquet de fleurs violettes. La photo en elle-même était parfaitement réalisée mais c'est la couleur des yeux du jeune garçon qui étonna le plus Levy.

Deux iris aussi rougeoyants que les braises d'un feu que l'on vient d'allumer.

- Attends… ce petit garçon… c'est toi ? demanda Levy, souriante. Avec ta mère ?

Le mafieux se rapprocha du meuble et jeta à son tour un oeil sur la photo. La vue du cliché le fit aussitôt grimacer.

- Hélas oui… souffla Gajeel. J'avais complètement oublié que j'avais cette vieille dégaine.

- Je te trouve mignon tout plein moi, affirma Levy, un brin goguenarde. Un peu renfrogné mais mignon.

- Retire tout de suite l'adjectif que tu viens d'utiliser, menaça Gajeel, faussement furieux. Je suis pas une de ces foutues peluches qu'on donne aux mioches et sur laquelle ils bavent à n'en plus pouvoir.

- N'empêche, je crois que je ne pourrai jamais oublier cette adorable bouille.

- Grrrr…

Levy ne put s'empêcher de rire en voyant l'air boudeur de Gajeel. Et elle ne put que remarquer que l'enfant présent sur la photo avait bien changé.

Il était devenu grand, fort, ses cheveux avaient beaucoup poussé et de nombreux piercings maculaient à présent harmonieusement son visage.

Finalement, la seule chose qui n'avait pas évolué avec le temps était son regard. Toujours la même flamboyance et le même éclat rougeoyant.

Reprenant son sérieux, Levy prit dans ses mains le cadre photo et regarda plus attentivement l'image de la mère de Gajeel.

Plutôt grande et mince, elle avait de longs cheveux châtains foncés qui descendaient en cascade jusqu'à ses hanches. Mis en valeur par un maquillage discret, ses yeux étaient dessinés en amande et ses iris teintés d'un magnifique vert émeraude dans lequel il était certainement facile de se perdre en contemplation.

- Ta mère était vraiment très belle… affirma Levy. Et elle avait l'air d'être une femme très cultivée. J'aurais bien aimé la connaitre.

Cette fois-ci, la réaction de Gajeel fut bien différente de la précédente. Son indignation à la vue de son visage d'enfant semblait avoir laissé place à un intense élan de nostalgie. Les yeux du mafieux ne restèrent braqués que quelques instants sur l'image de sa mère, avant de s'en détourner à nouveau.

- Elle t'aurait apprécié… avoua Gajeel. Elle aimait beaucoup discuter de ses lectures avec d'autres personnes. Vous vous seriez bien entendues.

Sans rien ajouter et avec un certain empressement, le mafieux reprit le cadre photo des mains de Levy avant de le replacer sur l'étagère où il reposait.

- Je vais te laisser quelques minutes, annonça t-il. Je dois checker un truc à l'étage. Fais comme chez toi, je serai pas long.

Joignant le geste à la parole, le fils de Métallicana se dirigea d'un pas rapide vers l'extérieur du salon.

- Gajeel, attends ! s'exclama Levy, surprise. Tu veux que je vienne avec t… ?

Trop tard. Le mafieux avait déjà quitté la pièce et s'était engagé dans les escaliers conduisant à l'étage.

Levy se mordit la lèvre inférieure. Peut-être avait-elle commis un impair en parlant si directement de la mère de Gajeel. Le sujet semblait sensible pour le mafieux, presque autant que lorsqu'elle avait évoqué son père dans le garage du manoir.

Hésitant d'abord sur ce qu'elle devait faire, Levy décida qu'il valait peut-être mieux laisser Gajeel seul pour le moment. Elle continua donc sa visite improvisée dans la maison.

L'aile gauche de la demeure ne semblait pas s'arrêter au salon puisque une porte se trouvait dans un coin du salon juste à côté de la bibliothèque. Prise d'une soudaine curiosité, Levy poussa le battant qui s'ouvrit avec un grincement caractéristique du bois ancien, dévoilant une pièce totalement plongée dans la pénombre.

Aussitôt, le nez de l'étudiante fut assailli par une odeur âcre très prononcée qui la fit grimacer. La fragrance lui était familière mais elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Se rapprochant des fenêtres de la pièce, elle tira les rideaux d'un coup sec et aussitôt la lumière du jour illumina tout le mobilier.

Levy comprit alors instantanément quelle était l'odeur qu'elle avait sentie.

De la peinture.

La jeune femme se trouvait à cet instant dans un véritable atelier d'artiste-peintre.

Un grand chevalet en bois avait été placé dans un coin de la pièce, une toile vierge installée dessus. A sa droite, deux palettes maculées de peintures de différentes couleurs étaient posées sur un tabouret lui-même tâché de toutes parts, ainsi que plusieurs pinceaux ébouriffés. Des chiffons souillés semblaient avoir été jetés négligemment sur le guéridon attenant, à côté de bouteilles de peintures et de tout un tas d'autres ustensiles.

Plus en retrait, de nombreuses toiles peintes étaient alignées les unes derrière les autres, face retournée. Il y en avait une quantité impressionnante. Levy en dénombra à vue de nez au moins une trentaine.

Se rapprochant, l'étudiante dégagea délicatement quelques toiles et les prit pour les examiner. La peinture semblait avoir séché depuis longtemps. Appliquant délicatement son doigt dessus, elle put constater que la surface des toiles se faisait rugueuse par moments, laissant deviner les couches successives qui avaient été appliquées par l'artiste.

Levy put ainsi découvrir plusieurs réalisations de la mère de celui qu'elle appréciait tant.

Un phare éteint au bord d'une falaise par une soirée crépusculaire.

Une nature morte représentant une coupe de fruits rouges sur une table en ébène.

Un hibou représenté de dos sur les branches meurtries d'un érable au moment de l'automne.

