Je ne sais pas ce que je fais. Je ne sais même pas si c'est moi qui bouge mes bras, mes lèvres, si… Si j'ai le moindre contrôle sur certains de mes mouvements. C'est dur de savoir parce que je sens tout. Oui, je sens tout, mais je ne dirige rien. Je ferme les yeux. Je ne veux pas voir le visage de Jackson d'aussi près, pas voir son regard accusateur. Je sais qu'il va me repousser et je crois que je n'ai jamais autant espéré un éloignement de ce type. Intérieurement, je le supplie de me pousser, tant pis si c'est violent. Je ne veux pas faire ça. Mais Peter, oui. Il m'y oblige, parce qu'il sait que ça me fait du mal, il sait que je suis terrifié à l'idée d'avoir un contact physique plus ou moins intime avec quiconque. Derek est l'exception à la règle malgré ce que j'ai cru à cause de l'une des manipulations de Peter. J'aimerais fermer ma bouche, ne pas la presser ainsi contre celle de Jackson. Je ne veux pas le toucher, pas me coller à lui comme je le fais actuellement, je… L'angoisse est là, elle m'étreint comme une vieille amie et envoie valser des tas de pensées dans mon esprit. Tu t'y prends bien… Il va y prendre goût.

J'entends sa voix avec une clarté folle, à tel point que j'ai l'impression qu'il est à côté de moi, qu'il m'observe rouler une pelle à Jackson. Mais il est en moi. Dans ma tête. Et il contrôle mes gestes. Alors que je veux prendre appui sur son torse pour m'éloigner, mes mains ne m'obéissent pas : elles le caressent avec langueur, sensualité, comme si… Comme si j'en avais envie. Et je sens effectivement une partie de mon anatomie se chauffer alors que je suis contre Jackson, que je me… Que je me frotte délicatement contre… Contre lui… Mais je… Non. Je n'ai pas envie. C'est juste mon corps qui réagit, oui, c'est une réaction biologique, je… Je ne vois pas ce que cela pourrait être d'autre… Mais… Mais… Je ne peux pas le vouloir, si ? Tu n'imagines même pas le nombre de choses que tu pourrais vouloir. Je… Je ne sais pas… Voyons, tu n'aimes pas ? Tu n'aimes pas sentir son corps ferme contre toi ? Tu n'aimes pas l'embrasser comme tu le fais ? Ce… C'est pas moi qui… C'est ton corps, Stiles. Et Jackson aime ton corps. Tout le monde aime ton corps. Tu es si bon… Je sens mon cœur rater plusieurs battements alors que ses mots m'horrifient autant qu'ils me terrifient. C'est comme s'il m'avait… Comme si c'était déjà arrivé et je… C'est pas arrivé, n'est-ce pas ? S'il était allé jusque-là, je l'aurais su, non ? Et si… Et s'il manipulait mes souvenirs ? Je me sens suffoquer. D'un coup, je ne sais plus ce qui est vrai, ce qui ne l'est pas, ce qui peut l'être. J'ai envie de gerber, de quitter mon corps, de… De m'éteindre. Je sens ma langue, dans la bouche de Jackson, je la sens essayer de jouer avec la sienne. Mais il ne bouge pas. Pourquoi il ne me repousse pas ? Pourquoi il… Il profite, il aime ça. Non, il ne peut pas… Pas… Pas lui… Je me sens trembler, j'ai envie d'hurler. Mais je ne suis pas aux commandes, je ne peux pas m'exprimer… Peter, arrête ! Lâche-moi ! Tu peux toujours courir, j'aime te voir ainsi : dévoué, offert… Même si ce n'est pas moi qui en profite pour l'instant, je trouve ça diablement excitant. Je ferme les yeux, c'est tout ce que je veux faire. Je sens une main se poser sur ma hanche et quelque chose en moi se brise. Honnêtement, je ne sais plus ce qui en moi est resté intact. Plus rien, je pense. Et pourtant, il y a toujours quelque chose à casser.

Je m'entends lui demander pourquoi il fait ça ou plutôt… Pourquoi il me fait faire ça. Il ne répond pas. Et je crois que la réponse me vient toute seule, sans même qu'il ait besoin de parler.

