Lorsque j'ouvre les yeux, je ne reconnais pas la pièce dans laquelle je suis. Je n'ai pas perdu connaissance, pas vraiment. Je me suis juste peu à peu déconnecté du monde extérieur et peut-être… Peut-être endormi. Un peu. Je sais qu'on m'a bougé, transporté, parlé, mais j'étais trop fatigué et ailleurs pour ne serait-ce que faire attention aux mots qu'on me disait. Je me laissais juste faire et les rares fois où je rouvrais les yeux, je refusais de voir réellement, qu'ils transmettent l'information à mon cerveau.

Cette fois, je suis pleinement conscient de ce qui m'entoure. Et je vois. Je vois Jackson, assis près de moi, penché à faire je ne sais quoi.

- Qu'est-ce que…

- Ne bouge pas, me coupe-t-il un peu sèchement.

J'écoute ce qu'il dit, je reste allongé sur ce qui semble être un lit, mais je lève légèrement la tête. Il est penché sur mon bras et… Quoi ? Il termine de le bander. Lorsque ses mains effectuent un petit nœud discret, je me permets de me redresser et je reste bouche bée. D'une part parce que le fait que Jackson se soit occupé de moi me surprend beaucoup, mais également… Parce que je n'ai rien oublié. Je me souviens de ce qu'il s'est passé. J'étais conscient sans vraiment l'être, mais pas endormi. Mon visage se défait complètement alors que je commence à me rendre compte de ma connerie. Je l'ai dit. J'ai parlé. J'étais tellement mal que j'ai sans doute été sans filtre. Il y a des moments où je ne sais plus ce que j'ai dit parce que je n'y faisais pas attention, mais… Je suis au courant de l'essentiel de mes actes.

- Hé, Stilinski.

Je n'ose pas relever le regard vers Jackson, j'ai trop honte. Je commence à respirer un peu vite, mon corps s'emballe, et je suis submergé par la culpabilité. Je sens sa main se poser sur mon épaule.

- Calme-toi, hors de question que tu clamses chez moi.

Si autrefois, cette nouvelle ne m'aurait rien fait, là, elle me plombe. Je suis chez Jackson. Il sait. Et il a vendu la mèche pour mon message. Qu'est-ce que je fais chez lui ? Malgré mon ressentiment, j'essaie de me calmer, comme il le dit, et de reprendre le contrôle sur ma respiration qui commençait à partir en vrille. Passée une bonne minute, je ne peux que balbutier :

- Je… Je vais rentrer chez moi.

Je sens sa main se resserrer sur mon épaule.

- Désolé, mais ça, c'est pas pour tout de suite.

Je relève finalement un regard fébrile vers lui et ose lui demander pourquoi. Très vite, je baisse à nouveau le regard, incapable de soutenir ce regard bleu perçant. Je ne veux pas que ma connerie fasse de lui un paria. Ni les autres, d'ailleurs. Même Théo ne mériterait pas ça.

- C'est toi qui as dit que Peter t'attendait sans doute chez toi.

Je déchante un peu plus. J'ai dit ça ? C'est pire que ce que je pensais.

- Scott est allé y faire un tour, histoire de lui faire regretter ses actes, m'apprend-t-il.

- Rappelle-le, c'est… C'est pas la peine.

Du coin de l'œil, je le vois hausser un sourcil, puis reprendre un air sérieux, mais moins sec. Il m'explique qu'il ne le fera pas, pour la simple et bonne raison que Scott ne l'écoutera pas. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, Jackson se corrige : mon meilleur ami n'écoutera personne.

- Et Derek ? Dis-je, un peu d'espoir dans la voix. Si Derek lui demande de ne pas poursuivre son oncle, il… Il l'écoutera, surtout si c'est de ma part, parce qu'il le connaît bien, parce qu'il a été son mentor, un peu, enfin tu vois… Il lui fait confiance, alors peut-être que…

- Derek ne fera rien. Il est d'accord avec ça. Donc maintenant, tu vas me faire le plaisir de te taire et de te reposer un peu. T'es crevé, ça se voit. Tu pues la fatigue.

