Mon regard est fixé sur la route, mais mes pensées sont ailleurs. A côté de moi, Stiles est complètement silencieux. Je n'aime pas son silence et je nourris toujours l'espoir fou de le réentendre parler à tort et à travers un jour. Mes mains se crispent sur le volant tandis que les paroles d'Alan Deaton tournent en boucle dans mon esprit.

« Viens au cabinet le plus vite possible. Viens avec Stiles. »

Ce n'est pas le fait que Deaton me demande de venir à son cabinet qui me tend, mais plus tôt le fait qu'il ait précisé que je doive emmener Stiles. Je suppose que je devrais me réjouir et me dire que c'est une bonne nouvelle car cela veut sans doute dire qu'il a trouvé une solution pour briser le lien de possession, mais je n'y arrive pas. Quelque chose me retient, un des instincts de mon loup. Ou alors, je suis simplement trop tendu. Ces derniers jours n'ont pas été de tout repos et j'enchaîne avec Stiles déboires et désillusions en tous genre. Alors, forcément, j'ai du mal à m'attendre à quelque chose de positif.

- Détends-toi, je lâche soudainement.

Et à l'intérieur, j'ai envie de rire. Je lui demande de se détendre alors que moi-même, je n'y arrive pas vraiment.

- Tu penses que ça va bien se passer ? M'interroge-t-il plutôt, de son éternelle voix faible.

Ce sont ses premiers mots depuis le début du trajet et même si je ne suis sûr de rien, je tiens à le rassurer comme je peux.

- Bien sûr que oui. Tu seras avec moi et Deaton, dans son cabinet. Tu es et tu seras en sécurité.

Il hausse les épaules, pas vraiment convaincu de ce que je lui sors. Comme je le comprends ! Ma tension à moi doit être visible et même si je fais ce que je peux pour faire semblant, j'avoue commencer à avoir du mal. J'étais bien, avec lui, dans ce petit endroit qu'il m'a montré. L'ambiance était calme, paisible et il est clair que j'ai déjà envie d'y retourner. De l'y amener à nouveau.

Parce que si j'ai bien constaté quelque chose c'est que dans ce petit coin de paradis, Stiles était complètement lucide. Il l'est, généralement, mais cette fois, c'était plus marqué et j'ai momentanément eu l'impression de retrouver une partie du vrai Stiles, celui qui disparaît derrière les volutes de fumée noire qui embrument son esprit. Derrière le poison mental de Peter. Je ne peux pas nier que l'hyperactif a eu raison sur quelques points même si je me refuse de penser que tout ça peut mal se terminer. C'est là que je l'ai trouvé le plus lucide : il sait qu'il se fait bouffer l'esprit de l'intérieur, il en est parfaitement conscient. La plupart du temps, il a simplement du mal à se battre pour repousser la mauvaise influence qui a déjà commencé à le faire changer. Toutefois, il arrive encore à penser avec une certaine clarté et ça me rassure. Il est fort.

Et je n'en ai jamais douté.

Simplement, l'ennemi est de taille et je sais que même s'il ne le dit pas, Stiles a été bien affaibli mentalement depuis l'épisode du Nogitsune. Cela remonte à quelques mois, mais je sais qu'il continue d'y penser de temps à autres. Une possession, c'est quelque chose qui peut difficilement s'effacer d'une mémoire, tout comme ça peut changer bien des façons de penser.

- Scott sera là ? J'entends.

Cette voix, la voix de Stiles est un peu différente. L'espoir que je perçois dans cette tonalité légèrement plus aigüe que d'habitude remue quelque chose en moi. Mes doigts se resserrent sur le volant. Stiles parle peu de Scott et lorsque j'ai l'occasion de parler à Scott, celui-ci me parle peu de Stiles… Mais j'imagine, je sais que ce n'est pas pour les mêmes raisons. Stiles a beaucoup de choses à penser et ne pas céder à l'influence de Peter lui demande une grande quantité d'énergie et une réflexion presque constante. Et Scott… Pour être honnête, je ne sais pas ce qu'il fait, à quoi il joue. Avec Jackson, on n'a plus beaucoup de nouvelles de lui et le peu qu'on a nous désole. J'ai l'impression qu'on n'avance pas. La seule chose que nous sort Scott en général, c'est qu'il a beau chercher partout, il ne trouve pas Peter, comme si celui-ci s'était évaporé de Beacon Hills. Ou comme s'il ne cherchait pas assez. J'aimerais participer plus aux recherches et je me dis que plus nombreux, on pourrait être plus efficaces et c'est là que je rejoins l'avis de Jackson. Néanmoins, en parler réveillerait complètement les soupçons de Peter et ça, c'est mauvais. De mon côté, j'ai beau avoir envie d'être plus utile sur le terrain, je ne regrette pas le choix que j'ai fait : celui de rester auprès de Stiles, avec Jackson. On n'est pas trop de deux pour le gérer. Ainsi, en plus d'être deux à le soutenir en permanence, on peut prendre la relève l'un de l'autre.

Pour être honnête, j'ai été agréablement surpris par la dévotion de Jackson, même si je n'aurais pas parié sur lui concernant Stiles. J'ai toujours su qu'il avait un bon fond derrière son air suffisant et cette condescendance qu'il utilise pour se donner un genre. Je sais également que de son côté, il fait ce qu'il peut pour gérer tout ça, notamment l'hébergement de Stiles et les recherches, quand il le peut.

Maintenant, il faut qu'on avance. Qu'on trouve Peter. Qu'on sorte Stiles de cette situation qui devient de plus en plus intenable, autant pour lui que pour nous.