Il veut juste me détruire.

Anéantir ce qu'il me reste de volonté. Je n'ai même plus l'impression d'en avoir. Je ne… Sais même plus vraiment qui je suis, au final. Stiles, l'hyperactif, ou bien… Lui, la poupée désarticulée. Je suis un pantin, il fait déjà ce qu'il veut de moi sans que je ne puisse rien faire. Tu es à moi, Stiles. Tu es à moi. Oui, je suis à lui. Je suis déjà à lui. Laisse-toi faire, abandonne. J'ai déjà abandonné. Depuis longtemps. Et je ne sais pas, d'un coup, je me sens… Comme mourir brutalement alors qu'on me tourne. Mes jambes perdent en force, mes yeux s'ouvrent à nouveau.

Derek est face à moi. Il parle, ses lèvres bougent, mais je ne l'entends pas. Mes lèvres sont encore chaudes et je sens mon pantalon de jogging légèrement déformé par mon début d'érection. Tu as aimé ça. J'ai beau savoir qu'une réaction physiologique de mon corps ne veut rien dire, je souffle un faible « oui » dans mon esprit. Je ne sais même pas si je le pense ou non. Je ne sais plus.

Autour de moi, le monde semble s'élever… Ou alors c'est juste moi qui m'effondre, je n'en sais rien. Je sais juste que des mains sont sur moi, elles m'aident à rester redressé. Derek est toujours là, il s'est accroupi pour se mettre à mon niveau. Il parle, encore. Autour de moi, c'est pourtant le silence le plus complet. Je suis immobile, je ne sais plus comment bouger. Et pourtant… Je sens. Je sens mon corps. Je sens mes lèvres brûlantes. Tu en as envie. J'en ai envie. Oui, je dois sans doute en avoir envie. Si je réagis ainsi, c'est parce que je le veux. Ce n'est pas Peter. C'est moi. Et je suis à lui. « A lui ». Ces deux mots résonnent en moi, comme un écho sordide qui continue de retentir dans ma tête de longues secondes. Face à moi, les traits de Derek se crispe, il ouvre sa bouche en grand. Je sens mes oreilles me piquer alors même que je n'entends rien. Mais il crie. Je sais qu'il crie.

On me déplace, légèrement. Je sens un mur dans mon dos. Je ne bouge pas. Je laisse faire. Jackson entre dans mon champ de vision. Il est un peu rouge et ses lèvres portent de fragiles traces de mes assauts : elles sont rougies, gonflées. C'est toi qui as fait ça, Stiles. Oui, c'est moi. Mon corps. Mes lèvres. Ma langue. Mes mains. Je lorgne sa bouche. Belle, tentatrice. Mais mes yeux bifurquent vers Derek. La sienne est encore plus appétissante. Quelque chose en moi m'oblige à poser à nouveau mon regard sur Jackson. Il est perdu. En fait, il a l'air carrément désemparé. Peut-être que je l'ai pris de cours. Mais il a aimé, non ? Peter a aimé me voir ainsi, alors Jackson a dû apprécier ce que j'ai fait. Je sens une pression sur mon poignet et je tourne à nouveau les yeux vers Derek. C'est lui, il essaie de détourner mon attention. Ne le regarde pas. Je ne le regarde pas, je fais tout pour. Bien, Stiles, très bien. Je sens quelque chose dans ma tête, quelque chose qui me dérange. Je me sens… Fouillé. Qu'est-ce que tu fais ? Rien de bien méchant. Je cherche ce lien de pacotille. Il est si fragile et en même temps si emmerdant. Le briser sera un jeu d'enfant, il faut juste que je le trouve. Je fronce légèrement les sourcils. Quel lien ? Peu à peu, certains souvenirs me reviennent.

Lien. Derek. Union. Derek. Bataille. Derek. Liberté. Derek.

Moi.

Derek.

