- Et ces infos, tu les avais ?
Isaac ferma les yeux en fronçant les sourcils. Scott parlait trop fort et sa voix lui donnait un mal de crâne incroyable. Depuis combien de temps l'interrogeait-il ? S'il n'arrivait pas à le mesurer, cela restait pour lui beaucoup trop long. Parce que le latino lui posait toujours les mêmes questions. Enfin pas vraiment, mais elles tournaient toutes autour du même sujet.
Stiles.
- Je me tue à te dire que non, soupira-t-il en se passant une main sur le front, après avoir rouvert péniblement les yeux.
- Mais tu savais forcém… Commença l'alpha, les sourcils froncés.
- Scott, le coupa le bouclé, tu penses sérieusement qu'il m'aurait mis dans un tel état si j'avais les informations qu'il voulait ?
Si Isaac n'avait pas de difficulté à parler de la chose en tant que telle, il ne fallait pas croire qu'il ne ressentait rien à ce sujet. Simplement, l'agacement que Scott faisait naître en lui primait sur tout le reste actuellement. Parce qu'il était chiant avec toutes ses questions, usant à insister comme s'il voulait qu'Isaac lui dise quelque chose d'autre. Que voulait-il de plus que la vérité en elle-même ? D'autant plus qu'Isaac… N'était pas forcé de lui répondre. Si Scott pouvait le voir à l'heure actuelle, c'était parce qu'il lui en avait donné l'autorisation : Deaton avait pris soin de lui demander son avis avant de laisser le latino venir s'enquérir de son témoignage. En fait, Isaac avait cru que sa visite pourrait être utile et il lui avait tout dit, tout raconté… Pour la simple et bonne raison que Scott était son alpha et qu'il pouvait lui faire confiance. Il recherchait chez lui cette figure rassurante dont il avait besoin, cette empathie qu'il lui connaissait.
Mais Scott semblait ne pas faire cas de la gravité de son état puisqu'il ne le ménageait d'aucune manière : c'était à peine s'il lui avait demandé comment il allait lorsqu'il était entré. Autant dire qu'Isaac, encore sonné et pas vraiment au fait de toute cette histoire concernant Stiles, avait de quoi perdre patience.
En fait, il ressentait l'envie… Non, le besoin graduel de ne plus le voir. Qu'il parte. Voilà, c'était ça qu'il désirait. Si Isaac faisait au mieux pour ne pas céder à l'angoisse qu'il tentait au mieux de garder muselée au fond de lui, Scott ne l'aidait pas vraiment…
- Ecoute-moi Isaac, je…
- Parle-moins fort, bon sang, le coupa encore le bouclé en grimaçant.
Il était à deux doigts de demander à Deaton de le mettre à la porte. Sa main libre maintenait une poche de glace sur le côté de son crâne, là où il sentait une bosse douloureuse. S'il était bien certain d'une chose, c'est que Peter ne l'avait pas raté… Il ne se souvenait même pas d'avoir pris tous ces coups. Il avait bien senti les premiers, les plus difficiles à encaisser, mais… Sa tête avait rapidement rencontré quelque chose de dur, un coin de meuble sans doute et… Il avait plongé dans l'inconscience à une vitesse considérable. Néanmoins, il se rappelait fort bien des mots de Peter, de la façon dont il les lui avait aboyés alors même qu'il l'inondait de coups avec une violence qu'Isaac ne lui connaissait pas. L'ancien alpha n'avait cessé de parler de Stiles, de lui ordonner de lui dire où ces « crétins de loups » l'avaient emmené. Il avait argué qu'il savait forcément où ils étaient allés et que l'inverse n'était pas possible. Et ça avait été ainsi jusqu'à ce fameux moment où son esprit s'était déconnecté de son corps douloureux. Du reste, Peter avait dû continuer à le harceler encore un peu, même alors qu'il avait perdu connaissance.
Alors voilà, il s'agissait de tout ce qu'Isaac savait et… Il le répéta à Scott, qui n'eut pas l'air de le comprendre. Ainsi, Isaac perdit patience et demanda d'un air à la fois agacé et fatigué la raison de toute cette merde. Scott le regarda et lâcha un profond soupir.
- Tu ne sais vraiment rien, Isaac ? S'enquit-il toutefois en haussant un sourcil.
Si le concerné en avait la force et l'envie, sans doute se serait-il jeté sur son alpha pour lui faire prendre conscience de l'étendue de sa stupidité. N'entendait-il pas son cœur ? Ne l'entendait-il pas battre à toute allure ? Ne sentait-il pas à quel point son odeur était piquante de terreur ? En temps normal, Isaac se serait sans doute quelque peu emporté tant l'idée de savoir que Scott ne l'écoutait pas l'insupportait et tant son insistance était déplacée, mais… Il avait mal à la tête, et pas vraiment envie de se battre pour se faire entendre. D'autant plus qu'à son mal de crâne s'ajoutaient des vertiges non-négligeables – heureusement qu'il était assis.