Les scènes représentées étaient très variées et les peintures magnifiquement exécutées. Levy n'était pas une experte en la matière, mais il ne faisait aucun doute que la mère de Gajeel avait beaucoup de talent.

Derrière toutes les toiles qu'elle avait examiné, Levy remarqua ce qui semblait être une série d'autres tableaux qui retint son attention. Étrangement, sur ces derniers, les couleurs paraissaient bien plus sombres que sur les oeuvres précédentes.

Après les avoir également dégagées, Levy examina également ces oeuvres.

De grosses rayures noires tranchant sur un fond gris pour former un paysage abstrait.

Un ciel d'encre transpercé par un croissant de lune à la blancheur fantomatique.

Un tronc d'arbre mort duquel on pouvait voir émerger des racines obscures s'enfoncer profondément dans la terre.

Une obscurité sous-jacente émanait de ces toiles et Levy la ressentit jusque dans ses tripes. L'intensité des émotions transmises par l'artiste était sans pareille.

Surtout sur un tableau en particulier qui conduisit Levy au bord du malaise.

Le tableau représentait une silhouette de femme aux cheveux balayés par le vent, tendant une main en décomposition à un couple s'éloignant dans le lointain sans qu'elle ne puisse les rattraper.

Tout dans cette oeuvre sublimait la solitude ressentie par cette femme paraissant laissée en arrière par les deux autres personnages.

Mal à l'aise, Levy reposa la toile. La mère de Gajeel semblait être une personne particulièrement complexe, capable d'alterner à tour de rôle joie intense et détresse profonde.

Quittant les objets d'art, Levy se dirigea vers l'entrée de l'atelier de laquelle émergea Gajeel au même moment. Quelques secondes plus tard, le couple se serait probablement percuté.

Au lieu de cela, ils se rapprochèrent l'un de l'autre, comme deux aimants qui se seraient retrouvés sans avoir à se chercher.

Après un moment de flottement, les larges mains de Gajeel glissèrent le long des avant-bras de Levy, ses mains se joignirent aux siennes et les prunelles rougeoyantes du mafieux vinrent à nouveau rencontrer les orbes caramel de la jeune femme.

« Désolé de m'être éclipsé comme ça, souffla Gajeel. C'est juste que… me plonger dans tous ces souvenirs, c'est pas vraiment ma tassé de thé.

Levy posa ses mains par dessus celles de Gajeel et les serra, comme pour lui signifier qu'elle le comprenait et qu'elle lui apportait son soutien.

- Ta mère n'était pas si heureuse que ça, n'est-ce pas ? murmura Levy. Elle se sentait seule parfois. Seule au monde, malgré toutes les personnes qui l'entouraient.

Les mains glissèrent le long des bras fermes de Gajeel et ses mains serrèrent doucement les siennes.

- Je pense que ta mère venait ici pour oublier la solitude et l'angoisse qui l'étreignaient dans sa vie. Je pense que c'était un esprit libre, qui avait besoin de dépasser les limites qu'on lui imposait. La peinture n'était pas juste une loisir pour elle. C'était aussi un exutoire pour retrouver une liberté que son statut ne lui permettait d'assouvir. Est-ce que je me trompe ?

Le mafieux ne répondit pas immédiatement à la question. En réalité, il paraissait complètement figé, ne bougeant pas, ne parlant pas et ne semblant même pas respirer.

Alors que Levy se demandait si elle avait commis une nouvelle bourde, la main de Gajeel se dégagea de la sienne et vint lentement caresser sa joue.

- Bordel… il faut vraiment que tu m'expliques… souffla Gajeel. Comment tu arrives à faire ça ?

- Comment ça ? demanda Levy, surprise de la soudaine tendresse du mafieux. Je… je ne comprends pas…

- Comment tu fais pour lire aussi bien à travers les gens, pour savoir aussi bien ce qu'ils ressentent ? Cette… faculté que tu as… j'ai jamais vu un truc pareil.

Le rouge aux joues, Levy chercha une réponse à cette question mais n'eut pas à se creuser la tête bien longtemps. La main de Gajeel glissa lentement derrière sa nuque et rapprocha son visage du sien jusqu'à ce que leurs lèvres s'unissent à nouveau.

Après ce baiser, le front de Gajeel resta collé à celui de Levy, à tel point qu'elle pouvait sentir son souffle se déplacer au creux de ses lèvres.

- Levy… murmura Gajeel. Tu te souviens de ce que je t'ai dit quand on était au Dragon d'acier, au sujet de la parole donnée par un mafieux ?

- Avant que l'on se lance tous les deux dans cette fameuse partie de poker ? Oui je me souviens. Donner sa parole est un acte sacré dans votre milieu.

- Exact.

Gajeel se sépara de Levy, recula de deux pas et s'inclina légèrement.

Sa voix grave s'éleva ensuite dans la pièce :

- Moi, Gajeel Redfox, héritier du clan Redfox de Magnolia, je jure de t'aimer et de te protéger, Levy McGarden. Aussi longtemps que tu voudras bien de moi et avec toute la volonté et la force dont un homme mortel de ce monde est capable…

Face à ces paroles, l'émotion étreignit Levy à tel point que ses jambes lui paraissaient peser une tonne. Son coeur tambourinait dans sa poitrine à un rythme effréné.

Aucun autre garçon, aucun autre homme ne lui avait un jour parlé avec autant de solennité que venait de le faire Gajeel.

Sans qu'aucun mot soit nécessaire, les corps des deux êtres se rejoignirent, tout comme leurs lèvres quelques instants après. Les langues se caressèrent, les mains se baladèrent, explorant et touchant sans aucune limite et sans aucune frontière.

Chacun voulait à nouveau ressentir les sensations que l'autre lui faisait éprouver. Chacun voulait sentir le corps de l'autre vibrer entre ses doigts.

Une passion viscérale, inarrêtable, addictive comme une drogue.

