- Donc vous êtes en train de me dire que j'ai fait une sorte de… Crise ? J'articule, horrifié.
Je suis dans le lit de cette chambre d'ami que je commence à bien connaître. Je me suis assez redressé jusqu'à ce que mon dos prenne appui contre la tête de lit collée au mur. Au comble de la honte, j'ai les yeux écarquillés, relevés vers Jackson et Derek. Qui me fixent. Et semblent sur leurs gardes. Ont-ils peur que je recommence ? C'est possible, mais qu'ils se rassurent : je vais bien.
Je crois.
En tout cas, je ne me sens plus nauséeux. J'ai si bien rendu le peu de nourriture que contenait mon ventre qu'il est on ne peut plus vide. Si je dois à nouveau vomir, rien ne sortira à part de la bile.
Jackson hoche la tête suite à ma question et explique :
- T'étais intenable. Tu hurlais, tu te débattais, tu voulais qu'on te lâche. Sauf que si on te lâchait, tu tombais par terre. T'avais aucune énergie mais tu trouvais la force de bouger comme un diable.
A côté de lui, Derek acquiesce sans rien dire et moi, je me voûte, je me ratatine. Complètement mortifié, j'aimerais disparaître, là, maintenant et qu'ils ne me voient plus jamais tant ma honte est grande. Je leur casse déjà les pieds à être là et bien sûr il faut que j'en rajoute en faisant n'importe quoi ! Bravo Stiles… Et après, tu t'étonnes d'être dans la merde ? Tu t'étonnes d'avoir des ennuis ? L'image de Peter me revient à l'esprit mais je me force à la balayer d'un revers de pensée. A force, je ne sais plus de quoi je peux être capable. Je ne savais même pas que je pouvais faire autre chose que des crises de panique, ça ne m'était jamais arrivé jusqu'à maintenant. Et voilà qu'en seulement quelques heures, j'ai tout enchaîné : j'ai fait des crises d'angoisse, j'ai vomi, je me suis gratté jusqu'au sang, je… Je me suis un peu oublié, me débattant et hurlant contre Derek et Jackson. Suis-je vraiment tombé si bas pour perdre le contrôle de moi-même à ce point ?
- Mais c'est pas le plus important actuellement, dit Derek d'une voix grave, me sortant de mes pensées.
Jackson prend tout de suite le relais, m'apprenant qu'ils m'ont effectivement entendu vomir mais qu'à ce moment-là, ils étaient dehors, à l'extérieur de la maison. Ils se sont alors précipités à ma rencontre et c'est là que je leur ai donné du fil à retordre. Et moi, je me demande : jusqu'où peut monter mon niveau de honte ? Elle dépasse des limites dont je n'avais même pas connaissance jusqu'à maintenant.
- D-désolé, je peux seulement bredouiller.
- T'as pas à t'excuser, me dit le kanima. En revanche, ça nous emmerde parce que du coup, t'as plus rien dans le ventre.
Je me crispe et mes doigts se resserrent d'autant plus sur les draps. Non. Ne me parlez pas de nourriture. Je ne veux pas y penser une seule seconde. Mon ventre se tord et j'ai l'impression de sentir de l'acidité me remonter dans la gorge. Celle-ci me brûle alors que j'avale difficilement ma salive. L'idée de manger quelque chose me révulse. J'ai effectivement voulu faire un effort en mangeant ce que m'avait fait Jackson mais j'ai bien vu que ce n'était pas le moment. Mon ventre n'est pas prêt à garder quoi que ce soit. Alors, j'en viens à espérer qu'ils vont s'arrêter là, qu'ils ne vont pas me demander tout de suite de manger, parce que je ne vais pas y arriver. J'ai besoin d'un peu de temps. Des heures, oui, quelques heures pour que mon ventre s'adapte. Pour que j'oublie le regard de Peter lorsqu'il a joui juste au-dessus de mon nombril.
L'air fatigué et presque las, Derek s'avance un peu, s'assoit au bord du lit et pose sa main sur mon épaule.
- Calme-toi, Stiles. On ne va te forcer à rien, si c'est ce qui est en train de t'affoler. On veut juste te dire… Qu'il faudrait que tu manges un peu. Pas tout de suite si tu n'en as pas envie. Seulement, il va falloir commencer à y penser et…
La sonnerie d'un téléphone le coupe dans son élan et Jackson s'excuse avant de prendre l'appel et de sortir de la pièce. Je ne sais pas ce qui est mieux : qu'ils soient là, tous les deux à me regarder et à me faire la morale ou qu'il s'en aille et me laisse seul avec Derek. J'ai beau l'aimer, la situation actuelle ne m'aide pas du tout à être à l'aise avec lui, bien au contraire. Je suis dans la pire position. Je ne suis pas juste la victime de son oncle, je suis également la personne qui l'ai dénoncé – sans le vouloir au départ. Et voilà que je me retrouve ici, chaperonné par Jackson et lui, tout ça parce que… Je ne sais pas, je suis incapable de me défendre seul ? D'un coup, je me prends à espérer que le départ – éphémère, sans doute – de Jackson fasse partir Derek, au moins quelques minutes, le temps de me laisser me remettre les idées en place, de réfléchir tranquillement, de prendre un peu de recul. Puis, à quoi ça lui servirait de rester, je… C'est bon, il m'a dit ce qu'il avait à dire, ça suffit.
