Juste un passage vite fait pour vous remercier : grâce à vous, DSeDP est devenue ma deuxième fic la plus commentée. =^^= Quelque part, mon dur labeur a payé et croyez-moi, pour un auteur de fic, les retours sont le meilleur carburant pour continuer.
Journal de la revieweuse :
Liline37 : Whoua, ça, c'est de l'analyse XD Toujours sympa d'avoir les avis et les visions de chacun. Je pense comme toi pour Cazador. C'est sa « normalité » qui le rend effrayant. Je lui aurais juste retiré les R roulés qui le décrédibilisent un tantinet mais qu'importe, il reste quand même un perso qui en impose.
Concernant Silesta, elle est en fait « sur-stimulée » de deux côtés. Déjà par sa mémoire sensorielle qui lui renvoie des tas de messages (pour l'instant sibyllins) et de l'autre, la peur de perdre Astarion. Du coup, comme elle sait qu'elle est trop faible pour vraiment être utile dans ce combat ET que son psyché commence à se faire très très bruyant, elle a plus ou moins volontairement laissé la place à son inconscient. Elle est sur du 50/50 entre Astarion et son passé mais elle a su garder en tête sa réelle priorité car Astarion reste sa seule certitude pour le moment.
Suite et fin !
CHAPITRE LVII – CATHARSIS
Quand elle regagna suffisamment ses esprits pour comprendre ce qui se passait autour d'elle, Silesta chercha ses compagnons des yeux. La première chose qui s'offrit à sa vue la figea : les cadavres presque empilés les uns sur les autres de trois goules dont les blessures indiquaient clairement qu'elle en était l'auteur. Effrayant. Vraiment effrayant. Mais pratique.
Des vociférations furieuses la firent sursauter et se remettre debout dans la seconde.
À présent privé de ses sbires pour le protéger, Cazador était à la merci de toute la lumière lunaire de Séluné et du soleil que Gayle et Ombrecoeur abattaient sur lui sans relâche pendant qu'Astarion tournait autour de lui comme un lion en cage à se demander quelle torture serait la pire à lui infliger.
La main à son cou endolori, la saltimbanque avança avec prudence. Elle n'était plus sous l'emprise de son ombre mais elle apprécia de voir la brûlure de la lumière échauffer de vapeur la peau pâle du seigneur vampire dans la lumière glauque de la crypte.
« Alors ? Quel effet ça fait d'être de l'autre côté du bâton ? siffla Astarion d'une voix sourde en resserrant sa prise autour de sa rapière.
_ Sale petit impertinent ! enragea Cazador en l'assassinant du regard. Tu ne peux rien contre moi ! Je suis ton maître !
_ Non ! C'est terminé ! »
D'un geste adroit, il attrapa sa dague entre ses doigts et la lança sur Cazador dont le corps s'évapora dans une brume sombre qui fila droit vers un étrange objet qui se dressait au centre de la plate-forme. Maintenant qu'elle prenait le temps de l'analyser, Silesta comprit qu'il s'agissait d'un sarcophage.
Astarion se précipita sur l'énorme cercueil de pierre pour en dégager le couvercle avec force. À l'intérieur, le corps reconstitué de Cazador reposait avec l'immobilisme d'un gisant. Silesta se souvint alors d'une discussion qu'elle avait eue un jour avec Astarion concernant les vampires et leur mode vie. Quand un vampire était sur le point de mourir, il devait retourner à son cercueil pour pouvoir se régénérer.
« Non, non. Pas de repos récupérateur pour vous ! rugit Astarion avant d'empoigner son maître pour l'éjecter de son tombeau sans ménagement. Debout ! »
Cazador roula lourdement sur la dalle froide comme une poupée de chiffon et leva un regard noir sur son fils qui l'approchait avec une aura incendiaire.
« Je t'interdis de me toucher, misérable ver de terre !
_ Ha ! Ce n'est pas moi qui rampe comme un ver », se délecta l'elfe avec une joie perverse.
Personne autour d'eux n'osait remuer le moindre muscle, pas plus qu'imaginer dans quel état d'esprit Astarion devait être en cette seconde. Le souffle ténu, Silesta observa son compagnon ramasser une dague à la pointe aussi effilée qu'une brochette et la contempler un instant avant de baisser les yeux sur l'objet de sa haine.
Un seul et dernier coup et il serait libre. Plus jamais il n'aurait à craindre son bourreau.
« Mais si j'achève le rituel, je n'aurai plus à redouter qui que ce soit, termina-t-il d'une voix enrayée par le poids des tourments qui ployait sur lui. Jamais plus. »
Cazador avait encore assez d'arrogance en lui et de haine envers son rejeton pour se gausser de la naïveté dont ce dernier était en train de faire preuve. Astarion était bien stupide de croire que son maître laisserait le premier venu prendre sa place et connaître l'ascension rien qu'en prononçant quelques formules magiques.
« Les runes que j'ai gravées dans ta chair te lient au rituel, toi, les autres rejetons et les sept-mille âmes, rappela le seigneur vampire avec un sourire sardonique. Tous les porteurs de runes seront sacrifiés si le rituel venait à être accompli. Toi y compris. Tu n'étais qu'un instrument pour m'élever. Je ne t'ai créé que dans le seul but de te détruire. »
L'inspiration de Silesta se fit plus forte à ses oreilles et elle serra les dents. Le bourdonnement à ses tempes revenait mais sa volonté inébranlable de laisser Astarion être le maître de son destin lui ordonnait de repousser le chant lugubre de sa sirène ténébreuse. Même son plus profond désir de détruire Cazador ne saurait surpasser la promesse qu'elle avait faite à son allié. De cette lutte intérieure en ressortait hélas une migraine atroce à en faire éclater les murs.
