Jackson n'aurait jamais cru faire cela un jour.

Recoudre Derek.

Le chalet était plongé dans le silence le plus total. Avec un air des plus concentrés, le kanima faisait passer l'aiguille et le fil dans la peau de l'ancien alpha, qui ne s'autorisa rien de plus que quelques grimaces. Sa bouche ne laissa pas échapper une plainte, pas un grognement. Derek s'évertuait à endurer le supplice dans la plus grande discrétion et ce, parce qu'il ne guérissait pas. Il ne voulait pas guérir. Il bloquait le processus. Mais Jackson, ne se voyant pas le laisser se vider de son sang, avait pris les choses en main. Si son aîné ne guérissait pas de lui-même, il était hors de question qu'il l'abandonne à son propre sort, d'autant plus… Que cette blessure au flanc n'était pas la seule ornant le torse du loup. Il n'y en avait pas beaucoup, les plus anciennes s'étaient refermées ou avaient tout bonnement disparu. Le refus de Derek de laisser son métabolisme se charger de cela était tout récent.

Jackson pesta, brisant le silence ambiant, et baragouina des choses inintelligibles. Que s'était-il passé pour que Derek lui revienne dans cet état-là ? « J'ai résisté ». C'était tout ce qu'il lui avait dit, les seuls mots qu'il avait articulés depuis qu'il l'avait trouvé là, dans cette cuisine. Depuis, il se taisait et laissait tout bonnement Jackson prendre soin de lui. Dans le fond, il ne le voulait pas réellement, mais il le laissait faire.

- J'espère réellement que tu as une bonne raison de revenir aussi tard et… Dans cet état-là, maugréa le kanima en faisant un petit nœud avec son fil, avant de le couper.

Il se montrait dur, enfin… Il essayait. Parce que Derek avait beau être de retour, son absence avait fait des dégâts. Jackson était fatigué de devoir assumer son rôle seul et Stiles… Était-il réellement utile de rappeler les conséquences de la désertion de l'ancien alpha à son égard ?

Derek le regarda vaguement, sans répondre. Son air épuisé lui sauta à la figure. Si Jackson avait quelques idées et hypothèses de ce qui aurait pu se passer grâce à ce qu'il voyait, il refusait d'aller imaginer plus de choses. Il attendait maintenant la version de son aîné, qui, en plus de ne pas avoir l'air en forme pour un sou, s'obstinait à garder le silence.

Jackson releva la tête vers lui et tenta de le regarder méchamment.

- Avec qui tu as trouvé la bonne idée de te chauffer ? Lui demanda-t-il sèchement.

Parce que c'était idiot, profondément idiot ! Ils devaient tous deux être en forme de corps et d'esprit s'ils voulaient pouvoir protéger leur précieux fardeau jusqu'à trouver une solution durable pour le libérer de l'emprise de Peter. Si Derek se retrouvait à se battre avec le premier énervé venu… Et en même temps, ce n'était pas son genre. Bordel, il était le premier à s'être proposé pour se lier avec l'hyperactif. Le premier à s'être investi pour le protéger. Si Jackson avait au départ mis sa maison à disposition, c'était Derek qui avait pris les choses en main.

Derek, qui ferma les yeux l'espace d'un instant avant de les rouvrir et de souffler :

- Personne.

Et le pire, c'était qu'il ne mentait pas. Son cœur n'eut à souffrir d'aucun raté et son expression, un mélange d'épuisement et d'abattement clair, ne pouvait être plus sincère. Doucement, les mots s'infiltrèrent dans l'esprit de Jackson.

- Donc tu es en train de me dire que tu t'es fait ça tout seul ?

Derek releva un regard douloureux dans sa direction après avoir mollement réajusté son haut. Jackson fixa un instant les tâches de sang pour la plupart vieillies et la plus récente, au niveau du flanc. Il soupira et lui demanda de le retirer : il le prit et alla le mettre dans l'évier, dans le but de le laver plus tard. De là, il alla farfouiller dans le placard de la chambre attribuée à l'ancien alpha et attrapa un t-shirt à manches longues, qu'il lui lança en revenant dans la cuisine. Derek l'enfila péniblement, son visage se tendant sous l'afflux de la douleur, qu'il choisit de taire à nouveau. D'un air patient qui ne collait pas avec ce qu'il ressentait réellement, Jackson déplaça une chaise et s'installa face à Derek. Ils n'avaient pas le luxe de perdre du temps. Il fallait qu'il sache tout de ce qui lui était arrivé, et qu'ils agissent. Si le loup était revenu en pleine journée, Jackson ferait en sorte qu'il ne parte plus. Autrement, personne ne s'en sortirait. Le kanima se concentra un instant sur son ouïe : les battements de Stiles, aussi lents que réguliers, montraient qu'il dormait toujours. Parfait, cela lui laissait un peu de temps. Il fallait absolument qu'il démêle toute cette histoire.

