On l'a serré contre nous et entre nous tout le reste de la nuit. On est restés, tous les deux, incapables l'un comme l'autre de s'en aller dormir autre part. Sa terreur avait été trop violente pour qu'on le laisse se rendormir seul sans surveillance. Et puis même après qu'il ait sombré, on n'a pas pu se résoudre à le laisser. Et s'il faisait un autre cauchemar ? Et si cette fois, on arrivait trop lentement ? Stiles s'est débattu avec une énergie et une violence inouïes, comme s'il bougeait pour sa vie. On a eu bien du mal à l'immobiliser et même si c'est quelque chose qui me fait mal au cœur et que j'aurais voulu ne pas faire, il ne nous a pas laissé le choix. Il fallait qu'on le protège, de son rêve comme de lui-même, parce qu'il est certain qu'il aurait fini par se faire mal.

Et c'est tout sauf ce que je veux.

Je me rappelle avec douleur ce matin-là où on est arrivés et qu'on l'a trouvé, à se gratter jusqu'au sang. Aujourd'hui encore, ces images me serrent le cœur. Stiles ne se rend même pas compte qu'il va mal au point de se faire du mal. Son état mental est tel que s'il en prend conscience, cela ne dure jamais longtemps avant qu'il ne replonge et qu'il oublie que ses gestes peuvent avoir des conséquences pour les autres, mais surtout pour lui. Je ne suis pas bête, je sais que se faire du mal est une manière pour lui de se battre, en quelque sorte. Une manière d'essayer de se débarrasser de ce qui le salit, de garder le contrôle sur ses pensées et la réalité. Deaton m'avait prévenu que Stiles… Risquait de développer des comportements de ce type. Mais ce n'est pas une bonne chose et c'est pour ça qu'on ne peut pas le laisser seul trop longtemps, tout comme on ne peut pas le renvoyer chez son père.

Noah est au courant. Pas de tout, mais de l'essentiel et même si la discussion avec lui a été rude, il a été obligé d'avouer son ignorance ainsi que son impuissance. C'est exactement pour cela qu'il a vite cédé à nos exigences et a accepté que l'on garde Stiles avec nous le temps nécessaire. C'est d'ailleurs lui qui lui a préparé ce sac avec quelques affaires et son oreiller fétiche, sur lequel l'hyperactif n'a sans doute même pas conscience de dormir tous les jours. Notre but, à Jackson et moi, c'est de faire en sorte qu'il survive à tout ça et qu'il résiste à l'emprise de Peter. C'est tout ce qu'on peut espérer en attendant de trouver une véritable solution. On ne peut pas imaginer qu'il sombre et devienne son pantin. Je ne peux pas.

En début de matinée, j'entends Jackson qui se lève, sans doute pour s'occuper de la maison ou je ne sais quoi. Je le sais parce que je ne dors que sur une oreille. Je n'arrive pas à me lâcher complètement, à dormir profondément comme je le fais d'habitude. J'ai dans mes bras ce jeune homme en train de perdre pied dans sa vie et je ressens le besoin d'être prêt à intervenir à tout moment. Je sais qu'il peut faire une crise, un cauchemar et perdre le contrôle de son corps, mais aussi de sa tête. C'est arrivé une fois cette nuit, ça peut se reproduire. Je resserre légèrement mon étreinte autour de lui alors que je le sens s'agiter un peu. Il n'est pas réveillé, pas encore. Je pourrais me lever et aller demander à Scott s'il a du nouveau, voire presser un peu les choses, mais je laisse ça à Jackson. Je sais qu'il le fera. Il a beau ne pas le montrer à Stiles, il tient beaucoup à lui et cette situation le mine. Il donne beaucoup de sa personne et je pense que n'importe quel membre de la meute ferait la même chose. Stiles, ce n'est pas n'importe qui : il ne s'en rend pas compte, mais c'est un élément essentiel à son bon fonctionnement. Il est nulle part et partout à la fois, il se donne toujours à fond pour nous faciliter la vie et nous pondre des plans lors d'escapades surnaturelles et puis… Certains le considèrent un peu comme une seconde maman. Stiles, c'est… C'est quelqu'un qui prend à cœur le bonheur d'autrui. Combien de fois Isaac est allé le voir pour lui demander des conseils sur tout et n'importe quoi ? Combien de fois Théo est allé le voir pour essayer de s'améliorer et devenir une meilleure personne ? Combien de fois Liam est allé le voir pour être rassuré sur sa condition lupine ? C'est un loup, maintenant, mais il va rarement s'informer auprès de Scott. Stiles est toujours la personne à qui il va désirer parler en premier. C'est un repère, celui qui a toujours été là pour ceux qui en avaient besoin.

