Les sentiments d'Aegon le Conquérant
Aegon se tenait devant le trône de fer, les forgerons et le feu de Balérion avaient rendu le trône impressionnant mais terriblement inconfortable. Alors qu'il gravissait les marches, le souverain laissa ses doigts traînaient sur les lames saillantes. Au sommet, il prit quelques instants pour fixer le mur de bois qui entourait la salle du trône. Il faudrait un jour remédier à ce problème, songea-t-il, ce trône méritait mieux que du bois et de la terre. Puis, tout aussi lentement, il se retourna et s'assit prudemment. Un roi ne devait pas se reposer sur ses lauriers, il devait être concentré sur les problèmes de son peuple et être toujours à l'affût. Le siège ainsi fait garderait sa descendance concentrée, sans quoi ils subiraient la morsure du fer.
- Toujours perdu dans tes pensées mon frère ?
La voix d'acier de Visenya Targaryen résonna dans la pièce vide et sombre. Dans sa prime jeunesse, le roi aurait bondi sur ses pieds et aurait répondu avec agressivité à la réplique mesquine de son ainée, mais à quoi bon maintenant. Elle était la seule qui pouvait le comprendre, la seule qui lui restait. La douleur qu'il ressentait à chaque pensée de Rhaenys et la rage qui brûlait son cœur à cause des dorniens étaient les seules choses qui le maintenaient en vie. Il les voulait tous morts, mais cela semblait être un vœu pieu. Depuis presque sept ans, ils tentaient de les tuer et eux envoyaient des assassins après sa famille. Il n'y a pas deux semaines, Visenya et Maegor, leur fils de quatre ans, avaient failli mourir dans une piètre tentative ordonnée par le crapaud de Dorne. Sa reine avait promptement décapité l'intrus et ses deux complices pourrissaient maintenant dans les cellules sombres, questionnées par ses tortionnaires.
La présence de Visenya ne devait pas être étrangère à la présence de ces individus dans la capitale, songea le souverain en la voyant marcher tel un prédateur vers lui. Quelle autre affaire pourrait garder éveillée sa sœur ou nécessiter sa présence à cette heure de la nuit ?
- Que veux-tu ?
- Maegor et Aenys demandent leur père. Tu as promis de venir leur raconter une histoire.
Elle n'avait jamais pris de pincette. Sa sœur ne tentait jamais d'alléger les situations. Visenya était brusque et ceux qui n'étaient pas d'accord devaient subir la situation ou la fuir. C'était autant une bénédiction, qu'une malédiction. Quand Rhaenys était en vie, elle arrondissait les angles, veillait à adoucir leur image, mais maintenant, … Ce n'était pas dans sa nature à lui, la douceur et la prévenance. Il était fait d'un métal plus dur, bien qu'il n'égalait pas l'acier Valyrien de sa sœur. Il n'avait jamais pris la peine de se lier avec les autres, de chercher à connaître les fils de marchands qui vivaient à Peyredragon ou à être amis avec les fils des vassaux de son père. À quoi cela lui servirait-il ? Il était un dragon, le sang de Valyria, ils étaient tous en dessous de lui et de ses sœurs. Oui, même Orys, même s'il s'approchait de leur perfection.
Dans leur jeunesse, Orys et lui avaient partagé des expériences, mais ce temps était révolu. Pendant la conquête, son frère s'était révélé comme un brillant combattant, un stratège habile et un homme de confiance, qui avait grâce à son épée et à la confiance du souverain, gagné une province prospère et une épouse belle comme le jour. Sa fidèle main droite. Quand le temps avait il prit une telle vitesse ? N'était-ce pas hier qu'il complotait avec ses deux sœurs et son frère l'annexion de Westeros ?
Tout se passait si bien, et puis les dorniens arrivèrent. D'abord Rhaenys, puis la main de son frère. Depuis, il n'était plus le même. Il avait démissionné de son poste de main. Aegon aurait volontiers changé le titre pour un autre, si cela avait permis à son frère de rester, mais Orys ironisa et déclara simplement qu'il servirait mieux son roi sur ses terres, plutôt que dans sa capitale. Désormais, il préférait vivre dans cette forteresse gelée, froide et bruyante d'Accalmie, avec sa femme. Là-bas, il pouvait ruminer sur sa gloire passée et sa main perdue. Toute la diplomatie d'Aegon avait échoué à le ramener avec eux, dans ce palais de bois et de boue que les gens du commun appelaient Fort Aegon. Tout l'amour filial n'y avait pas suffi.