Astarion toisa son maître de tout son mépris.
« Je suis bien plus que ce que vous avez fait de moi. » Il se tourna vers ses alliés et son regard attrapa aussitôt celui de Silesta. « Je vous en prie. Je peux le faire, mais j'ai besoin de vous. Prêtez-moi vos yeux comme aux Tréfonds Obscurs. »
Le silence balaya tout à coup la tempête de son psyché. Le décor tout entier disparut, ne laissant que ce couloir de lumière glauque entre elle et lui pour les isoler de tout le reste. Elle se tendit malgré elle, les yeux écarquillés. N'avait-il rien écouté ? S'il poursuivait, il mourrait !
« E-Et les autres ? Les sept-mille âmes... dit-elle, la gorge nouée.
_ Vous pouvez me croire, ils sont déjà morts depuis longtemps, assena Astarion avec véhémence. Ce ne sont que des bêtes sauvages assoiffées de sang. » Sa colère devint espoir... ou désespoir. « S'ils meurent pour mon ascension, je n'aurai plus besoin de mon parasite pour endurer la lumière du jour. Je serai totalement affranchi de ma condition. Libre. N'est-ce pas ce que vous voulez ? »
Silesta se mordit les lèvres pour ne pas trahir la souffrance qui les fit trembler. L'étau qui compressait son âme était une torture. Elle était coincée entre le visage implorant de l'homme qu'elle aimait, le désir de celui-ci d'enfin acquérir la liberté dont il avait rêvée depuis si longtemps et la terreur sourde de le voir finir comme Cazador.
Le pouvoir corrompait l'âme. Ils avaient vu tant d'exemples durant leur périple. Que deviendrait l'âme fêlée d'Astarion sous le ciment de la puissance ? Se consoliderait-elle pour renaître ou condenserait-elle tout le miasme noir qu'elle avait accumulé ? Même si le vase brisé est recollé, les zébrures perdurent.
Ses yeux lui brûlaient et son esprit était une ruche. Elle voulait son bonheur. Elle voulait pour Astarion la vie qu'il méritait, sous le soleil et sans peur. Mais plus que tout, elle voulait qu'il soit enfin en paix. Qu'il prenne conscience qu'il pouvait être quelqu'un de bien même sans la toute puissance d'un seigneur vampire. Qu'il sache qu'il n'était pas l'être insignifiant et sans valeur que Cazador voyait en lui.
Elle voulait tout cela pour lui. Mais pas de cette manière. Pas à ce prix.
Elle secoua lentement la tête, le visage filé de larmes.
« Non... Je regrette, Astarion. Je ne peux pas vous regarder faire ça... murmura-t-elle d'une voix brisée. Je veux que vous soyez fier de ce que vous êtes et vous ne tirerez aucune fierté en refaisant des victimes. Vous valez infiniment plus que ça. Tellement plus que cela. Si je vous prêtais mes yeux, ce ne serait que pour vous montrer ce que moi je vois en vous. Je... » Ce sourire qu'elle eut pour lui termina de le terrasser. « Je vous aime pour ce que vous ne voyez pas. Pas pour ce que vous voulez que l'on voie. »
L'elfe la considéra un moment, incapable de détacher son regard d'elle et de ses larmes. Elle ne pleurait jamais. Sauf pour lui. Elle lui avait déjà donné tant d'elle-même alors qu'il n'était que... lui. Elle voulait de lui ? Un simple rejeton de vampire insolent pétri de mauvaises habitudes et à la réplique sarcastique ? Mais Silesta... elle voyait bien plus que cela. Elle voyait si loin en lui. Si elle venait à ne plus le regarder ainsi...
Une oppression quitta sa poitrine et il hocha la tête.
« Vous... Vous avez raison. Je peux être meilleur que lui », admit-il dans un souffle.
Son regard tomba à ses pieds en direction de Cazador. Un sourire étrange ourla ses lèvres. Oui. Il serait meilleur que son maître... mais il ne se priverait pas d'apprécier ce qu'il s'apprêtait à faire.
Toutes les vannes de son âme s'ouvrirent alors.
Un même tressaillement d'effarement secoua Gayle, Ombrecoeur et Silesta lorsqu'ils virent Astarion attraper tout d'un coup Cazador par les cheveux pour le cribler d'une averse de coups de dague enragés dans un profond rugissement cathartique. La violence de l'écho qui se répercutait dans l'espace leur cinglait le visage et les oreilles comme une tempête.
Une grêle de sang se répandait sur le sol et sur Astarion dont les traits n'affichaient plus aucune humanité. Ne restait que la vengeance qui prenait le contrôle de ses gestes plein d'acharnement. Il irait arracher lui-même l'âme impie du cadavre de cette pourriture une fois qu'il n'en aurait fait que de la charpie pour recommencer encore et encore.
Ce spectacle barbare était si insoutenable pour Silesta qu'elle voulut détourner la tête mais la voix calme de Gayle à ses côtés la retint :
« Ne détournez pas les yeux de lui. C'est en cet instant même qu'il vous faut le voir réellement. Il est à vif. Son âme miroir devient verre. Si vos sentiments pour lui sont sincères, vous ne pouvez pas vous soustraire à lui maintenant. »
Elle ravala sa salive et fit douloureusement face. Gayle avait raison. Elle aimait assez Astarion pour embrasser toutes les facettes de lui, même les plus noires. Elle ne pouvait pas l'abandonner. Pas maintenant.