Jackson se lève. Désemparé par la situation et complètement assis, je me prends la tête dans les mains. Quelle merde… Dans quelle situation j'ai mis Peter ? Et puis, certaines des paroles du sportif prennent enfin du sens dans mon esprit : « Il est d'accord avec ça. » Derek ne peut pas accepter sans rechigner que Scott ait pour projet de retrouver son oncle pour lui faire mordre la poussière. En repensant à lui, je manque de rougir. J'ai été dans ses bras. J'ai pleuré contre lui. Je me suis accroché à son putain de pull. Peut-on faire plus pitoyable ? La seule fois où j'arrive à me rapprocher de lui ne serait-ce que physiquement, c'est au pire moment… Celui où je suis au plus mal et où je raconte sans le vouloir mon cauchemar. Mon enfer. Parce que ces quelques jours étaient un enfer ponctué par les mauvais rêves emplis de réminiscences des actes de Peter, et les passages nocturnes de celui-ci dans ma chambre. J'ai un karma négatif, ou je ne comprends pas. Qu'ai-je fait pour mériter ça et pour répandre tant de merdes autour de moi ? J'ai besoin de lui parler, besoin de m'excuser. Et puis, je vais le convaincre de parler à Scott. Il m'écoutera. Tout à l'heure, il devait être surpris, sous le choc. Il n'a pas dû comprendre et laisser Scott faire, sans réfléchir. Sans me soucier de mes tremblements, je me saisis de mon téléphone qui se trouvait dans la poche de mon pantalon et je le déverrouille à vitesse grand V. Jackson est toujours là, il n'est pas parti, mais je m'en fiche.

- Qu'est-ce que tu fais ? Me demande-t-il, près de la porte.

- Tu peux y aller, t'inquiète pas, dis-je sans vraiment répondre.

Je vais dans l'application de mes messages, cherche Derek et commence à taper un message. J'ai du mal et je dois souvent revenir en arrière. Ecrire en tremblant n'est pas la chose la plus facile qui soit, mais je fais de mon mieux pour aller vite. Je dois y arriver, avant qu'il ne soit trop tard.

- Stilinski, rallonge-toi et dors, me somme Jackson. Lâche ce téléphone.

Je ne lui réponds pas et termine de rédiger mon message. C'est une petite obsession.

- Derek ne changera pas d'avis, fait Jackson d'un ton agacé, en se rapprochant.

- Si, je réponds. Tout à l'heure, il devait être… Surpris, perdu. Il ne s'y attendait pas, alors il n'a rien fait pour empêcher Scott de partir. Maintenant, il devrait être en capacité de réfléchir.

- Je crois que toi non.

Il se saisit brusquement de mon téléphone et je pousse un petit cri. Par chance, j'ai eu le temps d'appuyer sur « envoyer » avant qu'il ne s'empare de mon seul moyen de communication avec l'extérieur. Je me souviens parfaitement de ce que j'ai écrit, c'est encore frais dans ma tête.

« Jackson m'a mis au courant. Rappelle Scott, dis-lui de ne pas y aller, ça ne sert à rien. Peter n'a pas à payer pour ça, c'était rien de grave, je vous le jure à tous les deux. Convaincs-le de ne rien lui faire. C'est ton oncle, tu ne peux pas le laisser tomber. N'en veux juste pas à Scott. Quand il s'agit de moi ou de sa famille, il a tendance à réagir de manière un peu excessive.

Je suis désolé. »

Jackson doit avoir lu mon message puisque lorsque je relève la tête vers lui, il a l'air outré. Agacé, presque en colère. Mais pourquoi ? C'est moi qui devrais être en colère : non seulement il m'a vendu auprès de Scott, mais en plus il regarde mon téléphone sans aucune pudeur ni aucun respect. Pourtant, je ne le suis pas, toujours tiraillé entre la honte et la culpabilité.