Presque brusquement, je reporte mon attention sur lui, j'écarquille les yeux. Dans mon esprit, la lumière se fait et un sentiment d'urgence nait en moi. D'un coup, j'étouffe et je panique, avant de réussir laborieusement à prendre une énorme goulée d'air. Mon ouïe revient doucement, je commence à réentendre des voix. Celle de Derek, et celle de Jackson. Jackson. Mon cœur se met à battre à mille à l'heure alors que je prends conscience de ce que j'ai fait, de mes actes. Je regarde le sol, je ne sais plus où me mettre. Je l'ai embrassé. Bordel. Embrassé. Je l'ai caressé, je me suis pressé contre lui et je… Affolé, je baisse les yeux vers mon pantalon et je soupire de soulagement. Ma bosse a disparu. Mais… J'ai été excité. Je ne veux pas l'admettre, je ne veux pas me dire que ce que j'ai fait m'a fait envie… Je me mets à trembler alors que je sens une main se poser sur ma joue. J'entends vaguement la voix de Derek, je crois comprendre qu'il me dit de me calmer, mais je ne suis pas sûr. C'est… Ce que j'arrive à capter, c'est faible et flou, comme si je me trouvais sous l'eau. Je prends peur à nouveau. Je veux entendre. Il faut que j'entende. Je suis terrifié à l'idée que Peter m'isole à nouveau. Entendre sa voix, seulement sa voix… Oui, en m'isolant de tout, en m'obligeant à me retrouver en tête à tête avec lui-même dans mon propre esprit, il arrive à prendre le contrôle. Je veux entendre, entendre ! Et petit à petit, ça revient. C'est moins flou, moins faible, plus clair. Doucement. Si doucement que je peine à prendre mon mal en patience. Derek me prend dans ses bras, je m'accroche instantanément à lui en fermant les yeux avec force. Oui, près, plus près. J'entends sa voix, je l'entends. Je me mets à pleurer de soulagement. Je suis là, aux commandes, je ne suis plus seul…

- Là, Stiles, je suis là…

Il a la voix cassée et moi, je ne réponds pas. Je me serre juste contre lui comme si ma vie en dépendait. Tant pis pour la honte, tant pis pour mes actes. Avant d'y penser, je dois reprendre pied. Il le faut. Je sais que Peter n'est pas loin. Il est toujours là, en moi. Je dois rester fort, enfin… Je dois rester conscient. Mais une immense fatigue s'abat peu à peu sur moi. Mon corps s'engourdit, je prends peur à nouveau. Et si c'était lui ? Et si maintenant, il se servait de ça ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je ne veux pas savoir.

- Ne me laisse pas, j'articule, ne me laisse pas…

Il ne répond pas, mais resserre son étreinte sur moi. Je me blottis dans ses bras, mes joues trempées mouillent son haut. Je ne sais plus quoi faire. Tant de pensées se bousculent dans ma tête… J'ai du mal à les trier, les organiser. Je dois faire quelque chose. Je dois dire quelque chose. Dire, expliquer, raconter…

… Parler.

J'ai l'impression que son influence s'est affaiblie un peu, comme si j'avais réussi à m'en sortir pour l'instant. Il faut que j'en profite, je n'ai pas le choix. Je n'aurai sans doute pas beaucoup de temps. Il peut me manipuler n'importe quand, depuis n'importe où. Je vais disparaître bientôt, je le sais, c'est une certitude. Et maintenant que je suis à nouveau moi, je suis obligé de faire quelque chose avant de lui céder à nouveau la place. Je me souviens de tout. Je me souviens de mes pensées, de mes actes, de la manière dont j'ai réfléchi sous son emprise. J'ai peur, je suis terrifié à l'idée qu'il recommence et je sais qu'il va le faire. Je me redresse comme je peux, je recule légèrement dans son étreinte. On est toujours par terre, dans cette foutue cuisine et Jackson, légèrement en retrait, me regarde comme si… Comme si quoi ? Je n'en sais rien. Mais il n'a pas l'air en colère, ni indigné outre mesure. Il est… Je ne sais pas. Perdu, peut-être ? Perturbé ? Il y a de quoi. Une vague de culpabilité m'envahit. Mes mains ne lâchent pas le haut de Derek, qui garde tout de même ses bras autour de moi. Je sais que quelques larmes continuent de couler, je le sens. Mes yeux me piquent, ma gorge est serrée.