Souvent, Aegon se demandait si l'ordre de son roi ramènerait son frère à lui, ou si cela l'éloignerait encore plus. Peut-être que cela le jetterait encore plus dans les bras de son épouse ?
- Je comprends que passer du temps avec les enfants n'est pas ton activité préféré, mais tu es leur père et tu te dois de passer du temps avec eux.
- Je le ferai.
Sa voix creuse résonna avec autant d'intensité dans la pièce que la réplique acerbe de sa sœur. Il aimait ses fils, réellement. Le doux Aenys, tellement semblable à sa sœur perdue et Maegor si différent de son frère. C'est vrai, il avait parfois du mal à rester avec son ainé, mais simplement parce que sa mère ressurgissait en lui. Mais son cadet était le même. Deux versions de ses sœurs et aucune de lui.
Maegor ferait un guerrier redoutable, comme sa mère, alors qu'Aenys pourrait devenir un grand cavalier de dragon, mais il ne deviendrait jamais un soldat. Il le savait, même si tous les maîtres d'armes lui assuraient que l'aversion de son fils pour les armes passerait avec les années. Il n'avait que sept ans, mais Maegor à quatre pouvait déjà soulever une épée et courir dans la cours d'entraînement en hurlant. Les fils de leurs mères.
Souvent, la nuit, alors que même les chats dormaient et que nul ne bougeait, le roi pensait à Rhaenys et à ce qu'elle penserait de leur vie actuelle ? Serait-elle satisfaite de la manière dont son fils grandissait ? Apprécierait-elle que Visenya et lui ait un fils ? Serait-elle heureuse avec eux dans ce palais sans couleur ? La réponse lui apparaissait parfois et elle se révélait bien souvent terrible. Rhaenys détesterait ce palais, elle détesterait que Visenya et lui ne puissent pas s'entendre et elle haïrait que son fils soit si mal traitait par son père. Alors, le soir, il prenait des résolutions : le lendemain, il prendrait Aenys sur Balérion et ils partiraient faire un tour. Il ordonnerait que les artisans construisent un véritable château avec des ouvertures pour laisser entrer le soleil et des jardins avec des fleurs issu de tout le monde connu. Il ferait la paix avec Visenya et essayerait même de comprendre et d'accepter tous ses travers, de ne pas la juger et de l'aimer pour ce qu'elle était. Il s'endormait beaucoup plus serein, mais lorsqu'il se réveillait, une affaire ou une autre se présentait et il oubliait et chaque soir, il culpabilisait de ne pas avoir tenu sa parole au spectre de Rhaenys qui hantait sa chambre sombre.
Le roi fut sorti de ses pensées erratiques par la reine qui touchait sa joue. Quand c'était elle approchée autant de lui ? Ses yeux améthyste d'ordinaire si durs brillaient d'inquiétude et de quelque chose d'autre que le souverain ne pouvait pas vraiment définir.
- Elle me manque aussi Aegon, mais nous devons continuer. Nos fils, à toutes les deux, ont besoin de toi. J'ai besoin de toi. Rhaenys ne souhaiterait pas te voir dans cette pièce sombre à ruminer, elle voudrait que tu t'envoles sur Balérion et que tu emmènes Aenys avec toi. Tu pourrais même prendre Maegor. Ils adoreraient passer du temps avec leur père.
Il y avait quelque chose de terrifiant dans la douce inquiétude de son aîné. Visenya ne devait pas être gentille et compatissante, elle devait être dure, froide, impétueuse et irascible. Un socle sur lequel s'appuyer, le fer de sa colère. Une Visenya inquiète était douloureux, étrange et déroutant. Une Visenya en colère pouvait être dirigée vers ses ennemis, il pouvait se servir de sa douleur, de sa rage pour alimenter la sienne, pour qu'ils puissent continuer à venger Rhaenys, pour qu'ils brûlent les dorniens jusqu'au dernier pour leur crime, pour…
- Quand es-tu devenue si douce ma sœur ? Questionna le souverain dans un murmure étouffé.