- Il ne changera pas d'avis, me dit Jackson d'un ton tranchant en mettant mon téléphone dans sa poche.

- Rends-moi ça, dis-je d'une voix qui se veut autoritaire mais qui ne l'est absolument pas.

Il lève les yeux au ciel.

- Qu'est-ce que j'ai fait pour me coltiner un idiot pareil ? Râle-t-il.

- Fallait pas parler à Scott.

C'était gratuit et un peu méchant, je l'avoue. Il baisse son regard sur moi. Il est glacial, plus que jamais.

- J'ai fait ça pour toi, abruti. Tu te rends pas compte de l'état dans lequel tu es. Et quand je vois à quel point t'as chialé tout à l'heure, je sais que j'ai eu raison.

Il me crache ces mots plus qu'il ne me les dit, ces mots qui ne font pas sens pour moi, pas encore. Je les entends, mais je ne les comprends pas. Il n'a pas eu raison : tout ce qu'il a fait, ça a été de me mettre dans la merde. Si j'avais juste eu à discuter avec Derek, j'aurais peut-être pu arriver à trouver quelque chose, à continuer de cacher ce qu'il m'arrivait, mais Jackson était là. Il était là, a tout dit à Scott et je me suis retrouvé contre eux trois.

- J'ai été faible, je souffle. J'ai juste été faible.

- Non, Stiles, tu as juste craqué parce que tu n'en pouvais plus. Rallonge-toi et dors, tu resteras ici tant que Scott ne sera pas venu.

Cette fois, il sort de la pièce, une chambre, sans autre forme de procès. Il me laisse seul, sans téléphone, sans rien, juste en tête à tête avec moi-même et mes pensées pas vraiment joyeuses. Sachant fort bien qu'il m'empêchera de sortir si j'essaie, je me rallonge.

Je ne m'endors pas. A vrai dire, j'en ai envie, c'est juste que je ne m'accorde pas le repos dont mon corps a besoin. Je suis toujours tiraillé, je ne sais pas quoi faire. Je veux les arrêter et leur faire comprendre que tout va bien, sauf que… C'est un peu difficile en sachant que mon moral n'est justement pas au beau fixe. Je me rends compte que je tremble toujours comme un idiot, que j'ai froid, que je… Est-ce que je suis vraiment en train de pleurer ? J'essuie mes joues et me retrouve bien vite avec les doigts mouillés. J'ai honte, bordel, j'ai honte…

xxx

Mes yeux sont secs depuis un moment. Je suis immobile, je regarde le plafond sans vraiment le voir. Je ne sais pas quelle heure il est, ni combien de temps est passé. Je sais juste… Qu'il fait nuit, bien nuit. J'aurais pu partir, par là, j'entends en utilisant la fenêtre. Mais je crois que je n'ai pas le courage. Je n'ai même pas envie de bouger, mon corps est lourd, très lourd, écrasé par le poids de ma fatigue, de mes souvenirs et de ma culpabilité. Depuis le temps que je suis là, Scott a sans doute dû trouver Peter et je n'ose imaginer ce qu'il a pu lui faire. Je devrais, au lieu de chercher à le défendre, lui rejeter la faute de mon état dessus. Je devrais l'accuser, chercher à aider mon meilleur ami à le coincer. Mais je pense à Derek, à la meute. Je ne veux pas que tout parte en vrille à cause de moi. Jusqu'ici, tout allait bien, les relations entre chacun des membres étaient stables, la meute en elle-même allait mieux que jamais et pour une fois, tout le monde était d'accord sur tout. Même moi, on me respectait. Alors je ne peux décemment pas faire éclater cette cohésion, juste parce que… Juste parce que je n'ai pas aimé certaines choses. Je sais au fond de moi que je veux que ça s'arrête et qu'il n'avait pas le droit de me faire ça, mais je pense beaucoup aux conséquences. Et je suis terrifié.