- Je sais que c'est toi, murmura Gajeel entre deux baisers. Je le sens… au plus profond de mes tripes. Je sais que c'est avec toi que j'ai envie d'être…

- Je sais que c'est toi aussi… répondit Levy, enfiévrée par l'intensité de leur échange.

À cet instant, les toiles présentes dans l'atelier de la mère de Gajeel, pourtant habituées à recueillir les émotions des personnes se tenant devant eux et à déclencher auprès de leurs spectateurs, furent les témoins d'un sentiment qu'elles n'avaient jamais aperçu auparavant.

Une affection si profonde entre ces deux êtres qu'aucune peinture, aucune toile, aucune oeuvre au monde n'auraient été capables de la représenter dans son intégralité.

Aucune…

Jamais…


Après toutes les épreuves que la vie lui avait infligé, après tous les coups durs qu'il avait encaissé au cours de son existence, Jellal Fernandes n'était pas vraiment le genre d'homme à croire à l'existence des miracles. Il ne croyait pas non plus à l'existence d'une entité divine omniprésente, contrairement aux nombreux Fioréens qui se rendaient chaque année en pèlerinage à la cathédrale Kaldia.

Pourtant à cet instant, à l'exception de la blessure que lui avait infligé Minerva, il était en un seul morceau. Il était vivant.

Et tout ça grâce à ces mystérieux hommes encagoulés qu'il pouvait à présent décrire comme des anges libérateurs.

Sortir de cette foutue scierie n'était pourtant pas gagné au départ…

Flash back

Les coups de feu continuaient de redoubler d'intensité à l'extérieur du bâtiment. Malgré son corps meurtri et ses sens affaiblis, Jellal pouvait les entendre. Les sons étaient vifs, forts et sans interruption. Ces détonations n'étaient ni plus ni moins qu'un compte à rebours sordide du temps qu'il leur restait à vivre.

Il savait qu'ils étaient foutus. Même s'il avait assuré à Levy que Yukino et lui trouveraient une solution pour s'échapper, il savait pertinemment qu'il n'y en avait aucune. Quel que soit le vainqueur de l'affrontement entre les Eucliffe et les Redfox, l'un des deux camps finirait par remporter cette bataille et par fouiller le bâtiment de fond en comble.

À ce moment-là, ils les trouveraient, et ni lui, ni sa compagne d'infortune ne pourraient en réchapper. Pas après ce qu'ils avaient fait. Pas avec ce qu'ils étaient. Des traîtres, tous les deux à leur façon.

« Tu ferais mieux de me laisser, suggéra Jellal faiblement. Je suis sérieux. Tire-toi de là. Je ne t'en voudrais pas d'essayer de sauver ta peau.

Étonnée de la requête de l'ancien mafieux, Yukino se tourna vers Jellal, réfléchit un instant et secoua finalement la tête.

- Ne sois pas idiote, insista le garçon. Je ne suis personne pour toi. On ne se connait que depuis quelques heures. Tu ne me dois rien et certainement pas la vie.

- Je ne t'abandonnerai pas, trancha Yukino, inflexible. Je n'ai pas tourné le dos à une vie de honte pour y revenir quelques instants plus tard. Et si je dois laisser ma peau aujourd'hui, ce sera en ayant au moins accompli une bonne action.

Jellal étouffa un rire qui fit immédiatement affluer la douleur dans sa cage thoracique et sa bouche se crispa en une grimace grossière.

Les filles qu'il croisait avaient décidément toutes une case en moins.

- Ravi de te permettre d'avoir la conscience tranquille. Allons-y pour jouer aux braves alors. Au moins une dernière fois.

Yukino tâcha d'adresser au blessé ce qui s'apparentait le plus à un sourire. Elle n'avait pourtant pas l'habitude de ressentir la moindre trace de bonheur. Ce luxe leur avait été arraché à sa soeur et elle, morceau après morceau durant leur asservissement. Elle doutait même d'être capable de ressentir une telle émotion un jour.

- J'espère qu'elle a réussi à se tirer d'ici, reprit Jellal.

Le garçon à la marque rouge n'avait pas précisé de qui il parlait mais c'était inutile. Yukino le savait et acquiesça à sa remarque.

- Tu regrettes de l'avoir capturée pour le compte des Eucliffe ? demanda la jeune femme.

L'ancien mafieux prit quelques secondes pour réfléchir avant de répondre.

- Si je te disais oui, je crois que je te mentirais. Je ne suis pas une bonne personne. J'ai éprouvé de l'intérêt pour cette fille uniquement lorsque le piège que j'avais tendu s'est refermé sur moi.

- Dans ce cas, je ne suis pas une bonne personne non plus. Je n'ai trouvé le courage de vous aider que lorsque cette fille a blessé celui que je considérais auparavant comme un demi-dieu.

- Nous sommes tous les deux des enflures de premier choix alors, conclut Jellal.

Plusieurs minutes s'écoulèrent durant lesquelles le duo resta silencieux. Attendre la mort en silence donnait à la chose un côté apaisant, presque irréel. Le temps paraissait s'être arrêté, fournissant un agréable sursis aux anciens membres des clans rivaux.

Mais cette accalmie fut brusquement rompue lorsque, d'un seul coup, l'une des portes du couloir s'ouvrit en grand juste devant le duo d'infortune. Plusieurs hommes encagoulés en sortirent à la vitesse de l'éclair. Entièrement vêtus de noir, ils étaient équipés de matériel d'assaut dernier cri et chacun portait un fusil en bandoulière.

Surprise, Yukino leva son bras pour les viser avec son arme mais ne fut pas assez rapide. Trois des assaillants avaient déjà fondu sur Jellal et elle et les visaient à présent avec leurs armes.

L'ancien mafieux leva tant bien que mal les yeux vers ceux qui les tenaient en joue.

