Stiles n'a plus d'énergie. Chaque fois qu'il se réveille, c'est pour mieux se rendormir. Il ne fait que ça. Le seul point positif, c'est qu'il a l'air trop fatigué pour faire des cauchemars et nos nuits, à Jackson et moi, sont paisibles. Il s'est écoulé trois jours depuis que Peter a pris possession de lui et depuis, il n'a pas semblé réapparaître. J'ai envie de dire tant mieux, mais je n'y arrive pas. Parce qu'après chaque accalmie, il se débrouille pour faire pire.

De mon côté, je n'avance pas et je commence sincèrement à désespérer. Deaton est venu, hier. C'est Jackson qui l'a appelé. De notre côté, on n'a pas voulu sortir, restant sur notre stratégie de rester ici, sur un terrain qu'on connaît même si au fond, on pourrait aller n'importe où, Peter pourrait continuer d'agir à sa guise. On lui a parlé, raconté ce que Stiles nous a confié. On a essayé de relater cet épisode aussi précisément que possible. Jackson a encore du mal à en parler et il est clair que ça l'a ébranlé. Je crois qu'il prend lui aussi la pleine mesure de l'avance que Peter a sur nous. Il a peur.

Moi aussi.

Deaton n'a pas vraiment su quoi nous dire. Lors de notre récit, il a enchaîné les moues embêtées, les grimaces, les questions pointues. La seule chose qu'il nous a dite de manière claire ne nous a pas rassurés.

« Le lien devrait être plus fort, plus solide. Si Peter peut continuer d'agir avec une aussi grande marge de manœuvre, c'est que quelque chose ne va pas avec votre lien. Vous n'êtes pas compagnons, vous ne vous êtes pas choisis par amour : vous devez vous connaître bien plus que n'importe qui si vous voulez avoir une chance que ça marche. Je pense qu'il y a des choses que Stiles ne te dit pas. »

Et le pire c'est que je suis certain qu'il est dans le vrai. Il y a forcément des choses que Stiles doit me cacher, mais peut-être pas de manière consciente. Quand il se réveille, il est toujours si… Perdu. Oui, perdu au point que je n'ose pas lui demander de me livrer ses derniers secrets. En fait, j'ai l'impression qu'on est définitivement en train de le perdre.

- Tiens.

La voix de Jackson me sort de mes pensées. Assis sur le canapé où je m'étais posé pour réfléchir, je relève la tête et accepte avec joie le verre de soda qu'il me tend. Sans attendre, j'en bois quelques gorgées. Lui, il n'a rien à boire, mais il s'assoit sur le fauteuil à côté du canapé. Je sens sa tension et je sais à quoi elle est due. Je repose mon verre et je soupire. Oui, je sais, j'ai été con. Quand Stiles a embrassé Jackson, mon loup a réagi et j'ai grogné. Plus que ça : j'ai laissé mes yeux changer de couleur, prendre leur teinte bestiale et mes crocs sont sortis. C'était bref, rapide, j'ai très vite perdu cette fureur brusquement montée en moi et heureusement. Un peu plus, et peut-être que je lui aurais sauté dessus. Non, en fait, je l'aurais bel et bien fait si je ne m'étais pas rappelé du fait que Stiles n'était sans doute pas aux commandes de ses actes. Son odeur n'était pas la même, elle était vide de toute émotion, vide oui, et puis… La fragrance de Peter s'est étrangement bien faite sentir comme s'il s'était trouvé là, contre lui. En fait, il était Stiles.

- Je suis désolé, je soupire encore.

Il détourne le regard et garde une allure droite, altière.

- C'est bon, on en a déjà parlé, ça va, me répond-t-il sans grande conviction.

- Jackson, j'insiste, je sais que je n'aurais pas dû me comporter comme ça.

- T'y es pour rien, Derek.