J'en fais partie. Je ne le lui ai jamais dit, mais j'en fais partie.

Le rythme cardiaque de Stiles change progressivement, je l'entends, tout comme sa respiration varie un peu. Il se réveille doucement et je ne relâche pas mon étreinte par peur de sa potentielle réaction. En fait, toute cette histoire le rend imprévisible. Il peut tout aussi bien se réveiller en paniquant comme il peut se réveiller tout à fait normalement. Et je lui fais sentir à l'avance qu'il n'est pas seul de sorte à ce qu'il ne soit pas surpris. J'ouvre les yeux et je me prépare à l'avance à toute éventualité.

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Stiles mange. Il n'avait pas faim, mais je continue de faire en sorte qu'il se nourrisse. La seule chose que je peux lui concéder, c'est la taille de ses portions : elles sont petites et ça, je ne peux rien y faire. Qu'il puisse remanger sans vomir est déjà un effort et je sais qu'il lutte chaque fois contre le dégoût des images qui tourbillonnent sans arrêt dans sa tête. Il m'en avait déjà touché un mot, ces derniers jours. Ce matin n'y fait pas exception. Avec gêne et difficulté, il me fait part de ce qu'il ressent et me montre à quel point c'est difficile pour lui de manger.

Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit de Stiles et que, même torturé, il va user de différents stratagèmes pour éviter quelque chose qui ne lui plaît pas. Il s'agit ici en l'occurrence de manger. Même s'il est honnête dans ce qu'il me dit, je sais pertinemment que c'est dit de telle sorte que j'accepte d'arrêter de l'embêter avec ça. Il veut qu'on arrête de le forcer à manger. Ce qu'il oublie, c'est qu'il n'est pas le seul à être têtu et quand je veux, je peux l'être bien plus que lui, si bien qu'il n'a strictement aucune chance de me faire plier. Il doit sans doute le comprendre puisque passé un quart d'heure, il arrête d'essayer de me faire changer d'avis et mange en silence le peu de riz qu'il a dans l'assiette, avec le magret. Si je dois le materner pour qu'il ne sombre pas, je continuerai. Et je sais que Jackson est de mon avis.

Il m'a envoyé un message, m'informant qu'il est en train d'aller chez Scott pour voir s'il a du nouveau, que ce soit sur Peter ou concernant une potentielle solution à cette situation. On sait bien qu'il y aurait eu un moyen très simple pour retrouver Peter et Scott voulait d'ailleurs au départ mettre cette idée en place, mais on a tout de suite refusé. Le but, c'était d'appâter Peter en laissant Stiles rentrer chez lui. L'hyperactif n'aurait rien eu à faire à part s'occuper en attendant que mon oncle arrive. Nous, on aurait été cachés et on serait intervenus le plus vite possible.

Et pourtant c'est hors de question qu'on fasse cela. Ce plan est certes efficace, mais il ne protège pas Stiles. C'est l'exposer et le mettre en danger pour rien. Le but, c'est de l'éloigner de Peter pour essayer de ralentir le lien, pas de lui donner en pâture. A cette idée, mon loup a envie de grogner. Je respecte Scott mais on ne peut pas dire que ses idées soient ingénieuses ou du moins, elles ne prennent pas le paramètre « empathie » en compte. Parfois, je me demande s'il sait à quel point tout ceci a brisé Stiles. Je me demande aussi pourquoi il ne passe pas plus souvent le voir. Après tout, il s'agit de son meilleur ami. Pourquoi n'est-il pas plus là pour lui ? Qu'il n'aille pas me sortir qu'il n'a pas le temps, ce serait mentir. S'il a le temps d'aller voir ma cousine pour la bécoter, il peut se trouver un moment pour venir rendre visite à son meilleur ami.