- Je suis d-désolé… Je suis désolé J-Jackson…

C'est mon premier réflexe : m'excuser. Parce que c'était… Incorrect, indécent… Forcé. Il ne le voulait pas. Moi non plus. L'air bouleversé, il balbutie que c'est rien et je sais d'instinct que Peter a eu tort. Jackson n'y a pas pris goût. Il n'a pas profité. Intérieurement, je lui en suis plus que reconnaissant, mais je n'arrive pas à rester fixé là-dessus. Je tourne à nouveau les yeux vers Derek et je souffle que je ne voulais pas, que… Ce n'était pas moi. Il lève une de ses mains qu'il pose sur ma joue, l'autre restant à plat dans mon dos. Il me dit qu'il sait. Quelque chose se serre en moi, parce que je vois de la douleur dans ses yeux. Je ne suis pas idiot : je sais qu'il n'est pas juste triste pour moi. Son loup souffre. Parce qu'on a un lien, un lien d'union et que dans un sens, je lui ai été infidèle. Même si Derek ne doit pas le voir comme ça, son loup reste un animal et le lien signifie beaucoup pour lui. Alors que mes pensées divaguent à nouveau, je me force à rester focus sur le lien. Je dois lui dire, il faut que les mots sortent. C'est une bataille contre la montre. Je ne sais pas combien de temps j'ai devant moi et je suis persuadé que dès qu'il m'aura, Peter ne s'arrêtera pas là. Il fera d'autres victimes, j'en suis certain. Je ne sais pas d'où me vient cette force alors que j'ai juste envie… De tout laisser tomber. Je me sens faible, nul, sale, empli de honte. Et pourtant, je veux contrer tout ça. Je veux me dire que ma disparition, à défaut de m'aider moi, permettra de l'arrêter lui.

- Le lien, j'articule difficilement. Il veut trouver et détruire le lien. Il… Il le gêne.

Je vois son regard s'emplir de tristesse et de quelque chose d'autre. Je pense à de l'impuissance ou de la culpabilité, mais je ne suis pas sûr. Et en même temps, il reste une lumière, quelque chose de fugace qui ne quitte pas ses yeux.

- Il faut… Il faut que je vous raconte, je dis d'une voix cassée alors que mon corps s'alourdit encore.

Je laisse malgré moi mon front se poser contre son torse. Je me sens si fatigué… Mais je ne peux pas la laisser m'engourdir ainsi. Je dois agir, faire un effort.

- Ça peut attendre, me dit doucement Derek. Je vais te ramener dans la chambre, tu vas te reposer…

- N-non, ça ne… Non. Je sais pas… Je sais pas quand il reviendra… J-j'ai pas le temps…

Les yeux à nouveau fermés, je ne vois rien, mais je sens Derek se tourner à moitié, avant de revenir dans notre position initiale. Je le sens changer la disposition de ses bras. Un dans mon dos, un derrière mes genoux. Je me sens quitter le sol et ma tête repose automatiquement contre son torse. Je ne lutte pas, le laisse me porter comme si je ne pesais rien. Je rouvre péniblement les yeux et je croise à nouveau le regard océanique de Jackson. Je me fais l'étrange réflexion que c'est la première fois que je le vois avec le visage aussi défait et… C'est à cause de moi. Je relève les yeux vers celui qui commence déjà à m'emmener hors de la cuisine.

- D-Derek… S'il te plaît, je le supplie faiblement.

Je le vois se mordre la lèvre inférieure et j'entends des pas. Je sens la présence de Jackson. Il nous suit. Qu'est-ce que ça veut dire ? Rapidement, je me retrouve allongé sur le lit que je commence à bien connaître. Jackson place deux coussins contre le mur et Derek m'aide à me redresser et à faire en sorte que je tienne assis. Je ne peux retenir un soupir de soulagement alors que je les vois tous les deux s'installer près de moi, l'un à ma gauche, l'autre à ma droite. Ils ne me laissent pas, non, ils ne me laissent pas. Derek prend ma main, entrelace nos doigts et quelque chose en moi se réchauffe légèrement. Je ne suis pas seul, il faut que je m'ancre ça dans le crâne. Je dois m'en souvenir.

