- Ne bouge pas.

Je m'exécute et le laisse m'enlever mes bandages. Très vite, mon bras est nu et les griffures apparaissent bien nettement. Le rouge foncé contraste énormément avec ma peau devenue très pâle. Jackson passe ses doigts dessus, les effleure et je détourne le regard en frissonnant. Je n'ai pas mal mais voir ces traces me dégoûte, alors je n'imagine même pas ce qu'il doit ressentir au fond de lui. Hier matin, je lui ai demandé pourquoi il faisait ça et il m'a dit que c'était pour évaluer la profondeur de mes blessures, que chez lui, le toucher est plus puissant que la vue. Il a lâché ça d'un air arrogant, froid, comme si j'aurais dû le deviner seul. Alors, je n'ai plus rien dit et je le laisse faire sans plus poser de question. Il s'occupe de me soigner et de changer bandages et pansements chaque matin et même si j'ai honte, je le laisse faire. Parce que mes propres marques sont toujours là. J'ai dû y aller vraiment fort… Mais je sais qu'elles disparaîtront sans laisser de traces et vite, bien plus vite que ces griffures qui, elles, resteraient là à jamais, sous la forme d'une cicatrice qui ne pourrait être qu'horrible. Peter m'avait marqué, aussi bien physiquement que mentalement.

Très honnêtement, je pourrais faire ça seul : me soigner, changer mes pansements et bandages. Pour une raison obscure, Jackson n'est pas d'accord avec cette idée alors je le laisse faire. Je n'ai aucune envie de le contrarier. Il fait déjà tant pour moi et doit sans doute, comme je le pense depuis le début, avoir hâte de me voir partir de chez lui. Par conséquent, je rends mon séjour incertain le plus agréable possible.

Grâce à Derek, je recommence à manger à peu près normalement. Trois longs jours après l'épisode des nouilles, je commence à reprendre quelques couleurs. Je suis encore très pâle mais au moins, je ne ressemble plus autant à un mort. Pourtant, à côté des mains tannées de Jackson, j'ai l'impression d'être aussi blanc qu'un cachet d'aspirine. En soi, je n'en suis pas si loin.

Enfin, il pose sur moi le dernier pansement qui signe la fin de ma séance de soin. J'ai envie de lui dire d'arrêter de faire ça, de me soigner alors que je pourrais le faire, mais je n'ose pas. Je n'arrive toujours pas à le cerner et je retiens un soupir de soulagement lorsqu'il finit par se lever et quitter la pièce sans un mot, emportant avec lui le matériel médical à jeter ainsi que les précédents pansements et bandages. Je me permets alors de me détendre légèrement. Je déteste la sensation qui me traverse actuellement, celle qui me donne l'impression que je gêne ou que je suis une gêne. Je la ressens chaque fois que Jackson se trouve dans la même pièce que moi. Alors, pour rendre ma présence plus supportable et moins pesante, je me tais autant que possible, même si ouvrir la bouche me démange sans arrêt. J'ai besoin de parler, peu importe le sujet. Parler, c'est ma marque de fabrique, mon identité. Et j'ai l'impression que depuis l'intrusion de Peter dans ma vie, ma bouche est trafiquée. Si j'ai effectivement très souvent envie de parler de tout et n'importe quoi, je n'y arrive plus. Alors oui, je veux partir sur un sujet, dériver comme avant quitte à énerver mes amis mais… Non, ça ne veut pas. Me museler n'est donc pas difficile.

Je me rallonge dans le lit. Je n'ai la force de rien faire. J'ai beau commencer à remanger plus ou moins correctement et à laisser Derek et Jackson prendre soin de moi, je me sens atrocement faible. J'ai perdu un peu plus de quatre kilos en très peu de temps, je ne fais aucun exercice et je n'ai le goût de rien. C'est tout juste si je retrouve une étincelle de vie lorsque parfois, Derek fait irruption dans la chambre et reste à mes côtés, ce qui n'est pas le cas actuellement. Mais je ne m'inquiète pas : il a sa vie, j'ai la mienne, même si celle-ci est en pause. Pour être honnête, j'ai du mal à avancer. Si j'arrive à ne pas penser à Peter à chaque seconde de mon existence, j'en fais encore des cauchemars. Cette nuit, je me suis réveillé en sursaut et j'ai pleuré. J'ai pleuré parce que je l'ai imaginé, au-dessus de moi, encore. Mais cette fois-ci, il allait plus loin dans la réalité. Si je me suis senti extrêmement mal, j'ai toutefois été soulagé de n'avoir pas réussi à crier. J'aurais réveillé Jackson. Derek n'avait pas passé la nuit ici, et c'était tant mieux. Je suis sûr que, imprévisible comme il l'est, il aurait sans doute été réveillé au moment où j'aurais pleuré et il serait venu. Et moi, je ne veux pas continuer d'attirer son attention alors que je ne la mérite pas.

