Derek avait la gorge serrée. Son compagnon dormait à poings fermés, le visage détendu, imprégné d'une sérénité étonnante. S'il n'avait pas été aussi brisé, sans doute aurait-il arboré un air impassible, gardant ses émotions pour lui, parce qu'après tout… Jackson n'avait pas besoin d'être témoin de toutes ces choses qui le traversaient à l'heure actuelle. Oui, mais Jackson l'avait écouté, recousu. Jackson avait été auprès de Stiles durant son absence, l'avait aidé et protégé autant qu'il l'avait pu. Jackson était allé jusqu'à créer un nouveau lien d'union pour tenter de faire bouger les choses. Pour essayer d'inverser la tendance. Jusqu'à présent, Peter progressait toujours : simplement, il n'allait pas aussi vite qu'il le voudrait, parce que Stiles… N'était pas seul. Derek sentait que l'idée du kanima, en plus de partir d'un bon sentiment, était bonne. Il ne savait comment, mais elle lui avait permis de se libérer de l'emprise de Peter, qui l'avait torturé de toutes les manières possibles et imaginables. Faisant de son mieux pour ne pas s'épancher sur ces souvenirs trop frais pour son esprit déjà fort malmené, Derek s'approcha du lit. Il se retourna vers Jackson, lui fit une demande muette. Le soulagement l'envahit lorsqu'il vit le blond hocher la tête et sortir de l'entrebâillement de la chambre. Le kanima avait décidé de leur laisser un peu d'intimité malgré le déchirement secret qu'il ressentait : il mit cela de côté. Dans cette histoire, il n'était pas la priorité.

Le départ de Jackson sembla libérer quelque chose en Derek. Pas que le blond le gêne ou quoi que ce soit d'autre : simplement, se retrouver seul avec Stiles… Le retournait bien plus qu'il ne l'imaginait. Parce qu'il était là, de retour, la certitude qu'on ne l'attaquerait plus lui dirigeant sa volonté. Parce qu'il savait que le lien créé par Jackson faisait son effet. Comment ? Il n'en avait aucune idée. C'était son instinct qui parlait et Derek n'avait pas la force de faire autre chose que de l'écouter.

Avec lenteur et douceur pour ne pas le réveiller, Derek s'allongea à son côté. Et son regard se perdit sur ce visage auquel il n'avait pas arrêté de penser. Parce que même s'il rentrait chaque nuit… Derek se faisait violence pour lutter contre les instincts de son loup et, ainsi, protéger l'hyperactif des potentielles dérives de Peter. Mais maintenant, c'était fini. Le second lien avait sectionné cette chose qui accrochait Peter à l'esprit de son neveu. Ainsi, Derek pouvait à nouveau se tenir auprès de Stiles sans craindre de lui faire du mal. Cela faisait à peine quelques jours qu'il avait fui, mais il se sentait déjà en manque. En manque de cet hyperactif auquel il s'était attaché. Qu'il voulait protéger au péril de sa vie. Il tenait à lui, bordel ! Ce qu'il voulait à l'heure actuelle ? L'étreindre. Se repaître de cette odeur qu'il avait appris à aimer, sentir ce corps, cette chaleur toute humaine, sentir la présence de Stiles.

Mais son absence exigeait de la retenue. Derek savait que ce qu'il avait fait avait beau avoir été nécessaire, il était conscient du mal qu'il avait engendré. Ignorant la douleur des blessures qu'il lui restait, il s'installa un peu mieux à côté de l'humain et s'accorda un petit rapprochement. Il regarda avec émotion le visage de l'hyperactif, qui lui avait manqué à un point inimaginable et fut soulagé de constater que ses cernes n'étaient pas beaucoup plus importants que la dernière fois qu'il avait pu s'approcher de lui assez près pour le regarder. Ainsi, son état semblait à peu près stable.

Il n'était donc pas encore perdu.