- Pas longtemps, me dit Derek d'un air inquiet.

Je sais qu'il voit tout autant qu'il sent ma fatigue. C'est réel. Je suis épuisé, comme si je m'étais battu, comme si j'avais résisté comme un forcené alors que… J'ai abandonné. J'ai arrêté de lutter et… Peter m'a eu. Je ne sais pas pendant combien de temps, mais il m'a eu. Je me souviens de certaines de mes pensées : j'étais à lui. Je frissonne de peur et de dégoût. Je serre les doigts de Derek, comme pour m'assurer qu'il est toujours là. Puis, je tourne la tête vers Jackson. La culpabilité me submerge à nouveau. Je me revois me jeter sur lui comme une bête affamée, sentir la chaleur se diffuser dans mon bas-ventre… Et repenser à cela me donne la nausée. A nouveau, je lui demande pardon. Il a beau essayer de me rassurer – maladroitement –, je n'arrive pas à m'enlever ça de la tête. Puis, j'essaie de me recadrer, me recentrer. Parce qu'il faut que je leur raconte. Je sais que cette fois, je risque d'arrêter de taire certaines choses.

- Peter a pris possession de moi, je commence d'une petite voix.

Jusque-là, ils sont au courant. De ma main libre, j'essuie mes joues. Jackson pose la sienne dessus et la serre doucement. Il n'entrelace pas mes doigts comme le fait Derek, mais le geste est tout aussi fort à mes yeux. Je ne les mérite pas. Ni l'un, ni l'autre. Je ravale comme je peux ma culpabilité, j'essaie de ne pas penser à mes réactions corporelles, à ce début d'érection qui avait commencé à déformer mon pantalon.

- Il contrôlait tout, je souffle. Mon corps, mes gestes… Mes pensées, aussi. Il… Même à l'intérieur, j'étais plus moi.

Je les sens tout autant que je les vois se tendre.

- Qu'est-ce que tu entends par là ? Me demande Jackson, sans doute pour être sûr d'avoir bien compris.

Je ne peux m'empêcher de baisser les yeux. Je n'arrive plus à le regarder en face.

- Je… Mes pensées étaient pas normales.

Je ferme les yeux un instant alors qu'un vertige me prend. Je suis assis, mais je sens ma faiblesse grandir. Bien malgré moi, je me laisse légèrement aller vers Derek et ma tête se pose d'elle-même sur son épaule. Je rouvre difficilement les yeux et je ne sais pas pourquoi, je le sens se décrisper.

- J'avais abandonné, j'avais accepté d'abandonner. J'étais… J'étais d'accord avec le fait que j'étais…

Prononcer ces mots me tue à l'avance, mais je n'ai pas le choix. Ils doivent savoir. Je sais que si je n'en parle pas maintenant, même si c'est frais, je ne parlerai jamais… Ils sont là, toujours là, avec moi. Ils m'aident, ils font ce qu'ils peuvent pour moi, alors… Je leur dois bien ça.

- … Il disait que j'étais à lui et je… Je le confirmais. J'étais complètement d'accord, ça me paraissait… Normal…

- Stiles, commence Derek.

- J-je sais que non, je le coupe en refermant les yeux. Mais à ce moment-là, je… Dans ma tête, c'était comme ça. Je ressentais pas grand-chose, j'étais juste… Un robot. C'est après, quand j'ai pensé au lien et que je suis redevenu moi-même que… Que tout ça m'est retombé dessus.