« Ça y est, se dit-il. C'est la fin. Nom de Dieu, jamais je n'aurais pensé que ça se finirait comme ça. Je n'aurais pas réussi à changer les choses. J'ai échoué lamentablement, tout au long de ma vie. J'ai fait souffrir des gens, y compris ceux que j'aimais ».

À côté de lui, Yukino baissa son arme. Elle aussi devait avoir compris qu'il était inutile de lutter.

« Aujourd'hui j'emporte mes regrets en Enfer… pensa Jellal. Et le plus grand est de ne pas avoir pu te revoir une dernière fois… Erza ».

Il aurait aimé pouvoir dire qu'il s'était montré courageux jusqu'au bout, qu'il avait fait face sans broncher à ceux qui étaient venus le tuer.

Mais à ce moment-là, Jellal n'eut qu'un réflexe. Le jeune homme ferma les yeux, attendant le moment où son corps tout entier serait criblé de balles, où les projectiles transperceraient sa peau déjà entaillée et tuméfiée.

De nombreuses secondes s'écoulèrent. L'une après l'autre.

Mais rien ne vint.

Aucun tir, aucun impact, aucune douleur. Peut-être que Yukino et lui étaient déjà morts et qu'ils ne le savaitent pas…

Prudemment, les yeux de Jellal se rouvrirent et il constata que les hommes encagoulés les tenaient toujours en joue mais ne semblaient pas disposer à tirer. Ils semblaient jauger de leur état et tenter d'en tirer une conclusion.

« Qu'est-ce qu'ils attendent ? se demanda t-il.

La réponse ne tarda pas à venir lorsque l'un d'entre eux, sûrement le chef, s'avança, la voix étouffée par le tissu plaqué sur son visage :

« Baissez vos armes. Ils ne sont pas la cible mais on les emmène. Équipe 1, vous les fouillez rapidement et vous les évacuez par les souterrains. Équipes 2 et 3, on continue notre recherche. La cible doit encore se trouver dans ce bâtiment. Restez discrets, personne ne doit savoir qu'on est là avant qu'on ne l'ait localisée.

Le reste de la scène était très flou dans l'esprit de Jellal. Il se souvint que ces hommes l'avaient soutenu le long de plusieurs couloirs. Il se souvint aussi d'une prégnante sensation d'humidité, la vision de souterrains sombres et poisseux. Jusqu'à ce que ses jambes ne le soutiennent plus et qu'il perde connaissance…

Fin du flash-back

Lorsqu'il s'était réveillé, Jellal était allongé sur un lit installé dans une chambre plutôt spacieuse. Encadrée par des rideaux opaques, l'unique fenêtre de la pièce délivrait pourtant une abondante lumière. Les murs de la chambre étaient peints en beige et les meubles qui la composaient étaient entièrement faits de bois sombre, probablement de l'acajou ou de l'ébène. Un tapis en peau de vache recouvrait le parquet stratifié qui s'étendait sur tout l'espace.

Le garçon à la marque se redressa doucement et constata immédiatement qu'on lui avait ôté ses vêtements souillés de sang pour lui en mettre de nouveaux, plus confortables. Il sentit également une nette différence au niveau de ses sensations. Il ne ressentait plus de douleur liée à ses blessures.

Soulevant son t-shirt, il vit que sa plaie à l'abdomen avait été impeccablement recousue. Le tissu de son pull dégageait une agréable odeur de pommade mentholée qui parvint jusqu'à ses narines. Passant un doigt sur la peau tendue de son abdomen, il constata qu'on avait badigeonné sa peau recouverte de bleus et de contusions avec un baume.

Un flot de questions déferla dans l'esprit de l'ancien mafieux.

Où se trouvait-il ? Qui l'avait soigné ? À qui appartenaient ces hommes ? Aux Redfox ou aux Eucliffe ? Est-ce que le pire était à venir ?

Prenant appui contre la tête de lit, Jellal se leva et marcha d'un pas décidé jusqu'à la fenêtre. Alors qu'il s'apprêtait à regarder à travers, des ombres apparurent à l'extérieur et lui masquèrent immédiatement la vue.

L'ancien mafieux recula d'un bond, portant la main à sa poitrine.

« Nom de Dieu ! s'exclama t-il. C'est quoi ce bordel ?

Comme pour apporter une réponse à sa question, la porte de la pièce s'ouvrit et un homme entra. Jellal haussa les sourcils. De taille imposante, le type était vêtu exactement comme les hommes qui étaient venus à sa rescousse, à l'exception de sa cagoule qui avait été retirée. Il avait des cheveux bruns en bataille et des yeux marrons inexpressifs. Des rides et une cicatrice plutôt disgracieuse au niveau de la joue droite maculaient son visage.

« Suivez-moi, commanda t-il avant de sortir à nouveau de la pièce.

Malgré la crainte qu'il éprouvait à cet instant, Jellal prit le parti d'obéir à ce type.

La pièce adjacente était un grand salon dont les murs étaient recouverts d'une tapisserie couleur sang-de-boeuf. Des boiseries ponctuaient chaque pan de mur, tout comme plusieurs appliques murales paraissant d'une autre époque et délivrant une douce lumière jaunâtre.

Au centre de la pièce, une table ronde en bois sombre recouverte d'une nappe d'un blanc immaculé avait été installée et un service à thé d'inspiration orientale y avait été dressé.

Une femme était assise à cette table et observa attentivement son invité. Son allure décontenança Jellal. De longs cheveux sombres encadraient un visage harmonieux surmonté de deux yeux noisette irisés. La femme était vêtue à la fois avec simplicité et élégance.

Jellal n'eut pas besoin de la détailler pour comprendre. Elle était celle qui donnait les ordres. Quiconque avait appartenu un jour à la mafia avait la capacité de ressentir de ce genre de choses.

« Bonjour Monsieur Fernandes, commença t-elle. C'est un réel plaisir de faire votre connaissance. J'espère que vous vous sentez mieux qu'à votre arrivée. Mon équipe médicale a fait son maximum pour vous remettre d'aplomb au plus vite. Vous avez dormi presque une journée entière.

