Lorsque je me réveille, j'ai les paupières lourdes et un peu mal à la tête. Je garde toutefois les yeux fermés, comme si ça pouvait me permettre de me rendormir. Parce que je crois que c'est la première fois depuis plusieurs jours que je dors quelques heures d'affilée, sans faire de cauchemar. Ou alors, je ne m'en suis juste pas rendu compte. Le fait est que je me suis reposé, pour de vrai. Comment est-ce possible ? Il ne faut toutefois pas crier victoire trop vite : c'était peut-être un hasard, ou juste mon corps qui s'était avoué vaincu pour cette fois et avait éteint mon esprit pour m'obliger à… Dormir, tout simplement. Honnêtement, je ne saurais pas dire combien de temps j'ai passé dans le royaume de Morphée, mais c'est en tout cas assez pour que je me dise quelque chose comme « ça fait du bien ». Je n'ai pas froid, je ne tremble pas, je n'ai pas mal, ma gorge est juste un peu irritée à cause d'hier soir. En somme, mon corps va bien.

Pas mon esprit.

Car à peine réveillé, la joyeuse constatation de mon repos est remplacée par un nom : Peter.

Les yeux toujours fermés, je crispe les poings sur ce qui semble être la couette. Ma respiration s'accélère. Je sais qu'il n'est pas là, qu'il ne peut pas être là. Et d'un coup, mon corps me démange, en particulier mon cou et mes poignets. Je veux me gratter, griffer ma peau, la déchirer, juste pour m'enlever cette impression de saleté qui court sur mon épiderme. Cette souillure qui semble ne jamais partir. Et je crois que… Je ne résiste pas à ma pulsion soudaine. Comme mus par une volonté propre, mes doigts s'en vont trouver ma peau et mes ongles s'y enfoncent, passent, repassent, la grattent de long en large à un rythme effréné mais les démangeaisons ne partent pas. Plus fort, il faut que j'y aille plus fort ! J'halète. Je me sens mal, j'ai mal. Mais je continue, ça me démange, c'est sale, il faut que ça disparaisse.

- Bordel ! J'entends jurer.

Mes poignets se retrouvent saisis, emprisonnés dans deux fortes poignes et j'ouvre brutalement les yeux. Complètement haletant et tremblant, je n'arrive pas à croire ce que je vois. Jackson empêche mes mains de venir retrouver ma peau et me regarde d'une manière singulière, beaucoup trop douce, si l'on compare avec son attitude habituelle. Il a l'air… Inquiet ?

- Putain Stilinski…

Non, pas inquiet. Plutôt choqué. Ce qui est sûr, c'est que son regard est vide de toute animosité envers moi, c'est… Etrange. Tant et si bien que j'en oublie la raison pour laquelle il maintient mes poignets prisonniers de ses mains.

- Si je te lâche, tu me jures que tu ne recommences pas à te gratter ? Me demande-t-il d'un ton alarmé.

Et même si je ne comprends pas vraiment la raison pour laquelle il me demande ça, j'acquiesce d'une voix que je ne pensais pas sortir si rauque. Je ne vois pas ce qui pourrait le mettre dans cet état mais je l'écoute et une fois que mes poignets retrouvent leur liberté, je les laisse retomber sur le lit, les bras le long de mon corps. Maintenant que j'y pense, qu'est-ce qu'il fait là, à mon chevet ? Je n'ai pas le temps de lui demander qu'il me dit qu'il revient dans un instant, me laissant seul avec mes interrogations. Durant ce laps de temps qu'il m'accorde sans le vouloir, je me rends compte que ça ne me gratte plus et que mes pensées sombres se sont éloignées. Je les ressens toujours, mais c'est loin d'être aussi intense. Peter et les cauchemars qui l'accompagnent passent au second plan. Je lâche un soupir tremblant. Comment ai-je pu paniquer de cette manière ? Je sais que je suis chez Jackson et pas seul, puisque le propriétaire de cette maison était et est toujours présent et… Derek a dormi là aussi. Je tourne la tête et me rends compte que la place à côté de moi est vide et froide. Est-ce que j'ai rêvé ? Non, je l'ai bien vu s'allonger dans ce lit, à ma droite. Je me souviens encore de sa voix si basse lorsqu'il m'a souhaité bonne nuit. On ne s'est pas touchés, pas même effleuré mais sa présence m'a fait du bien, je crois. Je m'en veux toujours atrocement mais je pense que mon moi intérieur avait besoin d'être un peu égoïste. J'avais besoin de lui. Si je m'étais retrouvé seul, j'imagine que je n'aurais pas autant dormi et pas aussi bien. Une nouvelle vague de culpabilité me traverse cependant. Je ne devrais pas avoir souhaité sa présence. Lui, n'aurait même pas dû m'accorder d'attention ! Je me mords la lèvre alors que ma respiration redevient normale et que mes tremblements diminuent. Je suis un connard.

