Courage, c'est le dernier chapitre dur pour Drago avant que sa vie ne trouve une routine plus stable et apaisante.

Avertissement : ce chapitre contient une scène d'agression violente.


Drago s'était dit que quitter Harry lui briserait le cœur et le plongerait dans des souffrances indicibles mais en réalité, il ne ressentit rien. Il était soulagé de savoir que Harry ne viendrait plus, qu'il n'aurait plus à lui mentir sur sa vie en prison et qu'il n'aurait plus à craindre la disparition de leur amour. Si Harry ne venait plus, c'était parce que Drago le lui avait demandé et cette idée était supportable, bien plus que le reste. Il pouvait imaginer Harry dans sa maison, qui pensait à lui et à qui il manquait. C'était bien plus supportable que de l'imaginer embrasser quelqu'un au premier de l'an. Et quand parfois Harry lui manquait et qu'un soupçon de panique naissait en lui à l'idée qu'il ne le reverrait plus, le froid, les vomissements et le poids de Kyle Long l'engourdissaient suffisamment pour que la panique s'étouffe d'elle-même. En fait, il n'avait même plus assez de forces pour souffrir comme il le fallait. Pour souffrir à cause d'une rupture, en tout cas.

Ce qui affectait le plus Drago, peut-être, c'était que toute la prison était au courant de leur séparation et qu'il avait dû affronter des commentaires et moqueries de la part des autres détenus. Son père évitait catégoriquement de croiser son regard, Rabastan le fixait avec un dégoût manifeste et Connor avec une satisfaction méchante. On lui avait fait des blagues, sur le fait qu'il avait quand même un sacré culot de plaquer Harry Potter et qu'il lui en aurait donc fait baver jusqu'au bout. Le fait qu'il se comporte comme un salaud avec Potter amusait la plupart des prisonniers. Drago n'était pas sûr de bien comprendre en quoi il était un salaud. Au fond de lui, il était persuadé que Harry se remettrait bien plus facilement que lui de la situation. La victime, depuis le début, c'était lui, Drago, ce n'était pas Harry. Franck était l'un des rares à n'avoir fait aucun commentaire. Il semblait penser que c'était le choix de Drago et que ça ne le regardait pas. Ils ne se mêlaient pas de la vie privée de l'autre et c'était bien comme ça.

Quand arriva le 1er mars, Drago se sentit nerveux, se demandant si Harry allait respecter son souhait ou pas. Il vit le gardien entrer dans la cellule et lui indiquer qu'il ne venait que pour Franck. Drago en ressentit un mélange de soulagement et de déception difficile à quantifier. Il resta allongé sur sa couchette à penser à Harry, à se demander à quel point ce dernier lui en voulait et souffrait. Peut-être s'était-il déjà consolé avec l'autre personne qu'il avait embrassée. Drago était définitivement bien content de ne pas savoir ces choses-là. Il aurait dû demander qui Harry avait embrassé. Mais peut-être pas, finalement. C'était apaisant de ne pas avoir d'image trop précise en tête.

Le mois de mars ramena un peu de douceur entre les murs d'Azkaban et les sortilèges chauffants furent plus efficaces. Drago se fit la réflexion qu'il avait survécu à son premier hiver, à ses premiers mois, à son premier Noël et à sa première journée de visite sans Harry. Il commençait donc à se dire qu'il allait pouvoir survivre à Azkaban. Ce ne serait peut-être pas si terrible que ça et il s'habituait déjà à la plupart des horreurs qui l'avaient terrifié. Les hurlements des loups-garous le dérangeaient pour dormir mais faisaient désormais naitre en lui plus d'agacement que de peur. L'évitement de son père le laissait impassible et il ne cherchait plus vraiment à croiser son regard. Parler à sa mère lui suffisait. Les masturbations de Franck ne lui faisaient plus grand-chose. Les douches… Si, les douches continuaient à l'angoisser terriblement. Il ne pouvait pas être parfait.

Ce jour-là, d'ailleurs, ils étaient arrivés dans les derniers à la douche parce que Franck n'avait pas fini ses pompes. Drago ne le pressait jamais, il aimait arriver à la fin, quand les autres prisonniers étaient déjà presque tous retournés dans leurs cellules. Drago fit la queue derrière Franck, sa serviette serrée convulsivement contre lui. Parfois, il regrettait presque que les progrès d'Azkaban leur permettent de se laver autant. C'était surement plus reposant de rester constamment dans sa cellule, seul, avec la certitude que personne ne viendrait le déranger. A part les Détraqueurs, bien sûr, qui venaient les vider de leur âme petit à petit… Drago repensa aux fois où Kyle l'avait enfermé avec un Détraqueur et frissonna. Il préférait quand même être avec Franck. Il préférait peut-être même les douches, finalement, il ne savait plus trop.

Drago sursauta franchement quand deux hommes le bousculèrent pour le doubler et prendre sa place dans la file. Ils se retournèrent pour le regarder d'un air menaçant, le mettant au défi de se plaindre et Drago se tut. Il n'allait surement pas chercher les ennuis pour une place dans la queue de la douche. Les hommes parurent satisfaits et l'ignorèrent. Drago se détendit difficilement et essaya d'apercevoir Franck avant de réaliser qu'il était déjà dans une des douches. Tant pis. Drago attendit, nerveux, impatient d'en finir et pénétra avec soulagement dans la cabine de douche libre qui se présenta enfin. Il y avait une porte qui les dissimulait à peu près des autres mais qu'ils ne pouvaient pas verrouiller. Elle protégeait des regards, pas des agressions, et Drago se faisait toujours un devoir de se laver le plus vite possible. Se sentir propre était un besoin vital auquel il s'accrochait avec une obsession morbide mais qui combattait son besoin de ne pas être nu devant d'autres hommes. Il fallait alors se laver parfaitement et méticuleusement tout en était rapide. C'était une compétence qu'il maitrisait maintenant totalement. Il avait donc terminé sa toilette quand la porte de sa douche s'ouvrit brutalement pour laisser apparaitre Connor qui fixa Drago avec un sourire satisfait. Drago essaya de maitriser le hurlement de surprise et de terreur qui se bloqua dans sa gorge.

- Tiens, dit Connor. Regardez qui est là…

Derrière Connor, Drago devina deux hommes qui devaient sans doute monter la garde. Il aperçut également les trois derniers détenus qui s'empressaient de sortir, comme s'ils pressentaient qu'il valait mieux quitter la pièce. Affolé, Drago chercha Franck du regard mais ne le vit nulle part. Il avait dû terminer sa douche et partir sans lui. Peut-être l'attendait-il dehors, dans le couloir. Il saurait alors qu'il y avait un problème et il viendrait…

- Ça fait longtemps que j'essaie de me retrouver seul avec toi, admit Connor. Mais tu n'es pas facile à saisir… Toujours dans les basques de Franck ! Mais ce matin, le gardien m'a promis de tenir Franck à l'écart. Il me doit une faveur, tu vois ?

La voix de Connor était enjouée, comme s'il était réellement heureux de la situation. Drago, lui, se sentait mourir de l'intérieur. Il fixa Connor sans répondre, respirant à peine.