La femme s'était exprimée sans sourciller et avec autant de tranquillité que si elle parlait de la pluie et du beau temps. Une telle familiarité était déconcertante, surtout venant d'une personne qui semblait le retenir contre son gré.

Elle poursuivit sans attendre.

- Si vous vous posez la question, l'amie qui vous accompagnait se trouve dans une de nos chambres. Elle aussi va bien. Je me suis déjà entretenue avec elle.

Les poings de Jellal se serrèrent en un quart de seconde.

- Bordel de merde, mais c'est quoi ce cirque ? Où est-ce que je suis ? s'exclama le garçon à la marque rouge. Vous êtes qui ? Et qu'est-ce que vous me voulez ?

Sans montrer le moindre signe de surprise et sans le quitter des yeux, la femme replaça sa tasse sur la soucoupe en porcelaine posée sur la table. Elle croisa ensuite les jambes et son regard parut s'acérer en un quart de seconde. Jellal n'avait jamais vu une expression pareille. Ses yeux noisette irradiaient d'assurance et d'intelligence.

Un sentiment de familiarité frappa l'ancien mafieux sans qu'il ne comprenne pourquoi.

- Cela fait beaucoup de questions. J'y répondrai avec joie une fois que vous vous serez assis sagement à cette table.

Conscient de l'ordre implicite que cette femme venait de formuler, Jellal obtempéra.

- Pour commencer, vous vous trouvez actuellement dans un hangar qui m'appartient et que nous avons récemment reconverti en lieu d'extraction. Au départ, nous l'avions aménagé pour accueillir temporairement une certaine personne, le temps de la mettre en sécurité, mais il semble que nous ayons été doublés au dernier moment. Croyez bien que j'aimerais partager avec vous la localisation de cet endroit mais il a été difficile à obtenir et je ne souhaite pas prendre de risque inutile.

Jetant discrètement un coup d'oeil autour de lui, Jellal tenta de dénicher un détail qui lui permettrait de deviner où il se trouvait en ce moment. Sans succès. Le bâtiment pouvait aussi bien se trouver en pleine campagne qu'au coeur même de la ville.

- Ensuite, je ne compte pas vous révéler directement mon identité. Le secret est l'une des raisons de l'efficacité de mon organisation. Beaucoup de mes plus proches collaborateurs ne connaissent pas mon identité non plus. Disons pour simplifier que je suis une tierce partie concernée par ce qui se passe dans cette ville depuis des années.

Le regard d'interrogation que lui lançait Jellal sembla inciter la femme en face de lui à continuer.

- Vous avez certainement dû remarquer que cette ville est plongée dans une sphère de violences et de conflits sans fin en raison des différents groupes criminels qui s'y sont implantés. Pour tout vous dire, l'un de mes objectifs est le suivant : je souhaite débarrasser cette ville de ces groupes pour y réinstaurer la paix et la sécurité.

Le ton de la femme était passé en un instant de serein à vindicatif. Visiblement, elle semblait éprouver une haine à peine contenue pour la pègre magnolienne.

- Vous faites partie du groupe qui attaque les Redfox depuis des mois… devina Jellal.

Fixant l'ancien mafieux droit dans les yeux, la femme reprit une légère gorgée de thé avant de poursuivre.

- Pour tout vous dire, j'en suis même la leader, avoua l'interlocutrice de Jellal. Et pour votre gouverne, nous n'avons pas attaqué uniquement les Redfox dernièrement.

- Vous comptez attaquer les Eucliffe également ? C'est pour ça que vos gars étaient à la scierie ? Vous visiez Sting, n'est-ce pas ? C'est lui que vos gars désignaient comme la « cible »…

Étrangement, la femme aux cheveux noirs ne répondit pas à sa question et détourna pour la première fois le regard, préférant s'emparer de la théière pour remplir à nouveau sa tasse.

De son côté, Jellal était médusé. Le fait qu'il existe un groupe capable de mener des attaques coordonnées contre les Redfox et d'autres clans mafieux sans que ces derniers n'aient rien vu venir relevait de la légende urbaine. Ces gens devaient être très organisés et très puissants pour parvenir à un tel exploit.

- Qu'est-ce que vous attendez de moi au juste ? demanda le garçon.

Quelques secondes s'écoulèrent avant que la femme ne fasse un discret signe de tête à son homme de main resté en retrait. D'un geste souple, il s'empara d'une mallette posée sur un buffet et la posa sur la table à laquelle Jellal était installé.

Il ouvrit ensuite la mallette et son contenu stupéfia le jeune homme.

- Deux cents mille joyaux en liquide, des faux papiers pour vous et votre amie Erza, ainsi que les clés d'un appartement situé dans une jolie bourgade d'Arakitacia, annonça la femme. Sans compter les deux places réservées sur un cargo amarré en ce moment-même au port de Magnolia pour vous y rendre. Si vous le souhaitez, tout ça est à vous. C'est bien ce que Sting Eucliffe vous avez promis, non ?

- Mais… enfin… comment…

- L'information est mon principal fonds de commerce. Je connais presque tout de vous, Jellal Fernandes. Je sais qui vous êtes et ce que vous avez fait. Je sais que vous avez travaillé pour les Redfox que vous avez ensuite trahi pour essayer de vous échapper. Personne ne peut vous en blâmer ceci dit, surtout pas moi. Vous avez ensuite retourné votre veste et avez cherché à marchander avec Sting Eucliffe. Un choix hasardeux qui vous a conduit à subir ces blessures dont vous vous relevez à peine. Si je peux me permettre, cet entêtement à vous en remettre sans cesse à des mafieux n'est pas digne d'un garçon aussi malin que vous. Vous voyez bien que marchander avec ces gens ne mène à rien. Vous savez que vous n'êtes qu'un pion pour eux.