- Je crois que tu ferais mieux de partir, Scott, soupira Isaac.
Au lieu de simplement hocher la tête et de se diriger vers la porte, l'alpha fit un pas de plus dans sa direction.
- Ecoute Isaac, je pense que…
- Dégage.
La voix du jeune homme aux cheveux bouclés s'était faite froide – aussi froide qu'il pouvait le faire dans l'état actuel des choses. C'était d'empathie, d'écoute et de compréhension dont il avait besoin.
Pas d'un interrogatoire. D'autant plus qu'il disait la vérité et que malgré ça, Scott continuait de lui redemander les mêmes choses, encore et encore. N'entendait-il pas son cœur lui déclamer la vérité à coup de battements rapides, mais réguliers ? Ne voyait-il pas ces ecchymoses qui coloraient son visage, ne sentait-il pas qu'il souffrait de ces blessures qui n'avaient pas encore guéri ? Si le plus gros s'était résorbé de lui-même, ce n'était pas le cas du reste. Qu'il le veuille ou non, Isaac allait devoir attendre que la guérison complète s'opère d'elle-même, et s'il fallait laisser à son corps le temps d'enclencher le processus, soit.
Le fait est qu'il ne se sentait pas capable de faire face à un alpha dont la seule préoccupation était de récupérer des informations. Isaac pouvait comprendre qu'il se sente responsable de Stiles, de Derek, de Jackson… Des actes de Peter : simplement, il ne pouvait mettre de côté cette part d'humanité qu'il avait en lui et qui avait fait de lui celui qu'il était. Or, Isaac avait l'impression d'à peine l'entrapercevoir alors qu'auparavant, elle crevait le plafond.
En d'autres termes, il avait l'impression que Scott n'accordait pas grande importance à son état.
Voyant que l'alpha ne bougeait pas, Isaac réitéra son ordre, le criant presque. Qu'importe si cela lui donnait l'air de remettre en cause son autorité – pour lui, au vu de la situation, ce détail pouvait largement être relégué au second plan. Comme tout le monde, il avait des sentiments : comme tout le monde, il avait besoin de se sentir respecté.
La porte au fond de la pièce s'ouvrit brusquement sur un Deaton dont le visage n'exprimait rien d'autre que du souci. Alors qu'il allait vraisemblablement demander une explication au semblant de cri d'Isaac, il s'abstint. Son regard, il le voyait. Ainsi, il ancra le sien, ébène, dans celui de Scott, tout aussi sombre.
- Le temps de la visite est terminé, Scott. Je te prierais de laisser Isaac se reposer.
L'alpha décocha un regard perplexe au vétérinaire, sans doute surpris de se voir congédié par celui-ci, un homme qui, depuis le départ, lui vouait une dévotion et un respect sans faille. Forcément, constater qu'il n'était pas de son côté lui déplut, mais il ne dit rien.
Se mettre Deaton à dos était une très mauvaise idée. Ainsi, il obéit en silence, sans un mot ni pour lui, ni pour Isaac. Ce dernier, s'il ressentit cela comme une trahison, n'en dit rien et encaissa en fermant les yeux sans cesser de presser la poche de glace contre son crâne. L'abandon – il ressentait l'absence d'empathie de Scott de cette manière-là – était particulièrement difficile à accepter mais Isaac se sentait bien trop mal physiquement pour ne s'axer que sur ce fait. D'un autre côté, il se savait protégé. Il avait suffisamment conscience du fait que l'on se souciait déjà de son bien-être pour ne pas exploser. Ce qui était juste douloureux pour lui, c'était de ne pas avoir le moindre soutien de la part de son alpha, celui qui, par définition, devait prendre soin des membres de sa meute.
Savoir que son ami s'était fait passer à tabac par Peter Hale ne lui faisait-il donc rien ? D'autant plus que ses blessures étaient véritablement sévères puisqu'elles tardaient à guérir. Si Isaac n'avait pas vu les yeux de Peter luire avant de perdre connaissance, il aurait pu croire que l'oncle psychopathe de Derek était redevenu un alpha. Or, c'était du cyan qu'il avait vu. Rien de rouge. Ainsi, seule sa violence inouïe pouvait expliquer la guérison lente et fastidieuse d'Isaac.