- Pas besoin de faire cette tête ! dit Connor en éclatant de rire. Tu as largué Harry Potter, tu n'es pas plus à lui maintenant, pas vrai ? Donc je peux enfin prendre mon tour. Tu sais, ça peut se passer gentiment, tu peux juste me laisser te baiser, prendre ton pied aussi et tout ira bien. Je ne suis pas un salaud.

Drago se dit qu'il avait peut-être une minuscule chance de s'en sortir.

- Je n'ai aucune envie de coucher avec toi, répondit-il précipitamment.

- Vraiment ? soupira Connor d'un air faussement déçu. Pourtant ça doit faire longtemps que personne ne t'a baisé, non ? Je suis sûr que Franck ne le fait pas, ce n'est pas son style. Allez, on est en manque tous les deux, pourquoi ne pas se soulager ensemble ?

- Je ne suis pas en manque et je n'ai pas envie de me soulager avec toi.

- Bon… Dommage pour toi. N'oublie pas que tu as eu le choix et que tu as aggravé les choses tout seul.

Connor s'approcha de Drago qui recula dans la douche. Il repensa brièvement au conseil de Franck, de ne pas se laisser acculer dans un coin. Loupé, il était coincé dans la douche, ça ne pouvait pas être pire. Connor avançait lentement, en parlant. Ses paroles résonnaient aux oreilles de Drago mais leur sens commençait à lui échapper au fur et à mesure que la panique l'envahissait. Mélange de terreur, de vide, de douleur. Il avait envie de vomir, il avait envie de boire la potion que lui donnait Kyle, celle qui atténuait ses sensations. Pendant une seconde, il songea avec une résignation aseptisée qu'il pourrait juste se laisser faire, attendre que ça passe et retourner sagement dans sa cellule, comme il le faisait avec Kyle. Connor, pendant ce temps-là, parlait toujours.

- Je vais pouvoir vérifier si tu es tellement bon que ça. Long devait être vachement entiché de toi pour en arriver là, tu devais lui faire des choses incroyables ! Et Potter, je me demande bien comment tu as fait pour lui retourner le cerveau de cette façon. Vas-y, tu vas me montrer.

Connor commença à baisser son pantalon d'un geste suggestif et Drago suivit son geste du regard. Il le fixa un instant, immobile, plus vraiment lui-même. Au diable la résignation, finalement, réalisa Drago. Il ne pourrait jamais supporter ça à nouveau. Luttant contre sa terreur, il essaya de maitriser sa voix.

- Tu sais pourquoi je suis à Azkaban, Connor, pas vrai ? demanda Drago.

Connor arrêta son mouvement et garda sa main sur son pantalon, étonné de l'entendre parler.

- Parce que tu as tué Long.

- Parce que j'ai tué l'homme qui m'a violé. Je l'ai saigné comme un porc dans son lit et je l'ai regardé crever.

Connor le fixa avec attention, comme si c'était la première fois depuis le début de la conversation qu'il s'intéressait vraiment à ce que Drago disait.

- Si tu me touches, je te saignerai aussi. Je tuerai tous ceux qui poseront la main sur moi. C'est une promesse.

- Si tu fais ça, tu ne sortiras pas dans quinze ans, tu peux en être sûr.

- Je n'en ai absolument rien à foutre.

La mâchoire de Connor se contracta et il se retourna pour jeter un coup d'œil à ses deux camarades qui attendaient derrière. Ils avaient écouté et entendu et ils pincèrent imperceptiblement les lèvres. Connor braqua son regard vers Drago avec mépris et sourit.

- Parce que tu crois vraiment que tu pourrais me saigner ? Regarde-toi, tu tiens à peine debout.

Drago posa ses yeux sur le visage de Connor, sur son cou et sur sa poitrine. Pourrait-il vraiment le saigner ? Oui, il n'en doutait pas un seul instant. Il planterait ses dents dans le cou de Connor s'il le fallait et il ne lâcherait pas. Il enfoncerait ses doigts dans ses yeux, il ferait n'importe quoi, ça n'avait plus d'importance. Mais il ne laisserait pas Connor le violer. C'était une certitude réconfortante qui laissa Drago calme et impassible, comme lorsqu'il s'était retrouvé devant Kyle Long et qu'il avait murmuré son prénom en regardant la vie s'éteindre dans ses yeux vitreux. Et Connor dut le sentir car il retira la main de son pantalon avec un rictus de colère. Il éclata de rire et fit un pas vers Drago.

- Tu ne peux rien me faire, petite merde, cracha Connor. Qu'est-ce que tu crois ?

Drago s'attendait à ce que Connor l'attrape pour le forcer à se retourner, à se mettre à genoux ou toute autre chose de la sorte mais Connor se contenta de le frapper de toutes ses forces. Le coup atteignit Drago au visage, lui fit éclater la pommette et il chancela, stupéfait. Pendant une seconde, il comprit qu'il avait gagné, que Connor n'avait pas envie de prendre le risque de le violer mais qu'il était furieux de ne pas obtenir ce qu'il voulait. Drago leva les mains pour se protéger mais il ne put rien faire contre les coups de Connor. Il n'avait jamais connu cela et la terreur revint, en même temps de que la douleur. Il sentit sa tête cogner contre le mur de la douche puis son corps heurter le sol. Il y avait le bruit de son nez qui se cassait, le sang qui coulait dans ses yeux, la douleur diffuse, absolument partout. La bile dans sa bouche quand le pied de Connor toucha son ventre et l'étouffement quand il frappa ses côtes. Drago songea qu'il allait mourir comme ça et qu'il ne pourrait rien y faire. Encore une fois, il était impuissant à se défendre et il ne pouvait faire que subir, comme avec Voldemort, comme avec Kyle. Il tenta de protéger son visage avec ses mains mais ses doigts se brisèrent sous les coups violents et furieux de Connor qui passait sur lui sa rage et sa frustration, sans doute emmagasinées depuis bien longtemps. Drago utilisa ses dernières forces pour essayer de ramper hors de la douche et s'enfuir mais Connor l'agrippa par les cheveux pour le maintenir là, lui hurlant des insultes que Drago ne comprenait plus.

Il dut perdre connaissance pendant un instant car quand il redevint conscient de ce qui l'entourait, Connor avait disparu et un gardien était planté devant lui. Il criait des ordres, agacé. Il entendit la voix de Franck, qui répondait, basse et pleine de fureur. Drago les entendait de loin, comme étouffés par de l'eau. Puis il s'évanouit à nouveau. Il se réveilla une seconde fois dans un lit, dans une pièce qu'il ne connaissait pas mais qui devait être l'infirmerie d'Azkaban. La première pensée qui lui vint fut qu'elle ressemblait beaucoup à celle de Poudlard. Cette pensée fut chassée par la douleur atroce qu'il ressentait absolument partout. Il voulut bouger et se rendit compte qu'il n'y arrivait pas. Il voulut crier pour appeler à l'aide mais ça non plus, il ne pouvait pas le faire. Sa bouche ne s'ouvrait plus, quelque chose la maintenait fermée. Drago fut envahi de terreur et jeta autour de lui des regards fous jusqu'à rencontrer celui d'un homme, à l'autre bout de la pièce. Drago réalisa avec horreur qu'il ne le distinguait pas très bien et qu'il voyait flou. L'homme s'approcha de lui à pas vif et posa une main sur son bras.