- Comment il va ?

Jackson mit quelques secondes à comprendre que Derek venait de lui poser cette question tant sa voix était faible. Passablement agacé qu'il ose lui poser la question alors qu'il avait fait le mort durant des jours et qu'il pouvait très bien connaître l'état général de l'hyperactif grâce à son lien avec lui. Et puis, merde ! Il avait passé des jours à les fuir, tous les deux ! Quelle qu'en soit la raison précise, il n'avait pas à le faire. Et pourtant…

… Jackson lui répondit.

- Il fait de son mieux.

En lui se battaient son énervement et sa peur, cette peur qui refusait de partir malgré tout. Il ne put s'empêcher d'être provoquant :

- Et toi ? Quand est-ce que tu repars ?

C'était méchant et bas, mais Jackson n'avait pas pu retenir ces deux questions posées avec une amertume certaine. Quoi qu'il lui soit arrivé, il lui en voulait. Bordel, oui, il n'avait pas le droit, mais il lui en voulait ! Face à lui, Derek laissa échapper un soupir tremblant et se passa une main sur le visage avant que celle-ci n'aille dans ses cheveux un peu gras. Enfin, il releva les yeux vers le kanima.

- Peter a failli m'avoir, avoua-t-il brusquement, dans un souffle.

Jackson marqua un temps d'arrêt. Un temps mort. Cette idée lui avait vaguement effleuré l'esprit lorsque Derek lui avait dit avoir résisté, mais il avait refusé d'y penser d'avantage parce qu'elle ne pouvait pas être réelle. Elle n'avait aucun fondement, aucun sens. Elle n'était pas…

- Je le gênais. Il a…

Derek sentit son souffle se couper et sa tête se mit à tourner… Mais il tint bon.

- … Il s'est servi de mon lien avec Stiles pour m'atteindre, articula-t-il.

Les yeux de Jackson s'écarquillèrent alors que l'horreur se peignait déjà sur ses traits. Si son esprit se refusait à comprendre les informations sous son nez, son inconscient l'avait déjà fait. La tête lui tournant, Derek appuya ses coudes sur sa table et en serra les bords de ses mains pâles, aussi pâles que son visage. Il fallait qu'il parle. Il devait le faire tant qu'il en était capable.

- Il veut m'éjecter du jeu. Il a essayé. Tant qu'il était… Tant qu'il était là, je ne pouvais pas revenir…

… Excepté la nuit.

La gorge sèche et le souffle court, Jackson se força à reprendre pied et quémanda fébrilement :

- Il faut que tu m'en dises plus…

Derek hocha la tête et même si ses cernes indiquaient qu'il valait mieux pour lui qu'il dorme, il parla. Le repos pouvait attendre. Il devait tout lui dire, parce que pour la première fois depuis le début de cette affaire, il avait l'impression de tenir quelque chose. Ça, Jackson n'en savait rien et c'était pour cela qu'ils devaient discuter au plus vite pour mettre au point une stratégie et avoir une chance de changer les choses.

- Ecoute, Jackson. Il faut que tu m'écoutes très attentivement, d'accord ?

Le kanima hocha vivement la tête. Il n'aimait pas cet air qu'arborait Derek. Un air mêlant urgence, épuisement et… Ce qui, de loin, ressemblait à de la folie.

- La première nuit, je suis parti parce que je me sentais… Mal. Impuissant. Ce que m'a dit Deaton… J'ai senti que j'allais m'effondrer alors… Je n'ai pas tenu. Il fallait que je sorte, que je me défoule. Et j'ai hurlé. J'ai hurlé et je n'ai pas pu m'en empêcher.

Il parlait avec les yeux dans le vague et ses phalanges se mirent à blanchir tant il se cramponnait à la table. Jackson, malgré toutes les questions qui le taraudaient, choisit de ne pas l'interrompre et de le laisser continuer à son rythme. Jusque-là, il suivait : et ce hurlement, il s'en souvenait fort bien… D'autant plus qu'il avait menti à Stiles concernant ce sujet-là. Parce que Stiles s'inquiétait. Parce que Derek était parti.