Cela fait un bon quart d'heure que Jackson est parti et je n'arrête pas de regarder le plafond, comme s'il allait changer quelque chose à ma vie. Mais non, il est juste passager et j'arrêterai de le voir lorsque je rentrerai chez moi. A cette pensée, je frissonne. Peter est toujours en liberté, Scott n'a pas encore réussi à l'attraper. Qu'est-ce qui va se passer ? Est-ce que je vais retourner à ma petite vie tranquille – surnaturellement parlant – sans Peter ? Ou bien est-ce que celui-ci va revenir comme si de rien n'était ? Mais il est fichu, je le sais, il a trois métamorphes contre lui, dont son propre neveu… A la pensée de ce reste de famille déchiré à cause de moi, mon cœur se serre. Mon attention se retrouve toutefois détournée lorsque j'entends mon téléphone vibrer sur la table de nuit. Je le garde toujours près de moi, au cas-où mon ennui me pousserait à faire un tour sur internet, ou à répondre aux messages de Scott, qui prend régulièrement de mes nouvelles lorsqu'il n'a pas l'occasion de passer – ce qui est plutôt récurrent. Après tout, c'est un alpha, il est très occupé. Je saisis mon cellulaire et le déverrouille. J'atterris directement sur l'application des messages et mon sang se glace soudainement. J'aurais dû regarder ma notification avant de déverrouiller mon téléphone. Je suis un idiot. Un putain d'idiot. Parce que maintenant que j'ai ça sous les yeux, je suis piégé.

« Où es-tu, petit renard ? Ça fait un moment qu'on ne s'est pas vus. Je passé chez toi chaque nuit, mais tu n'étais pas dans ton lit. Je ne t'ai pas aperçu non plus au lycée. En fait, je ne t'ai trouvé nulle part. »

J'ai la boule au ventre. Il m'a cherché. Peter m'a cherché. Quelques secondes plus tard, un nouveau message apparaît sous mes yeux horrifiés.

« Tu me manques, petit renard. Tu sais à quel point j'ai envie de te revoir ? Il me tarde de te retrouver, je dois t'initier à beaucoup de choses. Ce que tu as vu jusqu'à maintenant, c'est juste un avant-goût des plaisirs de la chair. Tu as aimé, n'est-ce pas ? Ton rythme cardiaque est gravé dans ma mémoire. Tu as aimé, Stiles. Tu as aimé ça et tu vas en redemander. »

Mon cœur tambourine dans ma poitrine alors que les messages s'enchaînent, comme si Peter les écrivait et les envoyait au fur et à mesure. Sait-il que j'ai les yeux rivés sur mon téléphone, que je suis tétanisé ? Paralysé par de simples mots, incapable d'éloigner mon portable, de détourner le regard, incapable de ne pas lire…

« Depuis la dernière fois, je n'ai pas arrêté de penser à toi, à ton petit cul. Je ne te pensais pas aussi bien formé. Tu es bandant, Stiles. Bien plus excitant qu'on pourrait le penser de prime abord. »

« J'ai pris une décision. »

« J'ai bien réfléchi et je ne peux pas te laisser à lui. Tu es trop précieux. Un diamant brut. Tu as un cul magnifique et parfait pour combler mes envies. Je veux te baiser, Stiles, et je vais le faire. J'ai hâte de t'entendre gémir, hurler mon nom. Tu vas te cramponner aux draps et moi pendant ce temps, je vais te pilonner et t'étrangler. Tu vas adorer ça, Stiles. Tu es quelqu'un de spécial, d'indiscipliné et j'aime ça, chez toi. Mais j'aime bien aussi l'obéissance. J'ai remarqué que passé un certain délai, tu te laisses complètement faire. C'est assez drôle, ce contraste que tu offres. »

« Rien que de te dire tout ça, je bande déjà. Tu me fais un tel effet… Tu veux voir ? Ma queue est en érection, pour toi. Bien gonflée, gorgée de sang, prête à te prendre. »

Tout ce que j'ai envie de lui répondre, c'est de me laisser tranquille, mais je ne fais rien. Mon cœur bat la chamade, j'ai des sueurs froides et je commence à voir flou. Pas assez toutefois pour ne pas voir la photo que mon téléphone vient de recevoir.