Mon regard dérive vers Stiles, qui repousse doucement son assiette et je soupire. Un tier de sa petite, ridiculeusement petite portion est encore là. Il a peu, si peu mangé, c'est encore pire qu'hier et pourtant, je sais que je ne peux pas le forcer à faire plus, au risque que son corps réagisse et rejette l'intégralité de ce que contient son estomac. Il relève ses yeux vers moi et ce que j'y lis me bouleverse. C'est comme s'il était perdu et qu'il cherchait mon approbation.

- C'est… C'est pas trop mal, non ? Balbutie-t-il.

Je peine à avaler ma salive mais je fais en sorte qu'il ne remarque rien du trouble qui me secoue en tous sens. Il veut ma confirmation. Il a besoin d'être rassuré. Son air perdu et presque apeuré fait naître en moi l'envie de le prendre dans mes bras et de l'y garder jusqu'à ce qu'il comprenne que oui, dans tous les cas, c'est bien. Parce qu'il essaie. Il fait de son mieux et au fond, j'en suis conscient. Voir qu'il a tant de difficultés à cela me fait juste mal au cœur.

- C'est très bien, Stiles, finis-je par répondre d'une voix un peu rauque.

Parce que je retiens mes émotions et je force un sourire qui se veut rassurant. Lui, il en esquisse un faible, comme s'il n'était pas vraiment convaincu et baisse les yeux. Dès que je sens la honte poindre dans son odeur, je prends les devants. Instinctivement, je pose ma main sur la sienne et je n'hésite pas à ancrer mon regard dans le sien.

- Stiles, chaque effort que tu fais est bien. Ce qui compte, c'est que tu essaies et que tu continues d'essayer.

Sa main tremble de manière imperceptible, mais pas de peur. Il est juste… Faible et sans doute encore bien perturbé par ce cauchemar dont il ne m'a pas encore touché un mot. Je ne sais pas s'il le fera, mais j'aimerais tout de même que ce soit le cas. Il a besoin de parler, de se confier sur ses ressentis et j'aimerais comprendre ce qui l'a rendu aussi mal. Je me doute bien que ça a un rapport avec Peter, mais ce n'est pas suffisant. Je resserre mes doigts sur sa main. Il doit savoir, comprendre que je suis là. Je ne vais pas le lâcher tant que cette histoire ne sera pas réglée.

Son regard n'est pas fixe. Il lève les yeux vers moi, les dirige vers le côté, les baisse pour fixer je ne sais quoi. Il est stressé.

- Et si tout ça, ça servait à rien ? Me demande-t-il sans me regarder. Et si c'était déjà couru d'avance ?

Alors que ses questions n'ont pour seul effet que de m'indigner, je retiens la vague de rage qui monte en moi. Si j'avais Peter sous la main, je lui ferais regretter d'être né. Pour son plaisir, il est en train de détruire une vie, un jeune homme qui n'aurait autrefois jamais abandonné quelque bataille que ce soit. Et puis je réalise que Stiles devrait changer d'air. Penser à autre chose. Moi aussi. Parce que je ne peux pas imaginer que tous nos efforts soient vains. Stiles ne finira pas entre les mains de Peter, tout comme il ne deviendra pas son esclave. J'en fais le serment. Alors, je lui dis que tout ce qu'il fait sert à quelque chose et que ce n'est pas terminé. Deaton trouvera une solution, parce qu'il y en a forcément une. Je refuse de croire le contraire.

Je me lève, débarrasse son assiette et une idée me vient en tête alors que son visage si pâle et si triste s'ancre dans ma mémoire.