- Ah, vous êtes réveillé. Restez tranquille, calmez-vous. Vous êtes salement amoché, il faut attendre que les potions et les traitements fassent effet. Ça va passer.

Drago voulut parler mais ne put sortir qu'un gémissement plaintif.

- N'essayez pas de parler, conseiller le guérisseur. Vous avez la mâchoire fracturée, il va falloir attendre que ça se répare.

Il y eut un silence pendant lequel le guérisseur regarda les yeux clairement affolés de Drago. Cela avait été son choix de venir travailler à Azkaban au lieu de rester à Ste Mangouste. Il l'avait fait par compassion, parce qu'il avait envie d'apporter un peu de réconfort aux prisonniers. Il avait donc pitié de Drago et il se râcla la gorge pour prendre une voix plus douce.

- Voulez-vous que je vous parle de vos blessures ?

Drago réussit à bouger la tête pour acquiescer.

- Vous avez de nombreuses fractures un peu partout, à la mâchoire, au nez, aux mains et aux côtes. Je vous ai donné de la potion et j'ai immobilisé les parties qui doivent guérir. Ce n'est pas très agréable mais ça ne devrait pas durer longtemps. Vous avez aussi des contusions au visage, je vous ai mis du baume mais je ne peux rien faire de plus. Votre œil gauche est enflé, il faut attendre que ça dégonfle. Si jamais vous ne voyez pas très bien, c'est normal, ça va revenir.

Drago ferma les yeux, exténué. Le guérisseur prononça encore quelques paroles qu'il voulut réconfortantes puis le laissa se reposer. Drago resta immobile, allongé sur le dos, les mains emprisonnées dans des bandages pour permettre à ses os de repousser convenablement. Maintenant qu'il s'était un peu calmé, il devinait qu'il pouvait bouger les jambes mais il n'avait pas envie de faire le moindre effort. C'était une expérience étrange à laquelle il n'était pas habitué. Ce qui s'en rapprochait le plus était la fois où Harry et le jumeau Weasley l'avaient frappé après un match de Quidditch. C'était en cinquième année et ils n'avaient pas eu le temps de lui faire trop mal. Il avait saigné du nez, il avait eu quelques bleus mais ça n'avait pas été plus loin. Là, Connor l'avait tabassé à mort, il le savait. Il avait de la chance d'être encore en vie, si tant est qu'être en vie soit vraiment une chance pour lui.

Plusieurs heures passèrent lentement, entre somnolence et abattement. Certaines douleurs s'apaisèrent légèrement mais d'autres restaient bien vives. Drago avait presque envie que les choses demeurent ainsi. Rester allongé sur le lit de l'infirmerie lui plaisait bien, il se sentait en sécurité. Le guérisseur allait et venait, vérifiait que tout allait bien. Pour le déjeuner, on lui donna à boire une soupe avec une paille, pour éviter qu'il ouvre la bouche. Après cela, il eut la surprise de voir sa mère arriver, escortée par une gardienne. Evidemment, son agression avait dû faire le tour de la prison. Il ne savait pas à quoi ressemblait son visage mais il devina que ça devait être moche quand sa mère devint livide en l'apercevant. Il ne pouvait pas lui parler et il en fut soulagé. Il n'avait aucune envie de raconter ce qui s'était passé. Narcissa parla, alternant entre douceur et fureur, exaspérée d'être impuissante à le protéger. Elle voulait savoir qui avait fait ça. Des bruits couraient mais ils n'en étaient pas sûrs. Ce n'était pas Rabastan, au moins ? Drago secoua la tête mais n'essaya pas de dire qui c'était.

En fin d'après-midi, il reçut la visite d'Agatha Greengrass. Il fut d'abord surpris de la voir puis il se dit que c'était sans doute normal. Elle avait la charge de son cas, elle avait dû être prévenue de l'agression. Pendant un instant, ils avaient peut-être cru qu'il ne se réveillerait pas et il fallait bien prévenir le Ministère. Le visage d'Agatha se décomposa presque autant que celui de Narcissa et elle s'assit doucement près de lui. Narcissa était furieuse qu'on ait fait du mal à son fils mais Agatha était triste et désolée. C'était plus doux et Drago fut heureux qu'elle soit là. Elle lui promit qu'il serait bien soigné, qu'elle y veillerait. Il se laissa bercer par le son de sa voix, comme un enfant. Sa mère ne l'avait pas touché, pour ne pas lui faire mal mais il aurait aimé que quelqu'un le prenne dans ses bras et le berce doucement pour atténuer les douleurs. Il aurait aimé que Harry vienne, il savait que Harry l'aurait réconforté. Mais il ne fallait pas, il ne voulait pas que Harry sache. Il avait honte de s'être fait casser la gueule de cette façon, il avait honte que Connor ait voulu le violer dans les douches, il avait honte de ne pas s'être défendu et d'avoir voulu ramper comme une merde. Il ne voulait pas que Harry sache, ce serait trop humiliant et trop douloureux. Harry viendrait le voir, à coup sûr, et Drago devrait affronter son regard plein d'amour, de peine, de questions et d'horreur. Il ne se sentait pas capable de cela, il n'en avait plus la force. Quand Agatha se leva pour partir, Drago réalisa qu'elle travaillait avec Harry et qu'elle allait le lui raconter. Il eut un mouvement vers elle, soulevant sa main brisée et elle le regarda avec interrogation. Drago essaya d'ouvrir la bouche, ce qui lui fit affreusement mal.

- Ne lui îtes as, souffla-t-il avec effort.

Agatha se pencha vers lui.

- Pardon ? demanda-t-elle, inquiète.

Drago avala sa salive et recommença. Il ne pouvait pas articuler mais les sons passaient quand même.

- Ne lui dîtes pas, répéta-t-il un peu plus fort.

Agatha baissa les yeux vers lui et le contempla un instant. Il se demanda si elle avait compris et il s'apprêta à prononcer une autre phrase où il serait plus clair mais Agatha le devança.

- D'accord, comme vous voudrez.

Elle savait de qui il parlait, évidemment, elle n'était pas stupide. Drago lui en fut reconnaissant et il la regarda partir avec déception.

Il resta cinq jours à l'infirmerie, ce qui était long pour un sorcier. Sa vue demeura floue pendant deux jours puis redevint normale. Il eut des acouphènes presque aussi longtemps, à cause des coups reçus aux tempes. Il put bouger ses doigts à nouveau mais ils étaient raides et douloureux. Ses côtes étaient reconsolidées mais il avait mal à la poitrine, sans doute à cause de blessures internes pas encore cicatrisées. Il pouvait à nouveau ouvrir la bouche mais sa mâchoire était aussi raide que ses doigts et craquait quand il l'ouvrait trop. Le guérisseur l'accompagna à la douche de l'infirmerie et Drago put constater qu'il avait le corps recouvert d'hématomes allant du violacé au verdâtre. Le guérisseur expliqua qu'il s'était concentré sur les blessures graves et n'avait pas traité les bleus.

