Chapitre 33 - Mise au point


Dans le wagon, Hermione avait la sensation d'émerger du lac pour la seconde fois. Tout le mal-être et la tension qu'elle avait attribués à son enfermement dans la tour sous les toits ne s'étaient pas dissipés une fois dans la gare ; là encore, la fumée et le bruit lui donnaient l'impression de suffoquer.

Puis Draco était apparu de l'autre côté de la porte vitrée, l'air aussi abasourdi qu'elle. Le train s'était emballé et un rayon de soleil avait traversé les nuages cotonneux pour réchauffer sa banquette. L'architecture de Londres laissa bientôt place aux prairies où l'herbe verte dansait sous une douce brise et le monde sembla reprendre vie. Ce qu'elle essayait de ne pas regarder à présent, c'était Draco. Elle ne voulait pas lui associer ce sentiment de délivrance.

Quand il se leva vers elle, son cœur se mit à battre plus fort. Pendant qu'elle tentait d'étouffer cette réaction, il descendit sa valise et la posa sur la banquette à côté d'elle.

Ils décidèrent de tester une potion chacun juste avant leur arrivée à Poudlard. Plongée dans son manuel, Hermione passa les heures qui précédaient à évaluer leurs options. Ils pourraient endurer la distance une heure ou deux pour les cours, du moins elle l'espérait, mais la nuit ?

Leurs dortoirs étaient bien plus éloignés que leurs chambres dans le manoir.

Le soir assombrissait les alentours du train quand Hermione avala une fiole au contenu mauve scintillant. Le gout chocolaté avait un côté rassurant, mais l'attente d'éventuels symptômes ne l'était pas du tout.

— Disparaître du dortoir des Serpentards n'est pas une option pour toi, je suppose ? dit-elle en lui rendant la fiole vide.

— Tu supposes bien, Granger.

Elle leva les yeux au ciel. Ça ne les avançait absolument pas. Au moins, arrivés en gare de Pré-au-Lard, aucune des potions n'avait provoqué de symptômes. Lorsqu'ils se séparèrent près des diligences, leur connexion mentale était plus forte que jamais. Par la fenêtre de la diligence, Hermione croisa le regard de Draco, seul dans la sienne, avant que les roues ne s'ébranlent sur les pavés.

En entrant dans le hall, Hermione chercha avidement Harry et Ron. Une tête rousse tendit la main dans sa direction.

— Alors ces vacances ?

Elle s'assit face à Harry, soulagée de les retrouver, mais il ne lui rendit qu'à moitié son sourire. Ron poussa un des plats fumants vers elle.

— D'ailleurs, quelqu'un d'autre n'était pas au château ces vacances. Mais tu dois déjà le savoir.

— Ah, soupira-t-elle.

Évidemment, l'absence de Draco ne leur avait pas échappé.

Combien d'hypothèses avaient-ils ressassées pendant ces deux semaines ?

— N'en parlons pas ici.

Après le diner, elle les emmena jusqu'à la tapisserie des trolls au septième étage. En leur ouvrant la salle circulaire emplie de livres et de branches, elle se trouva face à Draco. Il leva les yeux au plafond et ouvrit la cage du Vivet.

— J'aurais dû m'en douter. Allez, dehors toi, dit-il en poussant la boule de plume dorée.

La Salle sur Demande avait déjà matérialisé quatre fauteuils, un confortable tapis et un feu de cheminée qui, sûrement, ne brûlerait pas les précieux ouvrages. Alors qu'ils s'installaient, Draco s'appliqua à les ignorer, faisant elle-ne-savait-quoi qui lui permettait d'espionner leur conversation.

— Espionner ? J'appellerai plutôt ça « m'assurer des informations transmises, surtout quand elles me concernent ».

— C'est un peu long comme nom, mais si ça te fait plaisir.

— Je ne recevrais pas de leçon de quelqu'un qui veut appeler ce pauvre oiseau « Orron ».