D'un geste presque théâtral, la femme rejeta ses cheveux en arrière et Jellal crut apercevoir quelques mèches bleues suivre le même mouvement.

- Moi je vous offre la possibilité de partir immédiatement et de laisser ce triste passé derrière vous. Après tout, si vous êtes du genre à laisser le bateau couler et à prendre la poudre d'escampette sans regret, cela ne regarde que vous.

- C'est quoi le piège ? demanda Jellal. Vous voulez me faire croire qu'après avoir sauvé mes fesses des Redfox et des Eucliffe, vous m'offrez de quitter le pays sans rien exiger en contrepartie ?

La mystérieuse interlocutrice de Jellal acquiesça.

- Vous avez bien compris, M. Fernandes. Aucune contrepartie.

Jellal se gratta la tête, perdu et décontenancé.

- Je ne comprends pas votre logique, je regrette…

- Pourtant c'est un raisonnement très simple. Les contreparties sont faites pour acheter la loyauté de quelqu'un, pour servir docilement un maître en attendant la possibilité de trouver mieux ailleurs, voire de le trahir pour prendre sa place. Ce genre de procédé ne permet pas aux gens de voir plus loin que le bout de leur nez, et surtout il ne permet qu'une loyauté factice et illusoire. Ce n'est pas ce que je veux pour les gens qui travaillent pour moi. Et ce n'est pas ce que je veux pour cette ville.

La femme désigna à Jellal la mallette de la main et l'ancien mafieux remarqua qu'elle avait une marque de brûlure au niveau du poignet.

- Je le répète, tout ceci est à vous. Vous pouvez prendre la fuite si tel est votre choix.

Au ton qu'elle venait d'employer, il était évident que cette femme ne considérait pas que prendre ses jambes à son cou soit l'attitude la plus louable qui soit.

- Cependant… laissez-moi vous proposer une autre option.

L'inconnue posa ses coudes sur la table et joignit ses mains devant son visage, ses yeux braqués sur celui qui lui faisait face.

- Je vous propose de me rejoindre dans mon entreprise Jellal. Vous n'êtes en aucun cas obligé d'accepter. Vous pouvez garder ce que je viens de vous donner et vous enfuir. Ou vous pouvez m'aider à libérer cette ville du joug criminel qui l'emprisonne depuis bien trop longtemps. Malgré vos récents échecs, vous êtes un jeune homme doté de capacités dont mon organisation a cruellement besoin. Je sais que vous n'avez toujours désiré que de quitter cette ville et de vous en éloigner le plus possible avec votre amie. Mais je peux aussi me vanter de savoir bien cerner les gens. Derrière votre attitude permanente de fuyard, je perçois une soif de justice. Une soif de justice que vous n'arrivez pas à admettre. Parce qu'elle vous fait peur. Et parce que vous pensez être le seul à la ressentir. Je vous rassure tout de suite, ce n'est pas le cas.

Jellal était stupéfait. Cette femme qu'il venait à peine de le rencontrer était capable de lire en lui comme dans un livre ouvert. Elle avait deviné les aspirations qu'il avait enfoui au plus profond de lui durant des années, son rêve d'un monde sans mafia et sans criminalité d'aucune sorte. Un monde où Erza et lui pourraient vivre en sécurité sans jamais devoir fuir ou se cacher. Un monde où ils pourraient mener une vie honnête, monter un commerce, construire une famille. Tous ces idéaux, Jellal n'en avait jamais parlé à personne. À personne.

Pourtant, cette femme savait. Elle savait ce qu'il avait dans la tête en ne l'ayant rencontré qu'en seule fois.

Jamais de toute sa vie Jellal n'avait connu de personne dotée d'une telle clairvoyance.

- Je vois à votre silence que je ne me trompe pas et que ma proposition vous intéresse au moins un peu, déduisit l'inconnue. Nous pourrons discuter plus tard du rôle que vous jouerez dans notre entreprise. Mais je vous le demande : sur le principe, seriez-vous susceptible d'accepter ?

Le garçon à la marque regarda plus attentivement cette femme.

- Quelle garantie j'ai que vous ne me ferez pas le même coup que Sting ? Que vous ne m'utiliserez pas comme lui pour me jeter ensuite en pâture à la première occasion ?

- Aucune, reconnut la femme. Je pourrais bien vous donner ma parole mais nous venons de nous rencontrer, elle n'aurait pas grande valeur pour vous. Cependant si vous nous rejoignez, vous constaterez par vous-mêmes que notre fonctionnement est bien différent de celui des clans mafieux d'autrefois et que chacun est susceptible d'y trouver sa place.

- J'aimerais savoir… est-ce que vous avez proposé à Yukino de vous rejoindre également ? demanda Jellal.

- Je l'envisage en effet. Mais pour être honnête, votre amie m'inspire beaucoup moins confiance que vous. Même si elle a été malmenée par la cruauté de ses anciens maitres, elle était jusqu'à très récemment à leur service. J'ai besoin de la connaître davantage pour m'assurer de sa loyauté.

À cet instant, un autre homme de main de la femme pénétra dans la pièce et se rapprocha de sa supérieure. Il se pencha à son oreille pour lui murmurer quelque chose.

Jellal regarda attentivement la scène. Le garde semblait contrarié par ce qu'il venait annoncer à la femme, mais celle-ci n'exprima pas la moindre surprise, ni le moindre agacement.

« Elle sait contrôler ses émotions à la perfection, pensa Jellal. Elle est capable de garder la tête froide en toutes circonstances. C'est fascinant.

Une fois la missive délivrée par son subordonné, la femme adressa un léger sourire à Jellal.

« Excusez-moi pour cette interruption M. Fernandes. Malheureusement, des affaires importantes m'appellent et je crains qu'il ne faille abréger notre entretien plus tôt que je ne l'aurais voulu. Par conséquent, j'ai besoin d'une réponse claire. Acceptez-vous ma proposition, oui ou non ?