- Il n'y a pas beaucoup de potions et d'onguents à Azkaban, dit-il d'un air désolé.

Drago demanda un miroir et regarda son visage. Se voir livide et émacié n'aurait déjà pas été très réjouissant mais ce fut pire encore. Il avait des hématomes autour des yeux et du nez. Son œil gauche était encore un peu gonflé et était injecté de sang. Sa mâchoire avait dégonflé mais elle était maintenant recouverte d'ecchymoses jaunâtres. Il faisait peur.

Au bout du cinquième jour, on le sortit de l'infirmerie pour le ramener dans sa cellule. Il n'était pas entièrement remis mais le guérisseur n'avait plus de soins à lui prodiguer. Ce qu'il lui fallait maintenant, c'était du repos. Or, puisqu'ils passaient leurs journées dans leurs cellules, les prisonniers pouvaient très bien se reposer là-bas. Quand il passa la porte de l'infirmerie avec le gardien, Drago sentit une angoisse sans nom lui tomber dessus. Tant qu'il était dans le cocon protecteur de l'infirmerie, il s'était senti à peu près bien. Mais là, de retour dans la prison, Drago ne put ignorer toute la peur qui menaçait de le submerger. Il s'attendait à voir Connor surgir à tout instant pour finir le travail et cette idée le paralysait. Connor allait revenir le chercher, le violerait et l'achèverait, il en était convaincu. Quand on lui avait demandé qui l'avait frappé, Drago avait refusé de répondre, trop terrifié de ce que lui ferait Connor pour se venger. S'il dénonçait Connor, ce dernier serait enfermé dans sa cellule pendant quelques semaines, sans pouvoir sortir. Puis la punition serait levée et là, que ferait-il ? Drago en avait des sueurs froides. Dénoncer Connor ne servait à rien et ne ferait qu'empirer son cas.

Il était plus mort que vif quand il atteignit sa cellule, plein de terreur et de douleur. Ses jambes étaient vacillantes, même si le guérisseur lui avait assuré qu'il n'avait pas été gravement blessé à cet endroit-là. Ça ne changeait rien au fait que marcher était difficile et fatigant, qu'il était épuisé et effrayé. Retrouver sa cellule le rassura un peu, il savait que Connor n'y serait pas. Franck y était, en revanche, et il se leva en voyant Drago arriver. Ils ne parlèrent pas quand le gardien ouvrit puis referma et le laissèrent s'éloigner.

- Bonjour, souffla Drago sans oser le regarder dans les yeux.

Franck le fixait et Drago sentait qu'il y avait quelque chose de différent dans son regard et dans sa posture, même s'il n'arrivait pas à identifier quoi. Il avait trop honte pour affronter Franck et ses jugements. « Je t'avais dit de ne pas rester dans un coin, petit. » Drago posa les mains sur l'échelle qui menait à sa couchette et grimaça en levant la jambe.

- Tu peux dormir en bas pour quelques temps, si tu veux, proposa Franck.

C'étaient les premiers mots qu'il lui adressait et Drago garda les yeux braqués sur les barreaux de l'échelle.

- Merci, ça ira.

- Non, tu ne dois pas faire d'efforts inutiles. Reste en bas, tu seras mieux.

Les mains de Drago se crispèrent. Il avait envie de rester en bas, oui. L'idée de monter et de descendre l'échelle plusieurs fois par jour l'angoissait déjà. Pour autant, être en bas lui faisait peur aussi, pour d'autres raisons.

- Je préfère être en haut, dit Drago à voix basse. Je peux surveiller ce qui se passe et…

- Ok, coupa Franck. Alors on va faire ça.

Il repoussa Drago sur le côté, grimpa l'échelle et attrapa le matelas du haut. Il était fin et léger, Franck le porta comme si ce n'était rien et l'installa sur le sol, au pied de la couchette du bas. Drago le regarda faire, effrayé que Franck veuille le faire dormir par terre. C'était pire que tout.

- Toi tu prends ma couchette, dit Franck d'un ton calme. Et moi je reste là et je surveille. Il faudra me marcher dessus pour t'atteindre, je doute qu'ils essaient.

Drago leva enfin les yeux vers lui, rougissant un peu. Il hocha la tête et s'allongea précautionneusement sur la couchette de Franck. Il se glissa sous la couverture, lui tourna le dos et posa sa tête sur l'oreiller. Ça avait l'odeur de Franck et c'était rassurant.

- Comment tu vas ? demanda Franck derrière lui.

- Comme tu le vois. Ça va passer, nous ne sommes pas obligés d'en parler.

Il y eut un silence. Drago pensait que Franck abandonnerait, il n'était pas connu pour ses profondes discussions psychologiques après tout.

- Le gardien était de mèche, déclara brusquement Franck. Il m'a obligé à retourner dans la cellule sans t'attendre, j'ai trouvé ça bizarre. Je pensais que tu allais arriver juste derrière moi mais tu ne sortais pas alors je suis allé le voir. Il m'a rembarré, j'ai deviné qu'il y avait quelque chose de pas net. Je suis allé chercher un autre gardien, Orlan, celui qui est sympa. Quand nous sommes revenus, les types s'étaient enfuis, on avait dû les prévenir.

Drago ne répondit pas.

- C'est Connor qui t'a fait ça, n'est-ce pas ?

- …

- Je sais que c'est Connor. Il t'aurait tué si nous n'étions pas revenus rapidement. Quand je suis entré dans les douches, tu… J'ai cru que tu étais mort.

- J'aurais peut-être préféré.

- Est-ce qu'il t'a fait autre chose, avant de te frapper ?

- Il a voulu, je l'ai menacé de le saigner comme Kyle Long, ça ne lui a pas plu, il m'a frappé. C'est tout.

Drago se recroquevilla sous sa couverture, espérant qu'il avait mis fin à la conversation. Il ne comprenait pas pourquoi Franck voulait tant parler, brusquement. Ce n'était pas son genre. Il entendit Franck s'asseoir sur le matelas qu'il avait posé au sol et se rapprocher de lui.

- Hey, petit, appela doucement Franck. Je n'aurais pas dû te laisser seul, je suis désolé. Connor devait attendre une occasion comme celle-ci depuis des semaines, j'aurais dû rester avec toi.

Drago ne sut pas quoi répondre. Ce n'était pas la faute de Franck mais ça, ils le savaient tous les deux. Franck ne lui devait rien et ils le savaient tous les deux aussi. S'il se sentait coupable, c'était son problème. Drago n'avait pas la force de s'occuper de ça.

- Merci, répondit-il simplement.

Un peu plus tard, un gardien vint ouvrir pour leur permettre de descendre dans la cour. Drago agrippa la couverture et fixa le mur, les yeux écarquillés d'angoisse.

- Je ne veux pas y aller, souffla-t-il. Je ne veux pas voir Connor et je me sens trop faible.

- D'accord, répondit Franck. Restons là aujourd'hui.

Drago se sentit infiniment soulagé. Il somnola à nouveau jusqu'à la fin d'après-midi où on le réveilla pour aller dîner. Son angoisse se réveilla brutalement et il déclara à Franck qu'il ne voulait pas y aller. Cette fois-ci, il y eut un silence avant la réponse de Franck.