Et pourtant, je le vois tourner la tête vers moi une fois que Jackson a fermé la porte de la chambre derrière lui. Complètement crispé, je détourne vite le regard. Je déteste être dans cette situation qui me dépasse et dans cette position dans laquelle je dépends du bon vouloir des autres.
- Stiles, m'appelle-t-il.
Je ne relève pas les yeux mais je fais un petit signe de la tête pour lui montrer que je l'écoute.
- Stiles, tu peux pas continuer comme ça.
Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je vais mettre un peu de temps à m'en remettre, oui. Il n'y a aucun remède miracle : seul le temps m'aidera. Et encore. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne pense pas que Peter se fera attraper facilement. Dans tous les cas, c'est un beau parleur. Même dans le cas où ils réussiraient à le prendre en tenaille, il pourrait les influencer, changer leur vision des choses pour, finalement, sans doute se faire passer pour la victime. Peter, c'est le genre de mecs capable de beaucoup de choses pour préserver la vision que les autres ont de lui. Il a du bagout et parfois, savoir parler amène au pouvoir. Alors finalement, je ne sais pas s'il me faudra simplement du temps. Et s'il ne s'arrêtait pas là ? Et s'il revenait, qu'il me cherchait pour… Continuer ce qu'il a commencé ? Arrête d'y penser, bordel ! Voilà que je tremble, déjà, que je me mets à psychoter, que la peur m'étouffe, fait accélérer les battements de mon cœur.
- Stiles ! Stiles…
Ses bras passent autour de moi, m'entourent et moi, je le laisse faire. J'accueille son étreinte avec un désespoir fou. Comme souvent depuis que Peter a envoyé la normalité valdinguer dans ma vie, je perds un peu pied. Mais cette fois, je ne lutte pas contre l'aide qui m'est donnée ou plutôt offerte.
- Tout va bien Stiles, je suis là.
Sa voix est aussi douce que le câlin qu'il m'offre. Et pourtant, dieu sait à quel point la douceur, ce n'est pas son truc. Il me serre contre lui comme si j'étais important, comme si seul mon bien-être comptait, embrasse le haut de mon crâne avec ce qui ressemble à de la tendresse. Mes doigts agrippent son haut avec raideur et je me love dans ses bras, en quête de pensées plus douces que celles qui me torturent actuellement.
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- C'est bien, Stiles, ne t'en fais pas.
Je fais la moue devant mon bol de nouilles et je relève les yeux vers Derek. Deux jours sont passés depuis que Jackson et lui se sont entretenus avec moi concernant la nourriture et surtout… Depuis que Derek m'a étreint comme il ne l'avait jamais fait. Je dois sans doute rougir un peu, mais je n'en ai cure. Je marque beaucoup trop facilement et ma peau devine très facilement rouge en ce moment, encore plus depuis que je galère à manger.
C'est un fait, j'ai du mal. Au début, j'ai voulu aller trop vite. Au retour de Jackson et après que Derek m'ait lâché, j'ai accepté de réessayer de manger. Le problème, c'est qu'en voyant que j'arriver à supporter quelques bouchées, j'ai tenté de faire plus, de me nourrir comme si je n'avais pas passé mon temps à régurgiter tout ce qui tentait vainement d'entrer dans mon ventre. Naturellement, cet épisode m'a rendu un peu réticent quant à l'idée de retenter l'expérience. Jackson et Derek ont bataillé avec moi et m'ont convaincu que je ne m'y prenais simplement pas de la bonne manière.