Je me surprends à arriver à parler autant. Pour être honnête, je crois que c'est la première fois que je parle aussi longtemps depuis ces derniers jours. Je ne pensais même plus en être capable et pourtant… J'y arrive. Pour l'instant. Peut-être que c'est le fait de me savoir sur un fil, prêt à tomber à tout moment, qui me fait pousser des ailes. Je frissonne, d'un coup. Je demande fébrilement à Derek et Jackson si je peux me mettre dans le lit, ce à quoi ils répondent par un air outré et un « oui » lâché comme si c'était évident. Pour moi, ça ne l'est pas. J'ai du mal à savoir à quoi j'ai droit. C'est difficile parce que… J'ai perdu toute ma confiance en moi, je suis sans cesse balloté mentalement, parfois, je perds le contrôle de moi-même. Peter prend toujours les commandes quand je ne m'y attends pas. Je n'y suis jamais préparé et c'est toujours une épreuve, même si ce n'est pas arrivé souvent. Mais je tends à croire que les incidents de ce genre vont se multiplier, jusqu'à… Jusqu'à ce que je ne sois plus là. En fait, je pense que la peur de mourir sur le plan mental me terrifie, au point de réveiller un minimum mon instinct de survie. Je dois parler pour essayer de ralentir le processus. Derek m'a déjà dit que parler aidait beaucoup et je sais qu'il est dans le vrai. Rester dans le silence précipite la chute. Et moi… Je ne veux pas. Je veux survivre…

Me retrouver sous la couette diminue la sensation de froid qui continue de parcourir mon corps. Elle ne disparaît pas, mais je me sens tout de même plus à l'aise. Je les remercie timidement et Derek pose sa main sur mon front. Gêné, je le regarde et lui dis que je ne suis pas malade. Il ne me répond pas, mais je vois dans son regard qu'il est inquiet. Il prend à nouveau ma main, entrelace encore nos doigts.

- Toujours froid ? Me demande-t-il.

Je hoche doucement la tête, mais je lui dis que ça va mieux. Toutefois, je décide de recentrer le débat. Mais… Son regard me captive, j'ai d'ores et déjà envie de m'y perdre. Et je ne sais pas, mais l'espace d'un instant, j'ai l'impression qu'on est seuls, tous les deux. Toutefois, Jackson rappelle assez vite sa présence en me demandant si j'ai besoin de quelque chose. Je secoue doucement la tête. De toute manière, même si c'était le cas, je pense que je ne lui répondrais pas par la positive parce que… Après ce qu'il s'est passé, je ne me vois pas lui demander quoi que ce soit. Je me sens mal à cette pensée, atrocement mal.

- Puisque tu te souviens de tout… Est-ce que tu sais comment Peter t'a poussé à… Te rapprocher de Jackson ? S'enquiert Derek d'une voix douce. Je sais que c'est difficile, mais on a besoin de savoir.

Comme pour l'appuyer, le kanima hoche la tête. Ma bouche s'assèche, ma gorge se serre. Si l'on ajoute à ça cette fatigue toujours plus pesante et mon envie de garder certaines choses secrètes… Je vais avoir du mal. Et en fait, je me rends compte que je ne suis pas prêt.

Au fond, s'il ne m'a pas précipité vers Derek, c'est parce qu'il a bien vu que sa première tentative pour me faire perdre confiance en lui n'a pas marché. Il y a le lien aussi. Je ne sais pas vraiment ce qu'il fait, mais je sens qu'il booste cette facilité que j'ai avec lui, mon envie de me retrouver à ses côtés, ce besoin que j'ai qu'il me rassure, cet apaisement quant il me prend dans ses bras… Ou qu'il tient ma main comme il le fait actuellement. Mes pensées commencent à s'embrumer et je peine de plus en plus à garder les yeux ouverts.

- Il… Il veut me détruire, alors il m'a fait aller vers celui en qui je pourrais ne plus avoir confiance parce que je le connais moins. Il sait que te viser toi… C'est… C'est peine perdue, je souffle.

De sa main libre, il se met à caresser ma joue et je tourne doucement ma tête vers Jackson en espérant qu'il ne l'ait pas mal pris ou mal interprété. Mais je le vois simplement encore plus désemparé que précédemment. En tout cas, il n'a pas l'air en colère et ça me rassure un peu.

- Pardon, je lui dis une nouvelle fois. Je voulais vraiment pas…

- C'est rien, me dit-il encore en tapotant doucement mon épaule.