Des voix me sortent de ma réflexion et je me redresse sur mes coudes. Les battements de mon cœur s'accélèrent alors que je vois Jackson revenir avec Derek, une trousse médicale dans les mains. Une trousse médicale ? Mon souffle se coupe un instant et mon regard se baisse automatiquement. D'un coup, mon corps semble se réveiller et une sensation de brûlure passe dans mon cou, sur ma joue, et plus particulièrement sur mes bras. Le bandage autour des blessures infligées par Peter est à moitié enlevé et déchiré et mes bras sont extrêmement rouges, de très fines griffures irrégulières les zébrant par endroit. De minuscules gouttes de sang percent ma peau par endroits et je comprends d'emblée pourquoi Jackson m'a arrêté. Je porte une main tremblante à mon cou et je vois le pourpre colorer mes doigts. Bordel. Mon souffle se coupe à nouveau et j'ai mal. Je suis dingue. Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression de l'entendre dans ma tête. Qu'est-ce que j'ai fait ? Mais qu'est-ce que j'ai fait ?

- Bouge pas, on va désinfecter ça, me dit Jackson en s'asseyant au bord du lit, à côté de moi.

Je le vois distraitement ouvrir la trousse de soin et en sortir ce dont il a besoin. Je n'ose pas lever le regard vers Derek, toujours près de Jackson, à la différence qu'il reste debout.

- Je… Désolé, je souffle.

C'est tout ce que j'arrive à dire. Quand j'ai ouvert la bouche, je partais dans l'optique de me justifier, de… De quoi, en fait ? Qu'est-ce que j'aurais pu leur sortir ? Que j'ai pensé à Peter et que ça m'a rendu dingue ? Que, d'un seul coup je me suis retrouvé terrifié, à me gratter jusqu'au sang parce que certaines parties de mon corps m'ont démangé ? Que j'ai potentiellement eu l'impression que râper ma peau m'aiderait à enlever cette souillure incrustée en moi ? C'est idiot. Complètement idiot. A la place, je m'excuse une nouvelle fois, puis je ne dis plus rien. L'idée que Jackson est là à me soigner au lieu de tranquillement faire la grasse matinée ou je ne sais quoi d'autre me dérange. Savoir que Derek est toujours là me fait carrément mal.

Je fronce légèrement les sourcils mais ne me plains pas en sentant le produit désinfectant passer sur mes petites plaies. Elles sont peu nombreuses, mais certaines ont clairement la forme de griffures. Des griffures si fines que leur origine humaine ne fait aucun doute. Je ne dis rien, tente de ne pas montrer les picotements qui me traversent, parce que je n'ai pas le droit. La honte me tord le ventre. N'ai-je pas déjà assez attiré l'attention ? Non, il faut toujours que j'en rajoute, comme si ma présence ici n'était pas déjà assez pesante et embarrassante. Je ferme les yeux un instant, comme si ça pouvait me couper du monde. Lorsque la chasse sauvage m'a emmené il y a quelques mois, j'ai tout fait pour qu'on se rappelle de moi, combattant l'oubli forcé chez mes proches, profitant de la moindre faille de cette gare morbide. Là, c'est tout l'inverse. Je donnerais tout pour m'oublier, pour effacer mon existence actuelle de la mémoire des deux êtres qui sont au courant de ce qu'ils n'auraient jamais dû savoir. Je soupire, ne sens plus les picotements.

Doucement, je rouvre les yeux et me rends compte que Jackson n'est plus là. Perdu, je relève les yeux, et c'est là mon erreur. Derek est toujours là, il me fixe. Je tourne la tête, cherche Jackson du regard, mais je constate que le loup et moi sommes les seuls occupants actuels de la chambre. Qu'est-ce que… ?

- Tu t'es assoupi quelques minutes, m'apprend Derek d'une voix un peu éraillée. Jackson est parti faire un peu de rangement.