Cette situation me perturbe. Sans être chaleureux, Jackson tient à me garder chez lui pour le moment et fait ce qu'il peu pour me mettre à l'aise. Ce qui est plutôt étrange soit dit en passant. J'ai du mal à l'imaginer vouloir m'aider sincèrement alors qu'il garde sans cesse un regard insondable, parfois froid. Je ne suis pas très à l'aise quand je me retrouve seul avec lui. Pas parce que j'ai peur qu'il me fasse quelque chose, simplement parce que j'ai l'impression de le gêner. Et en soi, je le comprendrais totalement. Je squatte sa maison juste parce que… Je ne sais pas, en fait. Pourquoi m'a-t-on amené ici et pas chez moi ? Ou… Chez Scott, Lydia ? Ce que je ne comprends pas non plus, c'est la présence de Derek. Il lui arrive de s'absenter pour des raisons qui ne regardent que lui mais de ce que je sais, il doit sans doute finir ses nuits ici parce que si je le vois partir en fin d'après-midi, je le vois toujours le matin quand je me lève, assez tôt, après une nuit si fragmentée que j'en viens toujours à abandonner le combat en début de matinée. Les deux loups semblent prendre la relève l'un de l'autre auprès de moi, comme si j'avais besoin d'une surveillance quasi constante. J'ai juste mon intimité lorsque je prends une douche ou fais mes besoins. Le reste du temps, je suis rarement seul ou alors il y a toujours un loup qui traîne dans la pièce d'à côté. Ils ne sont jamais loin, au cas-où le petit humain perdu aurait un problème. Même si ça m'agace, je ne leur dis rien, je ne m'en sens pas le droit. Ils m'aident, ils me gardent ici, en sécurité, et je… Ce serait assez ingrat et culotté de ma part de leur demander d'arrêter. En fait, j'apprécie malgré moi cette aide qu'ils m'apportent et je me nourris plus ou moins consciemment de la présence de Derek. Elle m'apaise, calme mon cœur et sa voix me berce, endigue la plupart de mes crises de panique.
Je baisse à nouveau les yeux sur mon bol de nouilles. Pleinement rempli quelques minutes plus tôt, le volume n'a qu'un peu diminué. Et ça me navre. Ma détermination approximative n'est pas loin de s'envoler. Derek trouve ça bien, sérieusement ? J'ai perdu presque quatre kilos depuis que je suis ici, j'ai vomi un nombre incalculable de fois, mon visage a déjà un peu changé et je me sens faible. Je me suis regardé dans le miroir de la salle de bain, ce matin. J'avais déjà un visage fin et mon début de maigreur n'aide pas vraiment à l'embellir. Je me suis même demandé ce que Peter avait pu me trouver pour vouloir… Me harceler comme il le fait. Je n'en ai pas parlé à Derek, ni à Jackson. Ça me démange parce que j'aimerais comprendre pourquoi ça m'est arrivé. Genre… Qu'est-ce que j'ai fait ? Et puis… Où est-il à l'heure actuelle ? Scott n'a pas dû mettre la main sur lui. Autrement, je serais sans doute déjà chez moi à l'heure actuelle. Je me force toutefois à ne pas me poser trop de questions et à penser le moins possible à Peter et ses agissements. Pourtant, c'est difficile : j'ai l'impression qu'il m'a marqué à vie, même sans aller au bout de ses actes.
- C'est nul, je ne peux m'empêcher de lâcher.
- Stiles, tu dois y aller doucement et tu le sais. C'est le seul moyen de te réhabituer à manger normalement.
Sa voix reste calme, posée et a toujours cet effet que je ne m'explique pas. Les sentiments sont une chose, cette influence sur moi en est une autre. Comment fait-il pour être aussi patient ? Pour rester aussi longtemps avec moi ? Des deux, c'est bien Derek qui passe le plus de temps à mes côtés. Je comprends fort bien Jackson qui ne reste jamais trop longtemps. Je sais que je ne suis pas un cadeau et qu'il ne lui tarde qu'une chose : mon départ. Il ne le dit pas, mais j'en suis certain. Je ne peux même pas le hâter en prévenant mon père, Scott s'est arrangé pour lui faire croire que je passais un moment chez lui, que j'avais les affaires qu'il me fallait et mon traitement. Que nenni. A part mes cachets, je n'ai rien et me voix obliger de porter des vêtements appartenant à Jackson, le plus souvent des pyjamas. Ma main se crispe sur mon couvert alors que je me force à avaler une autre bouchée de nouilles. Je mache, j'avale et je soupire.
- Je sais, mais je… C'est long, tu vois ?
- Tout prend du temps, répond Derek en haussant les épaules.
C'est le genre de réponse qui m'énerve. Il dit quelque chose de vrai mais comme cela ne va pas dans mon sens, je n'apprécie pas du tout. Je n'aime pas comment je suis devenu, la manière dont je me perds peu à peu. Je me raccroche comme je peux à ces morceaux de moi qui sont détachés les uns des autres mais c'est difficile et au fond, je pense que c'est peut-être pour ça que Derek campe aussi souvent dans mon champ de vision. Lui aussi doit sentir que ce n'est pas fini et reste là pour me rattraper en cas de chute, physique ou mentale. Je ne peux même plus essayer de le faire partir, ni de lui faire entendre raison. Je crois que je ne l'ai jamais vu aussi têtu que depuis ces trois jours. Si la douleur de la trahison de son oncle est moins visible, je vois dans son regard quelque chose que je n'arrive pas à comprendre. Ce que j'arrive simplement à saisir, c'est qu'il est déterminé à camper sur ses positions, comme s'il était persuadé que je pouvais me remettre de tout ça.
Mais comment tourner la page lorsque l'on n'est pas certain que le chapitre soit terminé ?