Jellal serra les dents. Il n'avait pas la moindre idée de la décision à prendre.

Pourquoi hésitait-il ?

Il avait enfin à portée de main ce qu'il recherchait depuis des mois. Une porte de sortie pour quitter cet enfer qui l'avait tant fait souffrir, un échappatoire pour mettre hors de danger celle à qui il tenait.

Pourtant, il n'arrivait pas à s'enlever de la tête les mots de celle qui l'avait sauvé. À présent, il avait aussi un moyen de changer les choses, de tenter de renverser l'ordre établi par tous ces groupes mafieux qu'il détestait tant.

Un espoir.

Perdu, le jeune homme regarda alternativement la mallette et son potentiel nouvel employeur qui lui faisait face. Le choix était simple.

La liberté… ou l'allégeance.

La facilité… ou l'incertitude.

La fuite… ou le combat.

L'ancien membre du clan Redfox se leva de sa chaise et posa la main sur la mallette. Plusieurs secondes s'écoulèrent avant qu'il ne la referme d'un coup sec et la rejette sur le côté.

Le message était clair.

Le sourire de la femme s'élargit. Une nouvelle personne venait de la rejoindre. Un nouvel allié dans son combat pour détruire ses ennemis.

Pour détruire tous ceux qui lui avaient tant pris, il y a vingt années de cela…


Gajeel et Levy avaient passé presque toute la matinée dans le cottage de la mère du mafieux.

Lorsqu'ils revinrent aux abords du manoir, tous deux semblaient conscients de la connexion sans faille qui s'était créée entre eux. Même si leur apparence, leur caractère ainsi que leur vie semblaient diamétralement opposés, chacun était désormais convaincu d'avoir trouvé sa moitié, d'avoir déniché la seule personne qui leur convenait parmi toutes celles qui existaient sur Terre.

Le couple franchit la vaste terrasse située à l'arrière de l'imposante demeure et pénétra à l'intérieur jusqu'à déboucher dans le hall d'entrée du manoir.

Dès leur arrivée dans la vaste pièce, Levy sentit que quelque chose avait changé par rapport à quelques heures plus tôt. L'ambiance ne paraissait pas être la même, les bruits qui ponctuaient la vie du manoir se faisaient bien moins entendre et les visages des domestiques qui passaient devant eux semblaient inexorablement fermés.

Levy tourna la tête vers Gajeel, subitement inquiète.

« Tu sais ce qu'il se passe ? demanda-elle.

Le mafieux acquiesça, le visage fermé.

- Je crois le savoir. Reste près de moi Levy. Ne parle à personne.

Au même moment, un petit groupe d'hommes de main du clan descendit de l'imposant escalier qui menait aux différents étages du manoir. Malgré ses efforts, Levy ne parvint à reconnaitre aucun de ces hommes. Ils lui étaient totalement inconnus mais paraissaient étrangement bien plus antipathiques que ceux qu'elle avait déjà croisé.

Le groupe était mené par un homme qui intrigua fortement Levy. Il était grand et de forte constitution. Ses cheveux d'un bleu assez foncé se faisaient assez rares sur son crâne tandis qu'une longue queue de cheval de couleur verte lui tombait derrière le dos. Sa barbe poivre et sel lui mangeait le haut du visage et semblait taillée d'une étrange façon. Ses yeux bleus totalement inexpressifs s'orientèrent vers le duo qui lui faisait face.

Plus Levy observait cet homme et plus une désagréable impression grandissait en elle. Ce n'était pas quelqu'un de recommandable, ça se voyait au premier regard.

De son côté, Gajeel savait parfaitement de qui il s'agissait et il était loin d'être content de le revoir.

Bluenote Stinger, l'un des plus proches conseillers de Métallicana Redfox.

D'abord situé au bas de l'échelle, ce salopard sans foi ni loi avait réussi au fil des années à grimper les échelons et à gagner l'estime du père de Gajeel après avoir contribué à intégrer plusieurs gangs subalternes au clan Redfox. Pour autant, ce n'était pas ses facultés de négociateur qui fondaient sa réputation dans le milieu.

En réalité, Bluenote Stinger était surtout connu pour ses capacités de tortionnaire implacable et de sociopathe notoire. Tout le monde le redoutait car il était capable de faire cracher le morceau au prisonnier le plus récalcitrant à grands coups de scalpel, de bains glacés et d'électrochocs.

Il faisait d'ailleurs partie de ceux qui avaient torturé le pauvre gars dont Gajeel avait vu la dépouille lorsqu'il était encore enfant.

Un barbare, voilà ce qu'était ce type. Ni plus, ni moins.

Et si Gajeel était conscient qu'il fallait parfois laisser sa morale aux vestiaires pour mener les affaires et assurer la survie du clan, un tel niveau de sauvagerie lui paraissait tout simplement inacceptable.

Lui non plus n'était pas un saint, il ne fallait pas se voiler la face. Il avait blessé et tué des gens, pas plus tard que la veille d'ailleurs. Mais malgré ses sombres agissements, Gajeel ne s'était jamais abaissé au niveau de ce sous-fifre qui se prenait en permanence pour un roi.

Le conseiller de Métallicana vint à la rencontre du couple et s'arrêta juste devant Gajeel alors que ses hommes lui emboitaient le pas.

Sentant la tension qui s'était installée en quelques secondes, Levy déglutit difficilement, remerciant pour la première fois le ciel de lui avoir accordé une morphologie qui ne la mettait pas trop en avant.

« Stinger, espèce de chacal, dites-moi à quoi rime ce bordel, ordonna Gajeel, glacial. Depuis quand vous permettez-vous de déambuler ainsi chez moi sans vous être annoncé au préalable ?