Je le regarde en biais et hoche lentement la tête, ne tentant même pas de réfuter son affirmation. Je ne me souviens pas m'être endormi, mais je ne peux que le croire : dormir une seule nuit ne va pas rattraper toutes ces heures que j'ai perdues ces derniers jours. Et puis… Je suis complètement allongé. Je lève mes bras pour les regarder : le bandage camouflant les marques de griffes de Peter a été parfaitement refait et quelques pansements dissimulent certaines de mes propres griffures. Je sais que j'en ai deux sur la joue et un dans le cou. Cette fois, je les sens. La honte continue de me ronger alors que je me demande comment j'ai pu me laisser aller à me faire ça. Je suis vraiment cinglé… J'ai envie de me réfugier sous la couette, me cacher de Derek, de Jackson, de tout le monde. Je veux disparaître.

- Stiles. Stiles, regarde-moi.

Je n'en ai pas envie, mais je m'exécute. Peut-être qu'obéir le fera partir. Je les vois, ces beaux yeux à la teinte indécise. Ils me regardent, me fixent avec douleur, depuis le bord du lit, sur lequel il a pris place. Je sais qu'il a toujours mal, je le sens. Et je veux l'effacer cette peine. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour retourner en arrière et juste… La fermer. Toutefois, une petite voix intérieure me souffle qu'ils auraient fini par deviner, par savoir, par démasquer Peter. Je ne sais même pas si je devrais en être rassuré.

- Stiles, il faut qu'on parle.

- De… ?

Je n'aime pas ma voix, elle trahit ma faiblesse, comme si je n'étais pas déjà dans une position inconfortable.

- De toi, de Peter, de ce qui t'est arrivé, me répond-t-il.

Je me redresse en me raidissant et je ne peux retenir une grimace de peur.

- Non, je dis simplement.

Il soupire. Voûté, il semble à bout, prêt à céder à n'importe quoi. Pourtant, sa voix reste ferme lorsqu'il me dit :

- Stiles, arrête de faire ça. Ne le protège pas. Il ne le mérite pas.

Et pourtant j'entends sa douleur comme je la vois lorsqu'il prononce ces mots. Ça le tue de dire ces atrocités concernant son oncle. Et moi, ça me tue de le voir souffrir.

- Mais c'est ton oncle, je réplique, surpris par son étrange demande.

Son regard change et l'espace d'un instant, j'ai l'impression d'y voir des flammes. Sa voix, pourtant rauque et chaude, claque sur ma peau comme une gifle glacée :

- Et alors ? Tu penses sérieusement que ça lui donne le droit de te toucher sans ta permission ?

- … J'ai pas dit non, je ne peux pas m'empêcher de lui rappeler même si y repenser me brise.

Parce que ça me rappelle ma faiblesse, mon incapacité à faire quoi que ce soit contre Peter. Comme si je me paralysais dès qu'il s'approchait trop près de moi, comme si j'étais incapable d'une quelconque résistance, comme s'il pouvait me faire tout ce qu'il voulait.

- Mais tu n'as pas non plus dit oui, rétorque-t-il. Tu n'es pas quelqu'un de stupide, Stiles. Tu sais très bien comme moi ce que ça veut dire.

Je suis obligé d'acquiescer. Je sais qu'il a raison sur ce coup-là, je ne peux rien dire.

- Dis-le, Stiles. Dis-moi ce que ça signifie vraiment.

Je déglutis et me redresse un peu brusquement. Non, Derek tu ne peux pas me demander ça… Je sais que tout ça ce n'est pas normal et que je n'aurais jamais dû subir les envies de Peter. Je sais que je ne dois pas garder tout ça pour moi, que… Qu'on doit faire quelque chose. Mais le visage détruit face à moi me bloque. Bordel, il a déjà bien assez souffert dans sa vie… Pourquoi a-t-il fallu que je finisse par l'ouvrir ?

- Stiles, s'il te plaît, je veux que tu le dises.

Son regard me transperce et me donne envie de faire ce qu'il demande. Mais je résiste. Je ne dois pas faire ça, c'est pas bien.

- Tu sais, me dit-il en détournant légèrement les yeux. J'ai toujours préféré la vérité aux mensonges. Je préfère avoir mal une fois que d'être bercé par l'ignorance. Je préfère savoir ce qu'à fait mon oncle plutôt que de découvrir trop tard ses actes abominables. Je préfère me dire que tu es là, en sécurité, avec nous, plutôt que tu sois chez toi, seul, à sa merci.

Derek se décale, se rapproche un peu de moi et sa main prend la mienne. Mon cœur bat vite, je frissonne et j'espère fortement ne pas être en train de rougir. Autrement, ce serait la honte pour moi. Lorsque le loup relève ses yeux si particuliers vers moi, je me sens fondre. Parce qu'il est doux et ça, je ne savais pas que c'était possible. Je vois qu'il a toujours mal, mais cette fois, c'est différent.