Le cœur du loup se gonfla d'un sentiment qui l'étonna, mais qu'il ne chercha pas à comprendre. Sans doute y réfléchirait-il plus tard, lorsqu'il en aurait l'occasion, sans savoir que ledit sentiment était peut-être l'une des clés pour aider à débloquer la situation. Et, juste en le regardant, en détaillant son visage apaisé par le sommeil, Derek sentit sa gorge se serrer et ses yeux, le piquer. L'émotion en lui monta. Elle monta en puissance jusqu'à balayer partiellement cette retenue qu'il s'imposait et qui lui faisait tant de mal. Alors, il céda un peu. Juste un peu. Avec une douceur extrême, il prit le jeune homme contre lui et l'entoura de ses bras. Là, alors, son odeur, qu'il sentait déjà, lui explosa aux narines. Et il céda à tout autre chose. Le nez dans le cou de l'humain qui commençait doucement à bouger, à se réveiller, Derek se mit à pleurer sans faire de bruit. Il serra alors Stiles contre lui d'une manière si délicate et si forte dans sa douceur qu'il était à l'heure actuelle impossible de nier l'affection des plus profondes qu'il lui portait. Il avait failli le perdre. Se perdre, aussi. Les perdre. Lui, Stiles. Jackson, aussi. Mais Jackson, il aurait tout le temps de discuter plus en profondeur avec lui plus tard. Et il le remercierait mille et mille fois pour ce lien qui les avaient sans doute sauvés tous les deux, Stiles et lui. Pour l'instant. C'était suffisant. Pour se reposer, c'était tout ce dont ils avaient besoin. Du répit. Un peu. Se retrouver.

Des bras se resserrèrent timidement sur lui, les mains posées sur les siennes. Stiles était réveillé et il acceptait le contact. Il l'acceptait et il le voulait.

Mais il n'avait pas remarqué, pas encore. Après tout, il n'avait pas encore ouvert les yeux et tous ses sens en eux-mêmes étaient encore à moitié endormis. Parce que Derek et Jackson avaient beau avoir une constitution semblable, leur carrure n'était tout de même pas identique. Leur odeur non plus et même un humain était capable de la différencier. Cependant, Stiles restait épuisé. Son combat mental, bien qu'il ne s'en rende pas toujours compte, lui bouffait une énergie folle, tant et si bien qu'il avait sincèrement du mal à récupérer. Toujours contre lui et la tête nichée dans son cou, Derek le sentit bouger sa main, la tourner d'un côté, de l'autre, la palper de ses doigts. Il le laissa faire sans réagir, et soudainement…

- D… Derek ?!

Stiles voulut se retourner, sans doute pour vérifier quelque chose, mais Derek l'en empêcha en resserrant suffisamment son étreinte pour l'empêcher de bouger. La raison ? Il continuait de pleurer et n'avait pas envie que l'hyperactif le voie ainsi. Pourquoi craquait-il maintenant ? Parce qu'il avait ses limites, lui aussi, et qu'elles étaient largement dépassées. Peter avait, dans un sens, réussi à le faire plier. Sur le plan émotionnel, Derek était au plus mal, mais mentalement, il tenait encore le coup grâce à ce nouveau lien qui avait vraisemblablement fait fuir Peter.

- Je suis là, fut-il seulement capable d'articuler.