Hermione secoua la main comme pour chasser un insecte envahissant et se tourna vers Harry et Ron. Pas besoin de lien mental pour savoir que Ron pensait quelque chose dans le style « il va rester ici celui-là ? ».

« Et en effet, il va rester ici, celui-là. »

Hermione pivota vers Draco.

— Si tu restes, tu m'épargnes tes commentaires, merci.

En guise de réponse, il lui retourna un sourire moqueur.

— On a quitté le château pour travailler sur les antidotes sans éveiller les soupçons des Serpentards et surtout parce que les effets ont commencé à s'aggraver.

Harry fronça les sourcils derrière ses lunettes.

— Comment ça ? Quels effets ? Je croyais que ça vous permettait juste de vous entendre.

— Ce qui est déjà une malédiction en soi, précisa Draco.

Il avait récupéré la boite contenant les fioles d'antidote.

— À qui le dis-tu, fit Hermione. Malheureusement, il n'y a pas que ça. Plus le temps avance et moins on peut se séparer.

— Comment ça vous ne pouvez pas vous séparer ? demanda Ron.

— Géographiquement, Weasley. La distance. Elle se ré-du-it.

Harry ignora Draco, penché vers Hermione.

— Jusqu'à quelle distance vous pouvez aller ?

— Je dirais une centaine de mètres, peut-être moins ?

Elle interrogea Draco du regard.

— En tout cas plus assez pour dormir dans nos salles communes respectives.

Ron pâlit.

— Attendez un peu. Si vous ne pouvez plus vous éloigner…

— Oui, Weasley, elle est venue chez moi.

— Pour travailler, s'exclama aussitôt Hermione. Ce que tes parents ont rendu très productif d'ailleurs.

— Je dois admettre que tes parents étaient plus accueillants, dit-il en levant une des fioles devant lui d'un air nonchalant. Au moins chez toi, je pouvais passer la nuit dans ta chambre sans risquer…

Malfoy, ça suffit.

— Tu m'appelles Malfoy maintenant ?

Non mais à quoi jouait-il ?

— Beaucoup de détails pour dire qu'on ne peut pas s'éloigner longtemps l'un de l'autre, reprit-elle à toute vitesse. Le problème, c'est qu'il doit être dans son dortoir pour ne pas attirer de soupçons.

Posé sur le bras de Draco, le Vivet observait les nouveaux arrivants, la tête légèrement penchée. Il fit un petit bond vers eux, puis en arrière et chanta une note qui lui attira l'attention.

— Et tout ça, c'est à cause de ce petit bonhomme ? demanda Ron en tendant la main.

Le Vivet étendit ses ailes et voleta pour se poser sur son poignet.

— On l'a mal élevé, il est beaucoup trop amical, commenta Draco en croisant les bras sur le dossier contre lequel Hermione était assise.

— Techniquement, Malfoy, son responsable c'est toi, dit-elle sans se retourner.

— C'est culotté de ta part de dire ça. Tu crois que je ne sais pas qui a gracieusement corrigé ma potion initiale ?

Elle ouvrit la bouche, stupéfaite. Elle ne lui avait jamais dit…

— C'est vrai, mais tu penses beaucoup trop, répondit-il.

Même sans le voir, elle entendait son sourire moqueur.

— De toute façon, c'était une erreur. Si je n'avais pas cru qu'il s'agissait d'un devoir de niveau supérieur, je ne l'aurais jamais corrigé.

— Qui corrige un devoir par erreur.

Cette fois Hermione pivota vers lui. Draco accueillit son air scandalisé avec un regard goguenard. Ses bras croisés sur le dossier le faisaient se pencher vers elle, et il la toisait. Elle collecta son calme.

— Pour ta gouverne, je l'ai fait uniquement par intérêt intellectuel. J'ai persisté où tu as abandonné, c'est peut-être pour ça que tu es incapable de me surpasser en cours.

Son sourire fana un peu.

— On verra si je ne suis pas capable de te surpasser.

— Je divise déjà mon temps entre l'antidote et mes recherches sur les elfes de maisons et je reste meilleure que toi.

Ron remua dans son fauteuil.