Il frappa encore et encore, incapable de freiner son élan assassin qui se galvanisait sous chaque coup, sous chaque cri inarticulé d'agonie, sous chaque exclamation enragée.
Enfin, ses forces l'abandonnèrent.
Les paupières en feu, Silesta endura dans la souffrance le cri millénaire qu'Astarion poussa quand il parvint à briser sa spirale de violence. Elle se mordait les lèvres si fort qu'elle allait en saigner. Il était là, à genoux, vidé de toute la rage qui avait remplacé son oxygène pour le faire continuer d'avancer depuis deux siècles.
Après avoir contemplé le corps lacéré et gargouillant de sang de son bourreau à présent bel et bien mort, Astarion n'avait plus la moindre force pour empêcher son corps de trembler sous des sanglots incontrôlés.
Fini. Son cauchemar était enfin fini. Il était libre.
Les lamentations de douleur qu'il exorcisa à grand peine par à-coups finirent par couper le dernier fil de résistance de Silesta. Elle ne pouvait plus en souffrir davantage. Les yeux embués de larmes, la jeune femme accourut aux côtés d'Astarion pour lui enserrer les épaules en murmurant son nom.
Elle ne le perdrait pas.
Elle ne relâcha pas son étreinte. Elle voulait absorber le moindre résidu de souffrance et de peur qui filtrait par cette peau glacée et humide de sueur et de sang. Elle aurait assimilé Astarion tout entier en elle si cela pouvait l'apaiser enfin.
Silesta ne sut combien de temps elle coupa son esprit du reste. Quand la voix de Dalyria se fit entendre non loin d'elle, il lui semblait presque avoir fusionné avec Astarion tant elle s'était imprégnée du rythme de sa respiration sous sa peau.
« C-C'est vraiment terminé ? »
L'humaine se releva pour laisser le roublard faire de même alors que les six autres rejetons les approchaient d'un pas hésitant. Leurs yeux avaient toujours la couleur rouge de leur condition de vampire mais ils ne brillaient plus de l'éclat mort qui bridait leur volonté.
Astarion confirma faiblement d'une voix encore chevrotante. Cazador n'était plus.
Aux côtés de sa sœur, Petras était tout aussi choqué que ses comparses et était encore loin d'apprécier le positif de la situation. Qu'est-ce que cela signifiait pour eux ?
« Tout dépend de vous, glissa Ombrecoeur avec une pointe de méfiance. Pouvez-vous vous contrôler et ne pas sauter à la gorge des gens que vous croiserez ?
_ En quoi cela vous regarde ? siffla Petras en plissant les yeux d'un air mauvais.
_ C'est un avertissement amical, traduisit Astarion avec fermeté. Parce que si vous dévorez la moitié de la cité, cela en deviendra un problème pour tout le monde. »
Il considéra ses homologues encore cois avec gravité. Les choix qui s'offraient à eux étaient très simples : vivre cachés ici dans les ombres comme des parasites ou devenir plus que ce que Cazador n'avait fait d'eux. Ils pouvaient également prendre une route différente mais ils devraient en assumer toutes les conséquences.
« Et les autres rejetons ? Que va-t-il advenir d'eux ? » lança Dalyria avec un regard de dépit autour d'elle.
Telle était la question qui jeta un silence doté d'intonations graves. Le destin de sept-mille rejetons, allant d'anciennes conquêtes capturées aux enfants Gurs enlevés se retrouvait à présent dans la balance.
Astarion ramassa le bâton de bronze et de calcédoine rouge surmonté d'une fine silhouette de démon recroquevillé aux ailes écartées que possédait Cazador. L'instrument qui était la clé du Rite d'Ascension Profane et celle de toutes les cellules qui renfermaient les rejetons sacrificiels.
Revint le choix inextricable et inique dont aucune des deux issues n'était pleinement satisfaisante : libérer sept-mille prédateurs affamés sans avoir aucune idée de leur résistance après tant de temps de privation ou tuer sept-mille innocents qui n'avaient pas demandé à finir en prédateurs affamés.
Les aventuriers lurent dans les iris amarante de leur allié qu'il était mis au supplice de cette décision lourde de conséquences, ce qui les étonna agréablement. Quelques minutes auparavant, Astarion était prêt faire tomber le couperet et voilà que le poids de la vie lui paraissait maintenant bien lourd sur ses épaules.
« Libérez-les, lui dit Silesta avec douceur et confiance. Ils méritent une chance comme vous.
_ Oui, appuya Gayle avec un hochement de tête assertif. Leur libération peut en effet poser bien des problèmes mais le contrôle s'apprend, aussi difficile puisse-t-il être. Si vous les tuez, leur éradication vous pèsera sur la conscience, tôt ou tard. »
Au premier réflexe, Astarion aurait pu dire que non, il n'avait que faire du sort de misérables dont la vie ne se résumait déjà plus à grand chose. Cela ne serait cependant pas vrai. Ces malheureux étaient des innocents qui ne devraient pas souffrir juste parce qu'il les avait attirés ici.
Il eut un regard vers Silesta. Lui avait eu droit à la clémence de cette jeune femme pour le sauver et il réalisait ce que cela lui avait procuré.
D'un geste décidé, le vampire s'empara à deux mains du sceptre qu'il frappa au sol, libérant une onde de lumière rouge qui fit trembler le bâton entre ses mains. Il tint bon jusqu'à ce que la puissance s'amoindrisse et qu'un lointain bruit de ferraille frottée ne retentisse dans le lointain. Ça avait marché.
Conscient de ce qu'il venait de faire, Astarion se tourna vers ses frères et sœurs d'un air déterminé.