Il tente un sourire, mais je n'ai jamais vu de sourire aussi faux. Ses yeux brillent, aussi, mais pas de joie. Un aveu involontaire sort de mes lèvres :

- Il m'a persuadé un instant que… Tu aimais, que tu allais en profiter.

Je commence sérieusement à avoir des difficultés à articuler mes mots, si bien que je dois faire des efforts supplémentaires pour rester compréhensible. Mes yeux se ferment tous seuls, je les rouvre. Et je le vois, les yeux écarquillés d'horreur, la bouche entrouverte. Il s'empresse d'essayer de me rassurer :

- Stiles, jamais je…

- Je sais, je le coupe faiblement. Mais sur le coup, je l'ai cru parce que… J'étais plus moi-même. Puis… Puis…

Il faut que je le fasse. Il faut qu'ils comprennent comment il agit et ce qu'il me fait. Je sais que même si je ne le disais pas de mon propre chef, ils essaieraient de savoir.

Mais je n'arrive pas à dire la suite. Je n'arrive pas à faire sortir les mots de ma bouche.

Non, je n'arrive pas à leur dire que j'ai honte d'avoir eu un début d'érection. J'ai honte d'avoir… D'avoir potentiellement… Apprécié. Au fond, je sais que ce n'est qu'une stupide réaction physiologique que Peter a tout fait pour provoquer chez moi en me faisant embrasser Jackson de la sorte, mais… Je n'arrive pas à me sortir une idée de la tête : celle qu'il s'agit de mon corps et que je suis donc responsable. Je sais qu'ils l'ont vue, ou sentie. J'aimerais leur en parler, leur expliquer… J'essaie, je sais qu'il n'est pas là pour me bloquer.

Les mots ne sortent pas.

- Stiles, tu peux tout nous dire, on ne va pas te juger… Me dit Derek d'une voix plus douce que jamais.

- Je… Je…

Mes yeux se ferment à nouveau. Je suis épuisé. Mes doigts se desserrent doucement, ceux de Derek se resserrent sur les miens. A nouveau, une main se pose sur mon front.

- Toujours pas de température, j'entends.

La main descend, caresse ma joue, encore. Je presse mon visage contre elle. Je crois que je cède peu à peu. Je suis si fatigué… Qu'est-ce qui m'a autant vidé ? Ma possession par Peter ? Ma torture mentale ? Mon récit ? Me rappeler de tout ça ? Je n'en sais rien…

- Je…

- Repose-toi, Stiles. On en reparlera plus tard.

La voix de Derek me berce, je me sens lâcher prise. Pourtant, je me force à rouvrir les yeux, encore. Je le regarde péniblement. Je croise ses iris si particuliers, sans arriver à interpréter ce que j'y vois. Je ne sais plus ce qu'il ressent. Quelque chose en moi s'active, s'affole. D'un coup, j'ai peur.

- J'veux pas… J'peux pas être seul…

Mes yeux s'embuent tandis que ma voix est si faible et suppliante que c'en est ridicule. Ma motivation toute relative s'en est définitivement allée. Je n'ai plus de force, autant mentalement que physiquement. J'ai besoin de dormir mais en même temps, j'ai des choses à dire, je… Je sens que je peux aider à ralentir les choses, mais… Mais…

Mais…

Une douce chaleur s'insinue contre moi, des bras m'entourent. Je peine à me rapprocher de cette source qui fait disparaître toute sensation de froid de mon corps. Mes mouvements sont si faibles, si petits… Il m'aide, je sens qu'il m'aide. Je me retrouve totalement contre lui. Je ne m'inquiète pas, je sais d'instinct que c'est lui. Je le réclame, je réclame ses étreintes, son contact. Je ne veux personne d'autre. Je ne sais pas si j'ai parlé, mais je sais que je l'ai pensé. Fort. Il me murmure qu'il est là, qu'il reste avec moi.

Et je sombre. Je sens mon corps picoter puis se paralyser, s'endormir avant mon esprit. Progressivement, tout chez moi s'éteint : mon toucher, mon odorat, mon ouïe, toutes mes sensations. Pendant quelques secondes, j'ai l'impression de me retrouver seul dans mon propre esprit, emprisonné par Peter.

Et puis, plus rien.