Et ces trois mots, plus que jamais, revêtaient un sens capital. Plusieurs sens, même. Ils faisaient écho à une autre série de trois mots, bien plus intimes encore que ceux-ci, mais auxquels Derek ne pensait pas encore. Tout était trop frais et il n'avait pour ainsi dire jamais réfléchi à ce qu'il pouvait hypothétiquement ressentir pour l'hyperactif. Depuis plusieurs jours déjà, tout s'enchaînait à une vitesse stupéfiante et les journées de Jackson et Derek étaient remplies, au point que penser et réfléchir à soi passait au second plan. Dans l'absolu, c'était Stiles qui comptait. La seule exception avait été ce soir-là où Derek avait fui le chalet, accablé par le chagrin, le déchirement provoqué par le peu de marge de manœuvre qu'ils semblaient avoir pour sauver Stiles. Au final, cet égoïsme avait probablement participé à sauver l'hyperactif. Parce que si Peter qui, le plus souvent, l'attaquait de jour, avait réussi à prendre possession de lui… Derek aurait fini par faire des choses qu'il aurait regrettées. Le plan de son oncle pour lui, il le connaissait, puisque celui-ci avait trouvé le moyen de le lui faire comprendre à l'aide d'images directement envoyées dans son esprit. Et Derek, tout innocent qu'il était, n'aurait jamais pu se pardonner si son corps avait exécuté les sombres dessins de son aîné. Jamais Peter ne poserait ses mains sur Stiles, au travers des siennes. Derek s'en était fait le serment, tout comme il s'était promis de le protéger, lui, Stiles Stilinski.

Alors oui, il était là pour lui et le serait aussi longtemps qu'il tiendrait debout. Il avait la certitude que Peter ne pouvait plus l'atteindre et même s'il ne comprenait pas réellement ce phénomène, celui-ci le galvanisait. Il avait l'espoir… D'arriver à le sortir de là. Ténu, certes, mais présent.

Mais là, tout de suite, c'était l'émotion qui primait. Sentir l'hyperactif contre lui, pouvoir enserrer son corps un peu trop fin contre le sien, le savoir vivant, entier, conscient, dans ses bras… C'était tout ce dont il avait besoin, tout ce que réclamait son loup blessé depuis des jours. Alors non, il ne put réprimer les larmes qui continuaient de couler silencieusement sur ses joues un peu plus pâles que d'ordinaire alors qu'il le serrait avec douceur contre lui, s'enivrait de son odeur humaine, ressentait sa chaleur.

- Mais Derek, tu… Je…

Stiles ne savait pas ce qu'il était censé dire. Le choc l'étreignait sans doute autant que le faisaient les bras de Derek, mais… Toute la douleur remontait.

- J-je suis désolé, murmura-t-il aussitôt.

Le souffle de Derek se coupa. Bien sûr, il aurait dû s'en douter… Stiles avait plus ou moins toujours eu l'habitude de prendre la responsabilité de choses qu'il ne pouvait contrôler, quitte à aggraver un état déjà précaire. Il était hors de question qu'il fasse de même alors que Derek était parti pour des raisons bien différentes. Ainsi, il déposa un tendre baiser dans son cou et lui assura qu'il n'avait rien à se reprocher, ce n'était pas de sa faute. Ça ne l'avait jamais été. Pour autant, lui expliquer la situation telle qu'elle avait été pour lui ne lui vint pas à l'esprit. La partie animale et l'humaine étaient d'accord sur un point : c'était bien trop tôt. Le seul problème avec la voix de Derek, et ce qu'avait eu l'air de remarquer Stiles, c'était sa voix rauque et peu assurée. Derek se contrôlait, mais ses pleurs étaient presque… Audibles. Alors, il lui promit simplement qu'il ne partirait plus avant de céder au silence.

Et il entendit Stiles se mettre à pleurer à son tour. Se pelotonner contre lui malgré tout. Murmurer de nouvelles excuses. Derek le câlina sans jamais faire en sorte de le retourner vers lui. Mais son odeur était lourde. Lourde d'émotions noires qui l'écrasaient de tous leurs poids.

Derek en eut la boule au ventre.

Il lui faudrait du temps pour convaincre l'hyperactif et guérir tout le mal qu'il lui avait fait. En était-il capable ? Peut-être, peut-être pas, mais la moindre des choses de tout faire pour malgré tout. Et même s'il était brisé, même si la torture de Peter le hanterait sans doute longtemps, il le ferait.

Parce que Stiles en valait la peine.