- Stiles, si quelqu'un te fait du mal, tu as le droit de le dénoncer. Qu'il s'agisse de mon oncle ou de quelqu'un d'autre, tu ne dois pas t'en préoccuper.

- Mais ça aura des conséquences, j'articule difficilement.

- Toute chose en a, mais les plus douloureuses sont celles qui résultent du silence.

Je me mords la lèvre. Encore une fois, il a raison et je n'ai aucun argument solide à sortir.

- Regarde-toi, continue-il en caressant étonnamment doucement le dos de ma main. Tu as vu dans quel état ton silence t'a mis ?

Je baisse les yeux sur mes bras et presque aussitôt, je sens quelques picotements au niveau de ma joue et de mon cou. Ma lèvre inférieure subit un peu plus férocement les assauts de mes dents. Ce que je remarque, c'est que je suis complètement parti en vrille. Je stresse et ce, depuis le début.

- Je…

Mais je ne dis rien de plus, je n'y arrive pas. C'est encore bloqué. Derek prend ça comme une réponse pour continuer :

- Tu es épuisé, Stiles. Je suis certain que cette nuit est la première que tu passes plus ou moins normalement.

Vrai.

- Tu n'as parlé à personne, tu as tout gardé pour toi et pourtant, tu ne vas pas mieux, c'est même le contraire.

Vrai.

- Tu te fais du mal parce que tu n'arrives pas à te sortir seul de cette situation est c'est normal. On peut t'aider. A vrai dire, on pourrait déjà le faire. Mais je veux que tu avoues, que tu mettes des mots sur ce qu'il t'a fait.

- Tu le sais déjà, je souffle malgré moi. Pourquoi tu me demandes de le redire ?

- Tu sais très bien pourquoi. Tu nous as raconté comment ça s'est passé mais tu n'as pas clairement mis les mots sur ses actes.

- Et en quoi c'est important ?

Derek soupire. Est-il fatigué ? C'est sans doute la première fois que je le vois parler autant et ça me surprend tout autant que ça m'angoisse. Je veux parler mais je résiste alors je fais ce que je peux pour tenter de faire dévier la situation. Toutefois, je sais que ce n'est qu'une question de temps avant que je cède. Ses mots me touchent et ils résonnent en moi. Je sais depuis le début ce que je dois faire, mais je n'y arrive juste pas, je me mure derrière ce que je pense être juste.

- Tu sais Stiles, on peut condamner Peter pour ses actes, mais de ton côté, tu souffriras toujours de ce qu'il t'a fait, parce que tu continueras de te perdre dans ton déni. Au fur et à mesure, tu te demanderas si tu as rêvé, si tu as vraiment vécu ça et tu te perdras dans une spirale infernale, un cercle vicieux qui va te ronger.

Je le sais, j'en suis conscient et je serre malgré moi sa main, qui n'a pas quitté la mienne. Résiste.

- Si tu le dis, c'est différent. Accepter de mettre les mots sur ses actes, c'est accepter ce qu'il t'a fait et accepter de guérir des blessures qu'il t'a infligées. Tu vois ce que je veux dire ?

Je hoche la tête en tremblotant légèrement. Je vois très bien, oui. Il esquisse un faible sourire, le premier, mais je vois qu'il est sincère.

- J'ai peur que… Que ça fragilise la meute, je finis par avouer. Jackson, Théo… J'ai pas envie qu'à cause de ça, ils… On se méfie d'eux. J'ai pas envie qu'ils finissent rejetés par ma faute.

Et je comprends à son regard qu'il voit parfaitement où je veux en venir. Comme Peter, Jackson et Théo sont d'anciens ennemis désormais amis et membres à part entière de la meute. La trahison du premier pourrait très bien mettre à mal la confiance placée en eux.

- Et si je te garantissais que ça n'arriverait pas, tu parlerais ? Me demande-t-il très sérieusement.

Je n'hésite qu'une seconde. Peter sera condamné dans tous les cas, je ne peux plus le sauver. Si Théo et Jackson ne risquent rien, je… Je peux, non ? Je hoche la tête, peu confiant malgré tout. Mais les mots, cette fois, veulent sortir. Ils me brûlent les lèvres, ne demandent qu'à être prononcés.

- Alors dis-le, souffle-t-il en serrant ma main. Dis ce qu'il t'a fait.

Je ferme les yeux un instant. Toute la discussion que je viens d'avoir avec Derek repasse dans ma tête, puis se met à tourner en boucle. La chaleur de sa main entourant la mienne m'aide, semble diffuser des ondes apaisantes dans mon corps et peu à peu, je sens ma langue se délier alors que je rouvre les yeux.