« Il faut quelqu'un pour les guider. Passez par les tunnels vers les Tréfonds Obscurs, trouvez un endroit... hum, sûr serait peut-être trop demander, mais moins dangereux ?
_ Quoi ? s'exclama Petras, complètement perdu. Non, nous ne pouvons...
_ Arrange-toi juste pour qu'ils ne causent pas d'ennuis », coupa Astarion avec calme et résolution.
Le cœur de Silesta se réchauffa de voir Astarion reprendre une posture droite et plus affirmée alors qu'il cherchait à guider les siens. Cet homme était plus qu'un survivant, il était la résilience même. Aucun mot n'était assez fort pour dire à quel point elle était fière de lui. Elle était en train de retomber amoureuse de lui.
Les enfants de Cazador furent soulagés de ne pas être abandonnés au moment le plus charnière de leur existence. Ils adressèrent à leur frère des sourires discrets mais leurs yeux étaient chargés d'une reconnaissance débordante quand ils passèrent près de lui pour s'en aller récupérer les autres rejetons qui devaient être encore plus perdus qu'eux.
Après un temps durant lequel il oscillait dans une étrange anesthésie qui parasitait ses pensées, Astarion balaya la crypte du regard sans réellement la voir. Le silence autour de lui et en lui lui comprimait tout le corps.
« Je... Je crois que nous n'avons plus rien à faire ici. Allons-nous en. »
Il fut pourtant incapable de bouger quand ses yeux tombèrent sur les restes écharpés de Cazador dont la flaque de sang avait formé une sombre auréole autour de son corps brisé. Il était vraiment mort. Après toutes ces années... ces siècles... c'était enfin terminé.
Le frôlement d'une cape que l'on posait sur ses épaules raides le sortit de sa torpeur.
« Je suis fière de vous. Vous avez fait le bon choix », lui sourit doucement Silesta en ajustant l'habit qu'elle venait de lui mettre.
_ Je... Heureux que vous le pensiez, répondit-il encore hagard. Car franchement, je suis étreint par le doute. Je me sens comme... anesthésié. »
Elle le crut sans difficulté. Il errait dans les limbes ; ses yeux ne savaient où se fixer et restaient flous. Ce qu'il avait perdu, ce qu'il avait gagné... c'était trop à gérer pour lui. Sans parler de tous ces rejetons qui se déverseraient dans les Tréfonds Obscurs...
« Je vais avoir besoin de temps pour bien réaliser, avoua-t-il d'une voix ténue enraillée d'un début d'angoisse. Partons de cet endroit qui empeste la mort. Tout ce que je désire, c'est me sentir de nouveau vivant. »
Silesta se retourna une énième fois sur son lit.
Voilà plusieurs heures qu'ils avaient quitté le palais Szarr et avaient regagné la taverne du Chant de l'Elfe. En dépit de l'urgence que requérait le sauvetage de Lae'zel, Astarion était dans un état psychologique bien trop instable pour se risquer à partir sur les traces d'Orin et il était hors de question de partir avec un membre de l'équipe en moins. Ils étaient donc rentrés directement à la taverne pour permettre au vampire de se laver et se remettre de ses émotions.
Après avoir confié ses blessures ouvertes aux soins d'Ombrecoeur, la saltimbanque était allée aussi se laver et se changer pour finir seule avec ses pensées agitées.
Leur sortie de ce château maudit et le trajet jusqu'à leur quartier général apparaissaient comme un rêve à la jeune femme rousse tant elle était elle-même en proie à des poids sur son esprit.
Le seul moment qui était assez net à sa mémoire était celui où elle et ses amis avaient croisé Ulma et quelques Gurs à la sortie du palais. Les chasseurs de monstres étaient avides de réponses quant au sort de leur progéniture. Ils furent effarés d'apprendre que leurs enfants n'avaient pas été tués comme supposé au début mais savoir qu'ils étaient devenus des rejetons de vampire suffit à donner le dernier coup de massue pour les sonner.
Silesta fut heureuse de voir une brève étincelle de soulagement traverser les yeux d'Astarion quand Ulma le remercia pour son action. Il avait désespérément besoin d'être rassuré sur sa décision et, dans une autre mesure, réaliser que le grand sacrifice qu'il avait fait en renonçant au pouvoir suprême n'avait pas été vain.
Ses yeux de pluie ployèrent à cette pensée et un doute mêlé de peur lui enserra le cœur. C'était elle qui avait persuadé Astarion de ne pas accomplir le rituel et par conséquent, l'avait privé de sa libération totale de ses tourments vampiriques. Elle avait tellement craint pour l'âme de son amant qu'elle avait fait fi du désir que lui éprouvait. En voulant son bien, elle s'était montrée égoïste. Son bien à lui ou son bien à elle ? Qui avait-elle en fait préservé ?
Elle serra les dents, à présent clairement effrayée. La réminiscence du dénouement du contrat de Yurgir au temple de Shar lui revint soudain en mémoire, assorti d'un écho de lame de gel plantée dans le cœur.
Elle avait recommencé. Elle était intervenue entre Astarion et son destin et qui plus est, à l'ultime croisée des chemins. Son amant était-il en train de réaliser cela maintenant qu'il était quelque part au calme pour poser ses pensées ? Allait-il la détester ?
Un léger toc-toc à sa porte l'extirpa de son angoisse et lui fit relever la tête.
« Oui ?
_ C'est moi. »
Astarion poussait à peine la porte qu'il vit une cascade de cuivre plonger sur lui. Il dut compter sur ses réflexes accrus pour attraper au vol Silesta qui avait bondi et s'était jetée contre lui pour l'étreindre. L'énorme bleu qu'elle avait suite à la morsure de goule hurla de souffrance quand il se heurta au cou du vampire mais la jeune femme n'en avait cure. Si son compagnon venait à la détester, elle voulait s'imprégner de son toucher une dernière fois.