Néanmoins, je sais qu'il a eu peur. Parce que quand Stiles était encore pendu à ses lèvres, j'ai vu le regard du kanima. C'était aussi ça qui m'a fait oublier ma colère. Il était choqué, paralysé, il était terrifié à sa manière. Il n'a même pas repoussé Stiles parce que… Parce qu'il en était incapable. C'était trop invraisemblable.

- Bien sûr que si, j'objecte. J'ai manqué de contrôle.

Je m'oblige à garder les mains sur mes cuisses, paumes ouvertes, pour éviter de me triturer les doigts. Je suis nerveux, perdu, mal, mais j'essaie de rester maître de moi-même, à défaut de l'avoir été deux jours plus tôt. Je soupire encore une fois.

- Je ne sais même pas pourquoi j'ai réagi comme ça.

Il hausse un sourcil, perplexe.

- Vraiment ? Tu ne sais pas ?

- Pourquoi, je le devrais ? Je m'étonne.

- Ben oui, dit-il comme si c'était une évidence. C'est votre lien.

A vrai dire, j'y ai déjà pensé, mais j'ai tout de suite écarté cette hypothèse, tout simplement parce que… Oui, on partage un lien, certes. Toutefois, il n'a strictement aucun effet et même si je le sens, je n'arrive pas à le faire fonctionner. Je ne sais toujours pas comment m'y prendre. J'ai déjà essayé de me connecter à l'esprit de Stiles, en me concentrant, j'ai déjà essayé de visualiser le lien, de le toucher… Rien ne marche ou alors, je m'y prends comme un manche. C'est pour ça que l'idée de Deaton me paraît bien être la bonne : il y a des choses que Stiles ne me dit pas car de mon côté, je ne lui cache rien.

- Le lien est ne fonctionne pas, je crache, agressif non pas envers lui, mais bien moi-même.

- Ton loup s'est mis en rogne quand Stiles m'a embrassé, c'est bien qu'il marche, d'une certaine manière, raille-t-il.

Je sais que Jackson ne m'en veut pas, il me l'a déjà dit et n'a pas menti. Seulement, depuis cet épisode, il est un peu plus sur la défensive avec moi. Je bois une nouvelle gorgée du soda avant de reprendre :

- J'ai dû croire que tu allais lui faire du mal, comme un idiot, dis-je sans réellement en être convaincu.

- Tu parles, ton loup était surtout jaloux de voir son compagnon se jeter sur quelqu'un d'autre.

- Stiles n'est pas mon compagnon, j'objecte en fronçant les sourcils.

- En soi, si. Vous êtes liés, me rappelle le kanima, l'air de se détendre un peu.

- Pas par amour. Mon loup ne peut pas être jaloux alors qu'on ne s'aime pas.

- Dans ce cas, tu m'expliques pourquoi il a réagi de manière si possessive ? Même ton loup sait que je lui aurais fait aucun mal. Un animal, c'est beaucoup plus intelligent qu'un humain. Ça réagit à l'instinct et n'a pas besoin de réfléchir pour savoir ce qu'il lui faut. Ou alors… Peut-être que ton loup sait quelque chose de Stiles que toi tu ne sais pas.

Je me mure dans le silence et prends le temps de méditer sur ses paroles, en écartant d'office l'option jalousie. Je ne suis pas prêt à me pencher sur quelque chose d'aussi invraisemblable. Seul, peut-être plus tard. Pour l'instant, je ne vois pas en quoi ça nous avancerait. C'est plutôt la partie sur ce que pourrait éventuellement avoir su mon loup qui m'intéresse. A le sentir tourner en rond dans mon esprit, je me doute qu'il est frustré, le problème, c'est que je peux difficilement communiquer avec lui. Généralement, quand il veut que je sache quelque chose, il me le fait directement comprendre. C'est une sorte d'instinct qui se réveille et cela sort sous forme d'une illumination. Là, je ne sens rien s'y apparentant. Mon loup ne veut pas me dire. Ou peut-être que je ne suis pas en état de le comprendre ? Il est vrai que la possession de Stiles par Peter est récente et que j'ai du mal à penser à autre chose qu'à ça et pourtant… Chaque fois que je me repasse la scène dans ma tête, j'ai juste mal. Mal parce que je sais à quel point Stiles est en train de se briser. Pour autant, je ne suis pas jaloux. Je suis certes tendu mais pas jaloux et mon loup ne peut pas l'être non plus.

