- Si vous pensez à autre chose, si un détail finit par vous revenir… Vous avez mon numéro.
Lydia répondit « bien sûr » tandis que Jackson se contenta d'un hochement de tête. Se retrouver face au shérif de Beacon Hills, il n'en avait pas l'habitude et pour être tout à fait honnête, il n'aimait pas ça. Ses expériences passées dans son bureau, il s'en souvenait : Noah le faisait toujours venir lorsqu'il avait une embrouille avec Stiles et parfois… C'était allé un peu loin, notamment lors de ses débuts en tant que kanima. Son propre père, David Whittemore, avait dû par conséquent souvent venir ou pour le soutenir légalement, ou pour lui faire comprendre qu'il avait merdé… Tout en en profitant pour marcher sur les plates-bandes du shérif, qu'il n'appréciait pas beaucoup. Leur mésentente, inexplicable si l'on parlait en termes concrets, ne datait pas d'hier. Il existait des gens qui, parfois, se détestaient au premier regard… C'était un peu le cas des Stilinski et des Whittemore, un peu à la façon des Weasley et des Malefoy, à la différence que cette espèce de petite haine mutuelle ne s'appliquait plus aux deux jeunes gens qui leur servaient de fils.
Jackson ne détestait plus Stiles depuis un moment, comme Stiles ne détestait plus non plus Jackson. Ils s'étaient longtemps haïs, rivaux par automatisme, et puis… Il y avait eu la meute.
Et maintenant, une amitié aussi distante que solide. Elle était un peu étrange, mais le kanima savait qu'elle était encore là même si la meute… N'existait plus vraiment en tant que telle.
Ainsi, la gêne de se retrouver ici, dans le bureau du shérif, était un peu plus supportable qu'auparavant parce que cette fois… Il n'était pas là pour diffamer Stiles, ni pour se plaindre de lui.
Mais bien pour l'aider.
Ainsi, il commença à se retourner pour sortir, l'esprit tranquille, derrière Lydia qui, elle, avait d'ores et déjà posé sa main sur la poignée de la porte du bureau.
- Une dernière chose, entendirent-ils toutefois.
Tous deux se tournèrent d'un même mouvement vers le shérif, dont l'air était aussi sombre qu'à leur arrivée. Il était clair que cette affaire le secouait… Et qu'il était bien décidé à réparer ses torts. Son absence. Son aveuglement.
- Comment va-t-il ?
Cette question, Noah ne leur avait jamais posée jusqu'à maintenant, étant donné qu'il s'était concentré sur les faits, essayant de reconstituer au mieux le parcours du combattant au travers duquel Stiles était passé. Même si Jackson et Lydia ne savaient pas tout, ce que leur avait appris Derek avait suffi à donner à Noah Stilinski un aperçu du calvaire que son fils avait vécu ces dernières semaines. Du harcèlement, des coups, une isolation à la fois progressive et rapide… Un cauchemar vivant.
Jackson ne réussit pas à soutenir le regard du shérif, plus intense que jamais. C'est donc tout naturellement que Lydia, plus à l'aise avec le sujet, répondit à sa place :
- Il guérit. Il n'est pas encore très ouvert et a un peu de mal à nous voir… Derek est toujours avec lui, il… Sa présence lui fait du bien.
Si la question l'avait quelque peu surprise tant elle ne s'y attendait plus, elle parlait d'un ton assuré sans émettre la moindre hypothèse. La dernière fois qu'elle était venue au loft, elle avait vu les regards qu'ils se lançaient, la confiance que Stiles accordait depuis tout récemment à Derek… Cette façon qu'il avait d'accepter sa proximité par rapport aux autres. Alors oui, la présence de l'ancien alpha lui faisait du bien et pas peut-être. Par ces mots, dont la nuance était importante, elle désirait faire comprendre au shérif que, malgré les apparences, il n'avait rien à craindre au sujet de Derek Hale, que celui-ci… Prenait soin de Stiles comme, peut-être, personne ne l'avait fait jusqu'alors. La chose pouvait paraître étrange, surtout pour quelqu'un comme Noah, qui ne connaissait Hale qu'au travers de son passé et de son rôle dans la meute… Mais pas impossible pour autant.
Lydia vit cependant au visage du shérif qu'il peinait à y croire… Mais il ne chercha pas à le contredire, hochant la tête pour seule réponse.
- Prenez soin de mon fils, finit-il par dire en passant une main dans ses cheveux clairs qui commençaient lentement mais sûrement à grisonner.
Jackson et Lydia le lui promirent chacun à leur manière, et sortirent enfin du bureau, laissant le shérif se débattre seul avec toutes les informations qu'il accumulait depuis des jours. L'air soudainement fatigué, il marcha lentement jusqu'à son fauteuil et se laissa tomber dessus. Il avançait. Il avançait mais il lui restait encore beaucoup de travail pour tirer toute cette affaire au clair… Et faire payer les ordures qu'il avait dans sa ligne de mire. Mineurs ou pas, lycéens ou pas… Noah se montrerait si ferme que ces gens n'oseraient plus jamais ne serait-ce que poser leurs yeux sur Stiles.
xxx
Stiles ne se faisait pas vraiment de souci à propos de ses cours. Dans les faits, il accumulait de plus en plus de retard étant donné qu'il n'était toujours pas retourné au lycée depuis sa plus récente agression et… Qu'il avait du mal à se pencher sur les cours que Lydia lui transmettait par l'intermédiaire de Derek. Les mêmes angoisses revenaient à chaque fois, les mêmes qu'il ressentait le besoin de combler en pensant à autre chose. Ce qu'il avait à faire n'était, en soi, pas si difficile… Stiles avait simplement du mal à se pencher dessus et surtout, à garder son attention en place. Il s'agissait du plus important de ses problèmes depuis que son mutisme était né et qu'avec lui avait commencé son cauchemar au lycée. Le harcèlement, qu'il soit physique ou psychologique, avait détruit quelque chose en lui et il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il pourrait arranger les choses efficacement. A cela s'ajoutait une figure paternelle absente, celle dont il n'avouait avoir besoin qu'en secret. N'ayant aucune nouvelle de son père depuis un bon moment, Stiles partait du principe que son absence lui importait peu. L'avait-il seulement notifiée ? Avec son travail, ses horaires dantesques et cette manière qu'il avait parfois de vivre de façon « automatique », sans faire attention à son environnement… Stiles ne serait pas étonné qu'il ne se soit pas inquiété à son sujet.
Cela avait-il été une seule fois le cas depuis qu'il avait perdu sa voix ? A force de silence, Stiles en doutait fortement.