À son plus grand bonheur et soulagement, Astarion ne la repoussa pas. Au contraire, il lui rendit son étreinte en humant l'odeur de sa nuque avant de la relâcher.
« Vous allez mieux ? Comment vous sentez-vous ? s'enquit-elle en le détaillant.
_ Plus apaisé, je dirais. Je dois juste me réhabituer à l'idée de devoir retourner à l'obscurité. Qui sait combien de temps il me reste encore à pouvoir jouir du soleil ? »
Silesta eut un pincement au cœur. Même s'il n'affichait aucune rancœur, Astarion respirait une douloureuse résignation. Elle ne sut si cela le consolerait mais elle lui réaffirma qu'il avait bien fait de ne pas mener la Messe Noire à son terme.
« Peut-être. Cela n'en reste pas moins douloureux, concéda le vampire en fronçant légèrement du nez. Peut-être que ne plus revoir la lumière du jour était le prix à payer pour ma liberté.
_ Quoi qu'il arrive, je suis avec vous. J'espère que vous le savez. »
Elle avait parlé aussi vite que le débit de son cœur. Silesta se trouva présomptueuse de croire que sa présence compenserait cette privation à laquelle Astarion devrait faire face mais c'était ce qu'elle voulait. Ne plus l'abandonner.
Le regard étrangement pénétrant qu'il lui adressa avec un sourire mystérieux lui fit manquer un battement. Il n'avait oublié aucun des mots qu'elle avait eus pour lui. Ces mots à la précision parfaite droit dans son cœur. Ces mots qui avaient enfin franchi le dernier tour de clé qu'il espérait.
« Je pense, oui. » Il secoua la main avec désinvolture. « À condition que nous survivions, bien sûr. Depuis que je vous connais, la perspective d'une mort certaine n'est jamais bien loin. »
La saltimbanque pouffa, bien rassurée de constater que l'elfe insolent et sarcastique qu'elle connaissait n'avait pas disparu ; nouvelle preuve de sa grande force de caractère.
La légèreté de l'instant se suspendit lorsqu'Astarion l'informa qu'il souhaitait lui montrer quelque chose quelque part en ville. Silesta n'avait encore jamais eu droit à ce timbre de voix, ce qui ne fit que doubler sa curiosité. Il était à la fois calme et réservé. Elle accepta et emboîta le pas du vampire.
Le temps avait filé depuis qu'ils étaient revenus à l'auberge. Le soir était déjà tombé quand ils quittèrent la taverne pour s'enfoncer dans les rues qui se désertaient. Silesta n'osa pas poser de questions à son accompagnateur mais elle n'en demeurait pas moins intriguée. Elle n'avait aucune idée de qui pouvait bien l'attendre.
Après quelques minutes de marche silencieuse, la saltimbanque ne fut que plus décontenancée quand Astarion grimpa les quelques marches qui menaient tout droit vers un cimetière. Elle continua de le suivre néanmoins dans le silence absolu qui régnait entre les stèles de pierre.
Comme à s'en douter vu l'heure avancée de la soirée où chacun rentrait chez lui pour dîner, il n'y avait pas âme qui vive à part celles qui reposaient dans leurs cercueils.
Toujours sans mot dire, elle talonna Astarion entre les allées jusqu'à ce qu'il s'arrête devant une stèle. À en juger l'épaisse croûte de saletés qui la noircissait et le lierre qui la recouvrait, cette tombe n'avait pas été visitée depuis des décennies.
Le vampire s'agenouilla devant la dalle de pierre et s'attela à la débarrasser de la salissure et de la végétation.
Le ventre de Silesta se contracta quand elle lut ce qui était gravé et son cœur saigna.
Astarion Ancunín
229 – 268 DR
La jeune femme resta pantoise, embrassée d'une profonde mélancolie alors qu'elle fixait ces gravures.
Trente-neuf ans. Astarion avait perdu la vie à seulement trente-neuf ans, un âge si jeune pour un haut-elfe qui ne devenait adulte que vers les cent ans. Tellement jeune qu'il n'avait sans doute pas pu se défaire de son nom d'enfant.
Et ce nom. Ancunín. Son esprit le prononça dans toutes les tonalités en détachant chaque syllabe. Il lui allait bien. Sa musicalité était aussi noble et charmeuse que son porteur.
L'absence de message d'adieu lui fit aussi mal. Astarion n'avait-il donc aucune famille ou connaissance proche qui avait voulu lui rendre hommage sur son ultime demeure ?
« Presque deux cent ans se sont écoulés et je n'étais jamais revenu ici, avoua Astarion à voix basse. Pas depuis la nuit où j'ai été relevé. »
La même mélancolie que face à Sébastien revint se poser devant les yeux rubis de l'elfe qui laissa sa mémoire vagabonder entre de sombres souvenirs.
Cette nuit-là, il avait dû faire un trou dans son cercueil et remonter à la surface en creusant la terre à mains nues sur près de deux mètres.
« Et quand j'ai enfin pu m'extirper, crachant de la terre et du sang figé, Cazador était là à m'attendre. À partir de ce jour, je lui ai appartenu. Jusqu'à aujourd'hui. »
Le détachement qu'il voulait se donner s'égratignait sous le timbre grave de sa voix. Silesta écoutait sans savoir quoi dire. Les images qui s'imprimaient dans son esprit face au récit de son compagnon la glaçaient d'épouvante. Essayer d'imaginer l'état d'esprit d'Astarion au soir de sa « renaissance » lui tordait le ventre. Pire encore, même après avoir été mis en lambeaux, Cazador hantait encore celui qu'il avait peut-être le plus brisé. Ce constat lui insupportait.