- Depuis que votre père est rentré chez lui et a constaté qu'une grande partie de ses forces a été réduite à néant en son absence, répondit le subordonné. Pour tout vous dire, M. Redfox est plutôt contrarié et je partage son avis.

- Prenez bonne note que je me contrefous royalement de votre avis, riposta Gajeel. Et surtout n'oubliez pas à qui vous vous adressez et ce qu'il adviendra de vous si vous continuez avec votre petit ton condescendant. Est-ce que c'est clair ?

Face à l'échange auquel elle assistait, Levy n'en menait pas large. Le père de Gajeel était déjà là… Il savait déjà ce qu'avait fait son fils durant son absence, et cela l'avait visiblement mis de mauvaise humeur.

Alors que les deux hommes continuaient de se fusiller du regard, la mâchoire de Bluenote se contracta face à la réprimande de Gajeel. Les deux hommes savaient très bien qui des deux allait gagner la partie. Le premier ne pouvait miser que sur la confiance accordée par son supérieur, tandis que dans les veines du second coulait le sang de la lignée Redfox.

L'un n'était qu'un sous-fifre, l'autre le fils héritier. L'issue de l'affrontement ne faisait aucun doute.

Inclinant légèrement la tête, le regard de Bluenote s'abaissa du même coup. Pour autant, l'expression furieuse sur son visage trahissait à quel point cette soumission lui coûtait.

- Je vous prie de m'excuser, articula difficilement le lieutenant de Métallicana. Votre père exige de s'entretenir avec vous. Il vous attend dans la salle de réunion au premier étage.

Satisfait de son petit tour de force, Gajeel reporta son attention sur Levy.

- Tu peux m'attendre ici, annonça t-il. Je ne serai pas long.

- Vous êtes Levy McGarden ? demanda soudainement Bluenote à la jeune femme.

- Euh… oui c'est moi, répondit prudemment Levy.

Le subordonné de Métallicana n'accorda pas plus d'attention à l'étudiante et s'adressa à Gajeel.

- Elle doit venir avec vous. Votre père souhaite la rencontrer également.

- C'est hors de question, trancha Gajeel d'un ton sec. Ne comptez pas là-dessus.

- Votre père a donné un ordre très clair, insista Bluenote.

- J'en ai rien à carrer de ce que veut ce vieux bo…

Souhaitant plus que tout mettre fin à cet échange d'amabilités, Levy posa sa main sur le bras de Gajeel en signe d'apaisement.

- Je vais venir, annonça t-elle. Si c'est ce que M. Redfox désire, je veux bien accepter.

Le fils de Métallicana adressa à Levy un regard plein d'interrogations. La jeune femme lui rendit son oeillade et tâcha de lui faire comprendre ses intentions sans avoir à prononcer de mots. Il leur fallait calmer le jeu pour le moment s'ils voulaient ne pas froisser davantage le parrain.

Saisissant le message, Gajeel se dirigea sans plus attendre vers les escaliers qu'il commença à emprunter, Levy sur ses talons. Une partie des hommes de Bluenote accompagnèrent le couple à l'étage.

Levy n'en menait pas large. À chaque nouvelle marche gravie, elle se sentait bien plus nerveuse qu'à la précédente. Si rencontrer les parents d'un ou d'une petit(e) ami(e) était toujours intimidant, on passait carrément au stade du supplice biblique lorsque le parent en question s'avérait être un chef de la pègre à l'autorité colossale.

Conscient du stress que ressentait celle à qui il tenait tant, Gajeel tenta d'effleurer sa main alors qu'il arpentait les couloirs de la demeure. Le mafieux avait fait le serment de la protéger envers et contre tout et il comptait bien honorer sa parole, quitte à défier son propre père pour y parvenir.

Le petit groupe arriva enfin devant la porte à double battants derrière laquelle se trouvait la salle de réunion. La même salle où Gajeel avait décidé de lancer une attaque contre les Eucliffe.

Comme s'ils avaient senti la présence des arrivants, deux domestiques présents à l'intérieur ouvrirent la large porte, exposant l'ampleur de la pièce au regard de Levy.

Au bout de l'immense table en chêne massif placée au centre de la salle, un homme était assis sur un imposant fauteuil, entouré par plusieurs autres.

Levy le reconnut instantanément. Pas à cause du fait qu'il occupait à cet instant la place qui lui revenait de plein droit, mais à cause de sa terrible ressemblance avec Gajeel.

Ses cheveux étaient d'un noir d'encre, bien moins longs que ceux de son fils, mais qui lui arrivaient malgré tout jusqu'aux épaules. Ses iris étaient eux aussi incandescents mais d'un rouge bien plus sombre, identique à l'acier qui a déjà vécu et que l'on reforge sans répit pour fabriquer de nouvelles armes. De nombreuses rides sillonnaient son visage mais n'enlevaient rien à sa stature imposante.

Vêtu d'un impeccable costume et d'une cravate de la même couleur que ses yeux, il tenait entre ses doigts un imposant verre de vin à moitié rempli. À cette distance, le liquide rougeâtre aurait tout aussi bien pu être du sang, tant sa robe était foncée.

Un raclement de gorge impatient s'éleva dans les airs.

« Vous voici enfin… annonça Métallicana. Mon fils… et la jeune femme qui nous a tant fait perdre…

La mâchoire de Gajeel se serra lorsque les yeux de son père se déposèrent sur celle à qui il tenait.

- Prenez place très chère, ordonna le parrain d'une voix ferme. Je crois qu'il est grand temps que l'on s'explique vous et moi...


Ce onzième chapitre est officiellement terminé ! Comme vous aurez pu le constater, il était plus centré sur Gajeel et Levy que les précédents. Il fallait bien que les deux tourtereaux se retrouvent un peu tout de même ! J'espère que ce chapitre vous a plu et j'attends avec impatience de lire vos retours x) Comme d'habitude, je vous donne rendez-vous pour le prochain. Prenez-bien soin de vous d'ici là. La bise !