- Il faut descendre manger, tu ne peux pas rester là.

- Je n'ai pas faim.

- Mais moi si, dit doucement Franck, comme s'il parlait à un enfant.

- Alors vas-y sans moi.

- Non, il ne faut pas que tu restes ici. Si tu te retrouves seul, Connor pourrait venir et finir le travail.

Cette idée paralysait Drago de terreur. Il hésita à se lever, l'estomac noué et le dos recouvert d'une sueur glacée qui le fit frissonner. Il finit par le faire quand même, comme un automate, et se planta près de Franck pour le suivre. Le chemin jusqu'au réfectoire fut un supplice d'appréhension et d'anxiété. L'idée de revoir Connor donnait à Drago envie de vomir et de hurler. Que se passerait-il ? Connor viendrait-il lui parler ? En plus de la peur, il y avait la honte aussi. Il ne voulait pas se montrer ainsi devant tous les prisonniers. Il imaginait déjà le sourire de Rabastan Lestrange. Tout le monde devait savoir ce qui s'était passé, c'était inscrit sur son visage de toute façon. Tout le monde devait savoir que Connor avait voulu le baiser puis l'avait tabassé dans les douches. Drago avait l'impression d'être nu et recouvert de merde, de ne rien pouvoir cacher. Il se demanda vaguement s'il arriverait un jour à se débarrasser de ce sentiment étouffant.

Son arrivée dans le réfectoire fut comme il l'avait imaginée. Tous les prisonniers le regardèrent pour contempler ce que Connor lui avait fait, avec des sentiments mitigés. Globalement, il y avait plus de compassion, de répugnance et d'indifférence que Drago l'avait craint. Il put voir son père se figer, près de sa table, et le regarder passer avec une expression horrifiée. Drago évita son regard, plein de honte et de douleur. Il suivit Franck comme un chien, conscient qu'il essayait de se cacher derrière lui et que c'était pathétique. Près des marmites de soupe, Connor et sa bande attendaient leur tour, parlant fort. Connor se tourna vers eux avec un sourire narquois, le sourire du type qui sait qu'il ne craint rien et qui admire son œuvre. Drago aurait aimé se serrer contre Franck et disparaitre.

- T'as l'air en forme, commenta Connor. Je suis content de te revoir, tu m'avais presque manqué.

Il y eut quelques rires dans la bande de Connor, rires qui s'estompèrent quand Franck répondit froidement :

- Ta gueule.

Connor eut un rictus méprisant et haussa les épaules.

- C'est ça, défends ton petit toutou, il est incapable de le faire lui-même.

Franck ne répondit pas et Connor s'éloigna pour aller s'asseoir à une table du fond. Franck jeta un coup d'œil à Drago pour constater que ce dernier tremblait, les yeux écarquillés vers le sol, en proie à une panique évidente. Franck ouvrit la bouche, renonça à parler et prit deux bols de soupe. Il entraina Drago à une table où ils furent rejoints par Owen et Achille. Les trois hommes durent se parler mais Drago ne les écoutait pas. Il n'entendait que son cœur qui cognait contre sa poitrine, le brouhaha de la salle. Devant lui, sa soupe refroidissait sans qu'il y touche. La voix de Connor retentissait à ses oreilles, comme dans les douches. Il ne pouvait penser qu'aux coups et à la douleur. Et pire que tout, au sentiment d'impuissance qui l'avait envahi alors.

Drago cessa de respirer quand Rabastan Lestrange s'approcha d'eux et baissa ses yeux cruels vers lui.

- Je suis dépité que ce soit cette vermine de Connor qui t'ait mis dans cet état mais c'est tout de même satisfaisant à voir.

Drago n'osait pas lever les yeux vers lui et se contentait de fixer sa soupe. Il détestait cette faiblesse qui l'empêchait d'affronter les autres mais il ne pouvait faire autrement. Connor avait brisé chez lui le peu de forces qu'il avait retrouvées auprès de Harry. Il se sentait aussi vulnérable, aussi cassé et défectueux que quand il rentrait chez lui après une soirée avec Kyle. Il n'y avait alors plus aucune force, plus aucun courage et plus aucune dignité. Il ne lui restait plus rien.

- La prochaine fois, continua Rabastan en se délectant de la terreur de Drago, tu n'auras qu'à le laisser te baiser. Tu n'es bon qu'à ça de toute façon.

Drago leva la tête pour regarder Rabastan, choqué par la méchanceté de l'attaque. Comment pouvait-il lui dire une chose pareille après tout ce qu'il avait vécu ? Pire, était-ce ce que pensaient tous les autres ? Peut-être était-ce comme cela que tout le monde le voyait, en réalité. Comme un objet troué tout juste bon à se faire baiser. C'était ce que pensait Kyle en tout cas, Kyle, les Manure, Braxton Turd et tous les autres. Et il se rappela que c'était exactement pour cela que ses amis et lui avaient massacré tous ces connards avant le procès.

Une main agrippa l'uniforme de Rabastan au niveau de l'épaule et le tira en arrière, si violemment qu'il tomba sur le sol. Drago regarda son père se pencher au-dessus de Rabastan.

- Et la prochaine fois que tu parles à mon fils de cette façon, c'est toi qui te retrouveras à l'infirmerie, promit Lucius.

- J'ai hâte de voir ça, rétorqua Rabastan en se relevant.

Edward Nott vint se planter près de Lucius et toisa Rabastan de sa haute taille.

- Fais attention à la façon dont tu parles à Drago, conseilla Edward. Mon fils aussi a été abusé par Kyle Long et ses amis et je n'aime pas du tout l'idée que tu sous-entendes qu'il n'était bon qu'à ça.

Il était clair que Rabastan était plus impressionné par Edward Nott que par Lucius Malefoy et il tressaillit sous l'accusation.

- Non, ce n'était pas ce que je voulais dire.

- Tant mieux.

Drago tendit la main pour attraper la manche de Franck et la serra convulsivement.

- Remontons, supplia-t-il.

Le fait que son père ait pris sa défense ne consola pas Drago. Il était trop traumatisé par son agression, trop perdu dans ses terreurs et trop déprimé pour y trouver le moindre réconfort. Les jours qui suivirent se ressemblèrent tous. Drago parvenait à peine à se détendre sur sa couchette qu'il devait sortir de sa cellule pour aller manger, se promener et, pire que tout, se laver. Retourner dans les douches déclencha chez lui une véritable attaque de panique et Franck finit par l'entrainer avec lui dans sa propre cabine de douche pour ne pas le laisser seul. Ils se retrouvèrent là à deux, ignorant les sifflements goguenards des détenus qui les avaient vus entrer ensemble. Drago regarda Franck, tremblant, le souffle court, éberlué. Franck lui tendit le savon puis se tourna pour se mettre face à la porte.

- Lave-toi petit, ordonna-t-il. Je monte la garde.