- C'est le lendemain que ça a commencé, articula Derek en baissant les yeux. Je n'ai rien vu venir.

Nouvelle pause.

- Il était dans ma tête, souffla-t-il douloureusement, comme si simplement prononcer ces mots le faisait souffrir.

Jackson se sentit défaillir. Non… Et d'un coup, cette phrase lui coupa l'envie d'en savoir plus. Parce qu'il ne voulait pas croire ce que cela sous-entendait. Parce qu'il ne voulait pas imaginer risquer de perdre Stiles et Derek. Parce que c'était trop. Beaucoup trop. Peter ne pouvait pas avoir un tel pouvoir ! Et même s'il eut d'un coup besoin de s'enfuir, de quitter le chalet, son atmosphère étouffante, s'éloigner de ces ténèbres sans fin, Jackson fut incapable de lever les fesses de sa chaises. Il était tétanisé. Derek continua de lui parler, de lui expliquer ce qui lui était arriver, sans jamais entrer dans les détails. Il les lui épargnait tout autant qu'il se préservait. Tout ce qu'apprit Jackson – et c'était malheureusement bien trop – c'était la manière dont s'y était pris Peter pour broyer l'esprit de son neveu. Il lui avait transmis des images. Beaucoup d'images. Des choses que Derek avait imaginées malgré lui, mais qu'il n'avait jamais voulu voir. Il avait pu détailler la représentation la plus fidèle de la souffrance. Parce que ce qui lui avait été imposé… C'étaient les souvenirs de Peter. Des souvenirs vus à travers ses yeux. Les images, violentes, trop dures à supporter, Derek avait eu l'impression de les vivre, enfermé dans son esprit. Il était à la place de Peter. Les mains qui salissaient, il avait cru qu'elles étaient les siennes. Parce que pendant tout ce temps, son oncle lui parlait. Décrivait le tout en modifiant l'histoire. En faisant tout ce qui était en son pouvoir pour le persuader qu'il était l'unique coupable, l'unique responsable, celui qui avait provoqué la descente aux enfers de Stiles. Et durant ces moments-là, durant ces heures de torture mentale, Peter profitait de l'immondice qu'il imposait à son neveu pour tenter de prendre le contrôle de son corps. Et ça, Derek en était conscient.

Alors, il avait tout fait pour rentrer le moins possible. Eviter de mettre Stiles en danger, de lui faire du mal… A cause de Peter. Ainsi, il avait rapidement trouvé une parade pour le moins efficace pour résister à son oncle.

La violence. La douleur. Derek s'était fait mal, lacéré le corps avant de chaque fois guérir, juste pour empêcher Peter d'arriver à le prendre. Et ça marchait. Il ne savait pas trop comment, mais ça marchait. Ses mutilations semblaient avoir des effets sur Peter alors… Il avait continué, rentrant chaque fois au beau milieu de la nuit, épuisé, guérissant à une vitesse affreusement lente. Parce que dans ces moments-là, il avait le champ libre et profitait de ce court laps de temps pour se reposer un minimum, se préparant à résister aux prochaines attaques.

Jackson accusa le coup comme il le put, sans jamais remettre en doute la parole de Derek. Le choc, il le ressentait. Néanmoins, l'heure n'était pas à la patience. Parce qu'un point restait néanmoins affreusement sombre :

- Pourquoi être revenu ?

Si Derek était devenu aussi dangereux pour Stiles qu'il ne venait de le dire, sa présence lui parut par conséquent des plus étranges. Plus que cela : il douta. Derek le comprit aussitôt.

- Il n'est pas là, le rassura-t-il d'une fois faible. Il n'est plus là.

Encore une fois, son cœur attesta de sa sincérité.

- Qu'est-ce qui a changé ? Demanda Jackson d'une voix étranglée. Non, plutôt… Comment tu peux le savoir ?

Il était bien plus touché et perdu qu'il ne voulait le montrer. Plus le temps passait, moins il arrivait à cacher ce qu'il ressentait vraiment. Ses yeux se posèrent sur l'une des mains de Derek. Si la première restait toujours accrochée au bord de la table, la seconde s'en alla doucement presser son flanc blessé. Une légère grimace parcourut le visage déjà éreinté du loup, qui prit le temps de reprendre correctement son souffle, avant de répondre ceci, un léger rictus douloureux étirant ses lèvres gercées :

- Le lien que tu as créé avec Stiles… Tout s'est arrêté quand il est apparu.