La littérature… Pense à la littérature, même si ça te fait chier, s'exhorta-t-il. Voilà un bel exemple de faible tentative pour rester concentré sur sa tâche. Aussi peu intéressante soit-elle, il essayait de ne pas dériver plus longtemps que nécessaire. C'était d'autant plus difficile que chaque pensée qui l'assaillait était forcément négative. Pas mauvaise en soi, mais juste… Suffisamment sombre pour lui saper le moral.
Et s'il ne se recentrait pas suffisamment vite sur son occupation, lui venait automatiquement l'idée de se détendre d'une façon qui, si elle était efficace sur le moment, n'avait rien de bon sur le long terme. Derek lui avait dit que cette échappatoire pouvait se transformer en addiction s'il n'y faisait pas attention… Et Stiles le savait. Il aurait voulu nier l'évidence, mais en l'état actuel des choses, ce n'était pas possible. Si l'humain se voilait la face concernant bon nombre de sujets, il restait étonnamment lucide quant à certains. Et le sexe faisait partie de ces exceptions-là.
- Tu peux faire une pause, si tu veux.
La voix de Derek, qu'il avait l'impression de ne pas avoir entendue depuis des heures, le sortit définitivement de ses pensées, quelles qu'elles soient. Bonnes ou mauvaises, elles s'envolèrent. Il releva la tête vers lui et prit le temps de réfléchir. Méritait-il de s'arrêter si tôt alors qu'il n'avait pas réussi à faire grand-chose ? Derek, à l'entrée du salon, marcha d'un pas lent dans sa direction et finit par s'assoir à ses côtés. Son regard clair se posa sur les feuilles et cahiers éparpillés sur la table basse. Il savait que Stiles s'efforçait d'étudier depuis une bonne heure et il avait l'impression qu'il peinait sincèrement à avancer – ce que lui confirmait son odeur emplie de déception. L'angoisse, car c'était bien elle qui l'avait fait venir, lui semblait avoir momentanément disparu. Derek surveillait Stiles de loin mais ne s'immisçait dans son espace vital que lorsqu'il sentait que les choses pouvaient déraper. Le jeune homme, s'il n'était pas dangereux en tant que tel, pouvait rapidement basculer, sombrer dans des crises aussi discrètes que silencieuses, les mêmes qui l'amenaient à avoir envie de sexe. Si Derek avait mis un peu de temps à le comprendre, il était désormais vigilant et mettait ses propres envies de côté tout en sachant pertinemment qu'ils pouvaient continuer d'avoir des relations intimes de temps à autres… A condition qu'elles soient pleinement consenties et non soumises à une émotion non contrôlée. Il ne le disait pas, mais il en regrettait certaines… Parce qu'il avait pris du plaisir avec Stiles, joui avec lui… Sans savoir que l'hyperactif se laissait, ces derniers jours, dominer par ses angoisses. Au départ, ce n'était pas le cas. Il n'y avait que de l'envie, de l'amour.
Et il fallait que cela reste ainsi.
- Alors, qu'est-ce que tu veux faire ? Lui demanda-t-il.
Car s'il désirait bien que Stiles se mette à jour dans ses cours, il ne voulait pas non plus lui forcer la main sachant que c'était ce qu'il avait traversé récemment qui lui rendait la tache difficile. Son mutisme également. Il était par conséquent assez difficile de deviner ce à quoi il pensait réellement… Et, par extension, de notifier toute la subtilité de ses réflexions intérieures. Alors Derek faisait au mieux : il demandait, proposait, s'intéressait, dans l'espoir, à terme, de l'aider efficacement. Il n'y avait rien qu'il ne désirait plus fort que cela.
Stiles tourna la tête vers ses cours, les fixa longuement. Dans son odeur, du doute, saupoudré d'une pointe de stress. Je ne sais pas quoi faire, entendit presque Derek.
- Parmi tout ça, il y a une matière que tu préfères par rapport aux autres ? S'enquit le loup-garou.
Il savait Stiles quelque peu… Pressé sur les bords. Pressé de se mettre à jour dans ses cours, pressé de se débrouiller, pressé de retrouver un semblant de vie normale… Ce qui était compréhensible et, dans le principe, bien, mais… Il fallait le faire correctement. Avoir envie de s'en sortir était une chose, bâcler sa guérison en était une autre.
Stiles réfléchit une fois de plus à la question qui lui avait été posée et… Aucune réponse satisfaisante ne lui vint. Quelques semaines plus tôt, sans doute lui aurait-il fait part de son attrait pour les mathématiques et les sciences, mais aujourd'hui… Ces matières l'indifféraient autant que les autres, comme s'il en avait perdu le goût, comme si apprendre ne l'intéressait plus le moins du monde – alors qu'il avait toujours adoré ça. Qu'est-ce qui avait changé ? Tout. Sa vie. Sa façon de s'exprimer, de voir les choses. Sa manière d'exister. De penser. De se concentrer – il avait du mal, maintenant.
Alors, il haussa les épaules. Avait-il encore une matière préférée ? Ou quelque chose… Qui l'intéressait ? Jusqu'ici, il ne s'était plus vraiment posé la question, partant du principe qu'il était toujours le même, alors qu'il n'y avait rien de plus faux. Stiles avait changé, par la force des choses. Avec sa joie de vivre, il avait perdu ses repères dans la foulée, ainsi qu'une forme d'innocence, dont l'absence vidaient de leur saveur bien des choses les plus simples de la vie. Stiles savait se contenter de peu, avant tout ça et… Lorsqu'il n'avait rien à faire pour la meute, que celle-ci n'avait pas besoin de son aide, il lui arrivait de se pencher tout seul sur certains cours, ou bien de partir se balader dans son quartier, allant parfois jusqu'aux abords de la forêt – quand il ne décidait pas de s'y enfoncer directement. Depuis que sa voix s'était envolée et qu'on l'avait pris pour cible justement à cause de son mutisme, lequel faisait de lui la victime idéale, c'était comme si toutes ces petites choses-là n'avaient plus le moindre sens.
Comme si sa propre réflexion l'épuisait, il soupira d'un air désespéré et se laissa aller à poser sa tête sur l'épaule de Derek. Lui en voudrait-il de ne pas savoir quoi répondre ? La réponse à cette question muette ne se fit pas attendre car déjà, l'ancien alpha passait un bras autour de lui. Stiles, tout sauf contre le contact de son amant, ne bougea pas d'un iota. Une petite part de lui se disait qu'un mouvement de trop pouvait lui faire perdre un peu de cette affection si précieuse que lui offrait Derek. Cette voix-là, bien que discrète, parvenait à faire s'imposer cette réflexion des plus stupides. Profite, susurra-t-elle à son esprit tourmenté. Profite tant que tu y as droit. Et, naturellement, son regard se baissa, attrapa la teinte argentée de cette bague qui ne quittait plus son doigt. Devait-il réellement croire à la promesse silencieuse qu'elle lui signifiait ? Il en avait diablement envie, parce que sa relation avec Derek était peut-être le seul élément positif de sa vie à l'heure actuelle. Lorsqu'il se lassera, tu n'y penseras plus qu'avec amertume. Et Stiles sut qu'il ne voudrait plus d'aucune relation – quelle qu'elle soit – si celle qu'il entretenait avec le loup-garou se terminait. De façon générale, il devenait moins… Conciliant, moins tolérant avec différents aspects de sa vie. Il considérait avoir suffisamment souffert pour ne pas devoir se soumettre à de nouvelles possibilités amoureuses. De toute façon, qui voudrait de toi ?