Drago se déshabilla maladroitement, se lava et se rinça, sans quitter le dos de Franck du regard. C'était la première fois qu'il se sentait presque apaisé dans les douches. Quand il eut fini, Franck se déshabilla à son tour et se lava, pas vraiment gêné de se retrouver nu devant Drago. Ce dernier détourna le regard, mal à l'aise, rassuré quand même de le savoir là, tout près de lui. Il ne savait pas ce qu'il aurait fait si Franck n'avait pas été là. Il serait mort, sans doute.

OoOoOoO

Le lendemain matin, Drago vit son père s'approcher de lui dans le réfectoire et il l'attendit, sans trop savoir ce qu'il ressentait. Lucius l'entraina vers une table où ils s'assirent tous les deux, malgré les regards mauvais de Rodolphus et Rabastan. Drago se taisait, incapable de parler. Il n'avait pas grand-chose à dire à son père de toute façon.

- Comment… comment vont tes blessures ? demanda Lucius, mal à l'aise.

- Elles guérissent, répondit Drago d'une voix éteinte.

Lucius jeta un regard attristé à son fils puis baissa la tête.

- Je ne comprends pas Drago. Pourquoi as-tu dit toutes ces choses l'autre fois ? Pourquoi as-tu défendu Potter et insulter nos amis ?

Drago fixa son père avec stupeur.

- Tout ce que j'ai dit est vrai. Et ce ne sont pas nos amis, ce sont simplement les tiens. Je ne suis pas comme eux et je ne suis pas comme toi.

La mâchoire de Lucius se contracta et il leva vers Drago un regard à la fois déçu et blessé.

- Je ne te reconnais pas, avoua-t-il. Tu n'es plus le fils que… C'est Potter qui t'a mis toutes ces idées en tête, n'est-ce pas ?

- Laisse Harry en dehors de ça. Je n'ai pas eu besoin de lui pour réaliser que mon père et ses amis étaient des gens cruels et pleins de haine, prêts à tuer des enfants et des familles entières simplement pour se prouver qu'ils étaient supérieurs. Je ne suis pas comme ça. Je me fous des Moldus ou de toutes ces histoires. Je ne veux pas que les sorciers règnent sur le monde. Ce que je voulais, moi, c'était simplement être avec vous, grandir, être heureux. Au lieu de ça, tu as fait venir Voldemort chez nous et tu l'as laissé se servir de moi. Tu as tout gâché.

Le regard de Lucius se fit dur.

- Je n'ai jamais eu envie qu'il revienne, dit-il à voix basse. Je n'ai jamais voulu qu'il vienne chez nous et qu'il se serve de toi. J'aimais mieux notre vie avant, quand il était mort.

C'était la première fois que Drago entendait son père avouer cela et il en fut un peu soulagé, malgré lui. Il savait que Lucius ne l'admettrait jamais devant les autres et que ce genre de paroles relevait de la trahison mais c'était bon de l'entendre.

- Je sais, avoua Drago dans un souffle. Mais ça n'excuse pas tout. Et même avant qu'il revienne, ça n'allait pas. Tu m'as appris à détester tout le monde et je me suis retrouvé terriblement seul. Je n'ai absolument personne.

- C'est pour cela que tu t'es accroché à Harry Potter ? demanda froidement Lucius.

- Je ne sais pas, répondit Drago, déstabilisé.

- Je sais qu'avec Long, ce n'était pas ta faute. Mais avec Potter, pourquoi ? Comment as-tu pu faire ça ?

- Il… était gentil, il m'a aidé. Je l'ai aimé, c'est tout, je ne sais pas comment.

- Mais c'est un garçon, lâcha Lucius d'un ton glacial.

Drago cilla et essaya d'ignorer les battements angoissés de son cœur.

- J'aime les garçons, murmura-t-il. Avant que Kyle ne me fasse quoi que ce soit. J'ai toujours…

- Non, coupa durement Lucius. Tu aimais les filles, comme n'importe quel garçon devrait le faire. C'est comme ça que les choses fonctionnent. Tu dois sortir d'ici, trouver une sorcière digne de toi, l'épouser et faire des enfants. Sans cela, les sorciers disparaitront.

- Les sorciers n'ont pas besoin de moi. Les choses ne fonctionnent pas toujours comme ça.

Lucius regarda Drago fixement d'un air qui signifiait qu'il n'était pas d'accord et que son fils se trompait lourdement. Il y eut un silence pesant, plein de douleurs pour Drago, comme des petits éclats de verre qui se glissaient sous sa peau.

- C'est ça qui te dérange, en fait, n'est-ce pas ? souffla Drago. Que j'aime les garçons.

- Je ne t'ai pas élevé comme ça, je ne comprends pas, ce n'est pas normal. Je ne te reconnais plus.

Lucius se leva du banc, signifiant que la conversation était terminée. Voilà qui mettait fin à leur relation, sans doute, même si elle était déjà finie depuis longtemps. Finalement, Drago aurait peut-être préféré ne pas entendre les explications de son père. Elles lui faisaient bien plus mal que les coups de Connor. Drago se retrouva seul à la table et regarda autour de lui avec angoisse. Plus loin, Connor parlait avec ses amis. A la table voisine, Franck le surveillait et lui fit signe de le rejoindre. Drago s'empressa de retrouver Franck, comme un enfant, soulagé qu'il soit là. Il ne posa aucune question sur ce que Lucius lui avait dit, il ne fit pas remarquer non plus que Drago ne mangeait rien ou avait l'air secoué. Mais il le notait soigneusement.

OoOoOoO

Franck Rooney regarda Drago trembler et se recroqueviller de terreur devant Connor à chaque repas, à chaque douche et à chaque promenade pendant une semaine avant de décider qu'il ne le supportait plus. C'était intolérable de voir Drago redevenir un enfant dès que l'homme se trouvait proche de lui, intolérable de voir la détresse dans ses yeux affolés. Un matin, juste avant de sortir pour le petit déjeuner, Franck attrapa le rouleau de papier toilette, le glissa dans sa poche et descendit manger. Comme d'habitude, Drago ne mangea rien, ou presque, se contentant de boire un café et de grignoter le quart d'un toast. Ça faisait naitre chez Franck une rage sourde dont il connaissait pertinemment l'origine, ce qui le rendait donc plus furieux encore. Franck mangea bien, lui, comme toujours. Quand Connor se leva pour retourner dans sa cellule, avant les autres, Franck le suivit du regard. Il y avait une rumeur qui disait que Connor remontait toujours avant son codétenu, le matin, pour chier en paix. Il n'était pas le seul à utiliser ce genre de stratégie pour jouir d'un moment de solitude pendant quelques minutes.

Franck se tourna vers Owen et Achille.

- Restez avec Drago, je remonte.

Owen et Achille n'eurent pas l'air très étonnés de la déclaration mais Drago se tendit.

- Je viens avec toi alors.

- Non, tu restes là. J'ai envie d'être seul cinq minutes.