- A mon avis, tu devrais te pencher sur la question. Stiles tient à toi, tu tiens à lui, et vous êtes liés, reprend Jackson.

Je le regarde. Oui, définitivement, il semble s'être un peu détendu. Il sait que je n'irai pas me jeter sur lui pour lui arracher la gorge avec mes dents. Toutefois, j'avoue ne pas être certain de réussir à me contrôler si ça se reproduit. Je n'ai même pas senti mon loup s'énerver : c'était trop rapide.

- Peut-être que toi, tu ne le considères pas comme ton compagnon, mais ton loup… Il voit les choses plus simplement. Ce que vous avez… C'est pas rien. C'est un lien d'union, Derek. Vous appartenez l'un à l'autre, même si effectivement, vous ne vous êtes pas liés par amour, mais par nécessité.

Je sais qu'il a raison, que sa réflexion est bonne, mais je suis habitué à être sur la même longueur d'onde de mon loup et actuellement… Je n'ai pas l'impression que ça soit le cas. Je sais qu'il faudra que je me penche sur la question à un moment ou à un autre mais je crois que je ne suis vraiment pas prêt. J'ai tant de choses à penser… En arrière-plan, les battements du cœur de Stiles me bercent. Ils sont réguliers, lents. Tout va bien. Oui, tout va bien. Pour l'instant. Et en même temps, rien ne va. Qui sait quand Peter va attaquer de nouveau ? Qui sait ce qu'il va lui faire ? Qu'est-ce qu'il va lui faire croire ? D'abord moi, puis Jackson… Est-ce qu'on arrivera à éviter de le confronter à une troisième cible destinée à le briser ? Déjà, je me ronge les sangs. Jackson se rapproche, s'assoit à côté de moi. Je sens son stress à des kilomètres, ce stress qui ne le quitte pas depuis que Peter a pris possession de lui. Il ne m'en parle pas, mais je suppose qu'il le fera plus tard. Il pose sa main sur mon épaule.

- Va le rejoindre si tu t'inquiètes autant, me dit-il en souriant faiblement.

Je ne suis même plus étonné qu'il devine mes pensées, qu'il capte mon angoisse sourde. On passe beaucoup de temps ici, ensemble, à prendre la relève de l'autre auprès de Stiles. On commence à se connaître, à décrypter nos expressions faciales, à deviner nos préoccupations respectives.

Je hoche la tête. Je sais que j'aurais de toute façon fini par le rejoindre parce que son état me fait peur. Chaque jour qui passe, je crains de me réveiller et de faire face à un humain détruit, un esclave sans âme. Je me raccroche toutefois à cet espoir ténu qui subsiste chaque fois que je le vois lucide. Mais vient un moment où je ne sais plus quoi faire, parce que j'ai tout tenté. Je suis impuissant. Tout ce que je peux faire, c'est observer sa déchéance. Il résiste, il fait ce qu'il peut, je le sais. A nouveau, je m'excuse auprès de Jackson, qui me certifie encore et encore que mon comportement de con est déjà oublié, et puis je prends le large.