J'ai peur de dormir. Je pourrais essayer, parce que je sais que j'en ai besoin et que du sommeil en retard, j'en ai. Pour que Jackson Whittemore en vienne à me dire plusieurs fois de dormir… Ma fatigue doit vraiment se voir. Mais je ne veux pas, je me bats pour garder les yeux ouverts, pour ne pas voir dans mes songes Peter me sauter dessus. Peter et ses griffes acérées. Peter et son regard affamé. Peter et son sourire carnassier. Peter et son membre gonflé. Je réprime soudainement un violent haut-le-cœur. La main sur ma bouche, je me redresse et, sentant ma nausée augmenter, je me lève et brise l'interdiction de Jackson de sortir de la pièce. Je me retrouve dans un long couloir, j'ouvre une porte, deux portes, la troisième est ma délivrance. Je m'écroule devant les toilettes et laisse mon corps rendre le peu de choses que contenait mon estomac. C'est violent, ça me brûle, je gerbe encore et encore. Ma gorge est irritée au possible et mes mains se cramponnent à la cuvette. Je ne pense pas au fait que c'est dégueulasse, encore moins au fait que je suis chez Jackson et qu'il risque fortement de m'en vouloir. Je m'en fous. Je ne peux pas me retenir, ça sort tout seul et je ne peux rien y faire.

Je sens une main se glisser dans mes cheveux et j'entends une voix, mais je ne cherche pas à savoir ce qu'elle dit. Je tremble comme jamais et je sens à peine quelques larmes d'épuisement rouler sur mes joues rougies par l'effort. Lorsque mon ventre a décidé qu'il était définitivement vide, je prends sur moi et je respire lentement. J'inspire, j'expire, j'essaie de reprendre le contrôle de mon corps. Et cette voix continue de parler, sans doute tente-t-elle de m'apaiser, je n'en sais rien. Du temps passe, on m'aide à me lever, à marcher puis, enfin, je commence à capter ce qu'elle me dit.

- Avance, tu vas te rincer la bouche et te laver les mains. T'inquiète pas, je te tiens.

J'écarquille un peu les yeux et tourne la tête vers les yeux bleus perçants qui me fixent avec un peu moins de froideur que d'ordinaire.

Je n'arrive pas à croire que Jackson soit aussi… Bienveillant et si je n'avais pas conscience qu'on était bien dans la réalité et pas dans un rêve, je n'y aurais pas cru. Mais la douleur qui parcourt mon corps, en particulier mon ventre et ma gorge, est bien là pour me faire comprendre que c'est la vérité. Le bras de Jackson, autour de moi, est réel. Sa voix l'est aussi, et je ne doute pas non plus de sa main, qui est accrochée à ma hanche et me maintient contre lui pour éviter que je tombe. Je ne me pose pas de questions, je suis épuisé, vraiment. J'aurais dû dormir, dans cette chambre mais, comme d'habitude, je ne saisis pas ma chance quand il le faut.