Stiles poussa un discret soupir en espérant que Derek ne l'avait pas perçu – ou, au pire, n'y accordait pas d'importance. Voilà pourquoi il lui était devenu si difficile d'étudier… Voilà pourquoi il peinait tant à se sortir de cette spirale infernale qui lui donnait envie de tout faire pour se vider la tête, le conduisant ainsi à créer puis répéter des schémas aussi malsains que douloureux.
Pourtant, cette fois, il n'eut pas la moindre envie de combler son être avec du sexe. A vrai dire, il n'y pensa pas un seul instant. Il n'y avait dans sa tête rien de plus qu'une émotion lourde et silencieuse qui écrasait chaque part de son être. Dépression, lui souffla une petite voix – la même, toujours la même. Il le savait, ne se leurrait pas. Si Stiles n'était pas fan des autodiagnostics, il se savait néanmoins proche de la vérité. Toute cette histoire avait cassé quelque chose en lui… Et il n'avait fait qu'enterrer son mal-être dans l'espoir qu'il disparaisse… Comme il le faisait pour chacun de ses soucis. Or, certains ne s'envolaient pas miraculeusement. Ils s'enracinaient en lui, s'accrochaient à sa carcasse, et gangrénaient son âme perdue.
- Tu vas définitivement faire une pause, décida Derek après un moment. Laisse tomber tout ça un moment.
Parce qu'il n'y arriverait pas. Et Stiles n'interpréta pas mal ses mots. Pour une fois, il entrevit leur sens avec une clarté étonnante dépourvue de tout filtre mensonger. Sa confiance en Derek le poussait à comprendre quelque chose de simple : il ne cherchait pas à le rabaisser, mais bien à le mettre face à l'évidence qui, si elle paraissait négative, était simplement réaliste. Pourquoi continuer alors qu'il n'y arrivait tout simplement pas ? Qu'on se le dise, Stiles voulait étudier, rattraper son retard… Mais il n'avait pas la tête à ça.
A vrai dire, s'il s'écoutait… C'est toutes ces feuilles qu'il enverrait balader, tous ces cours... Tout. Il n'essaierait plus de se forcer à faire quoi que ce soit qui pourrait lui déplaire sur le moment. A côté de cela, sans doute prendrait-il le temps de se reposer, de se poser tout court et… Faire le point. Se concentrer sur l'essentiel.
Et en même temps, non. Parce qu'il était au lycée, que l'université lui tendait les bras… Et qu'il devait faire ce qu'on attendait de lui pour ne pas gâcher ses chances. Stiles voyait ces deux réflexions comme deux vents contraires. Des idées incompatibles, selon lui. A ses yeux, il s'agissait forcément d'un choix à faire… Qui laisserait irrémédiablement l'une de ces idées de côté. Sa vision avait quelque chose d'un peu manichéen tant il sentait son repos nécessaire mais mauvais. S'accorder ce droit lui ferait perdre un temps monstrueux au niveau des cours – et c'était déjà le cas. Concrètement parlant, sa vie était au point mort et Stiles ne savait pas ce qu'il était censé faire. Privilégier, oui : mais réaliser en tant que tel… Oui, il commençait à avoir de sérieux doutes sur la marche à suivre. Disons qu'à force, il ne pouvait plus nier l'existence de ses besoins, mais qu'il n'avait aucune idée de la façon dont il pourrait les faire concilier avec ses obligations personnelles.
Stiles oubliait cependant de considérer un certain point, et pas des moindres. En fait, s'il savait avoir besoin de repos, il considérait qu'il ne s'agissait que de cela.
Or, c'était sur sa guérison qu'il devait se pencher. Un esprit mal en point resterait ainsi, même avec tout le repos du monde… Si rien n'était fait pour le soulager de ses maux invisibles. Certaines pensées finiraient par le faire nécroser dans son entier et c'était exactement ce qui était lentement mais sûrement en train de se passer.
Soupir. Stiles ferma les yeux. Il n'avait envie de bouger pour rien au monde. L'épaule de Derek était confortable, plus épaisse que la sienne qu'il savait osseuse. Il faudrait qu'il pense, un jour, à reprendre le sport… Et à faire autre chose que de la Crosse. S'il voulait se muscler, s'épaissir un peu… Il pourrait sans doute demander des conseils à son amant qui ne serait sans doute pas contre le fait… Que son amant devienne un peu plus attirant pour lui. Evidemment, Derek ne lui demandait jamais rien et ne lui avait jamais sous-entendu que quelque chose ne lui plaisait pas chez lui, mais Stiles… Avait parfois quelques cheminements de pensée nauséabonds comme celui-ci. Et il considérait qu'il se devait d'être physiquement plus agréable pour allonger le temps qu'il pourrait passer auprès de Derek… Comme s'il n'y avait que ça qui devait compter. Son physique, une bonne attitude, la démonstration claire d'une volonté de remonter la pente.
Pourtant, cette pensée-là, elle venait de naître. En d'autres termes, Stiles n'y avait jamais songé jusqu'à maintenant ou du moins… Pas de cette façon-là. Pas aussi clairement non plus.
Mais toutes ces idées, toutes ces pensées… N'étaient qu'un prétexte, un moyen d'éviter de se concentrer sur un fait qui le rongeait depuis le départ et dont il savait la résolution impossible. Ce n'était toutefois pas tant cela que la raison du fait en question qui le bloquait dans tout ce qu'il entreprenait.
D'une façon ou d'une autre, ne pas savoir comment Scott lui avait fait perdre sa voix le minait vraiment. Et ce fait, aussi simple soit-il, l'empêcherait à tout jamais de passer à autre chose s'il ne se penchait pas dessus bientôt.
Stiles leva la tête, croisa le regard de Derek, qu'il ne réussit pas le moins du monde à déchiffrer. Mais il eut envie de parler. Beaucoup. Longtemps. De dire des choses et d'autres, de déblatérer des incongruités sans se soucier du fait qu'il pourrait agacer ou fatiguer son amant… Oui, il eut envie de vomir tous ces mots qu'il entendait résonner dans sa caboche et qui ne pouvaient pas sortir. Ces mots-là, il les voyait comme des oiseaux prisonniers d'une volière immense aux multiples cloisons, aux barreaux infinis. Ils se frôlaient, s'entrechoquaient, certains tombaient dans un fonds abyssal pour ne plus jamais remonter… Et qu'il n'avait pas le pouvoir de libérer. Ces mots, il avait l'impossibilité de les prononcer, mais il était capable de les écrire.