J'ai envie de vomir.

Enfin, mon corps se délie, commence à m'écouter. Je balance mon téléphone au sol sans me soucier des dégâts qu'il a pu prendre et je me précipite hors de la chambre. Je ne vais pas vomir, je le sais, même si j'en ai diablement envie. Mes pieds nus manquent de glisser à plusieurs reprises sur ce sol luisant de propreté. De l'air. J'ai besoin d'air. Mon souffle est court, si court que je commence déjà à m'étouffer. Il faut que je sorte d'ici et vite.

J'arrive dans une grande pièce à vivre qui donne sur une grande baie vitrée. Je vois Jackson du coin de l'œil, assis sur le canapé. Je ne lui accorde aucune attention et tente de sortir dans le jardin. Mon besoin d'air se faisait de plus en plus pressant. Rapidement, je pose le pied sur la terrasse et je tombe à terre. La chute ne me fait rien, je ne la ressens pas. Et pourtant… Pourtant je suis bien là, au sol, les mains autour de ma gorge. Rien ne l'enserre. Qu'est-ce qui m'empêche de respirer ? Ma vue est floue, trop floue, j'entends avec une alarmante clarté les battements de mon cœur. Je tremble et je cherche désespérément de l'air qui ne vient pas.

Des bras m'enserrent, sans doute ceux de Jackson. Il me redresse en position assise, se met derrière moi, me garde contre lui et parle, parle, parle. J'entends à peine ce qu'il dit, mais je sens son torse se soulever de manière exagérée mais régulière. Je serre ses avant-bras autour de moi et enfin, je comprends ce qu'il essaie de faire.

- … Cale-toi sur ma respiration ! Je finis par entendre. Inspire, expire… Inspire, expire…

Et j'essaie. J'essaie de calmer les battements de mon cœur, de respirer à un rythme plus lent tandis que d'une main, il caresse mes cheveux et me répète que tout va bien, je ne suis pas seul, il est là. Je ne pense pas au fait que la personne qui tente de m'aider ne m'apprécie pas, je me concentre sur ses conseils pour me calmer.

Et ça finit par payer.

Je suis essoufflé et mes bras retombent le long de mon corps. Les yeux fermés, je sens ses doigts passer sur mon visage et c'est… Mouillé. Je renifle. Il essuie mes larmes. J'ai pleuré ? Je ne m'en suis même pas rendu compte. Pitoyable. Je suis pitoyable.

Contre moi, j'entends battre le cœur de Jackson. S'il a bien réussi à m'aider à me calmer, je remarque péniblement que son cœur bat un peu plus rapidement qu'il ne le devrait, mais je refuse de me dire qu'il puisse être inquiet. Sans doute ai-je dû me débattre, encore. Il a dû faire des efforts pour me contenir, d'où ce rythme un peu rapide… Et moi, je me fais submerger par ma culpabilité. Je m'étais juré de tout faire pour ne pas me faire remarquer et permettre à Jackson d'avoir la paix. Voilà qu'au lieu de ça, je fais une crise de panique, assez forte pour qu'il ait eu à intervenir. Et le pire, c'est que je me sens vidé de toute énergie, comme si elle m'avait épuisée.

- Calme-toi, tout va bien. Je suis là, Stiles, dit-il d'un ton alarmé. Je suis là et je te lâche pas.

L'entendre dire ce genre de paroles réconfortantes est étrange et je sais qu'il a prononcé ces mots parce que je tremble encore. Je respire de manière particulièrement audible. J'ai du mal à reprendre mon souffle correctement. C'est d'autant plus difficile alors que l'une de ses mains est toujours fourrée dans mes cheveux et qu'il me garde contre lui, comme s'il pouvait m'aider à m'ancrer dans la réalité. Je n'arrive pas à me faire à l'idée que je puisse être là, dans les bras de Jackson, qui tente comme il peut de me rassurer. De me pousser à lui dire ce qui m'a mis dans cet état, aussi.

Et le pire, c'est que je le fais.