30 juillet
SMS
Initier son maître aux mystères des arobases avait été amusant. Daisy n'y connaissait pas grand-chose elle-même, elle venait d'une époque trop ancienne mais c'était toujours agréable d'apprendre de nouvelles choses avec les gens qu'elle aimait.
Avec Stella, elle était passée aux SMS. Sans surprise, la petite fée était devenue une accro des nouvelles technologies. Elle avait installé une application pour donner des conseils de mode à des gens dans le monde entier et elle discutait avec des tonnes de nouvelles personnes. Daisy se faisait fort de savoir qu'elle était toujours, malgré tout, en haut de la liste de contacts de sa meilleure amie et qu'elles se parlaient presque tous les jours par message.
Elles ne le faisaient plus aussi souvent par la parole, les deux "jeunes filles" qu'elles étaient resté ayant diversifié leurs occupations depuis le temps. La Gardienne rendait toujours service aux mortels en récupérant leurs requêtes sur son ordinateur via un site spécial. Son maître n'y comprenait rien et lui rapportait celles qu'il attrapait à la volée "par bouche à oreille". Stella, pour sa part, s'était lassée d'être l'hôtesse et seconde (troisième?) mécanicienne de l'Orion Express depuis tous ces siècles et elle s'était consacrée à d'autres activités. Daisy la voyait la rejoindre pour leurs aventures parfois, mais plus systématiquement comme avant.
Son téléphone vibra sur la table basse, entre son pied nu et une tasse de thé glacé. Elle était étendue sur son matelas et lisait un livre sur les dernières découvertes en matière de monstres. Ils faisaient désormais des simulations par ordinateur pour prévoir quels seraient les effets de leurs crocs, de leurs cornes ou de leurs poisons sur les derniers véhicules protégés produits pour les civils. Elle se demandait si c'était une si bonne idée que ça de laisser de tels engins blindés à la portée des quidams, aux motivations aussi diverses que fluctuantes.
La jeune Gardienne ramena le téléphone près de sa main en le poussant au bas de la table basse avec son pied. La chaleur des environs de l'ancienne Dracocardis était étouffante. Elle l'assommait et la clouait sur son grabat.
Tu peux pas les laisser dire ça, décrétait le message accusateur. C'est ma réputation, ma carrière qui sont en jeu ! Fais quelque chose.
Daisy bénit le correcteur automatique qui gommait les fautes de langage et les approximations de son amie. Elle ne savait pas, par contre, de quoi elle parlait. Ses activités sur les réseaux internet étaient vraiment limités et elle s'était abonnée à toutes les pages qu'elle lui avait demandées, mais seulement pour lui faire plaisir et booster son travail. Elle ignorait ce qui provoquait l'indignation de la petite fée.
Je peux éliminer tout ce que tu veux, tant que ce sont des monstres, répondit-elle en tapotant sur le clavier de son appareil. Qu'est-ce qu'il y a ?
Stella ne répondit pas. Sans doute que ce n'était pas si urgent que ça. La Gardienne reposa son téléphone par terre – la table basse, c'était déjà trop loin de sa main – et reprit sa rêverie scientifique là où elle l'avait laissée. Un peu plus tard, elle reçut un nouveau SMS :
Nom d'une météorite ! J'ai encore cru que la comm mentale marchait entre nous !
Le téléphone vibra de nouveau un instant plus tard :
C'est vraiment pas pratique ces machins ! Je peux jamais te dire tout ce que je veux te dire.
Tu n'as qu'à m'appeler, répondit Daisy, amusée. S'il te reste du forfait, évidemment.
Elle prit quelques secondes pour réfléchir, elle aussi, et ajouta :
Ou bien on pourrait se voir. Ça fait si longtemps.
Je sais, acquiesça tristement le SMS suivant. Mais je suis vraiment occupée.
Un autre message arriva :
Comment tu peux dire que ça fait longtemps ? Trois siècles c'est longtemps. Je veux dire, on es dans ce monde depuis un bon gros paquet de décennies maintenant !
Je ne voulais pas dire ça littéralement. Sans toi, la vie est un peu plus longue, c'est tout.
Les réponses ne revinrent pas. Daisy termina d'emballer ses affaires et sortit de chez elle pour se rendre à pied dans le canyon que venaient explorer plein de pseudo-aventuriers en recherche de sensations fortes. Le fond s'était largement remblayé depuis les siècles et ils se perdaient dans ses dédales sans fin. Les Manguinis sanguinaires étaient partis à la recherche d'endroits plus frais depuis longtemps mais il y avait encore des monstres qui traînaient par là. Les mortels d'aujourd'hui ne s'y connaissaient plus en mysticisme, leurs nouvelles armes ne suffisaient pas toujours contre ces créatures.
Pendant qu'elle traversait les étendues rocheuses et désertiques, la Gardienne sentit son téléphone vibrer une nouvelle fois dans sa poche.
J'ai réfléchi, annonçait Stella. Je crois qu'on devrait retravailler nos compétences de télépathie.
Ça marche, commença Daisy avant de s'interrompre pour transpercer un monstre avec son épée, seulement quand tu es une petite boule de lumière...
Qui tu traites de boule de lumière ? se scandalisa la fée car elle n'avait pas eu le temps de terminer.
...dans mon organisme, acheva sa meilleure amie. Mais tu sais, ce n'est pas grave si tu es occupée, ajouta-t-elle en s'asseyant dans une caverne fraîche et agréable pour terminer son message. Grâce à ce téléphone, je peux t'avoir avec moi dès que j'en ai besoin. Comme tu l'as dit, nous avons arpenté le Protectorat pendant tellement longtemps. Quel que soit le moyen de communication, peu importe la façon dont il change, nous trouverons toujours le moyen de nous transmettre nos sentiments.
D'accord, répondit Stella tranquillement. Tu sais, l'avantage de ces machines, c'est que je n'ai pas à entendre tes monologues sentimentaux intérieurs. Pas que je les aime pas, mais ta mièvrerie me contamine malgré moi et je larmoie après.
Je comprends très bien, se moqua Daisy. Et jamais je ne voudrais te faire pleurer, tu le sais.