Or, ce mode de communication lui allait définitivement de moins en moins. C'était long, fastidieux, chronophage, handicapant… Il était trop difficile de maintenir un semblant de discussion dynamique de cette façon. Stiles savait parfaitement comment il devrait réagir et ce qu'il devait « dire » à Derek pour que les choses changent mais à côté de cela, il y avait une peur, une autre peur, un peu différente des autres, qui rendait l'entreprise fastidieuse. Stiles avait été et était toujours d'accord avec l'idée d'apprendre la langue des signes. Il l'avait dit à Derek, qui n'attendait rien de plus que son feu vert pour l'emmener à un cours et apprendre avec lui, par la même occasion. Mais la peur était l'émotion humaine la plus perfide, celle qui détruisait bon nombre de rêves, réduisait au silence les gens de façon efficace – peut-être plus encore que son mutisme à lui. Et Stiles avait effectivement peur. Peur de ne pas y arriver. Peur de ne pas comprendre comment il devrait se débrouiller avec ça, avec ce qui n'était pour lui rien de plus que des gestes… Comment arriverait-il à leur donner un sens ? C'était là un domaine qui lui était parfaitement inconnu et avec lequel il ne savait pas comment être à l'aise. De façon générale, il n'était pas très doué avec les langues – ni même la sienne – alors… En apprendre une qui ne comportait que des signes ? Comment ? En était-il seulement capable ? Elle lui paraissait si différente des autres qu'il n'avait aucune idée de la façon dont il aurait à s'y prendre lorsqu'il se déciderait enfin à sauter à pieds joints dans le bain. Et ce moment, il le savait imminent. A vrai dire, il le sentait se rapprocher à vue d'œil – autant dire que cela le terrifiait. L'air de rien, il restait dans le domaine de l'inconnu puisque Stiles n'avait jamais eu à vivre une telle chose auparavant.
Soupir. L'hyperactif décida de se lover dans les bras de Derek, histoire de décompresser un peu. Encore une fois, aucune pensée liée de près ou de loin au sexe ne le traversa. Ce dont il avait besoin à l'heure actuelle, c'était juste d'une présence, de celle de la seule et unique personne à qui il accordait sa confiance. Pour une fois, il n'y eut pas la moindre ambiguïté à ce sujet dans sa tête. Chacune de ses pensées était parfaitement compartimentée, rien ne se mélangeait.
- Tu as besoin de me parler de quelque chose.
Derek ne le lui demandait pas pour la simple et bonne raison qu'il le savait, l'entendait aux battements de son cœur, le percevait à son odeur. Tout chez Stiles lui hurlait cette nécessité de communiquer. Il le ressentait en permanence… Mais dans une moindre mesure par rapport à cet instant. Tout était une question de pensées et de dosage. L'hyperactif n'ayant pas grand-chose qui puisse détourner son attention de ses propres préoccupations, voici que celles-ci revenaient au galop, tout comme sa tendance naturelle à la réflexion… Laquelle ne se taisait que rarement, sans jamais s'effacer vraiment.
Et le regard que Stiles lui lança confirma ce fait. Un mélange étrangement harmonieux entre attente et désespoir imprégnait ses prunelles chocolatées.
xxx
Derek n'était pas du genre optimiste. En être pragmatique, il préférait se montrer réaliste. Pourtant, c'était lui qui avait rassuré Stiles et qui l'avait assuré que tout pouvait s'arranger. Pourquoi ? Parce qu'il y croyait, il en était persuadé. A son avis, Stiles pouvait reprendre le cours de sa vie à peu près normalement même si les soins qu'il lui apportait personnellement ne suffiraient certainement pas. Il fallait simplement qu'il accepte sa peur de l'inconnu et qu'il se lance enfin dans sa quête pour une communication adaptée à son handicap.
Et Stiles était effectivement à deux doigts d'accepter, mais… Il lui avait avoué qu'il ne réussirait sans doute pas à entamer quelque démarche que ce soit à ce sujet tant qu'il ne saurait pas comment Scott s'était débrouillé pour lui faire perdre sa voix. Et le problème, c'est qu'en même temps, il n'était pas pressé de se renseigner à ce sujet. Pourtant, Lydia pouvait lui donner ce qu'il voulait – Jackson aussi. Derek, lui-même, avait demandé aux deux êtres surnaturels d'éclairer sa lanterne. Pourquoi ? Pour comprendre, pour espérer aussi. Il s'était au départ dit que savoir lui permettrait peut-être de trouver une solution à la situation de son humain. Il avait pensé que Scott avait « exagéré » quant au caractère définitif de son œuvre – que nenni.
Ainsi, il avait envie que Stiles se lance et ose demander à ses amis de le renseigner. Ce qui le retenait ? Sa propre peur. Toutes ces contradictions qui faisaient de sa réflexion ce qu'elle était, qui la rendait lente et craintive dans sa démarche.
Alors voilà, Derek savait Stiles sur le point de faire un pas en avant… Un pas qu'il craignait tant qu'il ne cessait de le repousser. Mais les choses changeaient, doucement.
Et d'autres se préparaient en coulisse. Derek savait tout, Stiles rien… Et c'était très bien comme ça pour l'instant car si le loup-garou venait à dire à son amant de contacter son père, celui-ci refuserait immédiatement – il interprèterait peut-être même très mal sa suggestion. A force, il commençait à connaître l'humain qui avait changé son quotidien malgré lui. Cette petite tête, même si elle ne pouvait plus dire un mot, bouillonnait de voyelles et de consonnes entremêlées. Une tempête verbale régnait dans cet esprit vif mais torturé : Stiles avait involontairement développé une certaine forme de paranoïa, laquelle empirait de temps à autres, avant de refluer lorsque Derek arrivait à le rassurer. Il voyait cela comme une danse : Stiles oscillait sans arrêt entre les temps et les contretemps.
Mais il gardait la tête hors de l'eau et ça, c'était le plus important.
Le regard de Derek le suivait, lorsqu'ils se trouvaient dans la même pièce. En l'occurrence, ici dans la cuisine. Un micro-sourire éclot doucement sur son visage souvent fermé au plus grand nombre. Et le plus dingue, c'est qu'il n'y avait que Stiles pour obtenir ce genre de réactions physiques de sa part en ne faisant… Rien, ou pas grand-chose. Enfin, si. Il se montrait à nouveau un peu têtu sur les bords. Proposait des choses, prenait des initiatives. Un détail supplémentaire : il ne boitait presque plus. Le temps passait lentement, mais il appliquait finalement les conseils de Derek, pour certains à la lettre – et sa cheville, il en prenait enfin soin.