Lorsque je me retrouve devant le lavabo, j'arrive à peu près à rester debout, seul. Avec peine, je me lave les mains et la bouche et je m'assois sur le rebord de la grande baignoire luxueuse, avec un équilibre tout relatif. Jackson me tend un verre d'eau et me conseille d'y aller doucement, ce que je fais. Je bois par petites gorgées et l'irritation de ma gorge faiblit un peu. Le liquide froid descend avec une lenteur folle et semble capable d'apaiser ma douleur, bien que partiellement. Jackson est près de moi, une main posée sur mon épaule, au cas-où. Je tremble toujours beaucoup, mais ça va mieux. Si je mets la fatigue de côté, je constate simplement que je me sens… Faible. D'une petite voix tout de même un peu rauque et éraillée, je me confonds en excuse mais il n'a pas l'air d'en faire cas. Il me regarde, simplement, et son regard bleu me semble bien peu froid. Il ne me répond pas mais m'aide à me relever. Il commence à me faire avancer, en me tenant toujours contre lui, et je le vois prendre le chemin qui mène à la chambre dans laquelle j'étais et je me mords la lèvre. Je ne veux pas y retourner, je ne veux pas être seul… Mais je ne dis rien. J'ai bien assez abusé du temps et de la patience de Jackson qui, déjà, se démène un peu trop pour moi. Il n'a pas à le faire, à pourrir sa soirée de cette manière. Alors je prends sur moi et j'accepte déjà avec plaisir l'aide qu'il m'apporte. Il est rare de se faire aider par Jackson Whittemore, surtout avec autant d'ardeur. Parce qu'il ne me lâche pas, avance à mon rythme, me demande régulièrement comment je me sens. Pour peu, j'en viendrais presque à penser qu'on est amis.

Je le laisse complètement faire lorsqu'il me fait me rallonger sur le lit. Voyant que je tremble toujours mais se méprenant à ce sujet, il m'aide à me glisser sous les draps après m'avoir fait enlever mes chaussures. Je le remercie faiblement et il me regarde, sans rien dire. Je ne sais pas à quoi il pense et je ne sais pas si j'ai envie de le savoir. Mes joues sont encore humides et mon visage, rouge. Je tremble comme un idiot et je suis incapable de marcher seul. Pire, il m'a surpris en train de vomir dans ses toilettes. Quelle formidable image de moi il doit avoir ! Mais je ne lui demande pas, je n'ai pas le courage de vouloir entendre la réponse. J'ai peur. Je le vois qui commence à reculer. Je frissonne. Je ferme ma main en un poings, parce que je me retiens. Je veux le retenir, je ne veux pas qu'il parte, qu'il me laisse seul. Il a beau être Jackson Whittemore, le kanima arrogant qui ne fait cas de personne et n'agit, la plupart du temps, que s'il y trouve un intérêt, j'ai besoin de quelqu'un. De présence. D'aide. Mais je ne fais ni ne dis rien, parce que j'ai bien assez abusé de lui, parce que je suis un poids qu'il doit garder pour l'instant. Je me mords la lèvre et je rumine son futur départ, quand je l'entends dire d'une voix tout à fait normale :

- On est là.

Je n'ai pas le temps de lui demander pourquoi il se met à parler tout seul que j'entends des pas lourds mais rapides. Et, bien vite, je vois Scott entrer dans la pièce, puis… Derek. Mon cœur rate un battement et pas des moindres. Il va mal. Il garde ce visage défait, mais sérieux. Ses traits sont tirés et il semble fatigué, horriblement fatigué, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours. Mais moi, je sais qu'il ne s'est passé que quelques heures entre la fin de la réunion et maintenant. Parce qu'il fait nuit et qu'ils portent tous les mêmes vêtements qu'un peu plus tôt. Et parce que sa fatigue… Est mentale. Il est torturé de l'intérieur. A cause de moi. Je le regarde avec tristesse et horreur en me demandant ce qu'il fait là. Scott, je peux comprendre, mais lui ? Enfin, ils semblent me voir et constatent que je suis réveillé. Lorsque mon meilleur ami se rapproche de moi, je vois qu'il n'est pas dans un meilleur état que Derek.

La colère est inscrite sur ses traits tendus et fatigués. Sans même être un loup, je peux la sentir, son ire, pas calmée pour un sou. Il s'accroupit près du lit, passe une main dans mes cheveux et me regarde. Il tente de me sourire, mais on dirait qu'il grimace. Il ne va pas bien.

- J'ai pas réussi à l'avoir ce soir, mais je l'aurai. Il paiera, Stiles, je te le promets.