« Cette ordure a eu le sort qu'il méritait », lâcha la saltimbanque malgré elle sans savoir qui s'exprimait entre elle et son spectre.
Astarion acquiesça faiblement sans être heureux pour autant. La mort de son maître n'effacerait pas tout le mal causé.
Son regard se perdit dans son nom figé dans la pierre. Pendant deux siècles, il avait erré dans les rues de la ville tel un fantôme tandis que l'homme qu'il avait été gisait ici, mort et enterré. Bien des choses s'étaient produites depuis.
« Il est temps maintenant pour moi de savoir ce que je veux devenir, déclara-t-il avant de se tourner vers son accompagnatrice avec un sourire. Ce que je veux enfin. »
Le pouls de Silesta s'accéléra et libéra la pression qui la contractait. Elle se revit des jours en arrière, dans cette clairière chez les druides quand elle lui demanda ce qu'il voulait.
Le regard qu'il posa sur elle l'enveloppa comme une couverture chaude lors d'une rude soirée d'hiver.
« Vous. C'est vous que je veux, Silesta. »
Avec son envie de détruire Cazador, jamais Astarion n'avait émis volonté plus farouche. Lui qui avait fini par oublier ce qu'était la notion de vouloir, elle s'imprégnait partout autour de cette jeune femme qui était restée à ses côtés même dans les pires moments et à qui il devait tant de choses. Elle lui avait aussi montré à quel point il pouvait compter pour quelqu'un, lui qui n'était rien pendant si longtemps. Il ne voudrait jamais perdre ce sentiment qui l'animait, pas plus qu'il ne pouvait plus garder ce qu'il ressentait en lui. Leurs jeux de séduction n'avaient plus besoin de lui servir de cachette parce qu'il ne craignait plus d'éprouver. Il avait enfin le droit d'éprouver.
« J'aime votre univers ainsi que chaque nuance que vous offrez. C'est très différent du mien mais je sais que ça marche. Mon existence s'est résumée jusqu'ici à toutes les teintes de noir mais quand on vous regarde... quand je vous regarde, je vois les couleurs », dit-il avec une rare sérénité.
Silesta ne sut comment elle parvint à répondre tant ce qu'elle entendait la bouleversait. Les barrières invisibles qui se dressaient dans son cœur se gondolaient de plus en plus sous la pression de ce qu'elle retenait dans son cœur depuis Hautelune. Elle plongea ses yeux dans les siens, ciel clair infini aussi vaste que ses sentiments.
« Je vous veux aussi dans mon monde, Astarion. À défaut de mon passé, quel qu'il soit. »
Elle n'oublierait jamais le visage qu'il lui offrit en retour tant il se grava si loin en elle.
Le vampire soupira brièvement avec un coup d'œil à sa tombe.
« Bien. Je suppose que je ferais bien de m'occuper de cela. »
Sur ces mots, il sortit sa dague et approcha de la stèle pour y graver une annotation de la pointe de son arme. Silesta sourit quand il quémanda un avis muet par le regard qu'il lui lança par-dessus son épaule.
C'était parfait.
Astarion Ancunín
229 – 268 DR - 460 DR
Il s'agenouilla ensuite pour se recueillir une dernière fois auprès l'homme qui était mort et qui renaissait ici afin de lui faire un dernier adieu. Silesta l'imita en prenant soin de déposer sur l'herbe asséchée par l'été une fleur qu'elle cueillit à proximité. Même si Astarion ne voulait sans doute pas pleurer le fantôme qu'il abandonnait ici, la jeune femme ne voulait pas le faire sombrer totalement dans l'oubli.
Son compagnon remercia son attention d'un sourire discret et la laissa prendre place à ses côtés. Cela ne l'étonnait même pas.
Ils firent silence pendant de longues minutes, chacun entre ses pensées. Lui pour apprécier le long chemin qu'il avait parcouru, elle pour honorer cette nouvelle part de confiance dont il la gratifiait.
« Je suis mort depuis bien assez longtemps, finit par décréter le vampire. Il est grand temps de recommencer à vivre. » Il se tourna vers sa voisine pour prendre ses mains dans les siennes. « Et profiter de tout ce que la vie peut m'offrir. »
Le sourire en coin un peu canaille qu'il étirait trouva un reflet face à lui. Silesta connaissait bien cette œillade de velours exquise.
« Comme... ?
_ Si vous pensez à une nuit torride, je saurai me laisser convaincre », répondit-il en feignant l'innocence.
L'invitation était aussi séduisante que l'onctuosité de sa voix. Silesta comprit que le sourire qu'elle lui rendit était bien assez éloquent pour avoir à étayer. Son âme était plume et dansait dans les Plans Extérieurs tant elle était heureuse.
« Dire qu'au début de cette aventure, je n'étais avec vous que pour vous manipuler. Mais maintenant, être avec vous représente tellement plus qu'une question de survie ou de désir, avoua Astarion avant de regarder la jeune femme dans les yeux. Je vous aime. J'aime cette vie. Et je veux tout cela. »
Silesta s'enivrait de ses mots. Son cœur débordait et ne voulait qu'accueillir Astarion tout entier pour le jamais le perdre. Elle n'eut cependant pas l'occasion de lui répondre car son amant venait de poser la main sur sa joue pour l'embrasser.