Lorsque je pénètre dans la chambre, les rideaux sont ouverts. La lumière éclaire tout sur son passage et pourtant, cela ne semble pas déranger Stiles qui dort comme un bébé. Enfin… Ses cernes sont là, toujours présents, plus prononcés que la veille. Je m'approche doucement, il sursaute, se réveille d'un coup. Ses paupières laissent apparaître un regard fatigué et angoissé, un regard que je veux rassurer. Ses yeux un tantinet affolés scrutent la chambre, regardent ce qu'il y a tout autour de lui. Attristé, je vais m'installer sur le lit, près de lui et il vint instantanément se coller à moi. Les tremblements qui l'agitent sont légers, mais tout de même présents et je l'enserre avec toute la douceur dont je suis capable. Il presse sa joue contre mon torse. Il ne pleure pas et pourtant, son odeur sent les larmes, toutes celles qu'il ne verse pas. Il respire lentement et profondément, péniblement.

- Cauchemar ? Je demande simplement.

Il n'ouvre pas la bouche, mais hocha la tête. Inutile de lui demander de quoi il a rêvé, je connais malheureusement la réponse. Je dépose un baiser sur son front. Je sais qu'avec Jackson, on avait dit qu'on resterait un peu ici et puis qu'on partirait quelque part, pour le protéger. Peter peut prendre possession de lui à n'importe quel moment, ce qui fait qu'au fond, il n'est en sécurité nulle part, mais… Et si ça pouvait aider ? Si la distance nous permettait… De réduire un minimum l'influence de Peter ?

- D-Derek ?

Je baisse aussitôt la tête vers mon protégé, qui a levé la sienne. Il me regarde de ses yeux perdus, angoissés, torturés. L'une de mes mains part automatiquement caresser sa joue et certaines paroles de Jackson me reviennent en tête, mais je les chasse d'une pensée. Ce n'est pas le moment. Je me concentre sur Stiles, essaie d'anticiper à l'avance ce qu'il pourrait me dire, pour lui répondre au mieux. Lorsque mon regard croise le sien, il le détourne, le baisse et je sens la honte poindre dans son odeur. Je continue mes caresses et lui intime de me dire ce qu'il a sur le cœur, tout en lui assurant que je ne le jugerai jamais. Son odeur se vide un instant de toute émotion et je me crispe, mais tout revient à la normale un ou deux secondes plus tard. Il attend un moment, puis se lance, sans me lâcher :

- J-je… J'ai toujours rêvé de… De partir en vacances à la… La m-montagne.

Il bégaie beaucoup plus, depuis que Peter a pris possession de lui et à l'entente de cette phrase difficilement prononcée, mon cœur se serre. Je hoche la tête, signe que je l'écoute et j'attends la suite, sans cesser mes caresses. L'angoisse et la honte qui proviennent de lui me piquent le nez mais je n'en laisse rien paraître et dépose doucement mes lèvres sur ses cheveux fraîchement lavés ce matin. Il poursuit, d'une voix plus que faible :

- J-je… J'aimerais y… Y aller u-une fois avant… Avant de… D-d-disparaître.

Mon souffle se coupe un instant.

- T-tu… Tu p-penses que… Qu'on pourrait… D-demander à m-mon père p-pour… Pour ç-ça ? S-s'il a d-des c-congés, p-peut-être que… Qu'on pourrait y… Y passer d-deux jours. V-vous, ça vous ferait des… Des vacances et… Et… Euh…

Il perd le fil. C'est ce qui me vient aussitôt à l'esprit. D'un coup, il a l'air absent et je commence à m'affoler.

- Stiles ? Stiles, tu m'entends ?

Je le secoue doucement. Il sursaute et je vois son regard reprendre vie à nouveau, avec une rapidité qui me rassure. Il se met à trembler de plus belle et ses doigts se crispent sur mon haut alors qu'il se blottit toujours plus contre moi. Je l'étreins, l'embrasse doucement sur le front avec angoisse, lui répète des paroles rassurantes mais auxquelles j'ai moi-même du mal à croire. Puis, lorsqu'il se calme un peu, je lui dis de reprendre. Encore une fois, je vois la confusion se peindre dans son regard, une confusion pure et glaçante qui fait prendre à son visage une allure démente et presque enfantine.

- Je… Je disais q-quoi ?