Fébrilement, je secoue la tête de droite à gauche, mon meilleur ami semble confus par mon geste et j'entends Jackson dire, derrière Scott :

- Ne cherche pas, il est dans le déni le plus total.

Je veux protester, dire que non, expliquer mes raisons de ne pas vouloir faire payer Peter, mais les mots restent bloqués dans ma gorge. Je peste contre moi-même : je dois leur faire comprendre ! Comment j'ai pu parler tant de temps avec Jackson tout à l'heure et, là, ne pas arriver à articuler quoi que ce soit ? Scott me regarde, me sourit cette fois faiblement, et m'assure en me caressant les cheveux que ça va aller, qu'il le retrouvera. Je veux protester, lui dire qu'il doit cesser de chercher Peter, mais… J'ai beau essayer, je n'y arrive pas. Pourquoi ma voix est-elle bloquée ? La gorge serrée, j'enrage intérieurement. Scott se lève, puis dit à ses deux acolytes qu'il rentre chez lui. Jackson décide de le raccompagner et je me retrouve seul, jusqu'à ce que je me rappelle que Derek est toujours là, debout, près de la porte. Mon souffle se coupe un instant et je prends peur. Pourquoi reste-t-il ? Pourquoi me regarde-t-il de cette façon ? Je n'arrive pas à comprendre et, d'un coup, il s'avance vers moi. Je me redresse un peu, jusqu'à me retrouver assis dans le lit. Je tremble à peine et je fais tout pour le cacher. Il s'assoit au bord du lit, non loin, mais dos à moi, et ne dit rien. Les avant-bras appuyés sur ses cuisses, il ne me regarde pas, fixe le vide. Et moi, je ne sais pas quoi penser. Pourquoi s'inflige-t-il ma présence ? Il doit m'en vouloir, c'est certain, alors pourquoi rester ? Il aurait pu partir avec Scott et Jackson, il… Non, je ne comprends pas. L'angoisse montant, je me recule encore un peu, jusqu'à la tête de lit, je me fais tout petit. Parce que, peut-être, il a oublié ma présence et comptait rester là pour… Je ne sais pas… Penser tranquillement ? Réfléchir seul, sans avoir à se soucier du regard des autres ?

- J'arrive pas à y croire, dit-il soudain.

Mes réflexions se stoppent et j'ai l'impression que mon sang se gèle dans mes veines. Je ne sais pas comment je suis censé interpréter ça. Au premier abord, je devrais en être heureux : si j'arrive à sortir quelques mots, je peux potentiellement arriver à le convaincre de la nécessité de ne pas le poursuivre pour ses agissements envers moi. Mais en même temps… Ne pas être cru me ferait du mal, je pense. Je… Ne sais pas ce qui est le mieux. Ce qui est sûr, c'est que je n'aurais pas dû parler. Si je n'avais rien dit, tout le monde passerait une bonne soirée : Scott ne serait pas en colère, Jackson n'aurait pas eu à m'accueillir chez lui et Derek… Derek n'irait pas aussi mal. Il n'aurait pas à voir les derniers pans de sa famille se faire souiller par un acte qui aurait pu être évité, ou mieux dissimulé. Je baisse la tête, à nouveau bouffé par cette culpabilité qui ne me quitte pas et qui revient en force. Si quelques minutes plus tôt, j'ai failli retenir Jackson pour ne pas être seul, cette fois, je donnerais tout pour que Derek sorte d'ici.

Et puis cette fois, comme par magie, les mots sortent tous seuls :

- Alors n'y crois pas…

Ma voix est faible, enrouée et déjà fatiguée. Epuisée par ces cris que je n'ai pas poussés, épuisée par tout ce que je n'aurais pas dû dire.

Il se retourne un peu brusquement vers moi et son regard empli de souffrance me transperce. Mais ce n'est pas ce qui me marque le plus. C'est plutôt la surprise, l'effroi qui déforme ses traits. Mon cœur rate plusieurs battements.