— Attends, avec tout ça tu t'occupes encore de la sale ?

— Déjà, c'est S.A.L.E. pas sale, Weasley, répondit Draco. Et ensuite en quoi ça te concerne comment elle occupe son temps libre ?

Ron vira à l'écarlate jusqu'au bout des oreilles.

— Et toi tu vas me faire croire que tu soutiens ses histoires sur les elfes ? Dobby travaillait pour vous que je sache.

— Change de ton. Pourquoi j'aurais besoin de partager ses valeurs pour soutenir ses projets.

Hermione haussa un sourcil.

« Depuis quand tu soutiens mes projets toi ? »

« Reste en dehors de ça, j'enseigne à Weasley comment être un ami décent. Tu peux me remercier, je n'ai pas mentionné que sa famille aurait probablement possédé un elfe de maison aussi, s'ils n'avaient pas été pauvres. »

Le Vivet revint se poser sur les genoux d'Hermione, la distrayant des bêtises que les garçons l'obligeaient à écouter. Elle releva les yeux de la boule de plumes quand Harry se leva. Il désigna la porte d'un signe de tête et Ron et elle le suivirent.

Ils remontèrent le couloir bordant la Salle sur Demande pour s'éloigner de Draco. À mi-chemin dans un des escaliers volants, Harry se tourna vers elle. À part les tableaux somnolents, ils étaient seuls.

— Vous avez l'air… proches tout à coup, fit Ron en contemplant obstinément sa main posée sur la rampe en bois.

— Quand on partage ses pensées avec quelqu'un pendant des semaines, c'est un risque, oui. Mais je n'irais pas jusque là.

L'escalier s'immobilisa à l'étage inférieur mais aucun d'eux ne bougea.

— Si tu peux tout entendre de ce qu'il pense… commença Harry.

— Pas tout, depuis le début il a un certain contrôle sur ses pensées.

— Mais tu lui fais confiance ? Tu étais prête à te rendre chez eux seule.

Hermione pesa un instant ses mots. Se fier à Draco ?

— Oui, je suppose que sous certaines conditions, je lui fais confiance.

L'escalier reprit son vol. Harry se perdit un instant dans la contemplation des tableaux.

— Très bien. Pour votre problème de distance, vous n'avez qu'à utiliser la Salle sur Demande.

— Quoi ? Non, fit aussitôt Ron. Malfoy ne peut pas déserter son dortoir.

— Il n'aura qu'à tirer ses baldaquins. Il suffit qu'il en sorte et y revienne avant le réveil des autres, répondit Harry.

— Ils vont forcément le voir. S'il se fait prendre à sortir en douce ça soulèvera encore plus de questions.

— Pas si je lui prête ma cape d'invisibilité.

La secousse de l'escalier alors qu'il s'immobilisait une nouvelle fois ramena un instant de silence.

— Harry, j'apprécie ta proposition, fit doucement Hermione, mais c'est un héritage de ton père, on ne peut pas lui confier ça. Je trouverai une autre solution.

— Tu lui fais confiance, non ?

— Mais c'est un héritage de ton père, insista Ron. On ne peut pas la laisser avec lui.

— Je sais, tu vois un autre choix ?

Tout le chemin jusqu'à la tour de Gryffondor, Ron semblait chercher quoi répliquer. Son air irrité quand le portrait de la grosse dame pivota témoignait que lui non plus ne voyait pas d'alternative. Ils attendirent Harry en bas des marches menant aux dortoirs et la brume désagréable qui l'avait empoissonnée toute la semaine s'insinua à nouveau dans son esprit. Draco ne fit aucun commentaire.

— Ne t'inquiète pas, dit enfin Ron. On ne te laissera pas seule.

Le sérieux avec lequel il la regardait lui donna un petit coup au cœur. Harry redescendit à ce moment-là, la cape argentée en boule sous son bras.

— Je vais lui parler, dit-il.


J'imagine bien les têtes de Harry et Ron pendant que Draco et Hermione se crêpent le chignon.

(Merci Elana !)