Était-ce l'ouverture de leurs cœurs qui donnait à ce baiser l'impression d'être le premier ? Savoir qu'elle était aimée en retour lui procurait une joie sans commune mesure. Astarion n'était pas le seul à renaître ce soir.
Son compagnon finit par se séparer d'elle avant de la repousser gentiment par terre pour s'approcher d'elle telle la panthère entre les herbes hautes vers une proie appétissante.
Elle lâcha un rire nerveux en comprenant.
« Attendez... Ici ? Sur votre tombe ?
_ N'est-ce pas le meilleur pied de nez que l'on puisse faire à la Mort pour fêter une nouvelle vie ? » répliqua-t-il tranquillement en se mettant au-dessus elle.
Et il avait réponse à tout avec ça. Il n'était qu'un incorrigible... lui.
Silesta ne sut dire si elle ne pouvait pas protester par manque de contre-argument ou si elle ne voulait pas protester. Ces rubis incandescents sur elle retinrent sa raison jusqu'à ce qu'Astarion soit assez penché sur elle pour l'emporter dans un nouveau baiser affamé. Elle abdiqua bien vite et se laissa griser par la fièvre qui montait à son corps pendant que son amant descendait le long de son cou tout en lui faisant remonter sa jambe par-dessus la sienne d'un mouvement habile du genou.
Il arrêta soudain sa suave progression et redressa la tête, affligé à la vue de l'énorme bleu qui galvaudait le creux de l'épaule de la jeune femme.
Bien que la trace de crocs de la goule ne fût à présent plus qu'une simple ligne rosée, les conséquences du choc étaient encore bien visibles. Même les poinçons laissés par les morsures répétées du vampire passaient presque inaperçus dans la nappe sombre qui s'étalait.
« Par les dieux, se désola Astarion avec mauvaise humeur. Je déteste qu'on empiète sur mon territoire.
_ « Territoire » ? s'offusqua la concernée dans un rire jaune en lui faisant les gros yeux. Astarion Ancunín ! »
Il se retint de trop sourire, enchanté de constater qu'elle n'avait pas mis longtemps à utiliser son nom complet pour le houspiller. Il sonnait divinement bien entre ses lèvres et avec ses yeux furibonds.
Quand sa maîtresse vexée lui demanda ce qu'elle était exactement pour lui, Astarion fit de son mieux pour reprendre sa superbe et sa désinvolture :
« Oh, si peu. Vous êtes juste la première personne à laquelle je tiens vraiment. »
Ce petit raclement nerveux de gorge au bout de sa phrase acheva le début de fâcherie qui lui faisait face. Silesta ne pouvait rien faire contre cette facette timorée qu'Astarion pouvait revêtir quand il était pris par la gêne. Comment lutter face à ce genre de maladresse attendrissante ?
Elle glissa ses mains dans le cou de l'elfe et ses yeux félins l'invitèrent à approcher en même temps que son léger mouvement de traction.
« Si vous craignez de perdre votre domination sur votre territoire, il va vous falloir mieux le marquer. »
La nuit était encore jeune et sombre sous la lune qui avait commencé à décroître. À croire que la faune nocturne qui devait pourtant rôder dans le coin avait conscience qu'il s'agissait d'un cimetière, le calme était absolu. Le risque de se faire prendre flottait toujours mais qui se rendrait dans ce genre d'endroit à cette heure-ci ? Si un nécromancien se hasardait à fureter pour récupérer quelque corps en vue de ses expériences, il aurait été surpris. Mais cela n'avait absolument aucune importance pour une jeune femme rousse qui savourait l'instant présent pour le suspendre dans le temps et sa mémoire.
La nuit était tiède à moins que le corps pressé contre le sien ne soit l'explication à la chaleur qui se diffusait en elle. Silesta se demanda si les dieux s'étaient penchés sur elle pour l'avoir bénie d'autant de sérénité, de bonheur et de chance.
Astarion était encore allongé sur elle, la tête reposant sur le sternum de la jeune femme pour être bercé par la mélodie de la vie qui battait et respirait encore sous sa poitrine.
Ce peau à peau était une tendre conclusion à l'amour dont elle avait été honorée mais existait-il plus grand privilège encore que celui de pouvoir caresser les cheveux d'Astarion ? Elle avait beaucoup hésité avant de se risquer à les effleurer délicatement, le souffle en suspens dans la crainte d'une réaction ennuyée au mieux, irritée au pire. Mais non. Astarion n'avait pas objecté.
Alors, à peine du bout des doigts, Silesta s'était laissé aller à lisser tout doucement les délicates boucles de neige pour en sublimer la courbe parfaite. Ses cheveux avaient le toucher de l'eau et de la soie. Fins, brillants et doux. Aussi étrange cela pouvait-il être, la jeune femme avait le sentiment d'avoir ouvert une nouvelle fenêtre sur l'intimité de son compagnon, même après avoir entendu ses soupirs de plaisir et avoir caressé la moindre ligne de son corps. Astarion était proche d'elle par son corps contre le sien mais il l'était encore plus par cette faveur qu'il lui accordait malgré lui.
La rêverie trichophile de notre amie s'évanouit doucement lorsqu'elle finit par remarquer le regard flou de son amant. Loin d'être porté par la félicité qui suivait la jouissance, Astarion semblait préoccupé.
« À quoi pensez-vous ? lui demanda la saltimbanque en délaissant les cheveux du vampire pour sa joue. Je vous promets que votre mise en plis est intacte. J'ai fait très attention. »
Il souffla du nez, un brin amusé. Las, le sujet qui occupait ses pensées était bien moins léger. Son esprit restait obstinément tourné vers Cazador et tout ce qui s'était passé pour ne former qu'une boucle épuisante. Silesta ne s'étonna pas de cette confession. Au contraire, elle aurait été surprise si Astarion avait déjà tout jeté aux oubliettes. Ce serait impossible de toute façon.