Une main vint délicatement se poser sur son épaule et le loup-garou sursauta malgré lui. Il tourna doucement la tête vers Liam, dont il sentait l'inquiétude à plein nez. Le louveteau avait dissimulé sa présence dans le local attenant à cette pièce quelque peu froide. Pourquoi ? Il ne saurait l'expliquer, mais il avait ressenti le besoin de… Ne pas se montrer à Scott. Pour une raison obscure, il ne s'était pas senti prêt à témoigner du peu qu'il savait. En parler… C'était encore un peu dur, pour la simple et bonne raison que c'était trop frais. A Derek et Jackson, il n'avait expliqué que le minimum. Il avait certes un peu étoffé pour Alan Deaton, de sorte à ce que celui-ci adapte ses soins en conséquence… Mais voilà, Scott ne figurait pas sur sa liste de priorités, de gens à qui il devait décrire ce qu'il avait vu. Au départ, il s'était dit que l'alpha sentirait tout de même sa présence et lui demanderait des comptes… Force était de constater que son obsession pour ce qu'Isaac avait l'air de devoir savoir était passé au-dessus de la vérité à laquelle ses sens devaient l'obliger à faire face. En somme, il n'avait à aucun moment décelé la présence de Liam – et s'il l'avait fait, il était resté indifférent à cela.
- C'est moi, souffla le louveteau.
Isaac hocha légèrement la tête. Sa présence à lui, il l'acceptait. Il voyait Liam à son chevet depuis le réveil et ça, ça comptait pour lui. Suffisamment pour qu'il ne le repousse pas et qu'il considère le louveteau comme un soutien.
Suffisamment pour qu'il se penche et pose sa tête sur l'épaule de Liam, à sa hauteur. Il ne s'agissait pas là d'un geste d'une réelle proximité : simplement d'une demande silencieuse d'affection, d'aide, de soutien. Là, c'était sa partie lupine qui agissait, celle qui avait besoin de contacts physiques et qui en quémandait. Sa part humaine, elle, s'effaçait légèrement tant elle se sentait mal.
- Je suis désolé, Isaac, s'excusa Deaton en s'approchant un peu de lui. Comment tu te sens ?
Si parler nécessitait un peu plus d'efforts que d'ordinaire, c'était quelque chose qui restait possible.
- Je ne sais pas, articula-t-il.
Dans sa tête, beaucoup trop d'éléments entraient en jeu et en conflit pour qu'il puisse répondre clairement. Déjà, il peinait à réfléchir, à savoir sur quelle émotion se concentrer. La confusion était ce qui prévalait depuis son premier réveil au cabinet, quelques heures plus tôt. Son passé rendait notamment difficile l'idée de se prononcer quant à son mal-être, parce qu'il… Se sentait presque obligé de comparer les deux moments, les deux époques, son état passé et présent. Pouvait-il dire qu'il se sentait réellement mal alors qu'il avait véritablement vécu durement, du temps de son père ? Aucune idée. Il savait juste que la peur, si elle ne se montrait pas complètement, restait là. Isaac ne réalisait pas encore ce qui lui était arrivé, ou du moins… Il savait, sans pour autant mesurer la gravité des choses pour l'instant. Il retenait les actes, pas leur portée. Pas encore. En lui s'était mis en place un mécanisme de protection tel qu'il l'épargnait pour l'instant assez, lui évitait l'état de choc qui viendrait probablement plus tard. Pour le coup, la raison pour laquelle Peter l'avait détruit lui importait peu : c'était juste à ses coups, à sa violence qu'il pensait. Les images dansaient devant les questions.
En attendant, il profitait du bras qu'avait passé Liam autour de lui et de cette épaule, sur laquelle continuait de reposer sa tête. Il ferma les yeux, éreinté. La visite de Scott l'avait comme… Vidé.
- Je suis juste fatigué, soupira-t-il.
Et la quasi entièreté de son corps lui faisait mal. Pourquoi avait-il accepté de laisser Scott le voir, déjà ? Il avait espéré son empathie, n'avait récolté que ledit espoir se fracassant contre un mur. Une chose était cependant certaine : sans ressentir la moindre colère pour l'instant, Isaac était certain qu'il ne voulait pas le recroiser de sitôt. L'intérêt avait, pour l'alpha, l'air de passer devant son humanité, ce qui ne passait pas pour Isaac. Il voulait juste se sentir entouré, suffisamment pour se reposer et accepter ce qui lui était arrivé.
Autant dire que c'était quelque chose qui risquait de prendre un peu de temps… Peut-être plus qu'il n'en avait réellement. Car après tout, comment pouvait-il savoir qu'il risquait de recevoir, d'ici quelques heures, un appel qui changerait le cours de son existence ? Un appel qui enverrait balader la plupart de ses certitudes.
Pour l'heure, Isaac ne se doutait de rien. Il avait juste besoin de tout le soutien que Liam et Deaton pouvaient lui apporter et comptait bien s'en nourrir pour guérir le plus rapidement possible.