- Comment tu peux dire ça ? Souffle-t-il.

Cette fois, il se tourne assez pour se retrouver face à moi. J'essaie de reculer un peu plus, mais je suis déjà contre la tête de lit. Désemparé, je ne sais ni quoi dire, ni quoi faire. Je ne suis même pas heureux d'avoir réussi à parler de nouveau. Ma gorge se noue de nouveau et bloque toute tentative de parlotte de ma part.

- Comment tu peux dire ça alors qu'il t'a fait du mal ? Répète-t-il, horrifié, en précisant sa pensée.

Je détourne le regard, extrêmement mal à l'aise. Parce que… C'est ce qu'il faut faire ?

- Stiles, il faut que tu arrêtes ça, me dit-il, la voix rendue rauque par l'émotion. J'ai lu ton message, tu sais. Tu dois arrêter de minimiser et de vouloir protéger Peter. Ce qu'il t'a fait, c'est grave.

J'ai mal. J'ai mal parce que je le sais. Mais je n'aime pas voir cette douleur sur son visage. Il a eu tant de déboires dans sa vie que le voir dans cet état de désespoir me tue. J'aimerais le rassurer, lui dire que tout va bien, que je vais bien… Je n'y arrive pas. Je crois que j'ai accumulé tant de fatigue et de douleur intérieure que je parviens tout juste à baragouiner je ne sais trop quoi, quelque chose comme « c'est pas grand-chose, ça ira », que je ne pense qu'à moitié. Stiles, si tu veux être cru, mets de la conviction dans ce que tu dis ! Mais j'en suis incapable. Je suis épuisé, autant physiquement que mentalement. Mes doigts serrent les draps, ces draps qui viennent sans doute d'être changés et qui sentent bon.

- Stiles, arrête, me répète-t-il, grognant presque.

- Mais il m'a pas violé, j'articule innocemment. Je veux dire, il est pas allé jusqu'au bout, donc en vrai…

D'un coup, sans que je m'y attende, les yeux de Derek passent du bleu-gris-vert-sexy au bleu électrique de son loup et je prends peur. Mais, pour ma plus grande surprise, il ne s'énerve pas, du moins… Pas de manière extrêmement visible. Il grogne, montre les dents, mais pose sa main sur la mienne avec une étonnante douceur. Ses yeux, quant à eux, retrouvent sans prévenir cet étonnant mélange humain de bleu, gris, vert, rouille. Qu'est-ce que… ? Il ouvre la bouche, s'apprête à parler, mais finalement, il se ravise. Ses doigts se resserrent sur ma main et il soupire. Voûté, il semble porter tout le poids du monde sur ses épaules et je… Ne sais pas quoi dire pour l'aider. Il n'a plus l'air en colère du tout, mais ses sourcils restent froncés et son regard si particulier ne me quitte pas une seule seconde. La souffrance l'habite à nouveau, pleine, entière.

- On en reparlera demain, finit-il par lâcher, comme à contrecœur. Il faut vraiment que tu dormes.

Il se lève et mon cœur s'emballe.

- J'y arriverai pas. J'ai peur de dormir…

J'ai envie de me gifler. A nouveau, j'ai l'impression que ma bouche parle à ma place, qu'elle libère des choses que je veux garder pour moi. Elle me trahit ouvertement et ça ne fait qu'une chose : décupler ma culpabilité, ainsi que ce sentiment qui m'oblige à me sentir illégitime quant à la manière dont on se comporte avec moi. Derek me lance un regard… Qui aurait dû être perplexe, moqueur, tout, sauf… Compatissant. Il se rassoit et je frissonne. Moi qui ai toujours du mal à regarder les gens, je ne peux pas détourner mon regard de ses yeux si particuliers.

- Tu serais rassuré si tu ne passais pas la nuit seul ?