Elle hésita à concrétiser par les mots ce qui lui avait pesé au palais Szarr. Elle ne voulait pas raviver les braises mais peut-être le vampire avait-il besoin d'exorciser encore des choses et vu les circonstances, le mal par le mal était hélas inévitable.
« Là-bas, vous étiez quelqu'un d'autre, finit-elle par avouer à voix basse. Quelqu'un que je n'ai pas reconnu, même si vous m'aviez prévenue. »
Astarion voulut lui rétorquer la même chose mais s'abstint. Silesta était déjà bien assez préoccupée avec son double noir, inutile de remettre le sujet sur la table.
Il ferma les yeux. Elle avait raison. Cazador avait apposé sur lui sa marque de bien des façons et l'espace d'un instant, il avait désiré être comme lui. Fort. Puissant. Inébranlable. Sans entrave. Mais à quel prix aurait-il été tout cela ? Astarion avait été aveuglé par la promesse de sécurité et de pouvoir au détriment de lui-même. Mais quand il avait plongé dans ce ciel dont la pluie salée se versait pour lui, il avait vu ce quelqu'un d'autre qu'il pouvait devenir. Un être bien meilleur que cette ombre désarticulée qu'il était.
L'elfe se redressa sur les coudes et Silesta eut subitement froid de la perte de sa chaleur sur sa poitrine.
« Vous m'avez sauvé là-bas, vous savez. Je n'en avais pas conscience sur le moment mais maintenant, si. Merci. »
Elle lui rendit le sourire apaisé qu'il affichait. Peut-être était-elle même encore plus soulagée que lui car il lui offrait par ses mots l'absolution qui dissolut la culpabilité qui l'avait habitée. Astarion ne regrettait pas de l'avoir écoutée et s'en réjouissait même.
Il reconnut toutefois que détenir le pouvoir de Cazador aurait tout de même été très divertissant et cet aveu lui valut un début de gros yeux réprobateurs qu'il se hâta de calmer :
« Même sans pouvoir, je peux enfin envisager la suite de ma vie. Vous êtes l'avenir. Mon avenir. Et l'avenir s'annonce radieux. Je vais pouvoir le partager avec vous en tant que partenaire. » Il ferma les paupières, le temps de rechercher un meilleur mot. « Mon égale. »
Son interlocutrice ne ressentait plus le froid sur elle car une chaleur se diffusait partout dans ses veines. Son sang se réchauffait presque tandis qu'elle se laissait envelopper par ce qu'elle entendait. Avenir. Partenaire. Égale.
Astarion sentait presque son cœur inerte vibrer tant il était galvanisé par ce qui l'habitait. À mesure qu'il ouvrait son âme, c'était comme si la lumière éclairait sa route pour révéler mille beautés qu'il n'avait jamais osé entrevoir. Il emprunterait alors cette nouvelle voie grâce à laquelle il serait enfin libre. Vraiment et totalement libre.
« C'est là un autre cadeau que vous m'avez fait, Silesta, lui murmura-t-il encore empreint d'émotion. Merci. Je ne l'oublierai jamais. »
Silesta vit dans le baiser lent et intense qu'il lui donna le signe qu'enfin, Astarion venait de réduire à l'état d'ombre l'immense nappe de ténèbres de son passé tourmenté. Les blessures étaient si profondes qu'elles laisseraient à jamais leur marque en lui mais elles avaient commencé à se refermer et un jour viendrait où cet homme résilient et aimé serait capable de les regarder sans en éprouver de la souffrance.
Si Astarion se montra partant pour un « deuxième pied de nez à la Mort », son accompagnatrice était plus encline à repartir pour la taverne pour ne pas risquer de se faire arrêter par une patrouille de Poings Enflammés - même si la proposition du vampire conservait un petit goût d'interdit excitant.
« Quel est le problème ? avait alors riposté celui-ci en écartant les bras pour désigner les tombes autour d'eux. Avez-vous entendu quelqu'un se plaindre du bruit ? Si ça se trouve, nous leur avons même rappelé de bons souvenirs. »
Astarion avait parfois un sens de l'argumentation bien à lui. Heureusement pour sa compagne, il savait néanmoins se montrer raisonnable et accepta d'aller passer le restant de la nuit dans le douillet d'un lit... pour peu que celui-ci ne reste pas frais.
Voilou, on a clos l'arc Astarion avec des petites modifications de mon crû. J'espère lui avoir rendu les hommages et honneurs mérités (et pour les puristes, j'ai même inclus le fameux Leg Thing mdr).
Bien sûr, je suis restée sur un Spawn Astarion (aucune surprise) car c'est l'aspect de lui que je préfère (et par rapport à Silesta... Non, le AA n'était VRAIMENT pas envisageable du tout).
Côté purement fanfictionnaire, je reconnais qu'un AA représenterait un challenge très très séduisant à relever aussi, surtout la relation post-aventure mais là, c'est verser dans un registre connoté sexe que je ne saurais peut-être pas maîtriser (même si c'est celui qu'une majorité de fans veulent lire. Désolée, je suis une auteur qui préfère créer des scénarios et du bonding que de la scène olé olé sans but). C'est plus facile d'imaginer une scène où Astarion vous demande de lui déboutonner sa veste rien qu'avec les dents et en gardant les mains au sol que de l'écrire et que ça rende bien.
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On va parler d'autre chose, hein ?