Il l'avait dit d'un ton autoritaire qui laissa Drago muet. Franck put lire dans son regard qu'il était blessé et qu'il avait peur mais il l'ignora et se dirigea calmement vers les escaliers. Dès qu'il fut hors de vue, dans le couloir, Franck sortit le rouleau de sa poche et entreprit d'enrouler ses mains de papier toilette. Ça ne le protègerait surement pas de tout mais ça atténuerait quand même les chocs. D'un pas décidé, il marcha jusqu'à la cellule de Connor et y entra sans aucune hésitation. Connor, assis sur les chiottes, se releva brutalement en le voyant apparaitre et Franck put nettement voir son assurance vaciller. Tant mieux. Il s'avança vers Connor, sans manquer d'assurance, lui. Connor était peut-être une brute qui pouvait tabasser à mort un garçon comme Drago mais Franck était bien plus dangereux que lui. Bien plus fort, bien plus entrainé, bien plus rempli de rage. Les types comme Connor lui faisaient horreur et il n'avait pas grand-chose à perdre.

Quand Drago remonta à sa cellule, gentiment accompagné d'Achille et Owen, Franck était là et l'attendait, accroché aux barreaux, en train de faire des tractions. Tout semblait normal et Drago se sentit rassuré. Il y eut quelques heures de calme et de vide avant que toute la prison apprenne que Connor s'était fait tabasser dans sa cellule, après le petit déjeuner. On disait même qu'il s'était chié dessus. Les gardiens avaient peu de scrupules à donner des informations aux prisonniers qu'ils aimaient bien et tout le monde apprit qu'après un bref passage à l'infirmerie, Connor avait été transporté d'urgence à Ste Mangouste. Il était bien plus amoché que Drago, apparemment, suffisamment pour que ses jours soient en danger et qu'il soit envoyé à Londres. Drago apprit tout cela avec sidération, comme un coup au thorax. A la promenade, les gens ne parlaient que de ça. Drago se sentait à la fois stupéfait, soulagé et anxieux. Visiblement, on ne savait pas qui avait agressé Connor et on doutait qu'il y ait une véritable enquête. Il n'y en avait pas eu pour Drago.

Quand ils remontèrent dans leur cellule, Drago s'assit sur la couchette du bas, qu'il occupait encore. Il faudrait qu'il la rende à Franck, ses blessures ne le faisaient plus vraiment souffrir. Il posa ses pieds sur le sol, comme pour rester droit et fort puis il leva les yeux vers Franck.

- C'est toi qui as fait ça, n'est-ce pas ? Demanda-t-il.

- Oui, admit Franck.

- Pourquoi ?

- Parce que je hais les gars comme Connor qui s'en prennent aux plus faibles et parce que j'en avais assez de te voir trembler devant lui à chaque sortie.

Drago passa lentement sa langue sur ses lèvres sèches.

- Tu as fait ça pour moi, alors ?

- Oui.

- Pourquoi ? répéta Drago. Je ne t'ai rien demandé.

Franck haussa les épaules et le regarda tranquillement.

- Parce que je t'aime bien et que tu me fais de la peine. J'ai de la peine pour ce qui t'ait arrivé.

- Je vois… Tu as pitié de moi.

- Oui, dit Franck, comme si ce n'était pas humiliant. J'ai pitié de toi et nous allons passer ensemble les quinze prochaines années. Je préférais te débarrasser rapidement de Connor.

Il y eut un silence étrange. Drago ne savait pas s'il devait se sentir insulté ou s'il devait être heureux que Franck tienne à lui de cette manière. Il médita longuement sur cette hésitation, conclut que ça n'avait pas vraiment d'importance. Il aimait que Franck l'ait aidé, c'était tout. Il pensa au reste, à Connor et à Franck.

- Tu n'es pas blessé, comment as-tu fait ?

- Je sais me battre mieux que Connor. Je n'ai pas peur d'un gars comme lui.

Drago contempla Franck, avidement, plein de regret et d'amertume.

- J'en ai assez d'avoir peur de tout le monde, souffla Drago. Voldemort, Kyle, Connor, ils font toujours tout ce qu'ils veulent de moi et je n'arrive jamais à… Je voudrais pouvoir les battre, pouvoir me défendre. Je voudrais arrêter d'avoir peur. Apprends-moi !

- A quoi ? A te battre ?

- Oui, à me battre et à être comme toi ! Comment fais-tu pour être aussi fort et aussi… je ne sais pas, j'ai l'impression que…

Drago ne savait pas comment le dire et il se sentit agacé. Franck s'approcha de lui et s'accroupit à ses pieds, dans une posture amicale et paternelle qui effraya Drago.

- Petit, je veux bien t'apprendre à te défendre mais avant ça, il faudrait surtout que tu apprennes à rester en vie.

- C'est-à-dire ? demanda Drago sans comprendre.

- Pour rester aussi fort, je n'ai que trois choses à faire : dormir, manger et faire de l'exercice. Tu ne manges pas. Même sans Connor, tu vas mourir si tu continues comme ça.

Drago le fixa, bouche bée. Personne ne lui avait jamais dit ça et personne ne semblait s'inquiéter de ce qu'il mangeait.

- Je vais mourir ?

- Oui, dit doucement Franck en hochant la tête. Tu n'as plus que la peau sur les os, tu tiens à peine debout. C'est un miracle que tu aies survécu aux coups de Connor. Si tu ne changes pas, tu vas mourir dans quelques mois, surement.

- Mais… Je n'ai pas très faim.

Franck leva la main pour toucher sa tempe.

- C'est dans ta tête, ça, petit. C'est une maladie de l'esprit.

- Je ne comprends pas. Une maladie de l'esprit ? Tu veux dire que je suis fou ?

Franck s'assit en tailleur devant Drago pour être plus à l'aise.

- Non, tu n'es pas fou. Les sorciers… les sorciers ne s'intéressent pas aux maladies de l'esprit ou aux souffrances psychologiques. Personne ne t'a proposé de t'aider à guérir des blessures que Long t'avait infligées au cœur et à l'esprit, n'est-ce pas ? Les sorciers s'en foutent, ils n'y connaissent rien. Les Moldus, eux…

Franck hésita et contempla Drago, comme pour guetter une réaction de sa part.

- Les Moldus ? encouragea Drago avec une certaine avidité.

- Les Moldus s'intéressent à ce genre de choses, eux. Tu sais que je suis Né-Moldu, je connais donc pas mal de trucs sur ces sujets-là. C'est surtout grâce à Gabriela, en vérité. Gabriela et son frère sont Nés-Moldus aussi. Après Poudlard, Gabriela est allée étudier chez les Moldus ce qu'on appelle la psychologie. C'est ça qui l'intéressait, le fait de comprendre l'esprit humain et de pouvoir soigner la souffrance qui se trouve là, à l'intérieur. Elle a eu de la chance, elle a rencontré une autre femme là-bas, une Cracmol qui connaissait les deux mondes elle aussi et qui… lui ressemblait beaucoup. Elles sont devenues amies, elles ont étudié ensemble. Elles voulaient amener de la psychologie chez les sorciers. C'était ça, le rêve de Gabriela, devenir une guérisseuse pour l'esprit et utiliser les sciences moldues pour aider les sorciers.

Drago était à la fois intéressé par la vie de Gabriela, dont Franck parlait peu, fasciné par ces choses sur l'esprit et effrayé par ce que son ami allait lui dire. Il resta donc silencieux, à écouter la suite.