Alors oui, j'aimerais lui répondre, le rassurer et lui dire que Scott, son meilleur ami, est là pour lui. Dans le fond, il l'est.

Même s'il ne le montre pas vraiment.

Parce que Deaton, durant l'appel qu'il a initié, n'a pas mentionné sa présence. Alors, peut-être que Scott sera là, ou peut-être pas.

- Je ne sais pas, Stiles.

J'ai répondu honnêtement, je préfère ça à un mensonge pour faire joli, un mensonge qui rassure pour mieux faire mal la seconde d'après. Je ne veux pas faire de faux espoir à Stiles alors que ledit espoir continue de subsister dans sa voix.

- J'aimerais bien… J'aimerais bien qu'il soit là. Techniquement, c'est lui l'alpha et si… Si Deaton veut me voir à moi aussi et que c'est aussi important qu'il l'a dit, Scott devrait être là, parce que… C'est l'alpha et… C'est mon meilleur ami.

Stiles essaie de se justifier comme il peut et d'expliquer le fond de sa pensée, que je connais déjà. Il aimerait simplement que Scott soit là. Avec lui. Pour le soutenir. Parce qu'on a beau être là, Jackson est moi, on ne peut pas dépasser la valeur d'un meilleur ami. Scott est le sien depuis des années, alors je le comprends. Malheureusement, je ne suis même pas sûr qu'il puisse compter sur lui sur ce coup-là, si on se réfère à ces quelques fois où le latino a eu un étrange sens de priorités.

La suite du trajet se fait dans le silence le plus total : je ne sais pas quoi dire pour l'aider et Stiles stresse. Je le sens à son odeur comme je le vois à ses traits crispés, à ses poings serrés sur ses genoux. Sa tension atteint son point culminant lorsque je me gare à l'une des places prévues à cet effet devant le cabinet de ce vétérinaire qui nous sert également d'émissaire, à raison : c'est un homme aussi bon qu'ouvert d'esprit. Qu'importe la difficulté de ce qui peut se présenter à lui, je sais qu'il nous aidera toujours. Je retiens un soupir et coupe le contact. Du coin de l'œil, je vois Stiles regarder un moment la ceinture avant d'enfin la désenclencher. Il n'est plus seulement stressé, il a peur. C'est la première fois depuis le début de cette histoire que Deaton demande à le voir mais aussi et surtout qu'il a un contact avec quelqu'un d'autre que moi et Jackson – Scott n'est pas passé assez souvent pour que je puisse le compter dans le lot.

Je sors de la voiture et j'en fais le tour, avant de venir ouvrir la portière côté passager. Stiles lève timidement les yeux vers moi et j'y vois toute la confusion qui l'assaille. Il hésite. Il ne sait pas quoi faire, je le vois, je le sens. Est-ce qu'il se bat contre la présence mentale de Peter ou contre ses propres hésitations, parce qu'il est simplement perdu ? Je ne sais pas, je n'ose pas lui demander. Tout ce qui sort de ma bouche, c'est un simple « allez, Stiles ». Péniblement, il se lève et je ferme la portière derrière lui.

Puis, il s'avance timidement vers moi et, ne sachant pas vraiment ce qu'il veut, je reste là, en attendant qu'il me parle, qu'il me dise ce qui lui passe par la tête. Je l'écouterai et il le sait, enfin j'espère. J'ai beau lui répéter, je sais que pour lui, ce n'est pas acquis. Et puis, il se rapproche, encore et encore, le visage détruit par le stress et la peur. Et ses bras se mettent à encercler ma taille alors que je vois tout autant que je sens son torse se coller contre le mien, sa tête qui se pose contre mon épaule. De mon côté, je n'hésite pas et je passe mes bras autour de lui, le rapproche entre plus, le serre contre moi. S'il a besoin d'une étreinte, de contacts physiques, de… Quoi que ce soit, je suis là. Je ne peux rien lui refuser, encore moins si ça peut lui faire du bien.

Je l'entends soupirer et je sens son souffle tremblant malgré le haut que je porte. Son odeur caramélisée altérée à cause de ses émotions s'infiltre dans mes narines et je me retiens de plisser le nez. Son besoin de présence était si spontané que j'espère sentir au plus vite une amélioration de son état dans la fragrance qu'il dégage, tout comme je veux le tranquilliser au mieux avant qu'on n'entre dans le cabinet. Deaton nous attend, je le sais, mais je ne peux pas presser Stiles. S'il faut attendre une heure avant qu'il ne se sente prêt, j'attendrai une heure. Ma main gauche remonte pour aller se caler dans ses cheveux un peu gras et je ne le lâche pas pendant plusieurs minutes. Peu à peu, je le sens se détendre et même si le changement est minime, je l'accepte.

Enfin, il finit par s'écarter de moi et je le laisse s'éloigner sans le retenir. Il relève la tête et son regard, même s'il me semble orageux, est un peu différent. Presque tranquille. En fait, j'y lis un semblant de sérénité et j'espère alors qu'il commence réellement à comprendre qu'il n'est pas seul. D'un coup, son regard se fait interrogatif puis je le vois jeter un coup d'œil à la porte du cabinet, avant de venir se fixer à nouveau sur mes prunelles. Instinctivement, je hoche la tête, comme si j'avais compris ce qu'il voulait dire sans avoir ouvert la bouche. Nous n'avons pas parlé et nous ne parlons pas. L'échange qui semble s'être fait entre nous est empli d'un silence tranquille, un silence dont on avait peut-être besoin. Parfois, les mots sont de trop.

Je passe une main dans son dos et puis, on y va.