- Je ne suis pas douce, je suis réaliste !
Voilà, ce qu'il voulait. Cette rage ! Elle s'éloigna de quelques pas et commença à pointer son doigt sur lui. Ses yeux améthyste lançaient des éclairs, elle était prête pour un combat, une crise de colère, dont seul elle avait le secret et qui ravissait le souverain, car lui aussi pouvait céder et déverser ce qu'il avait sur le cœur. Avec qui d'autres pouvaient ils se battre ? Les souverains sont toujours seuls. Ils n'ont ni amis, ni familles. Ils n'ont qu'eux.
- Les gens murmurent dans ton dos ! Ils parlent de la douceur de notre sœur et de ma brusquerie ! Ils parlent de ma froideur et de notre éloignement ! Ils regardent nos fils et voient des monstres ! Car aux yeux de leurs dieux, nous sommes des monstruosités ! Ils voient leur roi et observent une coquille vide qui mène une guerre qui semble s'embourber ! Un roi avec un dragon qui est en colère et triste ! Ils ne bougent pas, car ils nous craignent, mais nos fils sont des enfants, ils ont besoin de notre protection et ils ont besoin d'apprendre à être rois ! Ils ont besoin de leur père pour leur enseigner comment régner et comment ne pas finir avec leurs têtes sur des piques ! Si tu ne leur apprends pas, qui le fera !
Visenya acheva sa tirade en hurlant. Ses yeux lançaient des éclairs, sa main droite était posée sur Noire sœur et chaque fibre d'elle criait qu'elle voulait un combat.
- Comment oses-tu ?!
Aegon se leva de son trône en colère, le parfait miroir de son aînée. Comment osait-elle l'attaquer ? Comment osait-elle dire qu'il était un mauvais père ? Comment osait-elle dire qu'il ne s'intéressait pas à sa famille ? Qu'il ne faisait rien pour elle et pour leur fils ?! Chaque action, chaque souffle qu'il prenait étaient tournés vers sa famille, vers ses fils, vers Rhaenys et vers elle.
- J'ose car personne d'autre ne le fera !
- Je suis dédié à ma famille ! Je ferai tout pour vous protéger tous les trois ! Pour qu'aucun mal ne vous arrive ! Que rien ne sépare nos fils ! Pour que nous ne perdions plus aucun membre de notre famille !
- Alors agis ! Occupe-toi de tes enfants ! Fais ce que Rhaenys voudrait que tu fasses, si tu ne veux pas faire ce que je te dis de faire !
La reine n'attendit pas la réplique de son cadet, préférant tourner les talons et se diriger vers la porte qu'elle ouvrit et referma à la volée. Elle ne remarqua pas le regard de douleur de son frère-époux, ni les quelques larmes qui tombèrent sur les marches du trône de fer. Il voulait sa rage, mais il ne voulait pas de sa douleur. Il oubliait bien trop souvent, que Rhaenys n'était pas que sa sœur-épouse, mais aussi celle de Visenya et que sa perte devait être aussi douloureuse pour elle, que cela l'était pour lui.
Pas pour la première fois, il se dit que peut-être elle se sentait encore plus coupable que lui, car c'était elle qui devait allait brûler Dorne, mais Rhaenys avait insisté pour s'y rendre. Jamais Aegon ne lui avait reproché ouvertement d'avoir accepté cet échange, mais quelque part, Visenya devait se le reprocher et se demander si cela aurait changé quelque chose. Rien, songea-t-il. Il aurait simplement perdu Visenya, à la place de Rhaenys.
- Je t'écoute Visenya, je t'ai toujours écouté, même si tu n'es pas Rhaenys, murmura le roi en fixant la porte.
Aegon laissa sa main caresser son trône, avant de s'appuyer sur les accoudoirs et de descendre prudemment les marches. Il avait un devoir envers le royaume et envers sa famille. Peut-être qu'il pourrait encore se réconcilier avec Visenya, peut-être qu'un jour, ils pourraient à nouveau être une famille, peut-être qu'un jour, ils pourront mettre de côté leur culpabilité et être heureux ensemble. Peut-être…. Mais, pour l'instant, ses fils avaient besoin de lui.