Derek laissa ses yeux courir sur sa silhouette élancée dont les courbes qu'il connaissait bien étaient dissimulées sous des vêtements aussi larges qu'épais. Etrangement, ils ne lui allaient pas si mal même si le loup-garou ne dirait pas non à quelque chose qui pourrait le mettre un peu plus en valeur. Mais ce n'était ni quelque chose qu'il lui imposerait, ni qu'il lui demanderait. Il n'aimait pas juste Stiles pour son corps : et il avait bien trop de respect pour lui pour l'y réduire.
Mais ses yeux ne s'attardèrent pas sur ses hanches ou ses fesses, qu'il adorait caresser avec tendresse et lenteur. Ils accrochèrent ses mains et suivirent ses gestes habiles, lesquels reflétaient une habitude certaine. Ce n'était pas la première fois qu'il le voyait cuisiner, mais cette fois-ci avait une saveur particulière parce que l'odeur de Stiles était étonnamment légère – mais pas seulement.
Il avait de lui-même pris l'initiative de se mettre aux fourneaux sans rien lui demander, ce qui n'arrivait en général jamais.
Il existait en ce monde deux Stiles : l'un passé, l'autre présent. Celui d'autrefois faisait les choses selon son envie, sans demander sa permission. Il ouvrait le frigo comme si c'était le sien, picorait lorsqu'il avait faim… Allait et venait où bon lui semblait, quand il voulait – mais toujours dans le respect de certaines limites. Ce Stiles-là était libre comme le vent en tous temps.
Celui qu'il connaissait désormais se mettait tellement de barrières qu'il en était méconnaissable. Tout était prétexte à lui demander son accord pour quelque chose, parce qu'il avait peur de déranger, d'être mis de côté, d'être oublié. Il s'agissait là d'une situation dont il avait déjà connaissance et qu'il n'avait aucune envie de revivre. Encore que les choses s'amélioraient, mais si lentement… Que Derek continuait de le voir comme un autre Stiles. Une couche de trop, qui cachait celui qu'il était toujours au fond de lui. Le Mieczyslaw Stilinski originel, lequel ne demandait qu'à éclore et s'épanouir.
Ses gestes l'impressionnèrent, mais pas seulement parce qu'ils étaient précis : il n'y en avait pas un de trop. Chaque mouvement lui sembla étudié, calculé pour être le plus efficace possible. Stiles ne perdait pas de temps, avançait à un rythme qui lui convenait. Derek ne lui demanda pas pour combien de temps il pensait en avoir – la réponse ne l'intéressait pas vraiment. Son estomac le titillait un peu, il en était presque à réclamer son dû, mais le loup-garou… Se sentait tout simplement bien. En paix, à l'aise. Le simple fait de regarder son amant s'affairer aussi méticuleusement l'occupait comme il le fallait. Pour l'instant, Derek n'avait pas besoin de plus. Bien évidemment, il surveilla la manière qu'avait Stiles de se déplacer – et constata qu'il faisait bel et bien attention. Sa cheville l'en remerciait déjà. Elle avait bien dégonflé et repris des couleurs plus ou moins normales. Outre ce fait, Derek se surprit à apprécier ne rien faire de précis, à simplement laisser ses yeux suivre les mouvements de son amant. Il aima le regarder faire, d'autant plus que la cuisine semblait être un domaine qu'il maîtrisait et qui lui plaisait, s'il en croyait son odeur.
Elle était presque vierge de toute négativité et chaque seconde participait à l'en décharger, comme si l'activité l'absorbait dans son entier et le privait de ses préoccupations premières. Stiles, une fois lancé, se donnait complètement – on ne l'arrêtait plus. Et Derek trouva dingue la façon dont il arrivait à se concentrer sur sa cuisine. Stiles ne laissait rien au hasard, s'occupait des moindres détails.
A côté de cela, il n'arrivait pas à remettre le nez dans les cours efficacement. Ainsi, pour palier à son envie récurrente de distraction lorsqu'il tentait vainement de se concentrer dessus, Stiles avait tout simplement décidé de lâcher l'affaire pour l'instant – en cela, il avait été encouragé par Derek. Pas que celui-ci veuille qu'il décroche, au contraire. Simplement, il était d'avis que se forcer à faire quelque chose n'était jamais bon si cela n'aboutissait pas à quelque chose de positif. S'efforcer à se replonger dans ses cours n'avaient fait de plus que poussé Stiles à se réfugier dans le sexe pour ne plus trop penser – en cela, Derek avait sa part de responsabilité. Dans un sens, il était fautif et c'était exactement pour cette raison qu'il avait fait son possible pour que Stiles se sente mieux et cesse de se tourner automatiquement vers cette activité des plus particulière. Coucher ensemble, d'accord, mais uniquement lorsque c'était pleinement voulu, désiré, consenti. Le sexe ne devait pas constituer une porte de sortie, mais bien une union intime et agréable. Evidemment, Stiles avait encore des efforts à faire de ce côté-là, mais il acceptait ses erreurs, celle-ci également.
Des progrès, il en faisait.
Tout doucement.
xxx
Stiles grimaça, sceptique par rapport à ce qu'il venait de voir. Il bougea ses mains d'une certaine façon et, peu convaincu, relança la vidéo sur son téléphone. Il n'avait jamais été très… « Manuel » marchait-il pour cette discipline ? Quoiqu'il en soit, le jeune homme se savait très peu doué de ses mains, excepté lorsqu'il devait cuisiner. Là, c'était très différent : il regardait les mouvements qu'une jeune femme faisait sur son écran, tentait de les analyser et… De les reproduire. Jamais de sa vie il n'aurait imaginé qu'une chose paraissant aussi simple puisse représenter une telle difficulté. Et des gens apprennent ça ? Stiles était effaré. A côté, l'apprentissage du langage par la parole, lorsqu'il était enfant, lui paraissait d'une simplicité extrême… En même temps, il était toujours difficile d'appréhender la nouveauté – l'inconnu ne rassurait pas.
Or, c'était ce qu'il devait faire. Cet obstacle lui faisait l'effet d'une épreuve particulièrement ardue. Réapprendre ce qui lui paraissait être la base. Et ça, tout seul. Parce que Derek n'était pas là – il avait dû partir faire quelques courses comme cela lui arrivait régulièrement. Stiles s'était donc dit que ce serait pour lui l'occasion d'enfin tenter d'essayer de découvrir ce monde-là. Ce n'était pas qu'il osait moins devant Derek, simplement… Lorsqu'il devait faire face à quelque chose de nouveau, Stiles avait pour habitude de se prendre un temps, seul, pour appréhender au mieux la chose. Pour lui, c'était plus facile, moins stressant. Sa peur de décevoir, et de déranger par extension, s'amenuisait dans ces moments-là.