- Le fait de refuser de manger, comme tu le fais, c'est une maladie de l'esprit. En général, c'est pour maigrir, c'est parce que les gens ont une vision déformée de leur corps et veulent le modifier à tout prix. Parfois, c'est plus profond que ça. On retrouve souvent ce genre de trouble chez les personnes qui ont été violées. Ça leur permet de garder le contrôle sur leur corps quand elles pensent l'avoir perdu ou de contrôler ce qui rentre dans leur corps. Tu vois ?

Drago rougit. Il voyait bien.

- Je ne veux pas maigrir, murmura Drago.

- Qu'est-ce que tu veux alors ? demanda doucement Franck.

- Je voudrais… Je voudrais bien que mon corps disparaisse, je crois.

Franck le fixa en silence, l'air peiné mais pas très surpris. Drago détourna le regard, gêné de ce qu'il venait de dire. Il n'y avait jamais vraiment pensé avant aujourd'hui mais maintenant que Franck pointait les faits du doigts, oui, il aurait bien aimé se débarrasser de son corps souillé et misérable.

- Bref, l'amie de Gabriela, Clia, elle avait cette maladie aussi et elle s'en est sortie.

- Clia, c'est étrange comme prénom, remarqua Drago pour atténuer la tension qu'il ressentait.

- Je crois qu'elle l'a inventé elle-même.

- Ce n'est pas son vrai prénom ?

- Si, dit Franck après une seconde d'hésitation.

Drago ne comprenait pas mais il se désintéressa de l'affaire.

- L'amie de Gabriela… Elle a été violée elle aussi ?

- Non, elle avait d'autres problèmes à l'époque. Chacun réagit comme il peut. Tout ce que je voulais dire, c'est que tu peux t'en sortir. Mais il faudrait que quelqu'un t'aide et ici, il n'y a personne pour t'aider. Alors il va falloir que tu le fasses tout seul.

- Je ne sais pas si…

- Ecoute petit, si tu le souhaites, je peux t'apprendre à te défendre. Je peux t'aider à devenir plus fort et à avoir moins peur, pour que des types comme Connor ou Long ne puissent plus jamais te faire de mal. Mais pour cela, il faut que tu vives et il faut que tu manges. C'est aussi simple que ça.

Ça n'avait rien de simple et Franck le savait autant que Drago. C'était toutefois la première fois qu'une lueur d'espoir s'allumait dans la vie de Drago depuis qu'il était à Azkaban et il eut envie de la saisir, pour ne pas la laisser disparaitre comme toutes les autres. C'était sans doute la dernière allumette qui lui restait avant de mourir, il ne fallait pas la lâcher.

OoOoOoO

La vie de Harry avait perdu son sens maintenant qu'elle n'était plus rythmée par ses visites à Azkaban. Son travail l'ennuyait et il l'effectuait mécaniquement sans y réfléchir. Ses amis étaient là mais Ron et Hermione étaient occupés à construire leur couple et n'avaient pas vraiment besoin de lui. Personne n'avait besoin de lui, en vérité. Il savait que s'il mourait, ça n'affecterait pas grand monde. Avec ce genre de pensées en tête, Harry errait dans le monde des vivants comme un fantôme en peine. Drago l'avait quitté et lui avait demandé de ne plus venir. Il lui avait dit « A dans quinze ans » puis « Ne sois pas stupide, tu ne m'attendras pas ». C'était contradictoire. Ou alors, c'était un défi, Harry ne savait pas trop.

Au premier jour de visite qui suivit leur rupture, Harry respecta la volonté de Drago et ne se rendit pas à Azkaban. Au deuxième aussi. Au troisième jour de visite, alors que le printemps revenait lentement, Harry décida de se rendre à la prison et de voir Drago. Ne serait-ce que pour vérifier qu'il voulait toujours le quitter. Et pour voir s'il allait bien. Harry ne savait pas si c'était une bonne idée mais il savait qu'il ne pourrait pas s'en empêcher et il y alla, tendu et nerveux. Il attendit avec les autres visiteurs, comme d'habitude puis un gardien vint le trouver pour lui faire savoir que Drago Malefoy ne désirait pas le voir. Cela détruisit les derniers doutes de Harry, ses derniers espoirs aussi. Drago n'avait pas changé d'avis, Drago ne voulait plus de lui et tout était fini. Harry rentra chez lui, peut-être encore plus anéanti que la dernière fois. Ou alors non, anéanti d'une façon différente.

Et puisque tout était fini entre eux, que leur histoire d'amour était terminée et que son cœur était brisé, Harry se mit à ressentir envers Drago ce qu'il aurait certainement dû ressentir depuis le début : il le détesta.

Car après tout, quand on regardait les choses en face, Drago s'était foutu de lui depuis le début. Drago s'était servi de lui, avait joué avec ses sentiments pour le manipuler et l'avait trahi. Drago ne s'était jamais intéressé à ce que Harry pouvait ressentir ou même à ce qui pouvait lui arriver. Il n'avait pas hésité à lui voler sa baguette et à prendre son apparence pour aller au Ministère chercher l'adresse de Kyle Long. Le fait que Harry puisse être accusé à tort ne lui avait même pas traversé l'esprit. Ou bien peut-être que si, qu'il y avait pensé mais qu'il n'en avait tout simplement rien à faire. Drago s'était enfui sans un mot pour Harry, en le plantant comme l'imbécile qu'il était. Après avoir massacré Kyle Long, bien sûr. Aveuglé par son amour pour Drago, accablé par la culpabilité de l'avoir fait arrêter et plein de compassion pour ses souffrances, Harry lui avait pardonné. Aujourd'hui, il se demandait bien comment il avait pu pardonner tout cela. L'amour rendait con, c'était avéré. Son histoire avec Drago était vouée à l'échec depuis le début, elle était biaisée depuis le début. Drago l'avait-il seulement réellement aimé ? Harry n'en était même plus sûr. Drago était un criminel égoïste, sans cœur, qui avait traité Harry comme de la merde du début à la fin. Même en prison, il avait réussi à abandonner Harry. Après tout ce que Harry avait fait pour lui, pourtant, c'était quand même un comble. Harry l'avait sauvé de Kyle tout de même, il l'avait arrêté lui-même. Harry l'avait réconforté, écouté, aidé. Harry l'avait aimé. Harry avait perdu son travail, ce travail qui donnait du sens à sa vie et le rendait utile. Harry l'avait soutenu jusqu'au bout, au procès, en prison. Et Drago, qu'avait-il fait ? Drago avait quitté Harry comme une merde, sous prétexte qu'un jour ils ne s'aimeraient plus. Harry n'était même plus certain que l'excuse soit vraie. Drago en avait peut-être simplement marre de lui.

En tout cas, songeait Harry en errant chez lui, en triant ses dossiers à la con et en assistant à des réunions insipides, que Drago aille se faire foutre. Qu'il y reste donc, dans sa prison, tout seul. Il avait dit à Harry qu'il aimait mieux savoir que Harry le détestait plutôt que de savoir qu'il ne l'aimait plus. Eh bien il pouvait être heureux, Harry le détestait. Et bientôt, il l'espérait vivement, il ne l'aimerait plus. De toute façon, Molly Weasley avait certainement raison : aimer Drago Malefoy avait finalement été une erreur de jugement dont il avait presque honte.