Mais qu'est-ce que c'était compliqué ! Stiles avait maladroitement réussi quelques signes – les plus simples à ses yeux –, il en essayait de nouveaux. Se sachant têtu, l'hyperactif n'abandonna pas, multiplia les essais jusqu'à ce qu'il juge le résultat satisfaisant. Le langage des signes, c'était tout un monde et pour quelqu'un qui avait parfois du mal à coordonner ses mains, la chose s'avérait d'autant plus compliquée. Son point fort à lui, c'était son cerveau, non son corps. Voilà pourquoi il ne dansait jamais lorsqu'il lui arrivait de faire une soirée. Ou alors il bougeait, mais ne faisait pas le moindre effort, sachant ceux-ci parfaitement inutiles. Dans ces moments-là, Stiles assumait sa maladresse constante et évitait de se rendre ridicule par le sérieux – c'était son idée à lui. Le concept, un peu spécial, lui paraissait on ne peut plus crédible.
C'est au bout d'une bonne heure et demie de tryhard qu'il s'accorda une pause bien méritée. Enfin, pas qu'il juge son avancée significative, mais il savait qu'il ne pourrait pas faire beaucoup mieux que cela. Puis pour une première tentative, ce n'était pas foncièrement désespéré – juste un peu nul.
Et Stiles comprit l'importance de ne pas apprendre seul. Parce que des questions, il en avait. Elles ne seraient peut-être pas posées de la façon la plus pratique qui soit – puis il se faisait mal à la main à force d'écrire – mais au moins, il se ferait comprendre. A partir de là, un véritable dialogue pourrait s'établir.
Puis si Derek était toujours d'accord pour l'accompagner dans cet apprentissage, Stiles se ferait un plaisir d'essayer de rendre son silence bruyant. Non parce qu'il l'adorait, son amant, mais ça lui manquait, de l'embêter. Depuis quand ne l'avait-il pas vu s'agacer à cause de lui ? Stiles n'était pas vraiment masochiste. Il aimait simplement s'amuser et dans son souvenir, les réactions de Derek étaient toujours mémorables – d'où son plaisir croissant à continuer.
Jusqu'à ce qu'il perde sa voix.
Il avait abandonné tout ce qu'il aimait pour tenter de survivre. De simplement garder la tête hors de l'eau alors que l'on s'acharnait à tester ses limites.
Etonnamment, songer à cela ne rendit pas Stiles triste. Ces souvenirs-là ne le tendirent pas vraiment. Il y pensa juste brièvement, sans atteindre la réflexion en elle-même. Et ce fait avait cela d'important qu'il s'agissait de la première fois que cela arrivait. Ainsi, Stiles s'en rappela. Pas perturbé pour un sou, il reprit son « entraînement » et se donna à fond malgré le peu de contenu que comportait la vidéo dont il se servait.
C'était peut-être un peu bête, mais il avait envie d'avoir quelque chose à présenter à Derek lors de son retour des courses.
Il voulait le rendre fier. Lui montrer qu'il pouvait ne pas être mauvais dans quelque chose, même sans ouvrir la bouche. Bien sûr, Stiles savait que Derek ne lui demandait rien et qu'il ne le pensait pas incapable dans l'absolu. Il commençait à bien le connaître.
Mais Stiles avait surtout besoin de faire ça pour lui, histoire de se prouver à lui-même qu'il pouvait y arriver. Il ne doutait plus vraiment de la foi que Derek plaçait en lui.
Mon pire ennemi, c'est moi, et je pense que je vais me battre.
xxx
Entrer à l'intérieur de son immeuble faisait toujours un peu étrange à Derek dans la mesure où il avait beau y habiter depuis des années, y revenir après s'être absenté quelques heures lui faisait toujours bizarre. C'était chez lui, et en même temps non. Le même sentiment le prenait lorsqu'il arrivait au loft. Derek ne se laissait bien évidemment pas dépasser par son ressenti, qu'il mettait automatiquement de côté, histoire de ne pas le laisser lui empoisonner l'existence. Puis il finissait toujours par penser à autre chose, ce projet qu'il concrétiserait plus tard, lorsqu'il aurait le courage de le faire : acheter et emménager une maison en campagne, ou en forêt. Tant qu'il était entouré de vert et de calme, ça lui allait. Puis comme ça, il pourrait courir et laisser sa nature lupine s'exprimer un peu plus souvent.
Et bizarrement, inclure Stiles dans ce tableau lui paraissait tout à fait envisageable. Dans sa tête, il s'y fondait naturellement, sans faire tache. Derek ne voulait pas trop s'avancer, mais cela lui faisait presque l'effet d'une évidence. Presque, parce qu'il se montrait prudent. Pas qu'il craigne Stiles outre mesure : il n'était simplement pas pour l'idée de brûler les étapes. Ils étaient à peine… Ensemble, enfin plus ou moins. Et précipiter les choses était le meilleur moyen de voir celles-ci se détruire. Or, sa relation avec le châtain, il l'aimait beaucoup et n'avait pas la moindre envie qu'elle disparaisse.
Se dire qu'il allait le retrouver d'ici quelques instants lui fit d'ailleurs tout drôle parce que… Stiles l'attendait, chez lui. A la maison. Il aurait pu l'accompagner aux courses, mais il avait préféré rester. Derek aimait étrangement bien cette idée, qui signifiait que Stiles se sentait bien ici, suffisamment pour pouvoir y être sans crainte en son absence. Au fond, c'était tout ce qu'il voulait : que l'hyperactif réussisse à se détacher de cette peur qui logeait là, dans un coin de sa tête. Elle n'était pas très visible, ne se laissait voir de façon directe qu'à de rares occasions. Elle transparaissait surtout dans certains de ses gestes, son écriture, sa façon d'être. Ces choses-là changeaient doucement et ce simple fait apaisait le cœur inquiet du loup-garou. Il ne désirait rien de plus que la reconstruction et, par extension, le bonheur de ce jeune homme qui avait su se faire une place dans son cœur en un clin d'œil. Il avait suffi que Derek ouvre les yeux sur lui, sur sa personne renfermée, sur celui qu'il avait au départ catégorisé comme une petite boule d'énergie agaçante. Au départ, il n'allait pas plus loin que ça – quelle belle erreur.
Lorsqu'il se rendait compte de la chance qu'il avait de le connaître aussi intimement, maintenant, Derek savait que le lâcher une seconde fois serait la pire des choses, autant pour lui, que pour Stiles. L'air de rien et même si ce n'était pas gagné, ils s'apportaient du bon, du positif. Qu'ils s'en rendent compte ou non, le fait était qu'ils se tiraient tous deux vers le haut. Derek, de son côté, ne s'était jamais senti aussi tranquille et naturel qu'en sa présence : pas besoin de jouer aux durs, de porter le moindre masque. Depuis quand s'en libérer était-il devenu aussi facile ? S'il était incapable de répondre à cette question, le loup-garou avait bien conscience du fait que sa chance, il ne devait la laisser passer sous aucun prétexte.
Et ces trois mots, il avait vraiment envie de les lui dire.
Mais s'il continuait de les retenir, c'était un peu pour lui. Par décence, pour ne pas lui imposer d'éventuels sentiments dont Stiles n'avait peut-être pas envie de devoir soutenir la charge. Parfois, savoir, c'était s'alourdir. Bien sûr, leur relation plus qu'intime avait de quoi rendre cette idée quelque peu étrange et en même temps… Ils ne se fréquentaient réellement que depuis peu. Et le contexte ne rendait pas les choses simples. Derek ne se voyait pas lui avouer ceci aussi simplement que pourrait le faire n'importe qui. Leur situation n'avait rien d'aisé ou de commun. Le mieux restait donc d'y aller doucement et, dans le pire des cas, de ne rien dire, d'attendre de voir.
- Je suis rentré, s'annonça-t-il d'une voix assez forte pour être entendue.
Il n'avait toutefois pas besoin de faire grand effort puisque les murs du loft n'étaient pas très épais – Stiles aurait forcément écho de sa présence, à moins qu'il dorme. Mais Derek percevait d'ici son rythme cardiaque un peu nerveux. La thèse d'un potentiel endormissement était donc à exclure. Le loup-garou, l'esprit tranquille malgré tout, s'en alla déposer les sacs de courses sur la table de la cuisine avant de sortir de la pièce. S'il lui fallait ranger, il remit facilement la tâche à plus tard : Stiles lui manquait déjà, il avait fort envie de le voir. A force de vivre avec lui, il s'était véritablement attaché à sa présence… En peu de jours, en un temps si court que c'en était impressionnant. Mais il se l'avouait aisément, car chercher à le nier serait on ne peut plus contreproductif et Derek n'avait pas envie de perdre de temps avec de telles futilités. Ainsi, le voilà qui montait les escaliers. Sentant l'odeur de son bien-aimé devenir plus forte et les battements de son cœur, légèrement plus bruyants, il prit tout de même la peine de toquer à la porter et d'attendre son approbation pour entrer.
La porte s'ouvrit sur le visage quelque peu rougissant mais ouvert de son amant qui l'invita d'un regard à entrer. Derek approcha son visage du sien de façon lente, histoire de lui faire comprendre son intention – tout en lui laissant une porte de sortie. Alors, Stiles combla le vide entre eux et, tout en passant les bras autour de son cou, laissa ses lèvres rencontrer leurs jumelles avec douceur. Très vite, les paupières cachèrent à la vue de Derek les orbes miel. Ses mains allèrent se loger dans le bas de son dos et le pressèrent un peu plus contre lui. L'étreinte n'alla pas plus loin. Est-ce que Stiles s'attendait à autre chose ? Peut-être, sans doute, il ne savait plus vraiment. Parce qu'embrasser Derek le mettait toujours dans un état de détente si dingue qu'il en oubliait presque tout. Ses soucis, son mutisme, sa situation avec son père ? Aux oubliettes le temps de cet échange lent, langoureux, entier. C'était drôle, parce qu'il avait l'impression que Derek lui avait manqué alors qu'il n'était pas parti longtemps. Le temps de faire quelques courses… Quoiqu'en y réfléchissant, Derek n'avait pas été très rapide – et ce n'était pas une critique. Alors oui, Stiles finit par se dire que c'était vrai, il lui avait manqué. Que ce n'était finalement peut-être pas une impression, mais un fait auquel il n'avait pas pensé par automatisme, comme s'il refusait de s'avouer quelque chose. Ce n'était pas là son attirance pour Derek qu'il réfutait : il s'agissait plutôt de l'importance qu'il donnait à ses sentiments et la façon dont il les exprimait.
Stiles savait qu'aimer Derek ne lui était pas interdit et que celui-ci n'irait pas le blâmer s'il l'apprenait. Ce dont il avait toutefois peur, c'était de le déranger, de lui imposer quelque chose qu'il pourrait juger trop grand pour lui, trop pesant. Paradoxalement, Stiles ne pouvait pas s'empêcher d'agir naturellement avec lui… Alors il retenait assez peu ses élans de tendresse. S'il devait fondre dans ses bras, il ne lutterait pas contre ce fait. Il en serait incapable… Sauf si Derek lui en faisait clairement la demande. Là, Stiles pourrait faire un effort. Mais puisque le loup-garou ne semblait pas prêt à faire régresser leur relation, l'hyperactif continuait sur sa lancée. Puis ces échanges-là avec Derek étaient toujours d'une douceur si grande qu'elle se révélait plus envoûtante à chaque fois. Ils partageaient quelque chose de fort et… Qu'importe où ça devait aller, tant que Derek et lui étaient consentants sur tous les points et étapes. L'avantage c'est qu'avec le loup-garou, Stiles savait qu'il n'y aurait aucun secret à ce sujet. Son amant avait toujours été honnête et il s'agissait d'un côté qu'il lui connaissait depuis le départ et qui ne risquait pas de changer – c'était trop ancré dans sa personnalité.
- Je suis content de te retrouver, souffla Derek tout contre son oreille.
Stiles sourit, ferma les yeux. Garda ses bras autour de la taille du loup-garou, profita simplement de l'étreinte amoureuse. Derek ne bougea pas non plus, caressa distraitement ses cheveux châtains.
Stiles, comme à son habitude, fondit. Resta debout, contre lui, mais fondit. Comment résister ? Ce que Derek lui apportait avec une simple étreinte, c'était… C'était si fort qu'il lui serait impossible de décrire avec précision ce qu'il ressentait à cet instant.
En tout cas, une chose était sûre : il n'avait plus peur, ni honte de rien. Sa nervosité ? Envolée. C'était comme ça à chaque fois, à la différence que celle-ci avait une valeur toute particulière. La raison à cela, impossible de la définir et au fond… Stiles n'en avait pas réellement envie. Pourquoi s'entêter à mettre des mots sur cette chose si agréable qu'il pouvait tout simplement accepter pour ce qu'elle était ? Stiles était tout bonnement en train de lâcher prise et cela lui faisait un bien fou sans même qu'il en ait réellement conscience. Le fait est qu'il était doucement en train de changer… Pour le mieux.
Alors, l'envie de se confier à lui, de lui annoncer la décision qu'il avait prise naquit et crût si vite et si fort qu'il leva la tête vers son amant. Un léger sourire étirant ses lèvres, il le regarda longuement avant de déposer un baiser plus que chaste sur ses lèvres. Puis, il s'écarta de lui à contrecœur. Ses joues se mirent à rougir, mais il ne baissa pas les yeux. Derek arbora un air quelque peu confus mais ne posa aucune question et laissa Stiles le prendre par la main et le tirer il ne savait où. Car même s'il ne comprenait pas ce qu'il lui prenait, l'ancien alpha devait s'avouer un peu curieux. Puis si Stiles désirait lui montrer quelque chose, Derek n'allait pas l'en empêcher, de même s'il avait dans l'idée de s'exprimer. S'il utilisait le plus souvent l'écriture pour communiquer avec lui, la chose n'était pas tellement récurrente tant il la trouvait rébarbative. Puis le fait de simplement devoir utiliser un intermédiaire pour parler l'agaçait fortement – Derek le constatait chaque fois qu'il le voyait se saisir d'un stylo, ou de son téléphone. Cette vision lui faisait mal, mais il la faisait toujours taire, de sorte à ne rien en montrer. Il ne forçait néanmoins pas avec son idée de langue des signes et laissait à son humain le temps d'y songer, voire d'y réfléchir. Il savait d'ailleurs que cela viendrait, sans savoir dire quand.
Mais jamais il n'aurait imaginé ce moment si proche.
Stiles ne l'emmena pas bien loin : à vrai dire, il le fit simplement pénétrer dans la chambre au lieu de le laisser patienter sur son seuil. D'un geste, il lui demanda de s'assoir sur le lit, ce que Derek fit tranquillement, un sourcil légèrement haussé toutefois. De son côté, Stiles parut quelque peu tendu ou plutôt… Embêté, gêné. Fidèle à ses habitudes, Derek lui laissa le temps de réfléchir et d'organiser sa pensée. De toute façon, il n'était pas pressé. Les courses étaient faites et… Il s'agissait de son seul véritable impératif jusqu'à maintenant. Du reste, il était libre comme l'air. C'était un luxe, un privilège dont il avait parfaitement conscience et qu'il utilisait à bon escient. Enfin, il faisait tout pour. Puis tant qu'il pouvait accorder du temps à Stiles, suffisamment pour l'aider et l'aimer… Ça lui allait.
Stiles tapota sur son téléphone. Il avait l'air concentré et mit tant de temps à écrire que Derek crut brièvement qu'il lui faisait un roman. Peut-être lui faisait-il une confession, lui racontait-il sa journée… Le loup-garou ne pensa pas à une déclaration quelle qu'elle soit – il ne l'espérait pas encore. Il ne demandait rien, se contentait de ce qu'ils avaient. S'il devait y avoir une avancée dans leur relation, elle se ferait lorsque le moment serait venu. Bien sûr, Derek ne prenait rien pour acquis et partait du principe que… Les choses pourraient très bien ne pas changer, ou bien varier dans l'autre sens. Rien n'était immuable.
Rapidement, Stiles tourna l'écran dans sa direction d'un geste si vif que Derek mit un peu de temps à se rendre compte du fait qu'il était censé… Lire ce qui était écrit. Il s'empara de l'appareil et laissa ses yeux parcourir les mots.
« On dirait pas mais c'est vachement dur, ce truc... J'y arriverai pas seul, je vais avoir besoin de cours. »
Au départ, Derek ne comprit pas de quoi il parlait, ni où il voulait en venir tant ses mots pouvaient s'appliquer à tout et n'importe quoi, à un nombre de domaines incroyablement élevé. Il eut bien une petite idée de ce qu'il pouvait en être mais n'imagina pas qu'elle puisse se révéler concrète, réelle.
Stiles lui reprit le téléphone, tapa encore, le lui rendit. Les yeux du loup-garou parcoururent à nouveau les mots. Au fond de lui, un espoir naquit, mais il le musela suffisamment vite pour ne pas lire sous son influence. Il se devait de rester neutre, de ne rien attendre. Ç'avait toujours été sa façon de faire pour tout et n'importe quoi. Il s'agissait pour lui du meilleur moyen d'éviter la déception. Une partie de son inconscient se permit de glisser une réflexion à sa conscience.
De mémoire, Stiles ne l'avait jamais déçu. En aucun cas. Alors pourquoi, d'une certaine manière, s'y attendre ? Derek mit cette idée sur le compte du réflexe. Mais il sut, instinctivement, qu'il avait tort. Qu'il était peut-être temps de changer de méthode, d'essayer d'apprendre à appréhender les choses autrement.
Son cœur se réchauffa avant même qu'il se rende consciemment compte de ce qu'il était en train de lire.
« Par contre, tu vas tenir ta promesse et m'accompagner. Hors de question que j'apprenne tout seul. Je me supporte tous les jours, je me parle à moi-même dans ma propre tête suffisamment souvent pour en être agacé. Alors si je dois gesticuler dans tous les sens pour pouvoir parler autrement qu'en écrivant, j'aimerais que tu puisses me comprendre. »
Stiles avait sa manière à lui de parler, sa façon de dire les choses en passant par quatre chemin… Comme si aller droit au but revêtait une véritable difficulté, comme si passer par des chemins détournés… Le protégeait d'une réaction directe, ou quelque chose s'en approchant. Il avait toujours agi de cette façon, hormis lorsqu'il se trouvait dans une situation d'urgence. Le fait est que sur ce point-là, Derek et lui se ressemblaient beaucoup. Ils avaient des habitudes… Que la vie rendait peu à peu caduques, chose dont ils commençaient doucement à se rendre compte. Derek n'avait pas besoin de réfréner tous ses espoirs, de tout voir sous un prisme presque négatif, tout comme Stiles n'avait pas besoin d'aller dans tous les sens pour dissimuler au mieux ce qu'il voulait dire. S'il croyait ainsi en réduire l'impact, la puissance, c'était raté.
Parce que Derek comprit peu à peu et cela se vit sur son visage, lequel fit en premier lieu montre d'une confusion particulière. Elle tendit rapidement vers la perplexité… Qui, elle, se retrouva rapidement imprégnée par une certaine joie difficile décrire. Mais s'il n'avait pas encore d'étoiles dans les yeux, ses lèvres s'étirèrent toutes seules. Lentement, si progressivement qu'on pourrait se laisser tromper un instant. Quelque chose en lui se réchauffa si fort et si vite qu'il sentit le sentiment amoureux le submergé. Il ressentait aussi une forme de fierté, laquelle était indéniable. Parce que cette décision, il ne l'attendait plus ou du moins, pas si tôt.
Et bordel, ce qu'elle lui faisait plaisir.
- C'est vrai ? Souffla-t-il en relevant un regard plein d'espoir en direction de l'humain. Tu veux vraiment ?
L'air de Stiles, au départ légèrement craintif, se décrispa pour esquisser un sourire timide. Il eut un petit haussement d'épaules pour se donner un genre, une attitude à moitié désintéressée. Dans un sens, il appréciait l'idée de conserver certaines apparences même s'il savait à quel point avec Derek c'était inutile.
Car oui, il le voulait vraiment.
